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Date : 20021114

Dossier : IMM-1158-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1182

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2002.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                               WAEL QASEM

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) à l'encontre de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LE POINT LITIGIEUX

[2]                 Je réponds à cette question par la négative, et ce, pour les motifs ci-après énoncés.

LES FAITS

[3]                 Le demandeur est né en 1975 à Beit Hanoun, à Gaza, qui est maintenant sous le contrôle palestinien. Toute sa famille habite dans cette région. Le demandeur est apatride, mais la Palestine est son lieu habituel de résidence. Dans l'affidavit qu'il a présenté à l'appui de sa demande, le demandeur déclare être arrivé au Canada à la fin du mois de novembre 1999 et avoir [TRADUCTION] « peu de temps après » revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. En fait, le demandeur est arrivé au Canada le 25 novembre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié le 30 mars 2000.

[4]                 Les événements, tels que le demandeur les considère, qui ont amené le demandeur à présenter une demande d'asile sont énoncés dans l'exposé circonstancié qui a été inclus dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP). Lorsqu'il était enfant, le demandeur fréquentait une école mixte. Dans l'une de ses classes, le demandeur a rencontré une fille, Shaima, avec laquelle il s'est lié d'amitié.

[5]                 Après 1987, les écoles ont été divisées selon le sexe, mais le demandeur et Shaima ont continué à se voir. Lorsqu'ils sont devenus adolescents, la famille de Shaima a commencé à manifester son opposition à leur amitié. En effet, le demandeur est membre de la tribu Kafarneh et Shaima est membre de la tribu Masri. Or, chaque tribu a ses propres traditions et coutumes.

[6]                 Le demandeur envisageait d'épouser Shaima et de vivre avec elle. De 1993 à 1997, le demandeur est allé à l'université en Iraq; à son retour, il détenait un diplôme. Pendant qu'il poursuivait ses études, Shaima a écrit au demandeur et lui a demandé de revenir parce que sa famille voulait qu'elle épouse son cousin, Khalid. La proposition que le demandeur a faite à la famille de Shaima, personnellement et par l'entremise de dignitaires de la tribu, n'a pas abouti au résultat voulu, à savoir le consentement du père de Shaima au mariage. Le demandeur s'est à maintes reprises vu opposer un refus et on l'a informé que Shaima avait été promise à Khalid.

[7]                 Au poste de sécurité préventive (le PSP), le demandeur a été détenu et interrogé brièvement; on lui a intimé de se tenir à l'écart de Shaima, à défaut de quoi des accusations seraient portées. Le demandeur a été convoqué une deuxième fois au PSP, où il a été interrogé au sujet de son association au Front de libération arabe, une composante du parti Ba'ath en Iraq. À la suite de cet interrogatoire, on a encore une fois intimé au demandeur de se tenir à l'écart de Shaima.


[8]                 La troisième fois qu'il a répondu à une convocation lui enjoignant de se présenter au PSP, le demandeur a été interrogé d'une façon plus agressive; on l'a frappé à la tête avec un fusil. Le demandeur a été accusé de travailler pour le Front de libération arabe. Avant que le demandeur puisse être grièvement blessé, des médiateurs sont arrivés et le demandeur a été mis en liberté, mais on l'a encore une fois averti de se tenir à l'écart de Shaima.

[9]                 Par la suite, le demandeur a rencontré le père de Shaima. À la fin de la rencontre, le père a dit au demandeur que lorsqu'il aurait terminé ses études universitaires, il pourrait épouser Shaima.

[10]            Toutefois, le père de Shaima a refusé de laisser le demandeur épouser sa fille lorsque ce dernier est revenu de l'université, refus qui a été communiqué par des dignitaires. Le demandeur a rencontré Shaima, qui lui a fait part de l'extrême détresse qu'elle éprouvait par suite des pressions qui étaient exercées sur elle pour qu'elle épouse Khalid. Le demandeur et Shaima se sont mariés secrètement au mois de septembre 1999 lors d'une cérémonie religieuse - une cérémonie civile n'était pas possible sans le consentement des parents de Shaima. Le père de Shaima a détruit le certificat de mariage que le demandeur lui a envoyé.

[11]            Le 1er octobre 1999, le demandeur a appris que le cousin Khalid avait tué Shaima afin de sauver son honneur et celui de la famille de Shaima. Le demandeur a appris qu'ils cherchaient également à le tuer parce qu'il avait déshonoré la famille. La tribu Masri était d'avis que s'ils tuaient le demandeur, des représailles seraient exercées et les membres de leur tribu seraient tués. Selon le demandeur, les représailles ont pris la forme d'accusations portées contre lui parce qu'il avait censément fourni des renseignements au service de renseignements israélien, le Shin-Bet. Un mandat d'arrestation devait être délivré; le demandeur subirait un procès et serait exécuté pour trahison. Le demandeur affirme maintenant qu'il est recherché dans son pays.

[12]            Le demandeur a profité de l'occasion qu'il avait de venir au Canada pour assister à une conférence avec l'aide de son employeur. On l'a conduit en voiture jusqu'à la frontière palestinienne, puis on l'a amené en Égypte, d'où il s'est envolé vers le Canada, en passant par la France.

[13]            Le demandeur a été admis au Canada à titre de visiteur. Lorsque son statut de visiteur était sur le point d'expirer, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au Canada.


LA DÉCISION CONTESTÉE

[14]            Dans de longs motifs, le tribunal a fait un certain nombre d'observations. Le tribunal sait que l'on peut tuer une femme pour sauver ou protéger l'honneur d'un homme ou de la famille de la femme et il sait que les familles exercent en général des pressions sur les femmes pour qu'elles se marient pendant qu'elles sont encore jeunes.

[15]            Le tribunal n'a pas entendu de témoignages crédibles au sujet de la raison pour laquelle la famille de Shaima remettait à plus tard son mariage à Khalid, même si Shaima avait une vingtaine d'années lorsqu'elle a épousé le demandeur et qu'elle a subséquemment été tuée. Les retards qui ont duré non pas « quelques mois, mais [...] des années » ont amené le tribunal à croire que la version des événements donnée par le demandeur n'était pas vraisemblable.

[16]            Lorsque l'intéressé a obtenu son diplôme en Iraq et qu'il est retourné à Gaza en 1997, il n'a pas vu Shaima immédiatement. Il n'a revu Shaima qu'en 1999. Le tribunal n'a pas reconnu qu'il existait une raison valable pour laquelle ils ne s'étaient pas vus pendant une longue période, même s'ils pouvaient se rencontrer à leurs lieux de travail respectifs. Le tribunal n'a pas retenu l'explication donnée par l'intéressé, à savoir que la famille de Shaima surveillait étroitement celle-ci et que Shaima ne voulait pas embarrasser sa famille.


[17]            Dans son témoignage, le demandeur a mentionné la coutume et la tradition locales, ce qui a amené le tribunal à s'attendre à ce que le demandeur connaisse ces valeurs. Le demandeur aurait dû être davantage conscient des conséquences d'un mariage ou de relations sexuelles avec Shaima, comme il en avait censément connaissance. Il aurait pu prendre des mesures pour protéger Shaima. Il aurait pu demander conseil aux anciens avant d'épouser Shaima, et il ne pouvait pas s'attendre à ce que Masri, avec sa fierté privée et sa réputation publique à protéger, accepte sans réaction hostile le mariage simplement parce qu'il s'agissait d'un fait accompli.

[18]            Étant donné les choix qui s'offraient au père de Shaima, Masri, pendant la période pertinente en ce qui concerne le mariage, le tribunal a jugé invraisemblable que l'intéressé soit assujetti au traitement qu'il allègue avoir subi et qu'il soit notamment accusé de collaborer avec l'État d'Israël.

[19]            Le tribunal ne croyait pas le témoignage de l'intéressé, qui déclarait avoir refusé l'offre de son père d'envoyer des gens au PSP pour l'appuyer parce qu'il voulait qu'ils continuent à croire que tout allait bien. Les circonstances à ce moment-là ne leur auraient pas permis de le croire.

[20]            Le tribunal a conclu que parmi les solutions possibles, Masri aurait pu faire en sorte que l'intéressé soit emprisonné, ce qui rendrait invraisemblables les allégations de fausses accusations. Le tribunal a également noté que l'intéressé évitait parfois les questions et donnait parfois des réponses trompeuses.

[21]            Le tribunal a noté que la signature figurant dans la demande de visa de visiteur du demandeur (le VCV) est différente de la signature figurant dans le FRP du demandeur. Le demandeur a déclaré que sa secrétaire avait signé la demande en son nom. Le tribunal a jugé cette explication non satisfaisante, ainsi que l'explication selon laquelle la secrétaire avait supposé qu'il était marié parce qu'il portait une alliance; elle savait que le demandeur avait épousé Shaima au moment de la signature.

[22]            Le demandeur n'a pas remis de copie du certificat de mariage ou une preuve du décès de Shaima. Le tribunal a conclu que le demandeur avait des contacts avec qui il aurait pu communiquer, et il a jugé non satisfaisantes les raisons pour lesquelles il ne l'avait pas fait. Le manque général de documentation influait sur la crédibilité du demandeur. Le tribunal, qui était au courant de l'importance restreinte qu'il pouvait accorder à ce facteur, a dit ce qui suit :

Le tribunal sait très bien que la seule absence de preuves documentaires à l'appui d'un témoignage ne dément pas celui-ci. Cependant, le revendicateur est très instruit et il ne peut ignorer l'importance des documents. Il a su très tôt l'intérêt que portait le tribunal à ce document en particulier. [...] Le tribunal tire une conclusion défavorable de son manque de diligence à se procurer ce document et estime manquer dléments de preuve crédibles et fiables relativement au meurtre de Shaima.

[23]            Le tribunal a également exprimé des doutes en ce qui concerne l'allégation de l'intéressé selon laquelle les relations d'affaires qu'il entretenait avec un Israélien l'ont amené à craindre d'être persécuté à Gaza, ainsi qu'en ce qui concerne les allégations selon lesquelles son état de santé physique et mental était mauvais. En particulier, la SSR se demandait pourquoi le demandeur, s'il croyait être persécuté, se rendait dans des cliniques de l'État alors qu'il y avait également des cliniques qui étaient gérées par des organismes des Nations Unies.

ARGUMENTS

Arguments du demandeur

[24]            Le tribunal aurait dû tenir compte des antécédents personnels et familiaux du demandeur sous tous leurs aspects, à savoir, tout ce qui peut servir à indiquer que la demande est avant tout fondée sur la crainte. De plus, le tribunal peut arriver à une conclusion en se fondant sur une inférence raisonnable, mais il ne peut pas faire de simples conjectures. De même, le tribunal ne peut pas faire d'inférences au sujet des motifs et intentions si ces inférences ne sont pas étayées par la preuve.


[25]            Le tribunal a commis une erreur en mettant l'accent sur des incohérences qui ne sont pas cruciales. Les inférences qui sont faites au sujet de la vraisemblance d'un témoignage doivent être raisonnables. Le tribunal a fait de pures conjectures au sujet de la façon dont le père de Shaima aurait pu traiter le demandeur, et ce, à l'encontre de la preuve avancée.

[26]            Le tribunal a dit que les réponses données par l'intéressé étaient fausses ou que l'intéressé ne répondait pas, mais les exemples donnés par le tribunal ne touchent pas le noeud du litige; il s'agit plutôt de questions étrangères et conjecturales.

[27]            Le tribunal a conclu qu'il n'était pas vraisemblable que les relations d'affaires de l'intéressé avec un Israélien permettent avec raison à l'intéressé de craindre d'être persécuté. De fait, l'accusation de trahison a été fabriquée comme prétexte afin d'expliquer pourquoi l'intéressé risque d'être persécuté entre les mains de l'Autorité palestinienne; il était erroné pour le tribunal de ne pas s'en rendre compte.

[28]            Le tribunal n'a pas déterminé si, selon l'interprétation qu'il convient de donner à la preuve, il existait une crainte fondée de persécution au sens de la Convention, de sorte qu'il a commis une erreur de droit.


[29]            Il était également erroné de la part du tribunal de ne pas accepter les documents médicaux fournis par la clinique Beit Hanoun parce qu'il n'y avait pas de documents se rapportant à l'état de santé physique ou mental du demandeur provenant d'un établissement ou médecin au Canada. C'est cet état physique et mental au moment où le demandeur a quitté Gaza qui importe, et non si le demandeur a cherché à avoir des soins médicaux au Canada ou s'il devait chercher à en avoir.

[30]            En ne tenant pas compte du contexte dans lequel les documents lui avaient été présentés, le tribunal a commis une erreur de droit puisqu'il n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve qui lui avait été soumise d'une façon régulière.

[31]            Quant au fait que le demandeur a tardé à demander l'asile, le tribunal aurait dû se demander si le demandeur espérait que la situation s'améliore au point qu'il pourrait retourner dans son pays avant l'expiration de son visa de visiteur. Une fois le visa expiré, le demandeur a immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

Arguments du défendeur


[32]            Le défendeur note que le tribunal a mentionné le fait que le demandeur avait tardé à présenter sa revendication, l'absence de fondement étayant la revendication et l'omission de fournir des éléments de preuve crédibles et vraisemblables à l'appui de la revendication comme motifs de rejet de cette revendication. Le défendeur mentionne les arrêts Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 et Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.) à l'appui de la norme de contrôle fondée sur la décision manifestement déraisonnable à appliquer à la décision du tribunal ici en cause.

[33]            La présente cour devrait hésiter d'une façon toute particulière à modifier une conclusion tirée par un tribunal de la SSR au sujet de la crédibilité d'un témoin, puisque le tribunal est en mesure d'apprécier le témoignage oral qui a été présenté. Le tribunal a mentionné des exemples de comportement de la part du demandeur et les réponses évasives que celui-ci avait données.

[34]            L'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) étaye la règle selon laquelle les décisions défavorables relatives à la crédibilité sont valables dans la mesure où la SSR donne à l'appui des motifs en termes clairs et explicites. Or, c'est ce qui a été fait en l'espèce.

[35]            Le défendeur cite, aux pages 5 et 6, certaines conclusions tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité du demandeur. Certains de ces exemples se trouvent dans le résumé de la décision du tribunal qui a ci-dessus été fait.


[36]            Le demandeur n'a pas précisé les raisons pour lesquelles il aurait fallu présumer que ses déclarations sont exactes malgré les incohérences et invraisemblances touchant le fond de la revendication. Le tribunal a observé les critères qu'il convient d'appliquer lorsqu'il s'agit de déterminer la crédibilité.

[37]            Contrairement aux assertions du demandeur selon lesquelles le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve documentaire ou a mal interprété la preuve documentaire, le tribunal a pris en compte et soupesé de la façon appropriée de nombreux éléments de preuve, comme les renseignements au sujet des meurtres commis pour sauver l'honneur, des mariages arrangés et de l'exercice du pouvoir par l'Autorité palestinienne à Gaza par rapport au témoignage du demandeur.

[38]            Le tribunal pouvait à bon droit se fonder sur la preuve documentaire plutôt que sur la preuve présentée par le demandeur, qui n'était pas vraisemblable. De plus, on n'a démontré l'existence d'aucune erreur dans les conclusions tirées par le tribunal au sujet de l'exercice possible du pouvoir par les agents de sécurité de l'Autorité palestinienne.

[39]            Les paragraphes 68(4) et 68(5) de la Loi indiquent que le législateur voulait que la SSR soit en mesure d'admettre d'office une gamme de questions en plus de celles qu'admettrait une cour de justice. Cela inclut les renseignements qui sont publiés au sujet du pays, que le tribunal ici en cause pouvait à bon droit utiliser.

[40]            Subsidiairement, le défendeur affirme que le fait que les motifs écrits ne résument pas toute la preuve qui a été présentée ne constitue pas une erreur de droit susceptible de révision. De plus, les certificats médicaux de Gaza que le demandeur a soumis ne sauraient corroborer un témoignage qui n'est pas crédible; le tribunal n'y a accordé aucune importance, et ce, avec raison. Le tribunal pouvait également à bon droit tenir compte du temps qui s'était écoulé entre la date à laquelle le demandeur était arrivé ici et celle à laquelle il avait revendiqué le statut de réfugié.

ANALYSE

[41]            Les conclusions du tribunal qui sont contestées sont en bonne partie de nature factuelle. Étant donné que le tribunal a de l'expertise spécialisée à l'égard des revendications de réfugiés, il convient de se fonder sur la norme de contrôle qui s'applique aux décisions manifestement déraisonnables en ce qui concerne les conclusions factuelles qui ont été tirées. La procédure permettant de déterminer la norme de contrôle à appliquer a été expliquée en détail par Monsieur le juge Bastarache dans l'arrêt Pushpanathan, précité. Après avoir donné certains exemples de cas dans lesquels les décisions d'un tribunal portant sur des questions de fait et de droit ou même sur des questions comprenant un fort élément juridique peuvent faire l'objet de retenue de la part des cours de justice, le juge Bastarache a résumé la situation comme suit au paragraphe 35 :


Bref, une décision qui comporte jusqu'à un certain point l'exercice d'une expertise hautement spécialisée milite en faveur d'un degré élevé de retenue, et donc de la norme du caractère manifestement déraisonnable à l'une des extrémités de la gamme.

[42]            Le cas qui nous occupe en est un à l'égard duquel il est justifié de faire preuve d'un degré élevé de retenue.

[43]            Le demandeur a invoqué deux arrêts : Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.) et Permaul c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 53 N.R. 323 (C.A.F.) à l'appui de la prétention selon laquelle il faudrait présumer que le témoignage présenté sous serment est exact et que, lorsqu'il n'est pas intrinsèquement non crédible, on ne saurait simplement omettre d'en tenir compte ou le rejeter carrément.

[44]            Toutefois, il convient de noter que dans l'arrêt Maldonado, précité, Monsieur le juge Heald a dit ce qui suit au paragraphe 5 :

[...] En l'espèce, je ne vois aucune raison valable pour la Commission de douter de la sincérité des allégations susmentionnées du requérant.


[45]            Toutefois, en l'espèce, il existe suffisamment de raisons permettant au tribunal de douter de l'exactitude du témoignage du demandeur. En outre, même si chaque élément de preuve n'est peut-être pas mentionné dans les motifs de la décision, la SSR n'est pas tenue d'énumérer chaque élément de preuve dont elle a tenu compte afin de convaincre la cour qui procède à l'examen qu'elle l'a pris en considération : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 157 F.T.R. 35.

[46]            Le tribunal a tenu compte de la totalité de la preuve dont il était saisi. Le demandeur reproche au tribunal d'avoir tenu indûment compte d'un témoignage incohérent en ce qui concerne des questions qui ne touchent pas le fond du problème mais qui sont [TRADUCTION] « au mieux des questions étrangères » .

[47]            Avec égards, deux considérations ont pour effet d'annuler l'argument susmentionné. En premier lieu, en tenant compte de la preuve dans son ensemble afin de déterminer si le demandeur s'est acquitté de la charge de la preuve, le tribunal a tenu compte de presque tous les éléments de preuve dont il était saisi. Or, la SSR a le droit et la responsabilité de le faire. Les incohérences relevées dans le témoignage du demandeur, même en ce qui concerne des questions qui, de l'avis du demandeur, sont étrangères, influent sur la façon dont le tribunal percevait la crédibilité du demandeur dans son ensemble.


[48]            De plus, la preuve qui remédierait aux incohérences du témoignage du demandeur n'était pas disponible ou elle n'était pas suffisamment digne de foi pour qu'on lui accorde de l'importance. Ainsi, en l'absence d'un certificat de décès, nous ne pouvons même pas être certains que Shaima soit de fait décédée. Le demandeur ne soutient pas qu'il s'agit d'une considération étrangère. De plus, l'identité de la personne qui a signé les formulaires au nom du demandeur peut sembler accessoire par rapport aux événements cruciaux relatés par le demandeur, mais le fait que le demandeur se soucie si peu de la vérité qu'il permet à une autre personne de se faire passer pour lui peut uniquement laisser planer un doute sur la véracité de son témoignage lorsqu'il est considéré globalement.

[49]            Le deuxième facteur, dont il a été fait mention au paragraphe précédent, est qu'on ne saurait dire qu'une bonne partie de la preuve au sujet de laquelle le tribunal éprouvait certains doutes est étrangère. Ainsi, les raisons que le demandeur a invoquées pour expliquer sa situation auprès du père de Shaima en 1995, et le fait qu'il n'a pas vu Shaima pendant un an et demi après être revenu à Gaza, ont de l'importance. Ces raisons ne sont peut-être pas déterminantes en tant que telles, et le tribunal pourrait être soupçonné d'avoir examiné l'affaire à la loupe si c'était l'unique facteur remis en question, mais il s'agit néanmoins d'un lien important dans la suite des événements qui auraient censément abouti aux circonstances qui justifient - ou qui omettent de justifier - le bien-fondé de la revendication du demandeur. Dans la mesure où il ne fournit pas au tribunal les liens nécessaires pour établir une suite d'événements crédible et vraisemblable, le demandeur ne peut pas faire beaucoup de progrès lorsqu'il s'agit de s'acquitter de l'obligation qui lui incombe.

[50]            Le demandeur a soutenu que le retard, lorsqu'il s'est agi de revendiquer le statut de réfugié, n'est pas en fait un retard. Il a présenté sa demande dès que son droit de rester au Canada à d'autres fins allait s'éteindre. Il avait espéré dans l'intervalle que la situation s'améliorerait au point où il pourrait retourner chez lui.

[51]            À mon avis, le tribunal pouvait clairement à bon droit douter de la vraisemblance de la demande. Les problèmes allégués se sont échelonnés sur un certain nombre d'années. Il n'y avait pas lieu pour le demandeur de s'attendre à ce que ces problèmes disparaissent ou se règlent en quatre mois. En fait, le demandeur gagnait du temps au Canada et c'est ce que le tribunal considérait avec raison qu'il faisait.

[52]            Aux fins d'une revendication, il faut démontrer l'existence d'une crainte fondée sur des motifs reconnus par la Convention.

[53]            En l'espèce, le tribunal a eu raison de conclure que si le demandeur craignait l'Autorité palestinienne comme il allègue l'avoir craint, il ne se serait pas rendu dans des cliniques gérées par ces autorités alors qu'il y avait d'autres cliniques, et ce, d'autant plus qu'en expliquant ses problèmes au personnel d'une clinique sous le contrôle des autorités palestiniennes, il aurait probablement divulgué des renseignements à l'encontre de ses intérêts.


CONCLUSION

[54]            Enfin, le tribunal a prononcé des motifs détaillés à l'appui d'un ensemble de conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance. Ces conclusions étaient raisonnables et le tribunal de la SSR pouvait à bon droit tirer ces conclusions.

[55]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[56]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale au sens de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-1158-02

INTITULÉ :                                                                     WAEL QASEM

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 2 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                                  le 14 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Harvey Savage                                                             POUR LE DEMANDEUR

Mme Allison Phillips                                                           

Ministère de la Justice                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Rodney L.H. Woolf                                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

Toronto (Ontario)

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