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Date : 20200424


Dossier : IMM-6060-18

Référence : 2020 CF 554

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

JIANQIANG LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 1er novembre 2018 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel du demandeur et a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Le contexte factuel

[3]  Le demandeur, Jianqiang Li, est un citoyen de la Chine et d’aucun autre pays. Avant son arrivée au Canada, le demandeur vivait en Chine avec son épouse et son fils.

[4]  Le demandeur a payé un passeur pour que celui‑ci l’aide à obtenir un visa canadien de visiteur au moyen de faux renseignements. Le demandeur est entré au Canada le 26 décembre 2014 à l’aide d’un passeport chinois authentique et du visa canadien de visiteur falsifié.

A.  L’interrogatoire à l’aéroport international de Vancouver

[5]  Le demandeur a été détenu et interrogé par l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] à l’aéroport international de Vancouver. Le demandeur a affirmé à l’agente chargée de l’interroger qu’il venait au Canada pour visiter les casinos et faire une visite touristique avec un groupe, et qu’il planifiait rester au Canada de trois à cinq jours.

[6]  Lorsque l’agente chargée de l’interroger a dit au demandeur qu’elle ne croyait pas son récit, le demandeur a affirmé qu’il était chrétien et qu’il craignait d’être persécuté par le gouvernement chinois. L’agente a posé des questions au demandeur au sujet de ses croyances chrétiennes.

[7]  L’agente a par la suite demandé au demandeur la véritable raison pour laquelle il était ici, au Canada. Le demandeur a affirmé qu’il voulait travailler au Canada pour subvenir aux besoins financiers de sa famille en Chine, et il a avoué qu’il n’avait pas véritablement de problèmes en Chine et qu’il ne risquait pas d’y être persécuté.

[8]  Le demandeur a été détenu à Vancouver et libéré à la suite d’un contrôle des motifs de sa détention le 8 janvier 2015. Le demandeur a ensuite déménagé à Toronto.

B.  Le premier formulaire Fondement de la demande d’asile

[9]  Le demandeur a demandé l’asile le 17 janvier 2015. Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de sa demande d’asile [FDA], le demandeur a affirmé que lui et son épouse souhaitaient avoir plus d’enfants, mais craignaient l’avortement, la stérilisation ou la détention pour infraction aux politiques de planification familiale de la Chine. Le demandeur a affirmé que, s’il retournait en Chine, il perdrait son droit d’avoir d’autres enfants.

[10]  Le demandeur a affirmé qu’il avait planifié d’entrer au Canada ou aux États-Unis et d’y amener son épouse et son fils par la suite. Le demandeur a affirmé que ses amis lui avaient dit qu’il devait retenir les services d’un passeur pour l’aider à obtenir un visa de visiteur, sans quoi on ne lui octroierait jamais de visa.

[11]  Le demandeur a affirmé que le passeur lui avait dit de dire aux autorités canadiennes qu’il était un chrétien ayant été persécuté pour des motifs religieux en Chine. Le demandeur a également mentionné qu’il était effrayé lors de son interrogatoire avec l’agente de l’ASFC et que, lorsqu’il avait dit à l’agente qu’il était chrétien, il ne faisait que suivre les directives du passeur.

C.  Le formulaire Fondement de la demande d’asile supplémentaire

[12]  Le demandeur a déposé un formulaire FDA supplémentaire le 6 juillet 2017. Dans son exposé, le demandeur a affirmé que, bien que la Chine soit passée de la politique de l’enfant unique à la politique de deux enfants, lui et son épouse estiment qu’ils ont le droit fondamental d’avoir autant d’enfants qu’ils le désirent. Le demandeur a également affirmé qu’il craignait d’être puni par les autorités chinoises pour avoir retenu les services d’un passeur.

[13]  Le demandeur a ajouté une demande d’asile sur place. Il a affirmé qu’il était devenu un adepte du Falun Gong depuis son arrivée au Canada. Le demandeur a reçu un dépliant d’un adepte du Falun Gong en mars 2015, et il s’est ensuite mis à lire des livres sur le Falun Gong et à observer les rites avec un groupe au Pacific Mall.

[14]  Le demandeur a affirmé avoir participé à des événements du Falun Gong à Ottawa, à Toronto et à Hamilton, et qu’il observe les rites du Falun Gong à la maison tous les jours, et avec un groupe tous les dimanches. Le demandeur a également affirmé qu’il a participé à une veillée aux chandelles du Falun Gong devant le consulat chinois à Toronto en avril 2017.

[15]  Le demandeur dit vouloir pratiquer ouvertement le Falun Gong, mais qu’il ne pouvait pas le faire en Chine en raison de l’interdiction et de la persécution continue.

III.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[16]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR], dans une décision rendue de vive voix à la fin de l’audience, a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait une possibilité sérieuse d’être persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention ou qu’il serait personnellement exposé, selon la prépondérance des probabilités, au risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Chine.

[17]  La SPR a conclu que la question déterminante était la crédibilité. La SPR a jugé que le demandeur n’avait généralement aucune crédibilité en ce qui concerne le fondement de sa demande d’asile.

[18]  La SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait présenté une fausse demande d’asile fondée sur sa religion chrétienne au point d’entrée, alors que son intention véritable était de venir travailler au Canada. La SPR a conclu que, bien que le demandeur ait relaté que le passeur lui avait dit de mentionner qu’il était chrétien, le demandeur a démontré des connaissances surprenantes du christianisme au point d’entrée, ce qui indiquait que le demandeur s’était préparé, et qu’il entendait tenter d’entrer au pays en tant que réfugié religieux si ses allégations étaient contestées.

[19]  La SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile en Allemagne ou en France, et a conclu que rien ne permettait d’établir que le demandeur éprouvait une crainte vraisemblable d’être persécuté en raison des politiques de planification familiale de la Chine, ou en raison de son recours aux services d’un passeur.

[20]  La SPR a conclu que le manque de crédibilité générale du demandeur et sa conduite lors de son témoignage avaient une incidence négative sur sa demande d’asile sur place. La SPR a conclu que le demandeur avait rejoint le Falun Gong avec l’intention expresse de créer un fondement à une demande d’asile sur place, et qu’il ne croyait pas réellement aux préceptes du Falun Gong.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle

[21]  La SAR a affirmé qu’elle appliquerait l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], ce qui signifie qu’elle examinerait la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte, à l’exception des questions concernant la crédibilité du témoignage livré de vive voix. La SAR a affirmé que, dans les cas où la SPR jouit d’un avantage certain, elle appliquerait la norme de la décision raisonnable modifiée relativement aux conclusions sur la crédibilité du témoignage livré de vive voix.

[22]  La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[23]  La SAR a examiné la transcription de l’interrogatoire que l’agente de l’ASFC avait fait passer au demandeur et a conclu que ce dernier n’avait pas dit la vérité dans ses déclarations initiales au sujet de sa crainte d’être persécuté en raison de sa religion chrétienne. La SAR a conclu que le demandeur n’avait changé son témoignage qu’après avoir été longuement interrogé au sujet de ses croyances chrétiennes.

[24]  La SAR a conclu que le demandeur « a bafoué les lois canadiennes sur l’immigration relatives aux demandes d’asile » et que l’allégation du demandeur selon laquelle il craignait d’être persécuté par les autorités de la planification familiale n’était pas crédible.

[25]  La SAR a relevé que la jurisprudence de la Cour fédérale met en garde contre la détermination de l’identité religieuse fondée sur les connaissances religieuses, ou sur le manque de connaissances religieuses, d’un demandeur d’asile. Toutefois, la SAR a conclu que la preuve objective établit que la connaissance est un élément important du Falun Gong. La SAR a conclu que les attentes envers un demandeur d’asile qui soutient adhérer à une pratique religieuse fondée sur la connaissance peuvent bien être différentes des attentes envers un demandeur qui affirme adhérer à une pratique fondée sur la foi. La SAR a conclu qu’on s’attendrait à ce qu’un demandeur d’asile qui observe les rites du Falun Gong soit en mesure de livrer un témoignage précis au sujet de ces connaissances fondamentales essentielles.

[26]  La SAR a fait preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur avait démontré un manque de sincérité et un comportement négatif alors qu’il témoignait concernant sa pratique du Falun Gong. La SAR a par la suite examiné les réponses qu’avait fournies le demandeur à la SPR au sujet du Falun Gong. Compte tenu de la durée pendant laquelle le demandeur avait pratiqué et étudié le Falun Gong, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à des connaissances beaucoup plus complètes au sujet de certains concepts de base. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong.

[27]  La SAR a examiné la preuve documentaire contenue dans le cartable national de documentation au sujet de la surveillance des adeptes du Falun Gong et du traitement des membres de leur famille par la Chine. La SAR a conclu qu’aucune preuve n’établissait que les autorités chinoises avaient eu connaissance des activités du Falun Gong du demandeur au Canada, ou que sa famille avait été abordée par des autorités en Chine en raison de sa pratique alléguée du Falun Gong.

[28]  La SAR a conclu que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong et que, par conséquent, il pourrait donc retourner en Chine sans crainte d’être persécuté.

V.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[29]  Le demandeur soulève trois questions : (1) Y avait‑il une crainte raisonnable de partialité de la part de la SAR? (2) La SAR a‑t‑elle fait preuve d’un excès de zèle dans son évaluation des connaissances du demandeur au sujet du Falun Gong? (3) La SAR a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que la pratique et les activités du Falun Gong du demandeur au Canada pendant deux ans et demi n’étaient pas authentiques?

[30]  Les faits et les arguments des deux dernières questions se chevauchent. Elles se résument à savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a évalué l’identité du demandeur à titre d’adepte du Falun Gong pour trancher la question de savoir si celle‑ci pouvait appuyer sa demande d’asile sur place.

[31]  La norme de contrôle applicable concernant une allégation selon laquelle la SAR a affiché une crainte raisonnable de partialité est celle de la décision correcte : You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1010, au paragraphe 12.

[32]  Récemment, la Cour d’appel fédérale a examiné la norme de la décision correcte. M. le juge Rennie a précisé que la question de savoir si le devoir d’équité procédurale a été respecté ne nécessite pas une analyse relative à la norme de contrôle. La question fondamentale à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 56.

[33]  Les deux autres questions se rapportent à la question de savoir si la décision est raisonnable. L’arrêt Huruglica a établi que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à l’égard d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable : Huruglica, au paragraphe 35.

[34]  La présente demande a été plaidée avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], où elle a énoncé une nouvelle marche à suivre lorsqu’une cour de révision procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[35]  Vavilov a fait disparaître l’ancienne exigence selon laquelle la Cour doit procéder à une analyse relative à la norme de contrôle applicable dans les cas où la norme de contrôle n’avait pas déjà été établie de manière satisfaisante. La Cour suprême du Canada a énoncé clairement que, lorsque le contrôle judiciaire porte sur le fond d’une décision administrative, la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable : Vavilov, au paragraphe 23.

[36]  La présomption ne s’applique pas à une question concernant un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale qui met en jeu une crainte raisonnable de partialité : Vavilov, au paragraphe 23. Je précise que Vavilov n’a pas modifié l’approche employée pour trancher la question de savoir si les droits du demandeur à l’équité procédurale ont été respectés.

[37]  Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[38]  La présente demande a été plaidée en fonction de l’application de la norme de la décision raisonnable, sauf pour l’allégation de partialité. Bien que la présente demande soit régie par les principes dégagés dans l’arrêt Vavilov, je conclus qu’il n’est pas nécessaire de recevoir d’autres observations des parties, étant donné que le résultat serait le même que si elle était régie par le cadre précédant l’arrêt Vavilov, soit celui de l’arrêt Dunsmuir et des décisions qui l’ont suivi.

VI.  La décision montre‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité de la part de la SAR?

[39]  Le critère permettant de déterminer s’il y a une partialité réelle ou s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part d’un décideur a été établi par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty et al c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, aux pages 394 et 395 :

[…] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question […] de façon réaliste et pratique? » […]

Les motifs de crainte doivent être sérieux […] et le critère [ne doit pas] être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[40]  Le demandeur soutient que, lorsque la SAR a affirmé qu’il « a[vait] bafoué les lois canadiennes sur l’immigration relatives aux demandes d’asile », cela a suscité une crainte raisonnable de partialité, parce qu’il s’agissait d’une [traduction« conclusion préjudiciable et non fondée ».

[41]  Je ne suis pas d’accord.

[42]  La SAR n’a tiré cette conclusion qu’après avoir examiné la transcription de l’interrogatoire du demandeur par l’ASFC à l’aéroport international de Vancouver. Le demandeur a commencé à répondre en racontant un certain nombre de mensonges au sujet du but de sa visite au Canada, de l’entreprise que possédait sa famille, de l’argent qu’il recevait de sa famille et du fait qu’il était chrétien. Questionné avec insistance, le demandeur a avoué que tout ce qu’il avait dit était faux, à l’exception du fait qu’il était chrétien et qu’il voulait rester au Canada de façon permanente.

[43]  Quand on lui a demandé à quel type de persécution il pourrait être exposé en Chine, la première réponse du demandeur a été la suivante : [traduction« Je n’aime pas mon niveau de vie, je n’ai qu’un petit endroit pour vivre. La police dit toujours que je suis fou. » Quand on lui a répété la question, le demandeur a dit qu’il craignait d’être arrêté parce qu’[traduction« ils parlent toujours de moi ». Lorsqu’on lui a posé une troisième fois la question de savoir s’il serait exposé à de la persécution en Chine, la réponse est devenue : [traduction« Non, pas vraiment. » Ces trois questions ont été posées presque consécutivement lors de l’interrogatoire.

[44]  Quand l’ASFC a demandé au demandeur la raison pour laquelle il n’avait pas dit la vérité, il a affirmé ceci : [traduction« Je pensais que j’aurais de la chance et que je m’en sortirais. »

[45]  La SAR a conclu que le demandeur tentait de rester au Canada en utilisant un faux récit et qu’il n’avait pas été crédible ni dit la vérité lorsqu’interrogé par l’ASFC. Je conclus qu’une interprétation raisonnable de cette réponse est que le demandeur était prêt à dire n’importe quoi pour obtenir l’asile.

[46]  La SAR a également relevé les modifications apportées au formulaire FDA du demandeur et les affirmations du demandeur selon lesquelles les questions autres que celles de la planification familiale et du Falun Gong à titre de fondement de sa demande d’asile sur place étaient accessoires. C’est ce que le demandeur a laissé entendre dans ses observations à la SAR.

[47]  Dans le premier formulaire FDA, la crainte du demandeur était à la fois la sanction qui lui serait imposée pour avoir retenu les services d’un passeur pour quitter la Chine et la planification familiale en Chine qui l’empêcherait d’avoir plus d’enfants, et ce, malgré sa volonté et sa capacité en ce sens. Dans le deuxième formulaire FDA, il a indiqué qu’un passeur lui avait mentionné de dire qu’il était chrétien. Il s’est excusé de ne pas avoir été honnête quand il est arrivé au Canada. Il a également réitéré son souhait d’avoir autant d’enfants que lui et son épouse le désirent, même s’il y avait une politique de deux enfants en Chine à ce moment‑là.

[48]  Essentiellement, le deuxième FDA avait pour but d’établir les détails de sa demande d’asile sur place concernant le Falun Gong.

[49]  Le demandeur allègue que la SAR a tiré une conclusion non fondée en affirmant qu’il [traduction« a bafoué les lois canadiennes sur l’immigration relatives aux demandes d’asile »; ce n’est toutefois pas ce qui ressort du dossier. Lorsqu’un demandeur d’asile ment de façon répétée et modifie son récit, notamment quant à la nature de la persécution qu’il craint, le cas échéant, s’il retourne dans son pays d’origine, je n’ai aucune hésitation à conclure qu’une déclaration selon laquelle la personne bafouait la loi constitue un commentaire juste.

[50]  Je suis également en désaccord avec le demandeur lorsqu’il affirme que l’observation de la SAR est une conclusion. Compte tenu des nombreuses déclarations contraires à la vérité proférées aux fonctionnaires par M. Li, il s’agit, à mon avis, d’un commentaire certes acerbe, mais raisonnable.

[51]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’une personne renseignée qui étudierait la déclaration contestée faite par la SAR ne la considérerait pas comme une preuve de partialité, réelle ou appréhendée, de la SAR envers le demandeur.

VII.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans l’évaluation des connaissances du Falun Gong du demandeur?

[52]  Le demandeur a soulevé une question dans ses observations à la SAR : La SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de l’identité du demandeur à titre d’adepte du Falun Gong lors de l’audience?

A.  La SAR a‑t‑elle fait preuve d’un excès de zèle dans son évaluation des connaissances du demandeur au sujet du Falun Gong?

[53]  Le demandeur dit que la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’il n’a que six années d’instruction. Il dit que la SAR a fait preuve d’un excès de zèle et qu’elle a été trop pointilleuse dans son évaluation de ses connaissances au sujet du Falun Gong. De plus, il soutient que la SAR a tiré des conclusions différentes de celles de la SPR, et ce, sans expliquer la raison pour laquelle cette dernière était dans l’erreur.

[54]  La SAR n’était pas en désaccord avec la SPR au sujet de la pratique du Falun Gong du demandeur. Elles ont toutes les deux conclu qu’il n’en était pas un véritable adepte.

[55]  La SAR a précisé que le demandeur avait affirmé qu’il se livrait aux cinq séries d’exercices du Falun Gong tous les jours depuis plus de deux ans et qu’il avait lu trois fois le Zhuan Falun. Il s’entraînait aussi avec un groupe du Falun Gong à l’hôtel de ville de Hamilton tous les samedis après‑midi.

[56]  La SPR a conclu que les réponses du demandeur concernant son observation des rites du Falun Gong étaient vagues et insuffisantes, compte tenu du fait qu’il les observe depuis une longue période, soit depuis deux ans ou deux ans et demi. Elle a également conclu que sa difficulté à répondre aux questions concernant l’importance de la pratique du Falun Gong sur son être spirituel personnel nuisait à sa crédibilité.

[57]  Essentiellement, la SPR a reconnu que le demandeur avait une certaine connaissance du Falun Gong et qu’il avait assisté à des festivités religieuses. La SAR a expressément relevé que la SPR avait affirmé que ces activités n’étaient pas l’élément central qu’elle avait utilisé pour apprécier la question de savoir s’il était un véritable adepte du Falun Gong.

[58]  La SAR a examiné la transcription de l’interrogatoire du demandeur avec l’ASFC, après quoi elle a conclu qu’il n’était pas crédible ou honnête dans cet interrogatoire. Cela est conforme à la conclusion de la SPR.

[59]  La SAR a reconnu que la SPR avait conclu à l’existence d’une preuve crédible selon laquelle le demandeur pratiquait le Falun Gong au Canada depuis mars 2015, mais que le but de sa pratique était d’établir une demande d’asile sur place.

[60]  Compte tenu du fait que le demandeur contestait expressément la décision de la SPR au motif que cette dernière s’était livrée à une attaque hautement subjective, hypothétique et démesurée concernant son identité à titre d’adepte du Falun Gong, la SAR a évalué la pratique du Falun Gong du demandeur. Cela n’allait pas à l’encontre des conclusions de la SPR. Cela répond aux observations précises que le demandeur a formulées à la SAR.

[61]  En l’espèce, le demandeur a soutenu que la SPR avait tiré une conclusion favorable selon laquelle il avait établi sa connaissance du Falun Gong et que, par conséquent, la SAR avait la responsabilité de l’aviser que ses connaissances du Falun Gong seraient un enjeu. Il allègue qu’on aurait dû lui donner l’occasion d’aborder ces préoccupations.

[62]  La SAR n’a pas fait des connaissances du Falun Gong du demandeur un nouvel enjeu; elle a répondu à l’observation précise formulée par le demandeur.

[63]  Pour les motifs qui précèdent et qui suivent, je ne suis pas convaincue que la SAR a fait preuve d’un excès de zèle dans son évaluation des connaissances du demandeur au sujet du Falun Gong.

B.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la pratique du demandeur pendant deux ans et demi n’était pas authentique?

[64]  Le demandeur a soutenu devant la SAR et dans sa demande que son témoignage quant à ses deux années et demie de pratique du Falun Gong au Canada était crédible et digne de foi, qu’il ne comportait pas d’omissions ou incohérences substantielles et qu’il ne soulevait pas d’autres préoccupations quant à la crédibilité en ce qui concerne cette pratique.

[65]  Le demandeur a mis en évidence le fait que la SPR avait dit que ses deux années et demie de pratique étaient [traduction« impressionnantes ». Il était donc déraisonnable pour la SPR et la SAR de rejeter ces années de pratique et de tirer une conclusion selon laquelle il n’était pas un véritable adepte du Falun Gong.

[66]  Le demandeur affirme que, compte tenu de la conclusion de la SPR, il était déraisonnable à la fois pour la SPR et la SAR de rejeter les deux années et demie de pratique crédible du Falun Gong.

[67]  Il est vrai que la SPR a dit que les années de pratique du demandeur étaient impressionnantes. Toutefois, il ne s’agissait que de la première partie de la phrase. La SPR a terminé la phrase en concluant ce qui suit : 

[traduction

[…] cela a été fait dans le seul but d’établir le fondement d’une demande d’asile sur place, ce qui cadre avec l’historique du demandeur en matière d’immigration de présenter des demandes de protection fondées sur divers motifs, tous non crédibles, qu’il n’a pas nécessairement fait valoir.

[68]  La SPR n’a pas écarté la pratique du Falun Gong du demandeur. Elle a fait une distinction entre la pratique du Falun Gong du demandeur et la question de savoir si cette pratique était véritable.

[69]  La SPR a conclu que les réponses du demandeur aux questions qu’elle lui posait étaient vagues et insuffisantes, compte tenu du temps depuis lequel il observait les rites du Falun Gong. Le tribunal a également conclu que son témoignage au sujet du Falun Gong n’était pas direct, et qu’au moins une de ses réponses semblait clairement avoir été mémorisée et récitée en réponse à la question.

[70]  La SPR a conclu que les réponses du demandeur aux questions concernant sa pratique démontraient un manque de sincérité des croyances.

[71]  Lorsqu’elle a effectué une nouvelle analyse de la pratique du Falun Gong du demandeur, la SAR a examiné l’audience devant la SPR ainsi que l’interrogatoire effectué par l’ASFC. La SAR a conclu, tout comme la SPR, que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong. Elle a conclu que ses connaissances des concepts de base n’étaient pas proportionnelles à la durée pendant laquelle il avait pratiqué et étudié le Falun Gong.

[72]  Après avoir examiné la preuve contenue dans le dossier sous-jacent, je conclus qu’elle appuie la conclusion tirée par la SAR selon laquelle le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong.

VIII.  Résumé et conclusion

[73]  La déclaration faite par le demandeur dans le récit supplémentaire de son FDA au sujet du Falun Gong avait pour objet d’appuyer sa demande d’asile sur place.

[74]  La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un véritable adepte du Falun Gong et que la preuve n’était pas suffisante pour conclure qu’il serait persécuté s’il retournait en Chine, puisqu’il n’était pas un véritable adepte. Elle a également conclu, en s’appuyant sur la décision Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067, que la conclusion quant à la crédibilité pourrait être transposée dans le contexte de l’examen de la demande d’asile sur place.

[75]  La SAR a examiné de façon indépendante la preuve relative au Falun Gong produite par le demandeur avant de tirer ses propres conclusions selon lesquelles il n’était pas un véritable adepte et qu’il pourrait retourner en Chine sans craindre d’être persécuté. Ce faisant, la SAR a examiné le cartable national de documentation en ce qui concerne la surveillance des adeptes du Falun Gong à l’extérieur de la Chine et le traitement des membres de la famille. La SAR a précisé que le demandeur n’avait présenté aucune observation concernant la conclusion de la SPR au sujet du traitement des adeptes du Falun Gong qui retournent en Chine. Elle a également précisé que le dossier ne renfermait aucune preuve que les autorités chinoises étaient au courant des activités du demandeur liées au Falun Gong au Canada ni que les autorités chinoises avaient communiqué avec sa famille.

[76]  La décision est raisonnable. Elle est cohérente et fondée sur une analyse rationnelle. Le résultat est justifié en ce qui concerne les faits, qui sont appuyés par le dossier sous-jacent et la loi.

[77]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

[78]  Aucune partie n’a suggéré que la présente affaire soulevait une question grave de portée générale à certifier, et je suis du même avis qu’eux.


JUGEMENT dans IMM-6060-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de mai 2020

M. Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6060-18

 

INTITULÉ :

JIANQING LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

23 JUILLET 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

24 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

MARK E. ROSENBLATT

 

POUR LE DEMANDEUR

 

STEPHEN JARVIS

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark E. Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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