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Date : 20021101

Dossier : T-492-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1130

ENTRE :

                                                                 MIHRALI CELIK

également connu sous le nom de Mihrali Celik faisant affaire sous la raison sociale

OXFORD BUILDING MAINTENANCE ENGINEERING

(entreprise personnelle), à London (Ontario), Canada

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 M. Mihrali Celik, faisant affaire sous la raison sociale « Oxford Building Maintenance Engineering (entreprise personnelle) » ( le demandeur), interjette appel de l'ordonnance rendue par le protonotaire adjoint Giles le 10 décembre 2001. Dans son ordonnance, le protonotaire adjoint a rejeté la requête introduite par le demandeur sollicitant l'infirmation de son ordonnance rendue le 11 octobre 2001. Par son ordonnance rendue le 11 octobre 2001, le protonotaire adjoint avait accueilli une requête introduite par Sa Majesté la Reine du chef du Canada (la défenderesse) demandant la radiation de la déclaration du demandeur parce qu'elle ne révélait aucune cause d'action.

CONTEXTE

[2]                 La défenderesse a déposé un avis de requête daté du 21 septembre 2001. Bien que l'avis de requête ne mentionnait expressément aucune règle des Règles de la Cour fédérale (1998), les observations écrites déposées à l'appui de cet avis montrent à l'évidence que la défenderesse se fondait sur les alinéas 221(1)c) et f). En gros, la défenderesse a prétendu que l'action devait être radiée parce qu'elle est frivole et vexatoire et qu'elle constitue un abus de la procédure dès lors qu'elle tente irrégulièrement de faire trancher de nouveau des questions déjà tranchées contre le demandeur dans des instances introduites devant notre Cour, la Cour d'appel fédérale, la Cour suprême de l'Ontario, la Cour supérieure de justice de l'Ontario et la Cour d'appel de l'Ontario.

[3]                 En prenant appui sur les observations écrites et orales présentées devant lui par les parties le 11 octobre 2001, le protonotaire adjoint Giles a accueilli la requête de la défenderesse demandant la radiation de la déclaration.

[4]                 Par la suite, le demandeur a introduit une requête datée du 10 décembre 2001 demandant en ces termes les recours suivants :


[TRADUCTION]

1.              Une ordonnance remettant en vigueur la décision du protonotaire A.K. Giles datée du 11 octobre 2001 ou portant qu'elle soit annulée.

2.              Une ordonnance autorisant le demandeur à continuer à poursuivre l'action.

3.              Une ordonnance visant l'obtention de directives, le cas échéant.

4.              Tout autre redressement que la Cour estime juste.

[5]                 Les moyens à l'appui de la présente requête comprennent notamment les moyens suivants :

[TRADUCTION]

3. Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur en radiant la déclaration du demandeur/appelant en s'appuyant sur un principe erroné du droit fédéral.

...

7. Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur en évitant l'ordonnance formelle lorsqu'il a officieusement demandé à l'avocat de la Couronne d'expliquer et de fournir au demandeur/appelant une liste des paiements conformes dont l'avocat de la défenderesse/intimée n'a pas tenu compte et a tiré avantage de son ordonnance informelle.

[6]                 À la suite d'une audience tenue le 10 décembre 2001, le protonotaire adjoint a rejeté la requête du demandeur.

[7]                 Le 19 décembre 2001, le demandeur a déposé l'avis de requête dont la Cour est maintenant saisie. Il demande les recours suivants :


[TRADUCTION]

1.             Une ordonnance annulant la décision du protonotaire A.K. Giles datée du 10 décembre 2001.

2.             Une ordonnance autorisant le demandeur/appelant à continuer à poursuivre l'action de la manière habituelle jusqu'au procès.

3.             Subsidiairement, une ordonnance portant que l'action soit conduite en tant qu'instance à gestion spéciale conformément à la règle 384 et aux alinéas 385(1)a)b)c) des Règles de la Cour fédérale,

4.             Une ordonnance visant l'obtention de directives, le cas échéant, pour faciliter le jugement juste et opportun de la présente espèce.

5.             Tout autre redressement que la Cour estime juste.

[8]                 Le dossier de la requête du demandeur énonce comme suit les moyens à l'appui de la présente requête :

[TRADUCTION]

1.             Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur dans son application du droit fédéral portant sur la compétence de la Section de première instance de la Cour fédérale prévue au paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale concernant les recours contre la Couronne.

2.             Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur en radiant la déclaration du demandeur/appelant en se fondant sur un principe erroné du droit fédéral.

3              Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur en entendant la requête en l'absence d'une défense en conformité avec la règle 204 des Règles de la Cour fédérale.

4.             Lorsque le protonotaire de la cour des requêtes a radié l'affidavit souscrit par l'un des dirigeants financiers de la défenderesse/intimée pour le motif qu'il existait une preuve concluante établissant que le demandeur/appelant a subi un préjudice en raison de l'erreur de l'auteur de l'affidavit, en ne permettant pas de contre-interrogatoire conformément à la règle 83 des Règles de la Cour fédérale.


5.             Le protonotaire de la cour des requêtes a omis d'évaluer le préjudice causé par l'omission de la défenderesse/intimée de communiquer des éléments de preuve pertinents et probants demandés par le demandeur/appelant en vertu de la loi fédérale sur le droit à l'information l'empêchant de répondre pleinement à des paiements qui auraient été faits dans le cadre du marché de nettoyage de l'édifice fédéral situé au 185, avenue Ouellette, ce qui constitue essentiellement une dissimulation entraînant un déni de justice.

6.             Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur au regard du droit fédéral en ne se rendant pas compte que le demandeur/appelant ne lui demandait pas de modifier des ordonnances rendues par d'autres tribunaux ou de leur donner une nouvelle interprétation puisque la présente action contre la Couronne a trait à une double facturation qui a causé un préjudice au demandeur/appelant.

7.             Le protonotaire de la cour des requêtes a commis une erreur en évitant l'ordonnance formelle lorsqu'il a officieusement demandé à l'avocat de la Couronne d'expliquer et de fournir au demandeur/appelant une liste des paiements conformes dont l'avocat de la défenderesse/intimée n'a pas tenu compte et a tiré avantage de son ordonnance informelle.

[9]                 Dans la déclaration qu'il a déposée dans la présente action, le demandeur sollicite une déclaration portant que la défenderesse a omis de produire les renseignements pertinents et probants demandés par le demandeur avant le début d'un procès ayant trait à un contrat de nettoyage de locaux situés au 185, avenue Ouellette, Édifice fédéral, à Windsor, en Ontario. Dans sa décision, le protonotaire adjoint a conclu que l'affaire avait été pleinement tranchée par un tribunal compétent et a accueilli la demande de la défenderesse de radier la déclaration parce qu'elle était vexatoire et qu'elle constituait un abus de la procédure.


[10]            L'historique de la présente action est long. En 1985, le demandeur a introduit une instance devant notre Cour dans l'affaire no T-2468-85; il sollicitait une déclaration selon laquelle la défenderesse avait illégalement résilié un contrat de nettoyage de l'édifice fédéral situé avenue Ouellette, à Windsor. Il demandait également des dommages-intérêts. L'action avait été introduite en novembre 1985 et jugement a été rendu le 24 septembre 1988 en faveur de la défenderesse. La Cour a conclu que le contrat avait été résilié selon les modalités contractuelles et que cette résiliation était justifiée.

[11]            Avis d'appel a été déposé contre ce jugement dans la cause A-1054-88 devant la Cour d'appel fédérale. Cet avis d'appel a été radié pour des raisons de procédure le 14 mars 1989, le demandeur n'ayant pas signifié son avis d'appel. Le 2 novembre 1989, une demande d'annulation de l'ordonnance du 4 mars 1989 a été rejetée.

[12]            Le 15 juillet 1986, le procureur général du Canada a introduit une instance devant la Cour suprême de l'Ontario contre La Compagnie d'Assurance USF & G du Canada, anciennement Fidelity Insurance Company of Canada, dans la cause no 12807/86 devant la Cour suprême de l'Ontario. Cette action était fondée sur un cautionnement de bonne exécution fourni par La Compagnie d'Assurance USF & G en garantie du contrat de nettoyage conclu entre le demandeur et la Couronne fédérale.

[13]            Jugement par consentement a été inscrit dans l'action principale portant le numéro de dossier 12807/86, devant la Cour suprême de l'Ontario, le 19 avril 1989, en faveur du procureur général du Canada. Les parties se sont entendues sur la question des dommages-intérêts, des intérêts avant jugement et des dépens; le jugement porte la date du 19 avril 1989.

[14]            Le 14 novembre 1986, La Compagnie d'Assurance USF & G du Canada a délivré une mise en cause contre le demandeur devant la Cour suprême de l'Ontario dans l'affaire portant le numéro de dossier 12807/86. Le 24 mars 1999, le juge Browne a rendu le jugement dans cette mise en cause, numéro de dossier 5596F/90, une continuation de l'affaire portant le numéro de dossier 12807/86 devant la Cour suprême de l'Ontario; il a donné raison à La Compagnie d'Assurance USF & G contre le demandeur.

[15]            Avis d'appel a été déposé par le demandeur, le mis en cause, dans l'affaire portant le numéro de dossier C-31897 devant la Cour d'appel de l'Ontario, et par jugement manuscrit en date du 21 août 2000, l'appel a été rejeté.

[16]            Le 31 août 2000, la Cour d'appel de l'Ontario a été saisie d'une autre demande dans l'affaire portant le numéro de dossier C-31897; cette demande sollicitait le réexamen et la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel. Par lettre du 21 septembre 2000, la demande a été rejetée par M. John H. Kromkamp, conseiller juridique principal auprès la Cour d'appel de l'Ontario.


[17]            Le 17 octobre 2000, le mis en cause, c'est-à-dire le demandeur dans la présente action, a saisi la Cour supérieure de justice de l'Ontario d'une motion en présentation de nouveaux éléments de preuve dans l'affaire portant le numéro de dossier 12807A/86. Un dossier de motion supplémentaire daté du 4 décembre 2000 a été déposé. Par jugement manuscrit et ordonnance portant la date du 11 décembre 2000, la motion du mis en cause en présentation de nouveaux éléments de preuve a été rejetée par le juge Browne.

[18]            Par avis d'appel daté du 19 décembre 2000 déposé devant la Cour d'appel de l'Ontario, le demandeur a cherché à interjeter appel contre cette ordonnance.

[19]            La Cour d'appel de l'Ontario a délivré un jugement manuscrit le 28 juin 2001 rejetant l'appel de l'ordonnance rendue le 11 décembre 2000 par le juge Browne.

[20]            Le 19 décembre 1997, un avis d'action émanant d'Oxford Building Maintenance Engineering à l'intention de Sa Majesté la Reine du chef du Canada a été déposé à la Cour de l'Ontario (Division générale), numéro de dossier 2770. Un avis de désistement dans cette affaire a été déposé le 24 décembre 1997 et un autre avis de désistement a été déposé le 15 avril 1998.


[21]            Le demandeur est revenu devant la Cour fédérale et, le 15 avril 1998, il a introduit une action devant la Section de première instance de la Cour fédérale entre Oxford Building Maintenance Engineering et Sa Majesté la Reine du chef du Canada dans l'affaire portant le numéro de dossier T-955-98 concernant un dépôt de garantie qui avait été payé relativement au contrat de nettoyage de l'édifice situé au 185, avenue Ouellette. Par ordonnance du 29 juillet 1998, l'action portant le numéro de dossier T-955-98 a été rejetée pour cause de retard à la suite d'un examen de l'état d'instance. Une requête en annulation de cette ordonnance a été rejetée par une autre ordonnance du 23 août 1999. Appel de cette ordonnance devant la Cour d'appel fédérale a été rejeté le 24 août 2000. Le 6 septembre 2001, la demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada, présentée le 19 décembre 2000 dans le dossier du greffe de la Cour suprême numéro 28331 a été rejetée.

[22]            Puis, deux autres actions ont été introduites devant la Cour de justice de l'Ontario, soit l'affaire portant le numéro de dossier 31176 et celle portant le numéro de dossier B31288/89 contre la Couronne du chef de l'Ontario et un cabinet d'avocats. Les motions en radiation de l'action par application du principe de la chose jugée et pour abus de procédure ont été accueillies.

[23]            Dans les motifs de son jugement, rendus le 1er octobre 1999, le juge Killeen, après avoir relaté le long historique du litige concernant le demandeur et le contrat, a rejeté l'action. Ayant déclaré que le demandeur ne voulait pas reconnaître et accepter les résultats des litiges antérieurs, il a dit ce qui suit :

[TRADUCTION] Ces actions entreprises par le demandeur sont malheureuses parce que le demandeur cherche clairement par ce moyen à faire juger de nouveau des décisions judiciaires qui l'ont débouté, directement ou indirectement. Certains plaideurs ne peuvent accepter leur défaite devant les tribunaux et se résoudre à continuer leur vie. J'ai bien peur que le demandeur tombe dans cette catégorie.

...


Toutes les poursuites judiciaires doivent suivre le cycle de la vie elle-même. Elles doivent prendre naissance, vivre et puis arriver à terme ou mourir, si vous préférez. Dans la présente action, M. Celik, comme dans son autre action, désire rouvrir ses pertes antérieures et, espère-t-il ainsi arracher la victoire des séquelles des pertes antérieures. Les principes de la chose jugée et de l'abus de la procédure doivent être appliqués pour rejeter la présente action ainsi que l'action contre la Couronne provinciale et les avocats défendeurs.

[24]            Appel a été interjeté du jugement du juge Killeen devant la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire portant le numéro de dossier C-33009 et, dans un jugement manuscrit en date du 10 mai 2000, la Cour d'appel de l'Ontario a rejeté l'appel.

[25]            Le protonotaire adjoint avait devant lui tous les documents pertinents à l'appui de cette longue litanie de litiges lorsqu'il a rendu son ordonnance initiale le 11 octobre 2001, accueillant la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration. Le protonotaire adjoint a conclu son ordonnance en ces termes :

[TRADUCTION] La déclaration est radiée parce que la présente Cour n'a pas compétence pour modifier une décision de la Cour de l'Ontario et une tentative, au moyen d'une nouvelle action, de donner une nouvelle interprétation à des décisions rendues par d'autres tribunaux constitue un abus de la procédure.

[26]            Sur requête en réexamen entendue par le protonotaire adjoint le 10 décembre 2001, il a confirmé son ordonnance originale dans les termes suivants :


[TRADUCTION] LA COUR ORDONNE QUE : La présente requête est rejetée parce que la Cour n'a pas compétence pour modifier une ordonnance d'une cour de première instance ou d'appel de l'Ontario et ne peut rendre une ordonnance qui aurait pour effet d'accorder un recours interlocutoire à l'égard des décisions des tribunaux de l'Ontario. Cette question a été expliquée en octobre lorsque j'ai demandé officieusement à l'avocat de la Couronne d'expliquer une liste de paiements. J'ai mentionné à l'époque que je n'avais aucune compétence pour ordonner qu'une explication soit fournie, mais que j'espérais que la production d'une explication mettrait fin aux litiges. Une explication n'a pas été donnée à la satisfaction de M. Celik, ce qui explique pourquoi il a présenté cette requête. Je n'ai aucune compétence aujourd'hui tout comme je n'en avais pas à l'époque.

ANALYSE

[27]            Le demandeur interjette maintenant appel de l'ordonnance du protonotaire adjoint en date du 10 décembre 2001. Cette ordonnance rejetait une requête introduite par le demandeur sollicitant l'annulation d'une ordonnance antérieure du protonotaire adjoint en date du 11 octobre 2001. Le demandeur n'a pas interjeté appel de l'ordonnance du 11 octobre.

[28]            L'ordonnance attaquée en appel constitue donc une ordonnance complémentaire à l'ordonnance du 11 octobre 2001. À mon avis, la question précise soulevée dans le présent appel est de savoir si le protonotaire adjoint a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire lorsqu'il a confirmé, le 10 décembre 2001, son ordonnance antérieure du 11 octobre 2001. Toutefois, compte tenu de la norme de contrôle applicable à l'appel d'une décision du protonotaire, il convient nécessairement d'examiner le bien-fondé de l'ordonnance rendue le 11 octobre 2001.

[29]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a exposé dans les termes suivants la norme de contrôle applicable aux décisions d'un protonotaire :

... J'estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants :


a)              elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b)              le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

Dans ces deux catégories de cas, le juge des requêtes ne sera pas lié par l'opinion du protonotaire; il reprendra l'affaire de novo et exercera son propre pouvoir discrétionnaire.

[30]            L'effet de l'ordonnance rendue le 11 octobre 2001 était de statuer définitivement sur l'action du demandeur; c'est là le résultat inévitable de l'ordonnance radiant la déclaration. L'ordonnance rendue le 10 décembre 2001, sur requête en réexamen, a confirmé l'ordonnance antérieure. Le résultat est le même : l'action du demandeur est radiée. En conséquence, sur appel de cette ordonnance, la Cour doit décider si le protonotaire adjoint a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir judiciaire en rendant l'ordonnance du 10 décembre 2001 aux termes de laquelle il a confirmé son ordonnance antérieure radiant la déclaration du demandeur pour le motif qu'elle était frivole et vexatoire et constituait un abus de la procédure.

[31]            En l'espèce, le demandeur a organisé sa déclaration sous diverses rubriques, y compris une conduite illégale par la défenderesse concernant l'exécution par le demandeur du contrat de nettoyage et d'entretien de l'édifice situé au 185, avenue Ouellette, à Windsor, en Ontario, la violation d'une obligation fiduciaire, des violations de la Charte canadienne des droits et libertés et l'omission de communiquer des éléments de preuve.

[32]            La présente requête se rapporte à des ordonnances rendues par le protonotaire adjoint et non à des propos qu'il aurait tenus dans le cours des instances dont il était saisi. Le demandeur accorde beaucoup d'importance aux commentaires suivants que le protonotaire adjoint Giles a émis le 11 octobre :

[TRADUCTION] Non, M. Celik, je regrette. On ne peut s'éterniser. Je vous ai communiqué la décision que j'ai prise, c'est-à-dire que la déclaration doit être radiée, et je vous ai expliqué mes raisons de deux façons. Maintenant, voici ce que je dirai à la Couronne. Il me semble, certes, qu'il serait utile de communiquer avec les fonctionnaires du ministère des Travaux publics pour donner une explication exacte de l'effet de ce document et en fournir une explication, peut-être par écrit, à M. Celik. Mais il ne s'agit là que d'un geste de relations publiques. Je ne peux pas rendre d'ordonnance.

[33]            Je me rallie à l'argument de la défenderesse à l'égard de la présente requête : en se fondant sur ces commentaires, le demandeur tente de détourner le sens de ce qui s'est passé devant le protonotaire adjoint le 11 octobre 2001. À mon avis, les propos précités représentent simplement une tentative du protonotaire adjoint d'encourager la tenue de discussions entre les parties dans l'espoir d'aboutir à une conclusion que le demandeur trouverait satisfaisante d'une certaine manière. Ces commentaires ne font pas partie de son ordonnance; le présent appel ne peut porter que sur une ordonnance rendue par le protonotaire adjoint.

[34]            L'ordonnance du protonotaire était fondée sur une allégation selon laquelle l'action du demandeur était frivole et vexatoire et constituait un abus de la procédure.

[35]            Les alinéas 221(1)c) et f) sont pertinents et prévoient ce qui suit :


À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

...

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

...

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence

On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

  

...

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

...

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[36]            Dans l'arrêt Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (C.F. 1re inst.), le juge Pratte (alors juge de première instance à la Cour fédérale), s'exprimant au sujet d'une des règles qui ont précédé l'alinéa 221(1)c), a déclaré ce qui suit, à la page 736 :

Enfin, une déclaration ne doit pas, à mon avis, être radiée pour le motif qu'elle est vexatoire ou futile, ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, pour la seule raison que, de l'avis du juge qui préside l'audience, l'action du demandeur devrait être rejetée. Je suis d'avis que le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu'il ne soit évident que l'action du demandeur est tellement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de réussir, quel que soit le juge devant lequel l'affaire sera plaidée au fond. C'est uniquement dans ce cas qu'il y a lieu d'enlever au demandeur l'occasion de plaider.

[37]            Ce critère s'applique en l'espèce. À mon avis, le très long litige qui a entouré ce contrat, y compris la question des éléments de preuve qui n'ont pas été communiqués au demandeur par la défenderesse, illustre clairement la futilité de la présente action. Les questions en litige ont déjà été tranchées et, malheureusement pour le demandeur, elles ont été décidées contre lui.

[38]            Quant à l'allégation selon laquelle la continuation de la présente action constitue un abus de la procédure, à la lumière de la jurisprudence existante, je renvoie à l'arrêt Black c. NsC Diesel Power Inc. (Bankrupt) (2000), 183 F.T.R. 301 (1re inst.). Dans cette affaire, la Cour a conclu que les tentatives répétées pour faire trancher essentiellement le même litige en désignant les parties sous des noms légèrement différents ou en agissant en diverses qualités et en invoquant des dispositions législatives légèrement différentes constituaient un abus de procédure dans le contexte de l'alinéa 221(1)f). En l'espèce, le demandeur tente de faire trancher de nouveau des litiges qui ont déjà été examinés et jugés par plusieurs tribunaux, tous compétents.

[39]            Après avoir examiné les documents qui ont été déposés dans le cadre de la requête, y compris les copies des plaidoiries pertinentes dans les actions entreprises devant la Cour fédérale du Canada, la Cour d'appel fédérale, la Cour suprême de l'Ontario (tel était alors son titre), la Cour supérieure de l'Ontario, la Cour d'appel de l'Ontario, et dans le cadre de la demande d'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, il apparaît que les questions actuellement soulevées par le demandeur dans la déclaration déposée dans la présente instance ont déjà été examinées et tranchées, y compris celle de la présentation d'éléments de preuve qui, prétend-on, ne pouvaient être obtenus au moment du procès.


[40]            Je ne vois aucune erreur dans la façon dont le protonotaire adjoint a rendu son ordonnance. Il a pleinement examiné les principes juridiques applicables ainsi que les faits pertinents. Il a bien exercé son pouvoir discrétionnaire. Les questions ont été tranchées par des tribunaux compétents. Dans les circonstances, la déclaration déposée dans la présente instance est frivole et vexatoire et constitue un abus de la procédure parce que les questions ont déjà été tranchées. L'appel est rejeté avec dépens.

ORDONNANCE

L'action est rejetée avec dépens.

  

                                                                                         « E. Heneghan »   

Juge             

  

OTTAWA (ONTARIO)

Le 1er novembre 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-492-01

INTITULÉ :                                           Mihrali Celik et autres c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 10 juin 2002

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       Le 1er novembre 2002

  

COMPARUTIONS :

Mihrali Celik                                                          POUR LE DEMANDEUR

John Lucki                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mihrali Celik                                                          POUR LE DEMANDEUR

London (Ontario)

  

Morris Rosenberg                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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