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Date : 20050624

Dossier : IMM-5216-04

Référence : 2005 CF 897

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

MELIHA BELULI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Les présents motifs suivent l'audition d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'une agente de l'Agence des services frontaliers du Canada relativement à une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) de la demanderesse; dans cette décision, l'agente avait conclu :


[traduction] [...] Il n'y a pas, en ce qui vous concerne, de risque de persécution ou de torture, de menace contre votre vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités si vous êtes renvoyée dans votre pays de nationalité ou de résidence habituelle.

La décision de l'agente date du 5 avril 2004.

Historique

[2]        La demanderesse est une citoyenne albanaise qui jouait un rôle actif dans la vie politique de ce pays pour le compte du Parti démocratique. En raison de ses activités politiques, elle prétend qu'elle et des membres de sa famille, notamment son fils et sa fille, ont fait l'objet de menaces. Elle prétend qu'elle vivait dans la crainte. Elle a envoyé son fils en Italie. Le 20 juin 1997, elle s'est enfuie en Grèce avec sa fille.

[3]         Le 29 juin 1997, les socialistes ont été élus en Albanie. Malgré ce fait, la demanderesse est partie à trois occasions de la Grèce pour se rendre en Albanie.

[4]         Le 25 octobre 2000, la demanderesse est arrivée au Canada en passant par l'Italie et par les États-Unis. Elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.


[5]         Sa revendication a été rejetée le 13 mars 2002. La déposition de la demanderesse devant la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a été jugée non crédible. La décision de la SSR a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, mais la demande d'autorisation de contrôle judiciaire a été rejetée.

[6]         À la fin du mois d'avril 2002, la demanderesse a demandé une réparation en qualité de demanderesse non reconnue du statut de réfugié au Canada. Lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, cette demande a été transformée en demande d'examen des risques avant renvoi. C'est cette demande qui a donné lieu à la décision qui fait l'objet du présent contrôle.

La décision qui fait l'objet du contrôle

[7]         Dans des notes détaillées à l'appui de la décision qui fait l'objet du contrôle, l'agente a énuméré sous la section [traduction] « Preuve déposée » un grand nombre de documents déposés par la demanderesse ou au nom de celle-ci. Pour quelque raison, cette liste ne fait aucune mention de la « déclaration » de la fille de la demanderesse, faite à Tirana, en Albanie, le 2 mai 2002. L'avocat de la demanderesse a donc prétendu que l'agente avait commis une erreur en laissant de côté un élément de preuve dont elle avait été régulièrement saisie.

[8]         En outre, après avoir énuméré une autre « déclaration » d'un certain Blerim Cela, ayant la même date, ainsi qu'un « certificat » d'un certain Bujar Nishani, ayant la même date également, l'agente rejette ces deux documents d'une manière assez sommaire. Elle écrit :


[traduction]

Les deux documents précités datent d'après l'audition de la revendication de la demanderesse.

Le premier document est une déclaration de Blerim Cela, président du Bureau supérieur de contrôle de l'État entre 1992 et 1997, période pendant laquelle la demanderesse travaillait pour ce ministère. L'auteur a fourni une lettre du 30 janvier 2001, qui était en possession de la Commission au moment de l'audition de la revendication. La deuxième lettre contient pour l'essentiel les mêmes renseignements que la première, à l'exception de la description des fonctions de la demanderesse. La première lettre ne détaille guère les fonctions exercées effectivement par la demanderesse, et indique uniquement que celle-ci a « suivi des cours de qualification professionnelle pour acquérir des compétences en matière d'informatique et en matière de secrétariat administratif » . La seconde lettre est beaucoup plus détaillée. Elle décrit son poste comme un « poste de haut niveau » , et indique qu'en raison de sa participation à la « préparation de nombreux dossiers concernant la corruption » , elle avait une bonne connaissance de la corruption et recevait donc des menaces. Après avoir passé en revue soigneusement les deux lettres, je conclus que la seconde ne fournit pas de preuve nouvelle, étant donné que la Commission était saisie des renseignements qui y figurent. Même si j'acceptais que la lettre fournit des renseignements nouveaux, j'accorderais peu de valeur probante à celle-ci en raison de l'exagération apparente et des contradictions dans les renseignements qui y figurent.

Je note également que dans sa lettre, Blerim Cela fait mention des mauvais traitements infligés à certains membres du Parti démocratique et à certains représentants du gouvernement associés à ce parti, mais ne parle pas de sa propre arrestation pour « crimes contre l'humanité » ni de son assignation à résidence entre le 22 août 1999 et le 21 février 1999 [...]

Le second document, daté également du 2 mai 2002, est un certificat du Parti démocratique d'Albanie. La Commission était également saisie des renseignements figurant dans ce document. La Commission a accepté que la demanderesse était membre du Parti démocratique. Je conclus que ce document n'est pas une preuve nouvelle.

Dans cette citation, les renvois à la Commission visent la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et plus particulièrement le tribunal qui a entendu la revendication de la demanderesse.


[9]         En ce qui concerne le passage précité des notes de l'agente, l'avocat de la demanderesse prétend que celle-ci a commis une erreur susceptible de contrôle en ne concluant pas que les deux documents du 2 mai 2002 renfermaient de nombreux renseignements nouveaux. L'avocat soutient que les motifs subsidiaires donnés pour attribuer [traduction] « peu de valeur probante » au premier document sont non fondés.

[10]       Par contre, l'avocat du défendeur prétend que les seuls renseignements figurant dans les deux documents qui portent sur la période suivant l'audition de la revendication sont d'une nature si générale que l'agente était entièrement libre de conclure que ces documents ne contenaient aucune [traduction] « preuve nouvelle » pertinente quant aux questions dont elle était saisie.

Analyse

[11]       Dans l'arrêt Toro c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration[1], la Cour d'appel fédérale a relevé que le tribunal qui avait rendu la décision contestée n'avait pas examiné la totalité de la preuve dont il avait été régulièrement saisi. En conséquence, la Cour d'appel fédérale a jugé que le tribunal avait commis une erreur de droit. Je crois que ce raisonnement s'applique en l'espèce en ce qui concerne la déclaration de la fille de la demanderesse. Toutefois, après avoir passé en revue cette déclaration, j'estime que celle-ci ne révèle rien qui pourrait avoir un effet important sur la décision faisant l'objet du présent contrôle. En conséquence, je conclus que l'erreur ne justifie pas le renvoi de la décision au défendeur pour réexamen et nouvelle décision[2].


[12]       En ce qui concerne la déclaration et le certificat soumis à l'agente, dont celle-ci a fait mention, mais qu'elle a jugé ne pas constituer des preuves [traduction] « nouvelle[s] » , j'estime qu'il était raisonnablement loisible à l'agente de tirer ces conclusions. Bien que la déclaration et le certificat aient sans doute été des preuves « nouvelle[s] » , en ce qu'ils datent d'après l'audition de la demanderesse devant la SSR, ceux-ci ne révélaient aucune preuve « nouvelle » applicable au contexte particulier de la demanderesse. Il s'agissait plutôt principalement de mises à jour de la preuve dont la SSR avait été saisie relativement à la situation politique et ses conséquences en Albanie.

[13]       Enfin, bien que la mention faite par l'agente de l'omission de M. Cela de faire état de sa propre arrestation pour « crimes contre l'humanité » et de son assignation à résidence ultérieure puisse équivaloir à un abus de pouvoir discrétionnaire de l'agente, parce qu'elle a tenu compte d'un élément non pertinent, je suis convaincu qu'il ne s'agissait rien de plus que d'un argument subsidiaire alors qu'il était tout à fait loisible à l'agente de tirer sa conclusion principale justifiant son refus de tenir compte de la déclaration de M. Cela. En conséquence, je suis convaincu que l'agente n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en faisant état de l'inconduite réelle ou prétendue de M. Cela.

Conclusion

[14]       En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


Certification d'une question

[15]       Les présents motifs seront communiqués aux avocats, qui disposeront par la suite de 10 jours pour déposer des observations écrites relativement à la question de savoir si la présente affaire soulève une question grave de portée générale devant être certifiée. Les avocats sont invités à tenir une consultation avant de déposer leurs observations.

[16]       Une ordonnance sera rendue après la réception des observations écrites.

Ottawa (Ontario)

Le 24 juin 2005

« Frederick E. Gibson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-5216-04

INTITULÉ :                                                   MELIHA BELULI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 21 JUIN 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :              LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

Yehuda Levinson                                               POUR LA DEMANDERESSE

Matina Karvellas                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Yehuda Levinson                                               POUR LA DEMANDERESSE

Levinson & Associates

Avocats

480, avenue University, pièce 610

Toronto (Ontario)

M5G 1V2

Ministère de la Justice                            POUR LE DÉFENDEUR

130, rue King, pièce 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6



[1] [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.).

[2] Voir : Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994),172 N.R. 308 (C.A.F.).

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