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Date : 20200423


Dossier : IMM‑5010‑19

Référence : 2020 CF 550

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2020

En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly

ENTRE :

PATIENCE NGOZI ONWUANAGBULE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 2017, Mme Patience Onwuanagbule a présenté une demande d’asile au Canada, alléguant qu’elle avait été exposée à de la persécution dans son pays d’origine, le Nigéria, en raison de son orientation sexuelle. Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile en raison de l’absence d’éléments de preuve crédibles. Mme Onwuanagbule a interjeté appel à l’encontre de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a rejeté son appel, au motif que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et le traitement que celle‑ci avait fait de la preuve étaient corrects. La SAR a également rejeté l’argument de Mme Onwuanagbule selon lequel la SPR n’avait pas examiné les risques auxquels elle serait exposée au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2201, c 27 [la LIPR] (voir en annexe).

[2]  Mme Onwuanagbule demande le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Elle soutient que la SAR a traité sa demande de façon inéquitable en tirant des conclusions défavorables quant à sa crédibilité sans lui donner l’occasion d’y répondre. En outre, elle soutient que la SAR a déraisonnablement écarté les éléments de preuve qui étayaient sa demande d’asile. Enfin, Mme Onwuanagbule prétend que la SAR, à l’instar de la SPR, n’a pas examiné sa demande d’asile au regard de l’article 97 de la LIPR. Elle demande à la Cour d’annuler la décision de la SAR et d’ordonner qu’un autre tribunal réexamine son appel.

[3]  Je souscris à l’argument de Mme Onwuanagbule selon lequel la SAR a traité sa demande de façon inéquitable en lui refusant l’occasion de dissiper les doutes que celle‑ci avait sur la crédibilité. Il s’agit là d’un motif suffisant pour infirmer la décision de la SAR. Il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres moyens qu’elle a soulevés. Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

[4]  La seule question que la Cour doit trancher est de savoir si la SAR a traité la demande de Mme Onwuanagbule de façon inéquitable.

II.  La décision de la SAR

[5]  La SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité. En particulier, elle a conclu que la SPR avait donné à Mme Onwuanagbule une occasion de dissiper les doutes qu’elle avait sur la crédibilité.

[6]  En outre, la SAR a souscrit aux conclusions de la SPR en ce qui a trait aux éléments de preuve suivants. La SPR avait accordé peu de poids aux photographies de Mme Onwuanagbule avec sa partenaire, étant donné qu’elles ne corroboraient pas l’existence d’une relation avec une personne du même sexe. La SPR a également accordé peu de poids à une lettre et à une fiche de présence fournies par la Metropolitan Community Church (MCC), une congrégation favorable aux personnes LGBTQ. Là encore, la SPR a conclu que cet élément de preuve ne permettait pas de tirer une conclusion sur l’orientation sexuelle de Mme Onwuanagbule.

[7]  De plus, la SPR a écarté la valeur probante de deux affidavits déposés par Mme Onwuanagbule. Le premier affidavit, provenant d’un ami de la famille, faisait état des allégations de persécution au Nigéria formulées par Mme Onwuanagbule. Le second affidavit, provenant de la mère de Mme Onwuanagbule, décrivait le moment où elle avait découvert l’homosexualité de sa fille.

[8]  La SAR était convaincue que la SPR avait effectué une analyse au regard de l’article 97, compte tenu de sa conclusion selon laquelle Mme Onwuanagbule n’avait pas réussi à établir qu’elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture, si elle retournait au Nigéria.

III.  La SAR a‑t‑elle traité la demande de Mme Onwuanagbule de façon inéquitable?

[9]  Mme Onwuanagbule soutient que la SAR a tiré une conclusion indépendante quant à la crédibilité relativement à ses affidavits et qu’elle ne lui a pas donné l’occasion de dissiper ses doutes. Elle affirme que l’équité exigeait que la SAR exprime ses doutes au sujet des affidavits et l’interroge à cet égard.

[10]  La SAR a fait observer que la déclaration de la mère n’était pas claire au sujet de la personne qui l’avait informée de l’orientation sexuelle de Mme Onwuanagbule. La SAR a également souligné que, selon les affidavits, les déposants n’avaient « aucune connaissance directe des allégations de [Mme Onwuanagbule] ». Pour ces motifs, la SAR n’a donné aucun poids aux affidavits.

[11]  À mon avis, la SAR a traité la demande de Mme Onwuanagbule de façon inéquitable. Bien qu’il ressorte clairement de la décision de la SPR que la valeur probante des affidavits qu’elle a présentés était remise en question, la SPR s’est concentrée sur une question que la SAR n’a pas traitée. La SPR a mis en doute l’authenticité des affidavits sur le fondement qu’au Nigéria, le fait de fournir une preuve écrite au sujet de l’orientation sexuelle d’une personne pourrait mettre en danger cette personne, et les auteurs eux‑mêmes. La SPR a également souligné que les affidavits sont souvent falsifiés au Nigéria.

[12]  C’est pour une raison totalement différente que la SAR n’a accordé aucun poids aux affidavits : ils ne contenaient aucune connaissance directe des allégations de Mme Onwuanagbule. La SAR a expressément indiqué qu’elle n’avait pas à examiner la preuve concernant la situation dans le pays sur laquelle la SPR s’était fondée, parce que les affidavits ne méritaient aucun poids en tout état de cause.

[13]  À mon avis, cette position a entraîné un résultat inéquitable pour Mme Onwuanagbule. Son appel portait, en partie, sur l’erreur alléguée de la SPR d’écarter les affidavits en fonction de la preuve concernant la situation dans le pays. Étant donné qu’elle n’était pas au courant des questions que se posait la SAR, elle n’a pas formulé d’observations à leur égard, ce qui a entraîné, en partie, le rejet de son appel. La SAR a rejeté son appel sans avoir entendu ses observations sur les questions essentielles. En général, la SAR n’est pas autorisée à trancher des questions qui n’ont pas été soulevées par les parties dans les plaidoiries, puisque cela prive la partie concernée de la possibilité de répondre : Tan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 876, au par. 40.

[14]  En conséquence, je dois accueillir la demande de contrôle judiciaire et ordonner à un autre tribunal de la SAR de réexaminer l’appel interjeté par Mme Onwuanagbule.

IV.  Conclusion et décision

[15]  En refusant d’accorder à Mme Onwuanagbule une occasion de corriger ce qui avait été perçu comme des lacunes dans l’affidavit qu’elle avait déposé à l’appui de sa demande d’asile, la SAR a traité la demande de façon inéquitable. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question de portée générale, et aucune n’est formulée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5010‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée devant un autre tribunal de la SAR pour qu’il procède à un nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’avril 2020.

Caroline Tardif, traductrice

 
Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5010‑19

 

INTITULÉ :

PATIENCE NGOZI ONWUANAGBULE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Jerome Olorunpomi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jerome Olorunpomi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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