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Date : 20200402


Dossier : IMM‑2745‑19

Référence : 2020 CF 482

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

HARKARAN SINGH BHAMRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est venu au Canada en août 2014 muni d’un permis d’études. Son permis d’études a expiré le 31 mars 2018 et il ne l’a pas renouvelé. Il a demandé un permis de séjour temporaire et un nouveau permis d’études alors qu’il se trouvait encore au Canada, mais les deux demandes ont été rejetées. Le refus de délivrer le permis de séjour temporaire fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée, puisque j’ai conclu que la décision de l’agente des visas de refuser de lui délivrer un permis de séjour temporaire était raisonnable.

Le contexte

[3]  Le demandeur, un citoyen de l’Inde, est venu au Canada muni d’un permis d’études pour étudier au Collège Sheridan en Ontario. À un certain moment, il a changé de programme pour aller en gestion des affaires au Collège Northern Lights en Colombie‑Britannique. Son permis d’études a expiré le 31 mars 2018.

[4]  En janvier 2018, l’oncle du demandeur est décédé. Le demandeur affirme qu’il était désemparé et qu’il a fait des crises de panique et une dépression. Puis, son grand‑père est décédé en juillet 2018.

[5]  Le demandeur affirme qu’il s’est seulement rendu compte que son permis d’études avait expiré après le décès de son grand‑père.

[6]  Le demandeur a présenté une demande de permis de séjour temporaire pour pouvoir rester au Canada.

[7]  Sa demande de permis de séjour temporaire a été rejetée en avril 2019.

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  L’agente a souligné que le demandeur sollicitait un permis de séjour temporaire au motif que, à la suite du décès de son oncle et de son grand‑père, il était déprimé et incapable de gérer ses études ou le renouvellement de son permis d’études.

[9]  L’agente a conclu que le demandeur n’avait [traduction] « fourni aucun document pour corroborer ses allégations » et qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve [traduction] « pour démontrer qu’il éprouverait des difficultés s’il devait retourner dans son pays d’origine pour régulariser son statut ».

[10]  L’agente a souligné qu’il incombait au demandeur de la convaincre que des raisons impérieuses justifiaient qu’un permis de séjour temporaire lui soit délivré, ce qu’il n’a pas réussi à faire.

Les questions en litige

[11]  Le demandeur soulève deux questions à l’égard de la décision :

  1. L’agente a‑t‑elle fait abstraction de la preuve?

  2. L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère?

La norme de contrôle

[12]  La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer aux décisions administratives est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 23 [Vavilov]). Aucune des exceptions qui justifieraient l’application de la norme de la décision correcte, soit des questions constitutionnelles, des questions générales d’importance capitale pour le système juridique ou des questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, ne s’applique en l’espèce (Vavilov, au par. 17).

[13]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit se demander « si [elle] possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si [elle] est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). Une décision raisonnable doit être intrinsèquement cohérente et fondée sur une analyse rationnelle (Vavilov, au par. 85).

Analyse

1.  L’agente a‑t‑elle fait abstraction de la preuve?

[14]  Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en concluant qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve pour étayer sa demande. Il affirme que des éléments de preuve au dossier confirment le décès de son oncle et de son grand‑père. Il mentionne également les déclarations écrites de sa sœur et de son beau‑frère attestant de son état émotionnel après ces décès.

[15]  Le demandeur s’appuie sur la décision Martin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 422, au paragraphe 33 [Martin], où la Cour a affirmé ce qui suit :

[…] le permis de séjour temporaire a pour but de « rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des “raisons impérieuses” pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR » […] La Cour est d’avis que cette analyse des « raisons impérieuses » ne peut raisonnablement être entreprise sans un examen complet des facteurs mentionnés précédemment [renvois omis].

[16]  Bien que la décision de l’agente soit brève, elle a énoncé les motifs qui l’ont menée à conclure que le demandeur n’avait pas établi l’existence de « raisons impérieuses » justifiant qu’un permis de séjour temporaire lui soit délivré. Entre autres, le demandeur n’a fourni aucune preuve de sa dépression et n’a pas non plus démontré qu’il n’était pas en mesure de régulariser son statut depuis l’Inde. L’agente fait référence à l’absence d’éléments de preuve en ce qui a trait à l’état dépressif du demandeur, qui est, selon lui, la raison pour laquelle il n’a pas pu gérer ses études ou renouveler son permis d’études.

[17]  Le demandeur a présenté des éléments de preuve démontrant sa participation à des activités scolaires et communautaires. Toutefois, cette [TRADUCTION] « preuve de moralité » ne démontre pas que le décès de son oncle et de son grand‑père l’a rendu incapable au point de ne pas pouvoir renouveler son visa. Même s’« [i]l ne fait aucun doute qu’une bonne réputation représente une condition préalable à l’obtention d’un permis de séjour temporaire » (Arora c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2018 CF 448, au par. 9), il s’agit d’un facteur parmi d’autres. Il faut plus d’éléments de preuves pour satisfaire à l’exigence des raisons impérieuses.

[18]  À mon avis, l’agente n’a pas fait fi de la preuve. Il était raisonnable pour elle de s’attendre à ce que des éléments de preuve confirment l’incapacité du demandeur à renouveler son permis d’études.

2.  L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère?

[19]  Le demandeur soutient que l’agente a appliqué le mauvais critère en affirmant que [traduction« le client n’a fourni aucune preuve qu’il éprouverait des difficultés s’il devait retourner dans son pays d’origine pour régulariser son statut ».

[20]  Le demandeur soutient que l’agente devait tenir compte de l’article 24 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui prévoit qu’un permis de séjour temporaire peut être délivré lorsque « les circonstances le justifient ». Le demandeur soutient que cette disposition ne mentionne pas que la question des [traduction] « difficultés à retourner dans un pays d’origine » fait partie du critère et que, par conséquent, l’agente a commis une erreur.

[21]  L’article 24 de la LIPR dispose :

24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire – titre révocable en tout temps.

[22]  « On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des “raisons impérieuses” pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. » (Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275, au par. 22 [Farhat])

[23]  Le demandeur affirme que l’agente aurait dû tenir compte de la liste non exhaustive des facteurs énoncés dans le guide de CIC et soutient qu’une analyse des « raisons impérieuses » est incomplète sans un examen complet de ces facteurs (Martin, au par. 28). Voici les facteurs énoncés dans la décision Martin :

  • les facteurs rendant nécessaire la présence du demandeur au Canada;

  • l’intention des dispositions législatives;

  • le but essentiel de la présence du demandeur au Canada;

  • le type et la catégorie de demande (y compris la composition familiale pertinente, tant dans le pays d’origine qu’au Canada);

  • s’il est question de traitements médicaux, l’accessibilité raisonnable, ou non, du traitement au Canada ou ailleurs;

  • les avantages corporels ou incorporels auxquels peuvent s’attendre le demandeur ou d’autres personnes concernées;

  • l’identité du répondant, de l’hôte ou de l’employeur.

[24]  Les deux premiers facteurs susmentionnés sont obligatoires, alors que les cinq autres ne le sont pas (Martin, au par. 28).

[25]  En l’espèce, en faisant référence à la question des difficultés à retourner en Inde, l’agente n’a pas modifié le critère des « raisons impérieuses » – qui ne se rapporte qu’aux deux facteurs obligatoires énoncés dans la décision Martin. L’agente s’est penchée sur les « facteurs qui rendent nécessaire la présence [du demandeur] au Canada » lorsqu’elle a dit qu’il pouvait partir pour régulariser son statut, ce qui signifie que sa présence physique n’était pas nécessaire pour présenter une nouvelle demande de statut.

[26]  En ce qui concerne l’intention des dispositions législatives, le fait que le demandeur puisse retourner en Inde est pertinent, car les permis de séjour temporaires visent à « rendre moins sévères les conséquences » de la stricte application de la LIPR. L’obligation de quitter le Canada est la conséquence que le demandeur tente d’éviter; par conséquent, le fait que la décision de l’agente n’a pas rendu cette conséquence moins sévère ne signifie pas qu’elle n’a pas tenu compte de l’intention du régime législatif, comme elle le devait.

[27]  Les permis de séjour temporaires visent à répondre à des circonstances exceptionnelles (Farhat, au par. 22), et la décision d’accorder un permis de séjour temporaire est hautement discrétionnaire. Il incombait au demandeur d’établir l’existence de raisons impérieuses justifiant de lui accorder un permis de séjour temporaire (Stordock c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 16, au par. 9).

[28]  Le demandeur soutient que, comme l’agente n’a pas mentionné les lettres fournies par sa sœur et son beau‑frère, la décision est déraisonnable. Dans sa déclaration écrite, la sœur du demandeur a affirmé que [traduction] « la famille a connu des moments difficiles par le passé et a vécu un bouleversement émotif qui lui a fait du mal » et que le demandeur [traduction] « a fait tout son possible pour que la famille reprenne une vie normale ». Son beau‑frère a affirmé que [traduction] « la famille du demandeur a vécu une période vraiment difficile, car la perte de personnes très proches lui a fait mal » et que, comme il a eu de la difficulté à gérer [traduction] « toutes les mauvaises nouvelles qui lui sont arrivées, il n’a pas su poursuivre ses études de façon responsable ».

[29]  Les lettres ne font pas état de la dépression du demandeur ou de son incapacité à poursuivre ses études, mais indiquent toutes deux qu’il a fait des erreurs en ce qui concerne ses études et qu’il essaie de corriger la situation. Dans les circonstances, il était raisonnable pour l’agente de ne pas mentionner ces lettres, car elles ne font pas état des « raisons impérieuses », soit la dépression du demandeur et son incapacité subséquente de renouveler son permis d’études, justifiant d’accorder la réparation demandée.

[30]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fait observer ce qui suit au paragraphe 103 :

Bien que […] il faille interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés, une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle ».

[31]  Si l’on considère les motifs de l’agente à la lumière des éléments de preuve fournis par le demandeur, on remarque que les déclarations des membres de la famille n’abordent pas la question examinée par l’agente. Le demandeur soutient qu’il n’a pas renouvelé son permis d’études parce qu’il était déprimé. Or, aucun élément de preuve n’a été présenté pour aider l’agente à comprendre pourquoi le demandeur n’a pas été en mesure de s’occuper de son permis d’études. L’agente a été contrainte par l’exigence des « raisons impérieuses » dans son évaluation de la demande de permis de séjour temporaire. Dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 915, au paragraphe 22, la Cour a confirmé que, comme le permis de séjour temporaire « fait partie d’un “régime exceptionnel”, sa délivrance doit être justifiée par des éléments de preuve démontrant quelque chose de plus qu’un simple inconvénient pour le demandeur ».

[32]  En l’espèce, l’agente n’était pas convaincue de l’existence de raisons impérieuses; par conséquent, la conclusion de l’agente est raisonnable.

[33]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2745‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de juin 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2745‑19

 

INTITULÉ :

HARKARAN SINGH BHAMRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 2 AVRIL 2020

COMPARUTIONS :

Jeremiah A. Eastman

POUR LE DEMANDEUR

Charles J. Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eastman Law Office Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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