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Date : 20200409


Dossier : IMM-2283-19

Référence : 2020 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ELOI BIQUER SILVA ROSA GOMES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente affaire concerne le rôle de filet de sécurité de la Section d’appel des réfugiés [SAR] pour corriger les erreurs commises par la Section de la protection des réfugiés [SPR], ainsi que le caractère adéquat des motifs de la SAR pour que la décision dans son ensemble soit considérée comme transparente, intelligible et justifiée.

I. Faits

[2] Il convient de fournir un peu de contexte.

[3] Le demandeur est citoyen de Guinée-Bissau. Comme ses parents sont membres du principal parti d’opposition de Guinée-Bissau, la Resistência da Guiné-Bissau-Movimento Bafatá [RGB ou Mouvement Bafata – Résistance de la Guinée-Bissau], sa famille est connue pour son activisme politique.

[4] Après avoir souffert aux mains de membres de la milice et vécu l’enlèvement, la torture et le décès de son père, le demandeur a quitté son pays d’origine pour se rendre au Sénégal, État voisin, au début de la guerre civile en Guinée-Bissau (1998-1999). En juin 1999, il est retourné en Guinée-Bissau.

[5] Peu après, le demandeur a participé à une conférence sur la réconciliation nationale, dans le cadre de laquelle il a cherché à sensibiliser la population à la nécessité de ne pas laisser impunis les actes de violation des droits de la personne commis durant la guerre civile. Selon le demandeur, il aurait ensuite fait l’objet de menaces de mort et, craignant pour sa vie, il s’est rendu au Brésil en février 2001 pour étudier. Il y a finalement obtenu un diplôme en agronomie.

[6] Après avoir obtenu son diplôme, le demandeur est retourné en Guinée-Bissau, où il a travaillé comme technicien de soutien pour Mona Terra, organisation à but non lucratif de défense de la réforme foncière, et s’est ainsi attiré la colère des chefs traditionnels locaux. Selon le demandeur, d’autres menaces de mort ont suivi. Il a par conséquent quitté la Guinée-Bissau pour la troisième fois en août 2007; il est retourné au Brésil, où il a obtenu deux diplômes d’études supérieures.

[7] En décembre 2009, le demandeur est retourné en Guinée-Bissau. Il affirme avoir continué à recevoir des menaces de mort, ce qui l’a poussé à quitter la Guinée-Bissau une quatrième et dernière fois en mars 2010 pour retourner au Brésil afin de poursuivre ses études.

[8] Au Brésil, le demandeur s’est joint au Parti démocratique pour le développement (PDD), parti politique formé pour mobiliser les membres de la diaspora de Bissau-Guinée au Brésil afin de promouvoir la réforme des droits sociaux et de la personne en Guinée-Bissau. Selon le demandeur, ses activités l’ont placé dans la mire du gouvernement bissau-guinéen. En janvier 2015, l’ambassade de Guinée-Bissau au Brésil a mis fin au soutien financier du demandeur en tant qu’étudiant étranger, a refusé de renouveler son passeport et lui a refusé l’accès à l’ambassade. La seule raison ayant motivé ces mesures était, selon lui, son activisme politique.

[9] Le demandeur a ensuite quitté le Brésil pour venir au Canada, où il est arrivé en janvier 2016. Il a demandé l’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], sur la base de ses opinions politiques et de son activisme en Guinée-Bissau et au Brésil.

[10] Plus précisément, le demandeur a invoqué quatre motifs de persécution : (1) à titre de fils de deux membres de la RGB, (2) à titre d’activiste à la conférence sur la réconciliation nationale, (3) à titre d’employé de Mona Terra et (4) à titre de militant politique au Brésil. Il invoque une série de documents à l’appui de sa demande d’asile.

[11] Le 27 octobre 2017, dans une longue décision de 25 pages comptant 122 paragraphes, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

[12] Quant au premier motif de persécution avancé, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était exposé à un risque grave de persécution pour des motifs liés à la famille, étant donné qu’il avait été en mesure d’aller étudier au Brésil, que sa fratrie continuait de résider en Guinée-Bissau, qu’il était retourné à plusieurs reprises dans ce pays et que 15 ans s’étaient écoulés depuis la persécution contre son père.

[13] La SPR n’a pas abordé la question du soutien financier que le demandeur recevait du gouvernement bissau-guinéen et grâce auquel il étudiait au Brésil, soutien qui lui a été retiré en janvier 2015.

[14] Quant au deuxième motif, la SPR a relevé des incohérences dans la preuve concernant la crainte du demandeur liée à sa participation à la conférence sur la réconciliation nationale et dans sa description d’un incident menaçant en 2010. La SPR a aussi relevé d’importantes omissions dans le formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA] concernant les menaces proférées à son frère en 2010.

[15] En ce qui a trait au troisième motif de persécution, la SPR a rejeté la prétention du demandeur concernant son travail pour Mona Terra au motif que la preuve documentaire ne montrait pas que les chefs traditionnels menaçaient leurs opposants politiques.

[16] Enfin, la SPR a conclu que les caractéristiques personnelles du demandeur ne correspondaient pas au type de personne à risque en Guinée-Bissau, et que certaines de ses affirmations clés ne concordaient pas avec la preuve documentaire du cartable national de documentation [CND] pour ce pays. La SPR a conclu que le demandeur s’était montré vague sur certains éléments essentiels, ce qui a nui à sa crédibilité.

II. Décision attaquée

[17] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Dans son mémoire d’appel, qui comptait 27 pages et 97 paragraphes, il a soulevé trois principaux motifs d’appel :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve?

  2. La SPR a-t-elle tiré d’une manière arbitraire et abusive des conclusions à partir de la preuve ?

  3. La SPR a-t-elle erronément évalué la crédibilité du demandeur en tirant des conclusions arbitraires et abusives à partir des ambiguïtés du témoignage du demandeur?

[18] Chacun des motifs d’appel a été débattu en profondeur, et le demandeur a également fait valoir que la SPR :

  1. n’a pas évalué les facteurs de risque le concernant de façon cumulative;

  2. a commis une erreur en minimisant le risque auquel il est exposé à la lumière de la preuve documentaire et

  3. s’est appuyée sur des incohérences très mineures dans son témoignage pour mettre en doute sa crédibilité.

[19] Après avoir exposé les faits de l’affaire, la SAR a rejeté l’appel dans une décision de deux pages, dont l’analyse comportait trois paragraphes.

[20] En bref, sans tirer par elle-même de conclusions, la SAR a simplement jugé que la SPR n’avait commis aucune erreur dans son analyse sur le passé du demandeur, y compris concernant ses activités professionnelles et politiques, ni dans son évaluation de la crédibilité du demandeur et son analyse des événements liés à son père.

[21] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[22] Dans sa décision, la SAR n’a tiré aucune conclusion précise à l’égard de l’un ou l’autre des éléments clés de l’affaire; elle a simplement déclaré que la SPR n’avait commis aucune erreur. La SAR a donc omis de fournir, d’une manière transparente et intelligible, des conclusions explicites et des justifications valables à l’appui de sa décision concernant les questions qui étaient au cœur de la demande d’asile et les préoccupations que le demandeur avait soulevées.

[23] Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

III. Questions à trancher

[24] Cette affaire soulève deux questions :

  1. Le caractère très succinct des motifs montre-t-il que la SAR n’a pas procédé à une évaluation indépendante du dossier?

  2. Les motifs de la SAR respectent-ils la norme requise en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité?

IV. Norme de contrôle applicable

[25] Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable en ce qui concerne les deux questions soulevées en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, par. 23 [Vavilov]).

[26] Je suis d’accord. Une décision raisonnable « en est [entre autres] une qui se justifie au regard des faits » et qui « tien[t] valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties ». Selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, la « cour de révision n’est [...] appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » (Vavilov, par. 83, 126 et 127).

[27] Cela dit, le seul rôle de la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire consiste à vérifier que la décision du tribunal respecte la primauté du droit (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, par. 37; Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, par. 11 [Rozas del Solar]); Vavilov, par. 2 et 82).

V. Analyse

[28] Voici les trois paragraphes de l’analyse de la décision de la SAR :

[5] Après avoir procédé à ma propre analyse du dossier, j’estime que la SPR ne jouit d’aucun avantage particulier et que c’est la norme de la décision correcte qui doit être mise en œuvre[note 6]. À mon avis, la SPR n’a pas commis les erreurs qui lui sont reprochées. Voici pourquoi.

[6] La SPR n’a commis aucune erreur en jugeant, après avoir tenu compte de son passé, incluant ce qui est arrivé à son père, et de ses activités tant professionnelles que politiques, que l’appelant n’avait pas établi une possibilité sérieuse d’être persécuté à cause de ses opinions politiques. Les motifs de la décision de la SPR démontrent que celle-ci a procédé à une analyse détaillée et nuancée tant du témoignage de l’appelant que de l’ensemble de la preuve documentaire concernant les personnes qui, en Guinée-Bissau, sont engagées politiquement et s’opposent aux autorités. Je suis en désaccord avec l’appelant pour qui la SPR a analysé la preuve documentaire d’une manière capricieuse et perverse ou en se limitant à des détails. Je suis en désaccord avec l’appelant pour qui la SPR a tiré au sujet de sa crédibilité des conclusions capricieuses et perverses.

[7] Je prendrai l’exemple des activités politiques de l’appelant. Dans son mémoire, celui-ci a déclaré que la SPR aurait dû constater que son profil global fait de lui un activiste politique avec une visibilité accrue du fait de ses activités professionnelles et de son appartenance familiale[note 7]. Suite à ma propre analyse du dossier, j’estime que la SPR a soigneusement tenu compte de ses activités politiques et professionnelles, de son appartenance familiale et des conséquences qui en ont découlé. La SPR a analysé l’ensemble des allégations de l’appelant en tenant compte à la fois de son témoignage et de la preuve documentaire. Distinguer ce qui a pu exister dans le passé de la situation actuelle[note 8], tout comme distinguer la situation des dirigeants actuels de partis politiques de l’opposition de celle de l’appelant, qui n’a mené aucune activité politique en Guinée-Bissau depuis mars 2010[note 9], ne constitue pas une analyse capricieuse et perverse de la preuve documentaire. Constater l’existence de contradictions au sein de son propre témoignage[note 10] ainsi que le fait d’avoir omis de mentionner dans son [formulaire] FDA que son frère aurait été interpellé par des militaires en 2010[note 11], ne constitue pas une analyse capricieuse de sa crédibilité.

[Non souligné dans l’original; les notes de bas de page 8 à 11 renvoient aux paragraphes pertinents de la décision de la SPR.]

A. Le caractère très succinct des motifs montre-t-il que la Section d’appel des réfugiés n’a pas procédé à une évaluation indépendante du dossier?

[29] La SAR a l’obligation d’entreprendre une évaluation indépendante du dossier qui lui est présenté (Rozas del Solar, par. 122 à 126; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157 [Huruglica]; Denis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1182, par. 37 à 39; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 396, par. 4 [Ali]). Elle doit examiner attentivement les conclusions de la SPR et, en l’absence d’indication contraire, elle est réputée avoir pris en compte la décision de la SPR dans son ensemble (Rozas del Solar, par. 99; Cruz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 22, par. 32 [Cruz]).

[30] Le demandeur conteste la décision de la SAR au motif qu’elle a confirmé les erreurs commises par la SPR. Faisant observer que la SAR a omis de traiter de la plupart des motifs d’appel clés, il soutient que la concision et la rigidité des motifs de la SAR révèlent qu’elle n’a pas procédé à une analyse indépendante des questions à trancher.

[31] Selon le demandeur, la décision de la SAR ne fournit pas suffisamment [traduction] « d’indices » révélateurs d’une analyse indépendante de la preuve. Il ajoute que les motifs du tribunal sont [traduction] « très limités », ce qui démontre que la SAR n’a ni examiné les questions clés de l’affaire ni les observations du demandeur dans le cadre de l’appel.

[32] Le fait d’exiger de la SAR qu’elle énumère et aborde chaque question soulevée en appel va à l’encontre des objectifs de politique en matière d’efficacité administrative et d’accès à la justice ainsi que de la mission même de la SAR (Huruglica, par. 79, 88, 98 et 103; Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, par. 41 et 42; Vavilov, par. 128). Et quoique la brièveté ne pose pas en soi problème, je dois admettre que, dans la présente affaire, l’absence de toute conclusion véritable de la SAR sur les questions soulevées par le demandeur est étonnante.

[33] Le défendeur reconnaît que la SAR a l’obligation de mener sa propre analyse indépendante du dossier, mais il soutient que la SAR a bel et bien mené cette analyse, qu’elle n’a pas omis de traiter de l’un ou l’autre des facteurs importants et qu’elle a bien cerné la situation du demandeur.

[34] Quoi qu’il en soit, je dois souscrire à l’avis du défendeur concernant la première question. Il existe une présomption selon laquelle la SAR a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. La SAR n’est pas tenue de reprendre l’analyse à zéro (Huruglica, aux par. 79, 98 et 103) pour montrer qu’elle a mené un examen indépendant de la question. Je ne crois pas que la longueur de la décision témoigne en soi d’un manquement de la SAR à cet égard.

[35] Il est certainement loisible à la SAR d’adopter le traitement long et réfléchi du dossier de la SPR, dans la mesure où elle examine elle-même le dossier. L’approche suivie par la SAR dans la présente affaire ne signifie pas qu’elle a omis de mener sa propre analyse de la preuve.

[36] Je ne suis pas convaincu en l’espèce que le demandeur a réussi à réfuter la présomption selon laquelle la SAR a examiné l’ensemble de la preuve et effectué sa propre analyse indépendante du dossier. Je ne suis donc pas d’accord avec le demandeur en ce qui touche cette question.

B. Les motifs de la Section d’appel des réfugiés respectent-ils la norme requise en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité?

[37] Comme je l’ai dit, il n’y a rien d’irrégulier dans le fait que le tribunal rédige des motifs courts. Le rôle de la SAR en est un de filet de sécurité : la SAR est appelée à rattraper les erreurs de la SPR (Huruglica, par. 98). La SAR doit s’en tenir à la décision de la SPR et, bien qu’elle accomplisse des fonctions de tribunal d’appel, elle « ne procède pas à un examen de novo » lors de l’audience (Rozas del Solar, par. 99; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gebrewold, 2018 CF 374, par. 25; Huruglica, par. 79; Cruz, par. 32).

[38] Le défendeur affirme que la norme de contrôle que la SAR doit appliquer à la décision de la SPR est celle de la décision correcte, et non celle de la décision raisonnable (Huruglica, par. 103). Il fait valoir que cela signifie que la SAR doit se concentrer principalement sur la question de savoir si la SPR a commis une erreur, autrement dit qu’elle doit déterminer si les conclusions énoncées dans la décision de la SPR sont correctes ou erronées.

[39] Par conséquent, soutient le défendeur, et dans ce contexte, une analyse plus approfondie que celle de la SPR n’aurait été nécessaire que si la SAR avait conclu que la SPR avait commis une erreur à l’égard d’un aspect de sa décision. La SAR aurait alors dû expliquer les raisons pour lesquelles elle estime que la SPR a commis une telle erreur.

[40] Je suis d’accord pour dire que la norme de contrôle — ces lentilles au travers desquelles la SAR analyse la décision de la SPR pour savoir s’il est justifié d’intervenir — est celle de la décision correcte, et que le rôle de la SAR consiste à ne pas intervenir, sauf si la SPR a commis une erreur de droit, de fait ou de fait et de droit (Huruglica, par. 98 et 103; Rozas del Solar, par. 13 et 122 à 125).

[41] Après avoir examiné le rôle de la déférence dans la distinction entre les normes de la décision correcte et de la décision raisonnable dans Rozas del Solar, le juge Diner, a ajouté ce qui suit aux paragraphes 21 et 22 :

[21] En fin de compte, la différence entre la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable tient à la déférence. La déférence est l’attitude qui doit être adoptée dans le contexte d’un contrôle assujetti à la norme de la décision raisonnable. La déférence signifie que, relativement à certaines questions, la cour siégeant en révision doit respecter les conclusions du décideur et les accepter, et ce, même si elle aurait tranché les questions de façon différente si on lui avait soumis les mêmes arguments et la même preuve. Il en est ainsi, parce que certaines questions peuvent être légitimement tranchées de plus d’une façon par un décideur administratif (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[22] D’un autre côté, la norme de la décision correcte n’appelle à aucune déférence : la cour siégeant en révision prend la décision et le décideur de l’instance inférieure ne dispose d’aucune marge de manœuvre. La cour siégeant en révision entreprendra sa propre analyse des questions soulevées (Dunsmuir, au paragraphe 50; British Columbia Human Rights Tribunal c Schrenk, 2017 CSC 62, au paragraphe 28).

[Non souligné dans l’original.]

[42] Cela dit, comme le juge Diner l’a souligné dans la décision Rozas del Solar, nous devons veiller à ne pas amalgamer, d’une part, l’application par la SAR de la norme de contrôle à son analyse lorsqu’elle examine les conclusions de fait et les conclusions de droit de la SPR avec, d’autre part, l’obligation de la SAR de fournir des motifs suffisants pour justifier sa décision (Huruglica, par. 35; Rozas del Solar, par. 25). Je suis d’accord. La première notion exige une attention en amont, tandis que la seconde comporte un objectif en aval, axé sur le lectorat, en particulier sur les parties et sur toute cour de révision éventuellement saisie de l’affaire qui applique elle‑même, dans la plupart des cas, la norme de la décision raisonnable, et chargée de déterminer si le processus et les conclusions de la SAR sont justifiés, transparents et intelligibles à la lumière de son raisonnement principal sous-jacent (Rozas del Solar, par. 26; Vavilov, par. 15).

[43] En plus de procéder à sa propre analyse indépendante, la SAR doit fournir les motifs de sa décision (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 39 et 43); l’absence de motifs équivaut à un traitement inéquitable qui pourrait porter préjudice à d’autres instances de contrôle judiciaire. Comme la Cour l’a déclaré au paragraphe 33 de Taabea c Canada (Comité consultatif sur le statut de réfugié), [1980] 2 CF 316, cela revient à une question de perception :

À mon avis la règle bien établie en matière de procédure judiciaire selon laquelle il est important que non seulement justice soit rendue mais qu’il soit manifeste que justice est rendue peut être paraphrasée, pour les cas où l’obligation consiste simplement à agir équitablement, en disant que dans de tels cas, l’intéressé doit non seulement être traité avec équité mais il doit être manifeste qu’il est effectivement traité équitablement.

[44] Selon le défendeur, c’est seulement lorsque la SAR conclut que la SPR a commis une erreur qu’elle doit fournir des motifs plus convaincants pour montrer à quels égards la SPR a principalement erré.

[45] Je ne suis pas de cet avis. Que la SAR soit d’accord ou en désaccord avec les conclusions de la SPR, il ne suffit pas de fournir des motifs suffisants : les motifs doivent répondre aux questions clés pertinentes quant à la décision. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 128 :

[...] le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires.

[Renvoi omis, non souligné dans l’original.]

[46] Cela soulève évidemment la question de savoir ce qu’on entend par « s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties ».

[47] Tout d’abord, je ne vois rien de déraisonnable dans l’approche adoptée par la SAR, dans la mesure où elle a concentré son analyse sur la question de savoir si une erreur avait été commise (Huruglica, par. 78). Toutefois, la SAR ne précise nulle part dans sa décision si elle est réellement d’accord ou en désaccord avec l’une ou l’autre des conclusions de la SPR sur les questions clés soulevées par le demandeur.

[48] À mon avis, si la SAR doit « s’attaquer de façon significative aux questions clés » selon la norme de la décision correcte, en plus d’examiner les éléments de preuve de façon indépendante. Par ailleurs, outre l’obligation distincte de fournir des motifs, la SAR doit énoncer explicitement ses propres conclusions en ne se limitant pas simplement à commenter la question de savoir si la SPR a commis des erreurs dans son évaluation de la preuve.

[49] La SAR n’est pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la SPR a analysé la preuve documentaire de façon arbitraire et abusive ou de façon superficielle, mais elle ne donne pas de motifs. La SAR n’est pas non plus d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la SPR a tiré des conclusions de façon arbitraire et abusive au sujet de sa crédibilité, mais, encore une fois, sans préciser pourquoi. Mis à part un exemple simple qui n’exprime pas explicitement le point de vue de la SAR sur la question, la SAR laisse ainsi au lecteur le soin d’essayer de faire le lien entre les idées.

[50] Dire que la SPR, après avoir évalué les activités antérieures et les antécédents familiaux du demandeur, n’a commis aucune erreur en concluant que le demandeur n’avait pas démontré la possibilité d’un risque sérieux de persécution, n’équivaut à dire que la SAR est d’accord avec les conclusions de la SPR concernant les risques éventuels de persécution, et n’équivaut pas non plus à un examen des préoccupations soulevées par le demandeur au sujet de l’évaluation menée par la SPR.

[51] De plus, le simple fait que la SAR ne soit pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la SPR a analysé la preuve de façon arbitraire et abusive n’est pas la même chose qu’une déclaration de la SAR selon laquelle est d’accord avec les conclusions précises de la SPR concernant la preuve. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la SAR dit être en désaccord avec l’observation du demandeur selon laquelle l’évaluation par la SPR sur la crédibilité a été faite de façon arbitraire et abusive qu’elle dit qu’elle partage les conclusions de la SPR sur la crédibilité, d’autant plus que la SAR avait déjà confirmé que la SPR ne jouissait pas d’un avantage particulier.

[52] À mon avis, il ne suffit pas que la SAR entreprenne simplement sa propre analyse du dossier; elle doit aussi énoncer explicitement ses propres conclusions afin de permettre aux parties d’aller au-delà de la lettre de décision stricte pour comprendre le fondement de la position de la SAR sur les questions clés et le raisonnement qui sous-tend la décision. Il n’est pas nécessaire que ces conclusions soient longues, mais elles doivent permettre aux parties de comprendre la position de la SAR sur les questions soulevées dans l’affaire (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77, par. 17 [Patel]).

[53] Voici ce que la Cour suprême déclare, au paragraphe 96 de l’arrêt Vavilov :

Lorsque, même s’ils sont interprétés en tenant dûment compte du contexte institutionnel et du dossier, les motifs fournis par l’organisme administratif pour justifier sa décision comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, il ne convient habituellement pas que la cour de révision élabore ses propres motifs pour appuyer la décision administrative. Même si le résultat de la décision pourrait sembler raisonnable dans des circonstances différentes, il n’est pas loisible à la cour de révision de faire abstraction du fondement erroné de la décision et d’y substituer sa propre justification du résultat : Delta Air Lines, par. 26-28. Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses et Alberta Teachers ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.

[54] L’issue de l’affaire n’est pas en litige en l’espèce; c’est la justification de la décision de la SAR qui comporte une lacune. La SPR a peut-être suivi la bonne procédure, mais la SAR était‑elle d’accord avec ses conclusions sur les éléments clés et les questions soulevées par le demandeur? La SAR n’a jamais répondu à cette question.

[55] La SAR n’a pas fourni d’explications supplémentaires après avoir affirmé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans la manière dont elle était parvenue à ses conclusions. Les motifs de la SAR ne contiennent que de vagues renvois aux motifs d’appel soulevés par le demandeur, ce qui est problématique.

[56] Dans la présente affaire, le fait que la SAR n’a pas formulé de conclusions claires sur les questions principales, même si ce n’est que pour dire qu’elle est d’accord avec les conclusions de la SPR, ne constitue pas simplement une considération négligeable ou accessoire quant au bien‑fondé de la décision, mais une lacune suffisamment grave pour que la décision dans son ensemble soit considérée comme ne présentant pas le degré requis de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[57] La façon dont la SAR a exprimé ses conclusions est mieux adaptée à une analyse selon la norme de la décision raisonnable, laquelle n’exige pas nécessairement de la SAR qu’elle se dise en accord ou en désaccord avec les conclusions de la SPR, mais plutôt qu’elle établisse simplement si la décision attaquée appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, par. 47).

[58] Dans la décision Rozas del Solar, le juge Diner s’est penché sur le rôle de la SAR. Voici ce qu’il a écrit aux paragraphes 15 et 16 :

[15] Autrement dit, lorsque la Cour examine le dossier dont elle est saisie à travers le prisme de la décision correcte, elle tranche la question exactement comme elle la perçoit. Si sa conclusion est en fin de compte différente de celle du décideur, la Cour substituera sa propre réponse, puisqu’il s’agit de la réponse correcte (Dunsmuir, au paragraphe 50).

[16] Pour les autres types de questions, il n’y a pas qu’une seule réponse correcte. C’est dans ces cas‑là que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique et qu’il existe habituellement un éventail de démarches et d’issues acceptables relativement aux questions juridiques soulevées. Le décideur dispose d’une marge de manœuvre, ou de différentes solutions acceptables (Dunsmuir, au par. 47). Le processus adopté par le décideur et l’issue à laquelle il parvient n’a qu’à appartenir à ces issues possibles acceptables; il n’est pas nécessaire que la conclusion soit celle que préfère la cour siégeant en révision. Toutefois, dans certains cas, il n’existe qu’une seule issue possible.

[Soulignement ajouté.]

[59] Je ne crois pas que la SAR ait d’une quelconque façon fait preuve d’une trop grande déférence à l’égard de la SPR, indépendamment de la façon dont elle a structuré ses motifs. Toutefois, j’ajouterais à l’analyse de ce que constituent des motifs appropriés découlant d’une analyse effectuée sous l’angle de la décision correcte que la SAR doit par elle-même répondre aux questions clés et déterminantes en déclarant si elle est d’accord ou non avec les conclusions contestées de la SPR. Autrement, comme l’a fait observer le demandeur en l’espèce, les demandeurs d’asile ne sauraient jamais à quelle conclusion, favorable ou défavorable, serait arrivée la SAR sur les questions soulevées en appel.

[60] Il est possible que la SAR ait été justifiée de rejeter les observations du demandeur, mais il ne suffit pas d’évaluer le processus : la SAR doit évaluer les conclusions clés et déterminantes de la SPR et parvenir à ses propres conclusions, qu’elle doit énoncer explicitement.

[61] En fait, la jurisprudence postérieure à l’arrêt Vavilov confirme que les décideurs administratifs doivent fournir des « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » quant aux faits et aux questions clés de l’affaire (Vavilov, par. 127). Les motifs qui sont vraiment adaptés aux questions et aux faits principaux de l’affaire « ne doivent pas », pour emprunter une expression du juge Diner dans Galusic c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 223, au paragraphe 42, « se contenter de citer le libellé, de résumer les arguments et de régurgiter les phrases standard ».

[62] L’adaptation des motifs aux questions et préoccupations soulevées exige que les décideurs tirent des conclusions à l’égard des arguments ou des questions soulevées par les parties, particulièrement lorsque les arguments sont détaillés (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, par. 60; Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293, par. 12 à 16; Mattar c The National Dental Examining Board of Canada, 2020 ONSC 403, par. 47 à 49).

[63] Selon ce principe de l’adaptation des motifs aux questions et préoccupations soulevées, le décideur doit rendre une décision qui tient compte des principaux faits de l’affaire (Kotai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 233, par. 42 et 44; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 53, par. 4 à 12; Patel, par. 14 à 22; Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 162, par. 35 et 36; Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 267, par. 14 et 31 [Sadiq]).

[64] Dans la présente affaire, lorsqu’elle a dû fournir des motifs pour son désaccord à l’égard des motifs d’appel du demandeur, la SAR a déclaré que faire une distinction entre les réalités du passé et du présent et les dirigeants politiques en Guinée-Bissau ne constitue pas une analyse arbitraire et abusive de la preuve. La SAR s’est simplement concentrée sur la nature de l’argumentation du demandeur, mais je ne vois nulle part où la SAR affirme explicitement qu’elle est en accord ou en désaccord avec une conclusion de la SPR en particulier sur l’une ou l’autre des questions soulevées par le demandeur, sauf pour citer des paragraphes précis de la décision de la SPR dans des notes de bas de page.

[65] Je ne partage pas la position du défendeur : il ne s’agit pas d’une simple question de sémantique.

[66] Le défendeur soutient que la SAR n’a qu’à fournir une explication minimale, ne serait-ce que pour montrer pourquoi elle souscrit aux conclusions de la SPR. Je ne suis pas de cet avis.

[67] Il ne suffit pas que la SAR exprime son accord avec la façon dont la SPR a rendu sa décision ou qu’elle se dise simplement en désaccord avec l’argumentation du demandeur. La SAR doit également démontrer qu’elle « s’[est] attaqu[ée] de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties » (Vavilov, par. 128), ce qui se fait au moyen de conclusions explicites, que ces conclusions soient en accord ou en désaccord avec les conclusions du tribunal de première instance.

[68] En fait, comme tout autre décideur administratif, la SAR doit fournir des motifs qui démontrent qu’elle a « effectivement écouté les parties » (Vavilov, par. 127 [italique dans l’original]; Sadiq, par. 13 et 30).

[69] Voici ce qu’a déclaré le juge Martineau, au paragraphe 4 de la décision Ali :

Il n’était pas suffisant pour la SAR de déclarer tout simplement qu’elle avait [traduction] « mené une analyse indépendante des éléments de preuve en vue de décider si les motifs de la SPR étaient justifiables en ce qui a trait à la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur pour l’appelant. » [Non souligné dans l’original.] Pour étayer le caractère raisonnable de la décision de la SAR, la Cour doit être convaincue que la SAR a véritablement agi en qualité de tribunal d’appel et qu’elle a tiré sa propre conclusion quant à l’exactitude des conclusions de droit, de fait, ou de fait et de droit de la SPR, et ce, même si la SAR a refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve en appel. En pratique, cela signifie qu’il doit y avoir un débat minimal concernant les motifs de la SAR quant aux erreurs soulevées par un appelant et leur bien‑fondé respectif, compte tenu des passages pertinents de la preuve documentaire qui n’ont pas été pris en considération par la SPR. Les motifs fournis par la SAR en l’instance ne satisfont pas à la norme minimale.

[Non souligné dans l’original.]

[70] Une analyse minimale des erreurs soulevées par le demandeur dans la présente affaire ne signifie pas que chaque conclusion contestée de la SPR devrait être abordée, car un décideur n’est pas tenu de « tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, par. 16.)

[71] Une « conclusion explicite » n’est nécessaire qu’à l’égard des éléments clés ou des éléments « constitutifs » à l’origine d’une décision.

[72] Vu les multiples questions à trancher et les questions précises soulevées par le demandeur, je ne vois pas en quoi les affirmations non étayées de la SAR « se justifi[aient] au regard des faits » et « [tenaient] valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (Vavilov, par. 126 et 127).

[73] Comme l’a déclaré le juge Norris dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Davoodabadi, 2019 CF 350, après avoir cité l’alinéa 169b) de la LIPR, « [i]l n’est pas nécessaire que les motifs de la SAR soient parfaits ou exhaustifs, mais ils doivent être suffisamment développés pour permettre aux parties de comprendre pourquoi le résultat a été atteint, de prendre une décision éclairée quant à savoir si elles doivent ou non demander un contrôle judiciaire et, le cas échéant, de faire valoir leurs thèses respectives de façon significative dans le cadre d’un contrôle judiciaire » (par. 26).

[74] En l’espèce, le demandeur soutient qu’il ne comprend pas ce qui a motivé la décision de la SAR; moi non plus. Je ne constate pas que la décision repose sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle par rapport aux éléments cruciaux (Vavilov, par. 85 et 102). Je ne suis pas non plus en mesure de déduire de tels motifs à la lumière du dossier (Vavilov, par. 91 et 97).

[75] Le défendeur cite une décision antérieure à l’arrêt Vavilov, Kayitankore c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1030 [Kayitankore], dans laquelle le juge Gascon affirme ceci aux paragraphes 21 et 23 :

[21] La SAR aurait pu, à certains égards, s’exprimer plus clairement dans sa décision et aurait pu expliquer plus en détail comment elle [traduction] « aurait tiré les mêmes conclusions » que la SPR. Cependant, sa conclusion appartient certainement aux issues possibles acceptables. La SAR n’a négligé aucun facteur important et elle n’a pas mal interprété la situation de M. Kayitankore. En vertu de la norme de la décision raisonnable, tant que le processus et le résultat sont conformes aux principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, la cour de révision ne devrait pas intervenir même si son évaluation de la preuve dont elle disposait aurait pu mener à une issue différente. C’est manifestement le cas en l’espèce.

[…]

[23] Je ne suis pas d’accord avec M. Kayitankore que la SAR devait effectuer une « analyse différente ». La SAR était simplement tenue d’effectuer sa propre évaluation. Le fait qu’elle ait suivi et répété l’analyse juridique de la SPR avant de conclure que celle-ci était correcte et qu’elle aurait tiré la même conclusion ne signifie pas ou n’implique pas qu’elle n’a pas effectué sa propre analyse. On ne peut pas reprocher à la SAR de ne pas avoir effectué sa propre évaluation simplement parce qu’elle a suivi l’approche et le raisonnement de la SPR et qu’elle les a trouvés convaincants. En s’acquittant de sa fonction en matière d’appel, la SAR avait le droit de faire écho à l’analyse de la SPR et d’abonder dans le même sens. En l’espèce, la SAR a examiné en détail le raisonnement de la SPR et son analyse du dossier et elle a conclu que la SPR n’avait commis aucune erreur et qu’elle avait appliqué les bons critères juridiques en vertu des articles 96 et 97 de la SPR; et elle a confirmé la décision de la SPR. Ce faisant, la SAR a de toute évidence effectué l’analyse qui est résumée dans l’arrêt Huruglica CAF, au paragraphe 103, en appliquant la norme de la décision correcte.

[Non souligné dans l’original.]

[76] Je souscris aux principes énoncés par le juge Gascon; cependant, dans l’affaire Kayitankore, la SAR a non seulement mené sa propre analyse indépendante, mais aussi tiré ses propres conclusions sur des questions clés, même si ces conclusions faisaient écho aux conclusions de la SPR.

[77] Même en considérant la décision dans son ensemble, rien ne montre que la SAR a tiré ses propres conclusions relativement à l’une ou l’autre des questions clés soulevées par le demandeur. Tout ce que nous savons, c’est que la SAR n’est pas d’accord avec les observations du demandeur et qu’elle renvoie à des notes de bas de page concernant certains paragraphes de la décision de la SPR. Je crains que ce ne soit pas suffisant.

[78] Le défendeur cite une décision rendue par le juge Annis, Tekle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1040 [Tekle], à l’appui de la thèse selon laquelle la SAR n’a pas à réinventer la roue lorsqu’elle conclut que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle et que la SPR a fourni des motifs détaillés auxquels elle souscrit.

[79] Même s’il s’agissait d’une décision antérieure à l’arrêt Vavilov, j’interprète la décision Tekle comme indiquant que la SAR n’est pas tenue d’examiner chaque élément de l’argumentation du demandeur dans la mesure où elle traite des questions déterminantes, et qu’elle peut exprimer ses conclusions en se contentant de souscrire aux conclusions de la SPR sans avoir à énoncer ses propres motifs.

[80] Cependant, je ne trouve pas que la décision Tekle aide vraiment le défendeur, puisque la question se rapporte davantage au caractère suffisant qu’au prononcé des décisions de la SAR. Quoi qu’il en soit, dans la décision Tekle, la SAR a fourni des motifs en réponse aux observations du demandeur et elle a attiré l’attention sur des éléments de preuve pour appuyer ses conclusions (par. 23), ce que la SAR n’a pas fait dans la présente affaire.

[81] Je conclurai par un commentaire tiré de l’arrêt Vavilov, au paragraphe 15 :

Ce qui distingue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable du contrôle selon la norme de la décision correcte tient au fait que la cour de justice effectuant le premier type de contrôle doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif.

[Non souligné dans l’original.]

[82] Il aurait été possible d’apprécier la décision « à laquelle [la SAR] serait parvenue » seulement si ses conclusions avaient été explicites. Or, ce n’était pas le cas en l’espèce.

[83] En bref, la décision de la SAR ne s’est tout simplement pas attaquée de façon significative aux questions clés de l’affaire et ne comportait donc pas, d’une manière transparente et intelligible, de justification à l’appui de ses conclusions concernant les questions et préoccupations centrales soulevées par le demandeur.

[84] Pour tous ces motifs, je conclus que la décision rendue par la SAR est déraisonnable et qu’elle doit être annulée. Compte tenu de mes motifs, je n’ai pas besoin d’examiner les autres questions soulevées par le demandeur concernant des lacunes que comporterait la décision de la SAR.

VI. Conclusion

[85] Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2283-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il effectue un nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2283-19

 

INTITULÉ :

ELOI BIQUER SILVA ROSA GOMES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Élaine Simon

Pour le demandeur

Me Elsa Michel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Élaine Simon

Avocate

Services juridiques communautaires d’Ottawa (Sud)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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