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Date : 20200416


Dossier : T‑384‑15

Référence : 2020 CF 520

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

FFAUF S.A.

demanderesse

et

INDUSTRIA DI DISENO TEXTIL, S.A.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le présent appel est interjeté par FFAUF S.A. (FFAUF, ou la demanderesse), en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], d’une décision datée du 12 janvier 2015 de la registraire des marques de commerce (la registraire) radiant du registre, en vertu de l’article 45 de la Loi, la marque PASTA ZARA & DESIGN (marque de commerce canadienne enregistrée sous le numéro LMC395,023) de la demanderesse. La marque est affichée ci‑dessous :

[2]  La registraire a radié la marque puisqu’elle a conclu que la preuve n’a pas été déposée par la demanderesse sous la forme requise, comme il sera exposé de façon plus détaillée ci‑dessous. La registraire a poursuivi, toutefois, en indiquant que, si la preuve avait été admissible, elle aurait conclu que la demanderesse avait employé la marque au cours de la période pertinente, et, par conséquent, elle ne l’aurait pas radiée.

[3]  La demanderesse interjette appel de cette décision, et a déposé de nouveaux éléments de preuve, comme le permet le paragraphe 56(5) de la Loi.

[4]  Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli.

[5]  Il s’agit de l’un des deux appels connexes déposés par FFAUF concernant les décisions rendues de la registraire relativement aux demandes fondées sur l’article 45. Cette décision porte sur l’enregistrement de la marque figurative « PASTA ZARA & DESIGN », affichée ci‑dessus. La décision complémentaire aborde la question de l’enregistrement de la marque nominale « LE DELIZIE ZARA » (no du dossier de la Cour : T‑385‑15). Il existe un chevauchement considérable en ce qui concerne l’historique des faits et les lois applicables dans les deux affaires, et elles ont été entendues ensemble. Des décisions distinctes ont été préparées pour chaque dossier.

II.  Contexte

[6]  La demanderesse est une société de portefeuille familiale contrôlée par la famille Bragagnolo. Son nom est emprunté des premières lettres du nom du père et des enfants (Franco, Furio, Arianna, Umberto, et Franca). FFAUF est une entreprise de commercialisation qui vend et distribue des produits alimentaires italiens en Europe, au Moyen‑Orient, en Extrême‑Orient, ainsi qu’en Amérique du Nord et du Sud. Elle est propriétaire de l’enregistrement PASTA ZARA & DESIGN, et actionnaire majoritaire de Pasta ZARA. La famille Bragagnolo participe aux activités quotidiennes de Pasta ZARA, et les enfants constituent la majorité du conseil d’administration de cette entreprise.

[7]  L’enregistrement concerne la marque figurative employée en liaison avec les [traduction] « pâtes alimentaires ».

[8]  Pasta ZARA est un grand exportateur italien de pâtes, et le deuxième fabricant de pâtes le plus important en Italie. Au cours de la période pertinente en l’espèce, Pasta ZARA était le licencié exclusif mondial de la marque PASTA ZARA & DESIGN.

[9]  À la demande d’Industria de Diseno Textil, S.A. (la défenderesse), une procédure exigeant de la demanderesse qu’elle démontre son emploi de la marque au Canada au cours de la période de trois ans précédant la date de l’avis, soit du 18 décembre 2009 au 18 décembre 2012, a été entamée en vertu de l’article 45 de la Loi le 18 décembre 2012.

[10]  En réponse à l’avis, la demanderesse a déposé un affidavit souscrit par Massimo Storaro, l’administrateur de FFAUF. Cet affidavit décrit le contexte de l’entreprise et l’enregistrement de la marque. Il fournit également une copie du contrat de licence qui accordait le droit à la licence exclusive mondiale à Pasta ZARA d’employer la marque, et établit des mesures par lesquelles FFAUF veille à assurer le contrôle en matière de qualité des produits qui sont fabriqués par Pasta ZARA. De plus, l’affidavit décrit les ventes des produits présentant la marque enregistrée aux entreprises au Canada, et fournit des copies des factures concernant les ventes au cours de la période pertinente. L’affidavit fournit également une copie d’un catalogue de ventes montrant des exemples d’emballages des produits.

[11]  La défenderesse s’est opposée à l’affidavit, soutenant qu’il ne respecte pas les exigences d’un document établi sous serment pour plusieurs motifs : il n’y avait aucune signature d’une personne autorisée à prêter serment et cette partie du formulaire était vide, la page jointe à l’affidavit était en italien et aucune traduction, que ce soit en français ou en anglais, n’avait été fournie, le témoignage sur la page semblait indiquer que la personne qui avait signé attestait l’identité de M. Storaro et n’a pas indiqué qu’il avait été dûment assermenté.

[12]  La registraire a conclu que le document était inadmissible, précisant que l’article 45 de la Loi exige qu’une preuve d’emploi soit établie au moyen d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle. La registraire a conclu que le document ne respectait pas les exigences de la loi parce qu’il n’existait aucune preuve selon laquelle il avait été véritablement établi sous serment ou déclaré devant un commissaire aux serments. La registraire a précisé que FFAUF avait été avisée des objections de la défenderesse et d’une occasion de remédier à la situation, mais elle a choisi de poursuivre au motif que le document Storaro était un affidavit établi sous serment correctement. Elle n’a pas fourni de traduction ou d’explication du document qui indiquait qu’il avait été établi sous serment correctement et, par conséquent, la registraire l’a considéré comme l’équivalent d’un document qui avait été estampillé par un notaire canadien, mais sans formule d’assermentation adéquate indiquant qu’il a été établi sous serment ou par déclaration officielle.

[13]  En l’absence de toute preuve admissible pour démontrer l’emploi de la marque de commerce au cours de la période pertinente, la registraire a pris la décision selon laquelle l’enregistrement devrait être radié.

[14]  La registraire a poursuivi, toutefois, en concluant que, si le document Storaro avait été admissible, elle aurait conclu que l’emploi de la marque au Canada au cours de la période pertinente avait été démontré. La registraire a conclu que l’emploi de la marque par Pasta ZARA joue en faveur de FFAUF selon les modalités du contrat de licence, et que FFAUF a maintenu le droit d’exercer un contrôle sur les caractéristiques et la qualité des produits ainsi que sur leur commercialisation. Les factures et étiquettes d’expédition qui figurent en pièces jointes au document Storaro ont démontré la vente des produits au Canada au cours de la période pertinente, et la preuve des catalogues de produits ainsi que l’étiquette des produits sur les emballages ont démontré l’emploi de la marque dans la pratique ordinaire du commerce. La registraire a déclaré qu’elle aurait également conclu que la marque présentée sur l’emballage ne différait pas substantiellement de la marque enregistrée, et que les caractéristiques dominantes de la marque avaient été maintenues afin que la marque conserve son identité et demeure reconnaissable.

[15]  Pour ces motifs, la registraire a indiqué que, si le document Storaro avait été admissible, elle aurait conclu à l’emploi de la marque au cours de la période pertinente. Toutefois, en raison des lacunes relevées précédemment, la registraire a conclu que le document était inadmissible et que FFAUF n’avait pas déposé de preuve pour démontrer l’emploi de sa marque. Par conséquent, elle a radié l’enregistrement.

[16]  FFAUF interjette appel de cette décision et a déposé de nouveaux éléments de preuve.

III.  Questions en litige

[17]  Les parties ont toutes les deux présenté l’énoncé des questions en litige suivant :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. Compte tenu du fait que le nouvel élément de preuve est essentiellement le même que la preuve précédente (mais sans formule d’assermentation appropriée), la conclusion de la registraire selon laquelle la preuve était suffisante pour démontrer l’emploi de la marque dans la pratique ordinaire du commerce des pâtes au cours de la période pertinente devrait‑elle être remise en question?
  3. La preuve supplémentaire et le contre‑interrogatoire ont‑ils changé les conclusions de la registraire?
  4. La décision de la registraire d’annuler l’enregistrement de la marque devrait‑elle être infirmée?

[18]  Je reformulerais les questions de la façon suivante :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. La demanderesse a‑t‑elle démontré l’« emploi » de la marque de commerce au cours de la période pertinente, conformément à l’article 45 de la Loi?

IV.  Discussion

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[19]  L’approche traditionnelle en matière de contrôle de la décision d’un registraire lorsqu’un nouvel élément de preuve est déposé a été récemment résumée par le juge Gauthier dans la décision Seara Alimentos Ltda. c Amira Enterprises Inc., 2019 CAF 63 [Seara] :

[22] Après avoir admis de nouveaux éléments en preuve lors d’un appel d’une décision de la COMC par application de l’article 56 de la Loi, la Cour reprend l’analyse du dossier de la preuve sur le fond. Cependant, l’admission de nouveaux éléments n’aboutit pas automatiquement à la répudiation des conclusions de la COMC sur chaque question en litige. Seules les questions en litige qui sont visées par les nouveaux éléments de preuve peuvent justifier une nouvelle analyse de la Cour. Sinon, les conclusions de la COMC doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (voir Saint Honore Cake Shop Limited c. Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12, au paragraphe 18 [Saint Honore]). Autrement dit, lorsqu’un élément de preuve additionnel est produit devant la Cour fédérale et qu’il aurait eu une incidence sur les conclusions de fait de la COMC ou l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit tirer ses propres conclusions quant aux questions auxquelles cet élément se rapporte (voir Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, 2000 CanLII 17105 (CAF), [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), aux paragraphes 46 à 51, autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, 27839 (le 14 septembre 2000) [Brasseries Molson]).

[20]  Cette application de la norme de la décision raisonnable à un appel lorsqu’aucun nouvel élément de preuve n’a été déposé, ou concernant des questions qui ne sont pas touchées par le nouvel élément de preuve, a été fondée sur l’approche visant à déterminer la norme de contrôle établie dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Il faut maintenant la réexaminer à la lumière de la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Les parties ont fourni des observations supplémentaires sur cette question, et celles‑ci ont été prises en considération dans la présente analyse.

[21]  En l’espèce, la demanderesse a déposé un nouvel élément de preuve; c’est‑à‑dire un affidavit souscrit par Arianna Bragagnolo, qui est présidente adjointe du conseil d’administration de Pasta ZARA, ainsi que son gestionnaire des exportations. Le présent affidavit, de concert avec ses pièces et le contre‑interrogatoire que la défenderesse a mené, représente la totalité de la preuve concernant l’emploi par la demanderesse de la marque au Canada au cours de la période pertinente.

[22]  La demanderesse soutient qu’il ne s’agit pas d’un appel de marque de commerce courant étant donné que le nouvel élément de preuve qui a été déposé ne complète pas vraiment le dossier dont disposait la registraire afin d’aborder une lacune. En l’espèce, la registraire a plutôt conclu qu’il n’y avait aucune preuve de l’emploi étant donné que le seul affidavit qui a été déposé a été jugé inadmissible. Le nouvel élément de preuve déposé en appel est pratiquement identique à celui dont disposait la registraire, et le nouvel affidavit et les nouvelles pièces, ainsi que le contre‑interrogatoire par la défenderesse, constituent tout le dossier de la preuve.

[23]  La demanderesse soutient que la preuve est manifestement nouvelle, importante, probante et fiable, et qu’elle aurait eu une incidence sur les conclusions de fait de la registraire. Le contre‑interrogatoire sur l’affidavit de Bragagnolo n’a pas eu d’incidence sur la substance de la preuve. Par conséquent, le nouvel élément de preuve est admissible dans le cadre de l’appel, et la Cour est tenue d’entreprendre sa propre analyse sur la question de savoir si une preuve d’emploi qui satisfait aux exigences de l’article 45 de la Loi a été présentée. À cet égard, la demanderesse soutient que les conclusions tirées par la registraire ne sont pas touchées par le nouvel élément de preuve et que, par conséquent, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la registraire sur ces questions et qu’elles doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[24]  Subsidiairement, la demanderesse soutient que, si la Cour estime qu’elle doit entreprendre un contrôle de novo de la norme de la décision correcte, le nouvel élément de preuve satisfait à la norme de preuve peu élevée exigée pour démontrer l’emploi au titre de l’article 45 de la Loi.

[25]  La défenderesse soutient que les circonstances en l’espèce exigent un contrôle de novo par la Cour, étant donné que la registraire disposait d’une absence totale de preuve admissible. Il n’y a rien à « réexaminer » étant donné que la décision de la registraire repose uniquement sur l’absence de preuve. La conclusion déterminante tirée par la registraire est établie dans le passage suivant de la décision :

[17] Étant donné que l’Inscrivante n’a pas satisfait aux exigences de l’article 45 de la Loi, la preuve n’étant pas présentée sous la forme requise d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle, je dois conclure que cette situation équivaut à un défaut de fournir la preuve demandée. En conséquence, l’enregistrement doit être radié.

[26]  Malgré les commentaires de la registraire sur le fond de l’affaire, le législateur a clairement manifesté son intention : selon le paragraphe 56(5) de la Loi, lorsqu’un nouvel élément de preuve est présenté, la Cour doit entreprendre son propre examen des faits et du droit afin d’en arriver à sa propre conclusion. En l’espèce, le nouvel élément de preuve aborde la totalité de l’affaire, par conséquent, la Cour doit entreprendre son propre examen de la question.

[27]  Je souscris à la position de la défenderesse. Pour les motifs qui seront expliqués ci‑dessous, je conclus que le nouvel élément de preuve est admissible. Le nouvel affidavit et les nouvelles pièces, ainsi que le contre‑interrogatoire, constituent le dossier factuel complet plutôt que de simplement ajouter au dossier ci‑dessous. Dans de telles circonstances, la Cour doit entreprendre un contrôle de novo de l’affaire et, en ce sens, l’analyse habituelle de la norme de contrôle ne s’applique tout simplement pas.

[28]  Le point de départ de l’analyse de la présente question est l’arrêt Vavilov. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a dérogé à sa jurisprudence antérieure et a décidé que, lorsque la législation permet un appel prévu par la loi d’une décision d’un tribunal administratif, la norme de contrôle applicable est la norme habituelle applicable en matière d’appel, puisque c’est ce qui semble découler de l’utilisation par le législateur du mot « appel » dans la loi (Vavilov, au paragraphe 37). Cela est ancré dans le respect de l’intention du législateur d’adopter un droit d’appel (Vavilov, au paragraphe 36). La Cour précise expressément que le législateur peut imposer des restrictions aux droits d’appel de diverses façons, et ces choix doivent également être respectés (Vavilov, aux paragraphes 50 à 52).

[29]  La Cour a résumé comme suit la norme en matière d’appel :

[37] Il convient donc de reconnaître que, lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes applicables en appel pour réviser la décision. Ainsi, la norme de contrôle applicable doit être déterminée eu égard à la nature de la question et à la jurisprudence de notre Cour en la matière. Par exemple, lorsqu’une cour de justice entend l’appel d’une décision administrative, elle se prononcera sur des questions de droit, touchant notamment à l’interprétation législative et à la portée de la compétence du décideur, selon la norme de la décision correcte conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8. Si l’appel prévu par la loi porte notamment sur des questions de fait, la norme de contrôle sera celle de l’erreur manifeste et déterminante (applicable également à l’égard des questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un principe juridique facilement isolable) : voir Housen, par. 10, 19 et 26‑37. Évidemment, si le législateur entend prévoir l’application en appel d’une autre norme de contrôle, il lui est toujours loisible d’exprimer son intention en énonçant dans la loi la norme de contrôle applicable.

[30]  Par conséquent, lorsqu’aucun nouvel élément de preuve n’est déposé dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 56, la norme habituelle en matière d’appel doit maintenant s’appliquer. Toutefois, je suis en accord avec la défenderesse sur le fait qu’il est reconnu depuis longtemps que l’article 56 est une disposition d’appel quelque peu inhabituelle, et qu’elle inclut des dispositions à la fois pour l’avis au public et le dépôt de preuves supplémentaires (Austin Nichols & Co., Inc c Cinnabon Inc., [1998] 4 CF 569 (CA)) :

Avis public

Public Notice

56(4) Le tribunal peut ordonner qu’un avis public de l’audition de l’appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu’il juge opportune.

56(4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

Preuve additionnelle

Additional Evidence

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

[31]  Dans l’arrêt Mattel, Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 35 [Mattel], la Cour suprême du Canada a décrit l’intention visée par le législateur à l’égard de l’article 56 :

La Loi prévoit un droit absolu d’interjeter appel devant un juge de la Cour fédérale, qui est autorisé à admettre et à examiner de nouveaux éléments de preuve (par. 56(1) et (5)). Elle ne comporte aucune clause privative. Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1987] A.C.F. no 849 (QL) (C.A.)). L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. Voir en général Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, 2000 CanLII 17105 (CAF), [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), par. 46‑51; Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., 2000 CanLII 16510 (CAF), [2000] A.C.F. no 1864 (QL) (C.A.F.), par. 4, et Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., 1999 CanLII 8988 (CF), [1999] A.C.F. no 1763 (QL) (1re inst.).

[32]  Les normes de contrôle qui s’appliquent à un appel interjeté en vertu de l’article 56 peuvent se résumer ainsi : (i) lorsqu’aucun nouvel élément de preuve n’est admis, la norme habituelle en matière d’appel s’applique; (ii) lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis dans le cadre d’un appel interjeté, la norme habituelle en matière d’appel s’appliquera à toute question qui n’est pas touchée par le nouvel élément de preuve. Toutefois, la Cour doit examiner à nouveau les questions auxquelles se rapportent les nouveaux éléments de preuve (Molson Breweries c John Labatt Ltd, [2000] 3 CF 145, au paragraphe 51 (CAF); Spirits International BV c BCF SENCRL, 2012 CAF 131, au paragraphe 10 [Spirits International]).

[33]  Un nouvel élément de preuve peut « affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission », mais cela « n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent » (Mattel, au paragraphe 37).

[34]  En l’espèce, le nouvel élément de preuve satisfait le critère d’admissibilité. Ce critère a été résumé récemment dans l’arrêt Seara :

[25] La question est donc la suivante : cette preuve supplémentaire aurait‑elle pu, en vertu de sa portée et de sa valeur probante, avoir une incidence sur une conclusion de fait ou sur le pouvoir discrétionnaire de la COMC? Autrement dit, dans le cadre de l’analyse sur la confusion en l’espèce, cette preuve résulterait‑elle en une conclusion différente découlant d’un ou de plusieurs facteurs définis au paragraphe 6(5) de la Loi et une nouvelle conclusion sur la probabilité d’une confusion entre les marques?

[35]  Lorsqu’on applique cette analyse à l’espèce, la question est de savoir si le nouvel élément de preuve, en raison de son caractère significatif et de sa valeur probante, aurait eu une incidence sur les conclusions de la registraire quant à la question de l’emploi de la marque de commerce au cours de la période pertinente. La réponse est évidente, en ce sens que le nouvel élément de preuve constitue la totalité de la preuve d’emploi, et la décision de la registraire indique clairement que, si la preuve avait été admissible, elle aurait conclu que l’emploi de la marque avait été établi. Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, la preuve est significative et probante. Elle est admissible en appel.

[36]  Reste la question de savoir si les conclusions tirées par la registraire appellent la retenue. Encore une fois, cette affaire doit être examinée à la lumière de ses circonstances particulières; il ne s’agit pas d’une situation où une petite partie des conclusions de la registraire a été touchée par le nouvel élément de preuve. Il faut se rappeler que la registraire a conclu que le document Storaro était inadmissible dans sa totalité. Il était équivalent à un document non établi sous serment, qui a été estampillé par un notaire, et qui ne respectait pas les exigences établies à l’article 45 de la Loi. Il n’existait aucune preuve admissible pour appuyer l’allégation de FFAUF selon laquelle elle a employé la marque de commerce au cours de la période pertinente. La registraire a donc conclu que la marque devrait être radiée du registre.

[37]  En l’espèce, le nouvel élément de preuve ne fait pas simplement qu’« affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission », mais le remplace plutôt dans sa totalité. Quoi qu’il en soit, l’effet est le même, il enlève à la décision « le poids que lui confère l’expertise de la Commission » (Mattel, au paragraphe 37) dans la mesure où la décision se fonde sur une absence complète de preuve admissible.

[38]  Le fait que la registraire a poursuivi en formulant des commentaires qu’elle aurait formulés sur la preuve si elle avait été admissible n’efface pas la conclusion antérieure selon laquelle il n’existait aucune preuve admissible d’emploi et que, par conséquent, la marque devrait être radiée. Au mieux, ces commentaires doivent être traités comme des remarques incidentes. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que ces conclusions devraient être assujetties à la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante, étant donné qu’elles ne sont pas des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit sur lesquelles s’est fondée la décision. La seule conclusion de cette nature qu’a tirée la registraire était la conclusion selon laquelle le document Storaro était inadmissible, et elle ne fait pas l’objet du présent appel.

[39]  Pour ce motif, peu de poids doit être accordé aux commentaires formulés par la registraire sur le fond de l’affaire. Je dois plutôt effectuer un contrôle de novo à cet égard.

B.  La demanderesse a‑t‑elle démontré l’« emploi » de la marque de commerce au cours de la période pertinente, conformément à l’article 45 de la Loi?

(1)  Cadre juridique

[40]  L’emploi est défini au paragraphe 4(1) de la Loi :

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4(1) A trademark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

[41]  La procédure prévue à l’article 45 de la Loi se veut simple, de nature sommaire, et expéditive. Il suffit que le propriétaire de la marque de commerce établisse une preuve prima facie de l’emploi au Canada au cours de la période pertinente : Philip Morris Inc. c Imperial Tobacco Ltd (1987), 13 C.P.R. (3d) 289, à la p. 293, [1987] ACF no 26 (QL) (CFPI). Ce faisant, le fardeau de la preuve n’est pas lourd : Black & Decker Corporation c Method Law Professional Corporation, 2016 CF 1109, au paragraphe 12; Spirits International, au paragraphe 8.

[42]  Puisque l’emploi, en l’espèce, est effectué par un licencié, il faut démontrer que la relation entre FFAUF et PASTA ZARA respecte les exigences du paragraphe 50(1) de la Loi :

Licence d’emploi d’une marque de commerce

Licence to use trademark

50(1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui‑ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial – ou partie de ceux‑ci – ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.

50(1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trademark to use the trademark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the goods or services, then the use, advertisement or display of the trademark in that country as or in a trademark, trade name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trademark in that country by the owner.

(2)  Position des parties

[43]  La demanderesse soutient que le nouvel élément de preuve démontre l’emploi au Canada au cours de la période pertinente, ainsi que le niveau requis de soin et de surveillance sur l’emploi de sa marque de commerce par son licencié. Le nouvel élément de preuve se compose de l’affidavit d’Arianna Bragagnolo et contient les pièces jointes à son affidavit ainsi que le contre‑interrogatoire que la défenderesse a mené.

[44]  L’affidavit de Bragagnolo décrit les certifications de la qualité du produit que Pasta ZARA a obtenues, ainsi que le contrôle que FFAUF exerce sur les caractéristiques et la qualité des produits vendus en liaison avec sa marque de commerce. Selon les modalités du contrat de licence, Pasta ZARA est tenue de maintenir un niveau élevé de qualité en termes de matières premières utilisées, ainsi que du traitement, de l’emballage et de la commercialisation des produits. Les efforts du contrôle de la qualité comprennent les tests internes en laboratoire des matières premières, ainsi que la vérification permanente des contrôles de la qualité des produits finis. Le contrat de licence exige également le consentement de FFAUF à toute sous‑traitance de la production de produits auxiliaires, tout en veillant à ce que la production totale des pâtes ait lieu dans les usines de Pasta ZARA.

[45]  L’affidavit fournit également des copies d’un profil d’entreprise annuel pour les années 2010, 2011 et 2012, montrant des images des produits portant la marque qui ont été vendus au cours de chacune de ces années. Il comprend également des copies d’un catalogue de produits fabriqués par Pasta ZARA pour les années 2012 et 2013, montrant des exemples d’emballage de produits présentant la marque. Il indique que les catalogues pour les années 2010 et 2011 étaient [traduction] « plus ou moins identiques » à la version de 2012, et que les produits importés au Canada avaient le même emballage que celui présenté dans ces catalogues. Ces catalogues ont été envoyés à des distributeurs canadiens; Pasta ZARA ne vend pas directement aux consommateurs, mais fournit plutôt ses produits aux distributeurs.

[46]  L’affidavit indique que les ventes des produits en liaison avec la marque s’élevaient à plus de 200 000 $ CAD pendant la période pertinente. Les copies des factures et des étiquettes d’expédition ont été fournies, et elles présentent la marque et démontrent les ventes et la livraison des produits aux distributeurs canadiens.

[47]  La demanderesse soutient que cette preuve atteint le faible degré de preuve qui est requis pour démontrer l’emploi de la marque dans la pratique ordinaire du commerce dans le cadre d’une procédure prévue à l’article 45, ainsi que le type de contrôle des caractéristiques ou de la qualité des produits qu’exige le paragraphe 50(1). Il soutient que la décision de la registraire devrait être infirmée et que l’enregistrement de sa marque devrait être maintenu.

[48]  Le principal argument de la défenderesse est que la demanderesse n’a pas employé la marque telle qu’elle est enregistrée. La marque est enregistrée telle qu’elle est montrée ci‑dessus, mais elle est présentée différemment sur l’emballage :

[49]  La défenderesse soutient que les catalogues de produits et les autres renseignements montrant les produits ne comportent aucun exemple de l’emploi de la marque telle qu’elle est enregistrée. Ils montrent plutôt avec constance l’emploi d’une variante de la marque. La défenderesse soutient que la variante est importante.

[50]  La défenderesse soutient que le critère à appliquer est que les éléments de la marque de commerce doivent avoir été préservés afin que la marque, telle qu’elle est employée, conserve son identité et demeure reconnaissable en soi comme étant la marque enregistrée. La défenderesse soutient que le critère a été correctement formulé dans l’arrêt Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie international pour l’informatique CII Honeywell Bull SA (1985), 4 C.P.R. (3d) 523 (CAF), à la page 252 [CII Honeywell Bull] :

Le critère pratique qu’il faut appliquer pour résoudre un cas de cette nature consiste à comparer la marque de commerce enregistrée et la marque de commerce employée et à déterminer si les distinctions existant entre ces deux marques sont à ce point minimes qu’un acheteur non averti concluerait [sic], selon toute probabilité, qu’elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine.

[51]  La défenderesse soutient qu’afin d’être en mesure de faire valoir que la variante de la marque de commerce n’est pas considérablement différente et que l’emploi de la variante équivaut forcément à l’emploi de la marque de commerce telle qu’elle est enregistrée, « le propriétaire inscrit doit préserver l’identité et le caractère reconnaissable; il doit préserver les caractéristiques principales de la marque de commerce déposée afin d’éviter d’induire en erreur l’acheteur non averti » (Berlucchi c Prince, 2007 CF 245, au par. 22).

[52]  La défenderesse soutient que l’énoncé formulé par le registraire relativement aux principes directeurs dans la décision Nightingale Interloc Ltd. c Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535 aux pages 538 à 539 [Nightingale] énonce correctement le droit sur cette question :

[6] La jurisprudence relative à la question de savoir quelles variantes dans une marque de commerce sont acceptables est complexe et souvent contradictoire, mais, selon moi, le mieux est de considérer qu’elle pose deux principes fondamentaux :

Principe 1

[7] L’emploi d’une marque conjointement avec d’autres éléments constitue l’emploi de la marque en soi en tant que marque de commerce si le public, du point de vue de la première impression, considère que la marque en soi est employée en tant que marque de commerce. Il s’agit d’une question de fait qui dépend de facteurs comme la question de savoir si la marque ressort par rapport aux autres éléments, par exemple par l’utilisation de caractères différents ou de dimensions différentes [...] ou la question de savoir si les autres éléments seraient perçus comme des éléments purement descriptifs ou comme une marque de commerce ou un nom commercial distinct [...].

Principe 2

[8] On considérera qu’une marque de commerce donnée est employée si la marque véritablement employée n’est pas sensiblement différente et si les différences ne sont pas de nature à induire le public en erreur ou à lui nuire d’une quelconque façon [...]. En général [...] ce principe semblerait n’être applicable que lorsque les différences sont très mineures.

[Citations omises.]

[53]  La défenderesse ajoute que, lorsqu’un propriétaire choisit d’employer une version modifiée de sa marque de commerce, il le fait à ses propres risques. L’approche est correctement décrite par le juge Gauthier dans Pizzaiolo Restaurants Inc. c Les Restaurants La Pizzaiolle Inc., 2016 CAF 265 [Pizzaiolo], au paragraphe 16 :

[16] De toute évidence, l’enregistrement de la marque figurative laisserait une certaine latitude quant à l’utilisation de celle‑ci par l’appelante; cependant, l’enregistrement d’un design spécifique limite la variante graphique qui pourrait constituer un usage par l’appelante de sa marque enregistrée, conformément à l’article 4 de la Loi. Les variantes du design enregistré ne doivent pas modifier le caractère distinctif de la marque; elles doivent maintenir ses éléments dominants (Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc., 1992 CanLII 12831 (FCA), 142 N.R. 230, au para. 38, [1992] A.C.F. no 611).

[54]  La défenderesse soutient que la différence principale entre la marque telle qu’elle est présentée et la marque telle qu’elle est enregistrée est l’absence du cercle qui entoure l’image de la femme tenant des gerbes de blé et les mots « pasta ZARA », qui est dans une ellipse. De plus, dans quelques présentations de la marque, l’ellipse avec les mots « pasta ZARA » n’empiète pas sur l’image de la femme.

[55]  La défenderesse soutient que la marque telle qu’elle est enregistrée se trouve à l’intérieur d’un cercle et qu’il s’agit de l’un de ses éléments dominants. La forme générale de la Marque telle qu’elle est enregistrée est essentielle; toutes les autres caractéristiques dominantes sont contenues dans le cercle, et il ne s’agit pas d’une caractéristique secondaire de la marque figurative. La défenderesse soutient que l’espèce est similaire à la situation dans la décision CWI, Inc. c Thompson Dorfman Sweatman LLT, 2018 CF 941 [CWI, Inc.], dans laquelle le juge Mosley a conclu que la variante rendait la marque de commerce telle qu’elle était employée très différente de la marque de commerce telle qu’elle était enregistrée. Les différences sont présentées ci‑dessous :

[56]  Le juge Mosley a conclu que la conclusion du registraire selon laquelle la caractéristique dominante de la marque telle qu’elle est enregistrée était le dessin d’un globe qui remplace la lettre « o » dans « WORLD » était raisonnable : « [l]es éléments de preuve déposés démontraient une variation importante par rapport au dessin enregistré. Comme il s’agissait d’une marque figurative, l’essence visuelle était essentielle à l’analyse du registraire de la variation » (au paragraphe 32). Le juge Mosley a poursuivi en énonçant ce qui suit :

[33] L’utilisation d’un élément graphique supplémentaire, comme les montagnes qui figurent sur certaines pièces, ne constituerait pas une variation si la marque de commerce réellement utilisée n’était pas considérablement différente et qu’elle comportait toujours la caractéristique dominante, à savoir le globe terrestre qui remplace la lettre « O ». La marque modifiée qui figure sur les différents formulaires dans les pièces ne comporte aucun élément graphique de la marque enregistrée, à l’exception des mots CAMPING WORLD. Dans la majorité des cas, les mots sont placés l’un à côté de l’autre plutôt que d’être placés l’un par‑dessus l’autre. Dans l’un des cas où les mots sont placés l’un par‑dessus l’autre, le dessin de montagne y figure, mais pas le globe terrestre. Il est difficile de savoir s’ils représentent la même marque que celle qui est enregistrée. Les différences sont tellement importantes qu’elles pourraient créer de la confusion chez un acheteur non averti ou le tromper.

[57]  La défenderesse soutient que la même analyse s’applique en l’espèce. La marque présentée ne conserve pas son identité parce qu’elle ne préserve pas la caractéristique dominante de la marque telle qu’elle est enregistrée. Comme il a été établi dans la décision CWI Inc., au paragraphe 35, « [i]l y a une différence […] entre l’ajout et le retrait d’une caractéristique graphique ». En l’espèce, le retrait du cercle empiétant sur l’image retire la caractéristique dominante de la marque.

[58]  La demanderesse soutient que les caractéristiques dominantes de la marque telle qu’elle est enregistrée sont les mots « pasta ZARA » dans une ellipse, ainsi que la représentation de la femme tenant des gerbes de blé. Il s’agit des caractéristiques dominantes de la marque, et le cercle est simplement un arrière‑plan au dessin. La demanderesse précise les conclusions suivantes tirées par la registraire :

[24] J’aurais jugé que la Marque qui figure sur ces emballages ne diffère pas substantiellement de la Marque telle qu’elle est représentée dans l’enregistrement en cause. Les caractéristiques dominantes de la Marque, à savoir le dessin d’une paysanne tenant dans ses bras une gerbe de céréales et les mots « pasta ZARA » figurant à l’intérieur d’une forme elliptique au bas du dessin, ont été préservées, de sorte que la Marque ainsi employée conserve son identité et demeure reconnaissable en soi comme la Marque qui est enregistrée [voir Le Registraire des marques de commerce c Compagnie Internationale pour l’Informatique CII Honeywell Bull (1985), 4 CPR (3d) 523 (CAF); et Promafil Canada Ltee c Munsingwear Inc (1992), 1992 CanLII 12831 (FCA), 44 CPR (3d) 59 (CAF)].

[59]  La demanderesse soutient que les variantes dans la présentation du dessin ne rendent pas la marque méconnaissable, et ne tromperaient pas le consommateur ni ne lui nuiraient. Les présentations de la marque sont compatibles partout, y compris dans les catalogues, les factures, les avis de livraison, et l’emballage du produit. Les légères variantes dans la présentation de la marque sont négligeables. Il peut être dangereux d’avoir des variantes des dessins tels qu’ils sont enregistrés, mais la position de la défenderesse n’accepterait aucune altération, et cela n’est pas compatible avec la jurisprudence.

(3)  Discussion

[60]  Je suis en accord avec la demanderesse. Le nouvel élément de preuve satisfait au critère visant à démontrer l’emploi dans le contexte d’une procédure fondée sur l’article 45, et les présentations de la marque sur l’emballage constituent l’emploi de la marque étant donné que les différences ne sont pas importantes et ne changent pas le caractère distinctif de la marque. Les éléments dominants de la marque de commerce ont été préservés afin que la marque telle qu’elle est employée conserve son identité et demeure reconnaissable en tant que marque enregistrée.

[61]  En ce qui concerne la question de l’emploi, comme il a été mentionné précédemment, les modalités du contrat de licence permettent à FFAUF d’exercer un niveau de contrôle considérable sur l’emploi de sa marque et la qualité des produits fabriqués Pasta ZARA. La preuve démontre également un effort permanent pour maintenir le contrôle de la qualité. L’emploi de la marque par Pasta ZARA joue en faveur de FFAUF, et FFAUF exerce un contrôle permanent sur les caractéristiques et la qualité des produits fabriqués et vendus en liaison avec sa marque. Cela suffit à respecter les exigences du paragraphe 50(1) de la Loi.

[62]  La preuve montre que la vente de ces produits, dans l’emballage portant la marque, a eu lieu au Canada au cours de la période pertinente. Les factures et les étiquettes d’expédition confirment que des ventes d’une variété de produits de pâte ont eu lieu, et l’affidavit de Bragagnolo et le contre‑interrogatoire indiquent que ces produits ont été vendus dans l’emballage présentant la marque, tel qu’il est montré dans le catalogue de produits. Cette preuve est suffisante pour satisfaire au fardeau relativement peu élevé qui incombe au propriétaire de la marque dans une procédure fondée sur l’article 45 pour établir une preuve prima facie d’emploi au cours de la période pertinente.

[63]  Je ne suis pas convaincu du bien‑fondé de l’argument de la défenderesse selon lequel la demanderesse n’a pas démontré l’emploi de sa marque étant donné que la présentation sur l’emballage était très différente de la marque telle qu’elle est enregistrée. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que, lorsqu’un propriétaire d’une marque figurative enregistrée choisit d’employer une version modifiée de son dessin, il le fait à ses propres risques. Toutefois, la question clé est de savoir si les variantes de la marque enregistrée changent le caractère distinctif de la marque, et si elles maintiennent ses éléments dominants (Pizzaiolo, au par. 16). Comme l’affirme la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Promafil Canada Ltee c Munsingwear Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 59 (CAF) au paragraphe 37 : « La loi canadienne n’a pas une optique linéaire de l’enregistrement d’une marque de commerce, mais elle peut tolérer […] des modifications prudentes sans conséquences fâcheuses si les mêmes traits dominants sont préservés et si les différences sont si insignifiantes qu’elles ne trompent pas l’acheteur non averti. »

[64]  En l’espèce, les caractéristiques dominantes de la marque sont les mots « Pasta ZARA » dans une ellipse, ainsi que l’image de la femme tenant les gerbes de blé. Ces caractéristiques sont évidentes dans la présentation de la marque sur l’emballage, les factures et les étiquettes d’expédition, ainsi que les présentations dans le catalogue de produits. Elles sont bien en vue dans tous les exemples. L’absence du cercle en arrière‑plan ne dépouille pas la marque de son caractère distinctif et ne serait pas susceptible de nuire au public d’une quelconque façon. Je ne suis pas convaincu qu’un acheteur ordinaire d’un tel produit serait confus ou serait susceptible de confondre la marque simplement parce que l’image de la femme tenant des gerbes de blé et les mots « Pasta ZARA » dans une ellipse ne sont pas superposés sur le cercle en arrière‑plan, ou les mots dans une ellipse apparaissent sous l’image plutôt que superposés sur elle. L’absence du cercle en arrière‑plan, et l’emplacement différent des mots dans une ellipse sont des variantes négligeables et la marque maintient ses caractéristiques dominantes.

[65]  Pour ces motifs, je conclus que la preuve établit que la demanderesse a employé sa marque enregistrée, et je ne suis pas convaincu par les arguments de la défenderesse selon lequel la marque a perdu son identité.

V.  Conclusion

[66]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que la demanderesse a démontré l’emploi de sa marque de commerce « PASTA ZARA & DESIGN » (LMC395,023) au Canada au cours de la période débutant le 18 décembre 2009 et se terminant le 18 décembre 2012.

[67]  Selon le critère établi dans Seara, le nouvel élément de preuve déposé par la demanderesse dans le cadre du présent appel est admissible. Cette preuve établit que FFAUF avait le contrôle et l’exerçait sur les caractéristiques et la qualité des produits fabriqués et vendus en liaison avec sa marque par son licencié Pasta ZARA, soit pasta. La preuve établit également que les produits ont été vendus dans des emballages présentant la marque aux distributeurs canadiens au cours de la période pertinente.

[68]  Finalement, la présentation de la marque selon le format montré sur l’emballage du produit, les factures et les étiquettes d’expédition, ainsi que sur les catalogues de produits, constitue un emploi de la marque, même si le dessin diffère légèrement de la marque telle qu’elle est enregistrée. Les caractéristiques dominantes du dessin sont les mots « Pasta ZARA » dans une ellipse et l’image de la femme tenant des gerbes de blé, et ces caractéristiques sont maintenues et sont très évidentes dans la marque telle qu’elle a été effectivement employée. La marque telle qu’elle est employée conserve son identité et demeure reconnaissable en tant que marque enregistrée.

[69]  Pour ces motifs, la décision de la registraire datée du 12 janvier 2015, radiant l’enregistrement no LMC395,023, est annulée. La registraire est tenue de maintenir l’enregistrement de la marque.

[70]  En ce qui concerne la question des dépens, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, j’estime qu’il n’y a aucun motif justifiant de se départir de la règle habituelle. La défenderesse versera les dépens à la demanderesse, conformément à la colonne III du tarif B. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question des dépens, elles peuvent présenter des observations n’excédant pas cinq (5) pages, dans les quatorze (14) jours du prononcé du présent jugement.


JUGEMENT dans le dossier T‑384‑15

LA COUR STATUE que :

  1. La décision de la registraire datée du 12 janvier 2015, radiant l’enregistrement no LMC395,023, est annulée.

  2. La registraire est tenue de maintenir l’enregistrement de la marque de commerce « PASTA ZARA & DESIGN » dans le registre.

  3. La défenderesse versera les dépens à la demanderesse, conformément à la colonne III du tarif B. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question des dépens, elles peuvent présenter des observations n’excédant pas cinq (5) pages, dans les quatorze (14) jours du prononcé du présent jugement.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juin 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑384‑15

INTITULÉ :

FFAUF S.A. c INDUSTRIA DI DISENO TEXTIL, S.A.

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2020

COMPARUTIONS :

Jonathan Roch

POUR LA DEMANDERESSE

Barry Gamache

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MBM Intellectual Property Law LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Robic, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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