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Date : 20190801

Dossier : IMM-3554-18

Référence : 2019 CF 1029

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2019

En présence de monsieur le juge  A. Diner

ENTRE :

MUHAMMAD ARSHAD KHAN ET AL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant des mesures d’interdiction de séjour prises à l’encontre des demandeurs le 24 mai 2016 par une déléguée du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [la déléguée du ministre] au motif que les demandeurs ne se sont pas conformés à l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les demandeurs prétendent que leurs droits en matière d’équité procédurale n’ont pas été respectés. La Cour n’est pas de cet avis.

I.  Contexte

[2]  Les demandeurs, une famille du Pakistan, sont devenus des résidents permanents du Canada le 31 mars 2010. Ils ont quitté le Canada peu après – le 27 avril 2010 –, pour retourner au Pakistan. La famille est revenue au Canada le 26 février 2015 – plus de quatre ans plus tard. À leur arrivée à l’aéroport au Canada, le demandeur principal a été interrogé par un agent [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] au sujet de l’obligation de résidence de la famille [le contrôle]. Le demandeur principal a déclaré à l’agent que la famille avait été à l’extérieur du Canada pour [traduction] « mettre de l’ordre dans ses affaires » au Pakistan depuis le 27 avril 2010.

[3]  Il ressort des notes de l’agent que celui-ci a fait savoir au demandeur principal que, parce que les membres de la famille avaient passé moins d’un mois au Canada au cours des cinq dernières années, il était physiquement impossible qu’ils aient respecté leur obligation de résidence. L’agent a déclaré aux demandeurs qu’en tant que résidents permanents, il leur était loisible de partir, s’ils le voulaient, mais il leur a conseillé de rester et de remplir le questionnaire IMM 5511, pour les résidents permanents [le questionnaire]. Les demandeurs ont décidé de quitter les lieux et de ne pas remplir le questionnaire. Avant de partir, ils ont confirmé à l’agent que leur adresse figurant dans le dossier était exacte et ont aussi donné un numéro de téléphone.  

[4]  Le défendeur soutient que l’agent a fait savoir aux demandeurs qu’il rédigerait des rapports aux termes du paragraphe 44(1) [les rapports] à leur encontre, et qu’un délégué du ministre les contacterait par la poste ou par téléphone afin de fixer une date pour une entrevue au sujet de leur statut de résident permanent.  

[5]  Toutefois, le demandeur principal affirme dans son affidavit que [traduction] « nous avons été autorisés à entrer au Canada en tant que résidents permanents en sachant que quelqu’un pourrait me contacter par la poste ou par téléphone, s’ils avaient besoin d’information supplémentaire » [Souligné dans l’original.]. Quoi qu’il en soit, peu après le contrôle, l’agent a rédigé des rapports à l’encontre des demandeurs et les a signés in absentia (c.-à-d. en l’absence des demandeurs).

[6]  Les demandeurs ont déménagé en août 2015, quelque six mois après être entrés de nouveau au Canada. Ils n’ont informé aucun responsable de l’immigration de ce changement d’adresse et de numéro de téléphone. Le demandeur principal souligne que l’agent n’a imposé aucune condition quant à la mise à jour de leurs coordonnées.

[7]  Il ressort des éléments de preuve dont dispose la Cour, y compris un affidavit de la déléguée du ministre, que celle-ci a tenté à plusieurs occasions de contacter les demandeurs pour l’ASFC afin d’organiser une entrevue. L’entrevue aurait donné à la famille la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires et des observations relatives à des considérations d’ordre humanitaire, s’il y a lieu, en réponse aux rapports.

[8]  La déléguée du ministre a attesté qu’elle avait envoyé des lettres aux demandeurs par courrier régulier, à l’adresse fournie, au printemps et à l’automne de 2015. Il n’y a pas de copie de ces deux lettres dans le dossier. Il y a toutefois une copie d’une lettre qui a été envoyée aux demandeurs par courrier recommandé, en date du 23 novembre 2015, à l’adresse figurant dans le dossier, adresse qu’ils avaient confirmée lors du contrôle, les invitant à se présenter à une entrevue devant se tenir le 10 décembre 2015. Même s’il y a une preuve dans le dossier que la lettre a bel et bien été livrée à l’adresse figurant dans le dossier, les demandeurs affirment qu’ils ne l’ont jamais reçue, et ils ne se sont pas présentés à cette première entrevue à laquelle ils avaient été convoqués.

[9]  Une seconde lettre de convocation à une entrevue a été envoyée le 21 février 2016, également par courrier recommandé, à l’adresse inscrite dans le dossier. Le défendeur a produit une copie de la confirmation de livraison de la Société canadienne des postes montrant que la lettre avait aussi bel et bien été livrée à l’adresse prévue de destination. De plus, la déléguée du ministre a attesté qu’elle avait tenté de joindre les demandeurs par téléphone au numéro que ceux-ci avaient fourni.

[10]  À la lumière des diverses tentatives infructueuses pour contacter les demandeurs, le 24 mai 2016, la déléguée du ministre a examiné leur dossier en leur absence, comme l’avait fait l’agent. Elle a pris des mesures d’interdiction de séjour à leur encontre. Elle a transmis cette décision [la décision] dans une lettre datée du 24 mai 2016, qui a été envoyée à l’adresse inscrite dans le dossier. La lettre faisait savoir aux demandeurs que la déléguée du ministre avait établi qu’ils ne s’étaient pas conformés à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR et faisait état de leur droit d’en appeler de la décision. Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas reçu cette lettre.  

[11]  En avril 2017, le demandeur principal a présenté des demandes de renouvellement des cartes de résidents permanents des membres de sa famille en ligne. Le 30 octobre 2017, il a reçu un courriel lui faisant savoir que les membres de sa famille avaient perdu leur statut de résident permanent et que des mesures de renvoi avaient été prises à leur encontre. Le 30 novembre 2017, le demandeur principal a rencontré un agent de l’ASFC, qui a confirmé cette information.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[12]  La déléguée du ministre a pris des mesures d’interdiction de séjour en même temps que sa décision, établissant que les demandeurs ne s’étaient pas conformés à l’obligation de résidence prévue dans la LIPR, selon laquelle ils devaient demeurer au Canada au moins 730 jours au cours de la période quinquennale en question (du 31 mars 2010 au 26 février 2015). Elle a précisé qu’elle ne pouvait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre en compte les considérations d’ordre humanitaire se rapportant à la situation personnelle des demandeurs parce que ceux-ci avaient omis de se présenter à une entrevue.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[13]  L’unique question faisant l’objet du contrôle est celle de savoir si le défendeur a manqué à l’équité procédurale en omettant de donner aux demandeurs un préavis suffisant à l’égard du processus d’établissement de rapports aux termes de l’art. 44 et en prenant des mesures d’interdiction de séjour en leur absence. La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale. Pour établir si l’équité procédurale a été respectée, la principale question est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au par. 54). En résumé, je dois être convaincu que la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.

IV.  Positions des parties

[14]  Les demandeurs affirment que le défendeur ne leur a pas donné un préavis suffisant du processus relatif à l’art. 44. Ils soutiennent que l’agent n’a pas suivi les marches à suivre applicables à l’ASFC qui figurent dans le Guide intitulé ENF 5 : Rédaction des rapports en vertu du paragraphe 44(1). Ils prétendent également que la déléguée du ministre a manqué à leur droit à l’équité procédurale, en ce sens qu’elle leur a refusé une possibilité de participer aux procédures, ou d’expliquer leurs circonstances atténuantes/d’ordre humanitaire, possibilité qui ne leur a toujours pas été offerte d’après eux.

[15]  Les demandeurs soulignent que si l’agent leur avait imposé l’obligation de se présenter aux autorités, ou s’il avait remis copie des rapports aux membres de la famille – ou des instructions écrites – au moment où ils sont rentrés au Canada, il leur aurait alors incombé une obligation positive d’assurer un suivi avec le défendeur. Toutefois, ils affirment que cela n’a pas été le cas.

[16]  Les demandeurs affirment que les démarches que l’agent a faites n’étaient pas suffisantes. Ils prétendent qu’ils n’ont pas compris en quoi consistait le processus relatif à l’art. 44, ni ses conséquences consistant en une possible perte de leur statut. Ils déclarent que l’agent aurait dû les garder à l’aéroport pendant qu’il rédigeait les rapports, s’il savait qu’il établirait les rapports. Ainsi, les demandeurs auraient reçu les rapports, et ils auraient compris quelles en étaient les conséquences et les étapes subséquentes.

[17]  De plus, les demandeurs soutiennent que la déléguée du ministre a abdiqué ses responsabilités en omettant de faire des efforts véritables pour les contacter ou les retrouver, et qu’elle a, en fait, attendu neuf mois pour faire sa première démarche en ce sens. Il s’agissait, selon eux, d’un retard indu. Comme ils ont été sans nouvelles pendant six mois, les demandeurs affirment qu’ils ont cru que la prise d’aucune mesure supplémentaire n’était en cours.

[18]  Les demandeurs soutiennent aussi que la déléguée du ministre aurait dû s’assurer qu’ils avaient bel et bien reçu ses lettres, au lieu de les mettre à la poste [traduction] « à l’aveuglette ». Ils affirment également qu’elle aurait dû s’assurer d’avoir une réponse à ses appels, plutôt que de simplement tenter de leur téléphoner sans laisser le moindre message. En résumé, le simple envoi de lettres, même par courrier recommandé, et de simples appels téléphoniques sans joindre qui que ce soit, ne constituaient pas de véritables tentatives de les contacter.

[19]  Le défendeur réplique qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. Il affirme plutôt que les collaborateurs et collaboratrices de la déléguée du ministre ont tout mis en œuvre pour tenter de tenir les demandeurs au courant du processus, dès leur retour au Canada le 26 février 2015, par les diverses mesures que la déléguée du ministre a prises pour organiser une première, puis une seconde entrevue, par ses appels téléphoniques et ses lettres, y compris l’envoi par courrier recommandé (à deux reprises), à la dernière adresse connue des demandeurs.

[20]  En résumé, le défendeur soutient que l’ASFC a pris toutes les mesures raisonnables, conformément à ses propres procédures, pour informer les demandeurs et pour leur offrir une possibilité de répondre. Il affirme que, dans les circonstances, les demandeurs ont eu toutes les chances de participer au processus lié à l’art. 44.

[21]  En ce qui concerne l’information que les demandeurs soutiennent ne pas avoir pu produire quant aux circonstances atténuantes qui les ont obligés à retourner au Pakistan, le défendeur fait remarquer que cette information aurait pu être – mais n’a jamais été – remise à l’agent, ou à qui que ce soit d’autre à l’ASFC. Par conséquent, l’information ne devrait pas être prise en compte dans le cadre du contrôle judiciaire.

V.  Analyse

[22]  Je commencerai en soulignant trois principes relatifs à l’équité procédurale en ce qui concerne les décisions dans des affaires concernant l’art. 44.

[23]  Premièrement, bien qu’il faille donner aux demandeurs la possibilité de présenter des observations et de connaître la preuve à réfuter (voir aussi expressément dans le contexte de l’art. 44 Huang c Canada, 2015 CF 28 aux par. 84 et 86; Apolinario c Canada, 2016 CF 1287 au par. 38 [Apolinario]), le degré d’équité procédurale et de participation dans l’établissement des rapports d’interdiction de territoire aux termes de l’art. 44 et dans les décisions rendues au titre du par. 44(2) est faible (Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319 au par. 22 [Sharma]; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Cha, 2006 CAF 126 au par. 52).

[24]  Deuxièmement, les agents ont aussi des pouvoirs discrétionnaires limités lorsqu’il s’agit de décider s’il convient d’établir des rapports aux termes de l’art. 44. L’obligation d’équité ne nécessite pas la transmission d’un rapport d’interdiction de territoire avant l’examen par le délégué du ministre aux termes du par. 44(2) (voir Sharma au par. 52; Hernandez c Canada, 2005 CF 429 au par. 72). Le Guide ENF5, qui était le manuel des politiques en vigueur au moment de la décision, ne renfermait que les exigences suivantes :

Dès que cela est possible, l’agent qui rédige un rapport doit aussi fournir une copie de ce rapport à la personne concernée. Il doit faire tous les efforts raisonnables pour localiser l’intéressé et indiquer au dossier toutes les démarches et mesures prises à cette fin. [Non souligné dans l’original.]

[25]  Troisièmement, bien que le délégué du ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de prendre en compte des circonstances atténuantes se rapportant aux motifs d’ordre humanitaire, il n’a pas d’obligation en ce sens (Apolinario au par. 44; Melendez c Canada, 2016 CF 1363 au par. 34; Kidd c Canada, 2016 CF 1044 aux par. 33 et 34).

[26]  En l’espèce, je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale eu égard à l’un quelconque de ces trois principes, ou à quelque autre fondement que ce soit. En fait, les éléments de preuve montrent que l’agent et la déléguée du ministre ont tous les deux agi de manière équitable et raisonnable dans la prise de leur décision. 

Les actes des demandeurs

[27]  Les demandeurs ont été informés dès leur arrivée au Canada, le 26 février 2015, qu’ils ne s’étaient pas conformés à leur obligation de résidence aux termes de la LIPR. En fait, pendant un peu moins des cinq années qui ont suivi le moment où ils ont obtenu pour la première fois le droit d’établissement, ils ont passé moins de 30 jours au Canada, ayant passé les années qui ont suivi dans leur Pakistan natal.

[28]  En ce qui concerne le contrôle de 2015, les parties ne s’entendent pas sur les termes exacts qui ont été utilisés, soit si l’agent a fait savoir aux demandeurs que quelqu’un [traduction] « les contacterait » ou [traduction] « pourrait les contacter ». Le demandeur principal affirme ce qui suit dans son affidavit : [traduction] « Il semble qu’en novembre 2015, l’ASFC a commencé à essayer de me contacter au sujet de la prise de mesures de renvoi à mon encontre et à l’encontre de ma famille, 9 mois après notre arrivée au Canada ». Le demandeur principal souligne que sa famille a quitté la maison de sa sœur en août 2015 parce que celle-ci l’avait vendue. Les demandeurs soutiennent que, parce qu’ils avaient cru comprendre, à partir des observations faites par l’agent lors du contrôle, que l’ASFC [traduction] « pourrait » (et non pas [traduction] « allait ») les contacter, ils avaient supposé que l’ASFC avait décidé de ne pas pousser plus loin son examen de la question de leur résidence vu le nombre [traduction] « considérable » de mois qui s’étaient écoulés.

[29]  Les parties ont manifestement des opinions opposées concernant les termes exacts qui ont été employés lors du contrôle. En fin de compte, toutefois, il s’agit d’une distinction sans importance puisqu’elle n’influe pas sur la conclusion selon laquelle le processus a été équitable. Quels que soient les mots utilisés par l’agent, celui-ci a clairement relevé l’inobservation par les demandeurs de l’obligation de résidence prévue dans la LIPR en leur présence. Par conséquent, si tant est qu’ils ignoraient qu’ils n’avaient pas respecté leur obligation avant de revenir au Canada, la question a été portée à leur attention par l’agent. L’agent leur a aussi demandé leur adresse et leurs coordonnées, qu’ils n’ont jamais mises à jour après leur déménagement. Faute d’avoir fourni leurs nouvelles coordonnées, ils auraient dû, à tout le moins, chercher à se renseigner quant à leur statut pendant les deux années et demie qui ont suivi.

[30]  L’adage bien connu voulant que nul n’est censé ignorer la loi est ici de circonstance (voir, par exemple, Clark c Ontario (Attorney General), 2019 ONCA 311 au par. 33). Même si les demandeurs ne savaient pas à leur retour que moins de 30 jours de résidence au Canada était très loin des 730 jours prévus par le sous-al. 28(2)a)(i) de la LIPR, il leur a été demandé s’ils souhaitaient renoncer volontairement à leur statut et conseillé de remplir le questionnaire pendant le contrôle. Ils savaient alors qu’ils avaient un problème quant à la résidence.

[31]  La jurisprudence citée avec les trois principes mentionnés plus haut établit une obligation d’équité moins stricte quant aux décisions relatives aux par. 44(1) et 44(2). En l’espèce, les demandeurs ont quand même eu la possibilité de connaître la preuve à réfuter, d’être entendus et de formuler des observations. L’agent a donné une explication claire du problème juridique lors du contrôle à l’aéroport. La déléguée du ministre a par la suite cherché à contacter les demandeurs à plusieurs reprises et a retardé sa décision de quelque quinze mois. L’omission de remplir le questionnaire, de mettre à jour leurs coordonnées ou de présenter des circonstances atténuantes d’ordre humanitaire relève clairement des demandeurs.

[32]  Au lieu de produire de l’information lors du contrôle – y compris les raisons pour lesquelles ils avaient été à l’extérieur du Canada pendant presque toute la durée de leur résidence – les demandeurs ont plutôt décidé de quitter les lieux. Cette décision était contraire à la recommandation de l’agent, comme celle de partir sans remplir le questionnaire, dans lequel la question no 19 demandait : « Veuillez indiquer s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire qui justifieraient le maintien de votre statut de résident permanent et rendraient sans effet toute inobservation de l’obligation de résidence » y compris « relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

[33]  Dûment informés, et après avoir décidé de ne pas fournir leurs coordonnées à jour aux autorités, les demandeurs sont devenus maîtres de leur destin. S’ils avaient voulu fournir davantage d’information, ils n’ont pas manqué d’occasions pour ce faire, y compris faire valoir les circonstances d’ordre humanitaire atténuantes, s’il y a lieu, qui auraient pu, à leur avis, influer sur l’ultime décision.

[34]  Enfin, il convient de noter que, pour faciliter la transmission d’information dans les deux sens dans les affaires de ce genre, élément manifestement important pour les deux parties afin d’assurer l’équité du processus, la jurisprudence a établi qu’il incombe aux demandeurs de fournir des coordonnées à jour, et non pas le contraire. Lorsqu’une lettre a été « envoyée correctement par un agent des visas à une adresse (électronique ou autre) fournie par un demandeur, que cette adresse n’a pas fait l’objet d’une révocation ou d’une révision, et qu’on a reçu aucun indice de la possibilité que la communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur » (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935 au par. 12). Une fois qu’il a établi qu’une lettre a été dûment envoyée, l’agent d’immigration n’est pas tenu de s’assurer que chaque lettre a été reçue ou ouverte par le demandeur (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503 au par. 14; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 124 au par. 14).

[35]  En dépit du fait que les décisions Kaur, Khan et Yang ont toutes été rendues dans le contexte de demandes de résidence permanente traitées par des agents des visas, et dans lesquelles les trois demandeurs n’avaient pas encore obtenu le statut de résident permanent, en l’espèce, les demandeurs sont tous des résidents permanents du Canada. Autrement dit, les intérêts en jeu étaient plus importants, et les demandeurs avaient plus à perdre puisqu’ils avaient déjà obtenu leur statut. Quoi qu’il en soit, je conclus que les mêmes principes de communication s’appliquent, étant donné que l’agent a informé les demandeurs de la nécessité de fournir leurs coordonnées. L’omission de fournir ces renseignements à jour a par conséquent exposé les demandeurs au risque que des procédures aient lieu en leur absence.

Les actes de l’agent

[36]  Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs prétendent aussi que l’agent a agi de manière inéquitable en omettant (i) de leur imposer une condition de se présenter (pour mettre à jour leur adresse) et (ii) de les forcer à demeurer à l’inspection secondaire jusqu’à ce qu’il termine son rapport aux termes du par. 44(1) de manière à pouvoir leur en donner copie et s’assurer qu’ils comprennent les conséquences.

[37]  Aucun de ces arguments ne saurait être retenu. La Loi ou les politiques ne renferment aucune exigence quant à l’imposition de conditions pour signaler les changements d’adresse. Les conditions sont un outil dont peuvent se servir les agents dans certaines circonstances. Les demandeurs ne peuvent pas prétendre avoir été surpris que des rapports aux termes du par. 44(1) aient été établis, puisque l’agent leur a demandé l’adresse où l’on pourrait les joindre.

[38]  De plus, l’affirmation selon laquelle l’agent aurait dû les garder à la ligne d’inspection secondaire jusqu’à ce qu’il ait terminé le rapport aux termes du par. 44(1) n’est pas fondée. Comme le prévoit le paragraphe 19(2) de la LIPR, « [l]’agent laisse entrer au Canada le résident permanent sur preuve, à la suite d’un contrôle fait à son arrivée, qu’il a ce statut ». Une fois que l’agent a établi qu’il s’agissait de résidents permanents qui rentraient au Canada, qui n’avaient pas fait l’objet d’une décision finale quant à la perte de la résidence permanente, qui avaient affirmé qu’ils voulaient mettre fin au contrôle et qui avaient fourni leurs coordonnées, ils pouvaient quitter les lieux.

Les actes de la déléguée du ministre

[39]  La déléguée du ministre a pris diverses mesures pour tenter de joindre les demandeurs avant de rendre sa décision de prendre des mesures d’interdiction de séjour aux termes du par. 44(2). Tous les efforts qu’elle a faits pour les contacter – dont convoquer une nouvelle entrevue – n’ont pas porté fruit. Elle a fait tous les efforts raisonnables pour contacter les demandeurs afin qu’ils puissent prendre part au processus. Ces efforts n’ont rien donné uniquement parce que les demandeurs ont omis de mettre à jour leurs coordonnées.  

[40]  À la lumière de ces circonstances, nul ne peut prétendre que les demandeurs n’ont pas eu une possibilité complète et équitable de réfuter la preuve contre eux. Il leur incombe encore de faciliter les communications et de formuler des observations, s’il y a lieu, concernant des motifs d’ordre humanitaire ou des circonstances atténuantes.

[41]  Enfin, comme le souligne le défendeur – en réponse à l’argument des demandeurs voulant qu’ils n’ont jamais eu la possibilité de faire valoir leurs considérations d’ordre humanitaire – cela n’est pas compatible avec les motifs de la Cour dans la décision Khan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 66.

VI.  Question certifiée

[42]  Les demandeurs proposent la question suivante pour certification :

Les résidents permanents qui ne se sont pas conformés à leur obligation de résidence de 730 jours aux termes de l’article 28 de la LIPR sont-ils tenus de mettre leurs coordonnées à jour ou de se rapporter d’une certaine façon au défendeur, en l’absence de toute information ou instruction écrite de la part du défendeur?

[43]  Pour être certifiée, une question doit transcender les intérêts des parties et doit permettre de régler l’appel (Zazai c Canada (MCI), 2004 CAF 89 aux par. 11 et 12). Les dispositions législatives qui sont soulevées en l’espèce quant à l’équité procédurale ont été clairement établies. De plus, les questions soulevées par les demandeurs reposent fortement sur les faits – soit ce qui s’est passé pendant le contrôle et dans les quinze mois qui ont suivi. Par conséquent, la présente affaire concerne l’application de faits particuliers à des dispositions législatives bien établies. Pour cette raison, aucune question grave de portée générale n’est soulevée.

VII.  Conclusion

[44]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3554-18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question ne sera certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« A. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de mai 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3554-18

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD ARSHAD KHAN ET AL c LE MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 juin 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge diner

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er août 2019

 

COMPARUTIONS :

Nancy Lam

POUR LES DEMANDEURS

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Lam

NL Immigration Law

POUR LES DEMANDEURS

Laoura Christodoulides

Ministère de la Justice

POUR LE DÉFENDEUR

 

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