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Date : 20200420


Dossier : T‑157‑19

Référence : 2020 CF 535

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 avril 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

KATHLEEN O’GRADY

demanderesse

et

BELL CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  J’éprouve beaucoup d’empathie à l’égard de la demanderesse en l’espèce, Mme O’Grady, et j’admire les efforts considérables qu’elle a déployés pour présenter sa cause à la Cour étant donné qu’elle n’est pas représentée par avocat. Au cours des onze années qu’elle a consacrées à la présente affaire, Mme O’Grady a fait preuve d’une ténacité, d’une intelligence et d’une détermination profondes en expliquant les circonstances ayant entouré son congédiement. Mme O’Grady croit sincèrement que son congédiement en tant que titulaire d’un poste de direction est directement attribuable à une déficience.

[2]  En fin de compte, toutefois, lorsque l’on examine la décision du Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] d’un point de vue juridique – compte tenu particulièrement des contraintes imposées par la loi et la jurisprudence – notre Cour ne peut intervenir. Mme O’Grady a perdu son emploi dans le cadre d’une importante restructuration d’entreprise. Aucun élément de preuve ne montre qu’un autre employé l’a remplacée ou que Mme O’Grady a été traitée différemment ou de façon défavorable par rapport à tout autre travailleur touché se trouvant en congé d’invalidité. Ces mesures n’ont pas été prises parce qu’elle y était pour quelque chose, mais plutôt en conséquence d’une décision d’entreprise difficile.

I.  Le contexte

[3]  Mme O’Grady s’est présentée devant la Cour pour demander le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal. Le Tribunal a rejeté la plainte pour discrimination fondée sur une déficience [la plainte] qu’elle a déposée contre la défenderesse [Bell], son ancien employeur. Bien que j’éprouve beaucoup de sympathie à l’endroit de Mme O’Grady et en raison de l’emploi qu’elle a perdu dans le cadre de la restructuration importante à laquelle Bell a procédé en 2008, j’estime que le Tribunal a rendu une décision juste et raisonnable, qui résiste donc au présent contrôle judiciaire. Mes motifs sont exposés ci‑dessous.

[4]  Compte tenu des préoccupations que Mme O’Grady a exprimées de nombreuses fois au sujet de la protection de la vie privée, autant lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire par la Cour que devant le Tribunal, j’éviterai toute référence à la déficience de Mme O’Grady, notamment le nom des professionnels concernés. De plus, par souci d’uniformité, je vais également éviter de nommer les employés qui ont été mentionnés en preuve ou qui ont témoigné devant le Tribunal.

[5]  Mme O’Grady a commencé à travailler pour Bell en 1990. Elle a occupé divers postes au sein de l’entreprise et, en 2004, elle s’est jointe à une nouvelle équipe, le groupe Systèmes et technologie [ST] de Bell. Elle a débuté en tant que spécialiste du Web. Son rôle au sein de l’équipe a évolué en 2005, du moins en partie, lorsqu’elle est devenue responsable du soutien du développement, de la mise en œuvre et de l’assistance à l’utilisateur d’un outil Web, soit une base de connaissances (appelée « K‑Store »), un produit commercial fabriqué par Microsoft.

[6]  Mme O’Grady a pris un congé d’invalidité le 1er juin 2006 et a commencé à toucher des prestations d’invalidité de courte durée le 8 juin 2006, administrées par un fournisseur externe (Financière Manuvie). Un an plus tard, lorsque le congé d’invalidité de courte durée a pris fin, le dossier de Mme O’Grady a été transféré au régime d’invalidité de longue durée [ILD] de Bell, administré par le Groupe de gestion de l’invalidité de Bell [le GGI]. Le GGI, supervisé par un médecin et doté d’un personnel constitué d’infirmières et de directeurs de cas d’invalidité, offrait des services de soutien et de réadaptation aux travailleurs invalides et, en dernier ressort, facilitait tout retour au travail prévu, notamment en ce qui concerne Mme O’Grady.

[7]  Par conséquent, le GGI, dans le cadre de ses fonctions, assurait régulièrement la liaison avec les professionnels de la santé et obtenait des renseignements médicaux sur les employés touchés. Il ressort clairement des témoignages présentés au Tribunal par des cadres supérieurs du GGI (notamment le chef de Mme O’Grady et le gestionnaire chargé de son cas) que tous les renseignements médicaux étaient entièrement confidentiels. Cette confidentialité s’appliquait aussi au groupe opérationnel des employés : aucun renseignement médical n’était communiqué aux supérieurs immédiats ni à la haute direction. Mme O’Grady a continué de toucher des prestations d’ILD jusqu’à son congédiement en avril 2009.

[8]  De septembre 2007 à décembre 2008, dans le cadre du programme d’ILD de Bell, Mme O’Grady a participé à un programme de réadaptation personnalisé offert par Banyan Work Health Solutions [Banyan], une entreprise dont les services ont été retenus et rémunérés par Bell, qui assurait la gestion des absences ainsi que les visites de réadaptation sur le terrain et la prestation de services connexes. En avril 2008, Banyan a envisagé la possibilité que Mme O’Grady retourne progressivement au travail en juin 2008 et a demandé l’avis de son médecin. Le médecin de Mme O’Grady a jugé que ce serait trop tôt et a plutôt recommandé un retour au travail en septembre 2008.

[9]  Le GGI a ensuite fait en sorte d’obtenir une évaluation médicale indépendante afin d’avoir l’avis d’un spécialiste. Dans un rapport daté du 7 octobre 2008, ce spécialiste proposait un retour progressif au travail sept semaines plus tard, soit vers la fin de 2008.

[10]  Le 29 octobre 2008, le GGI a fait parvenir l’évaluation indépendante au médecin de Mme O’Grady afin d’obtenir ses commentaires. Le GGI a fait un suivi serré du dossier, tant auprès du médecin de Mme O’Grady que de Mme O’Grady elle‑même, afin obtenir une réponse de son médecin qui ne donnait pas suite à sa demande. Le GGI a notamment communiqué avec Mme O’Grady à la mi‑janvier, car il avait besoin d’obtenir les renseignements médicaux à jour demandés pour qu’elle puisse continuer à recevoir les prestations d’ILD qu’elle souhaitait toucher et qui devaient initialement prendre fin le 31 janvier 2009.

[11]  Le GGI de Bell a communiqué avec Mme O’Grady au début de février 2009 et de nouveau en mars 2009 pour l’informer que son médecin n’avait toujours pas répondu à la demande. Cette réponse est finalement parvenue au GGI le 5 mars 2009, le médecin y déclarant que Mme O’Grady pourrait effectuer un retour progressif au travail en mai 2009, dans le cadre d’un plan progressif assorti de soutien et de formation.

[12]  Entre‑temps, pendant le congé d’ILD de Mme O’Grady, Bell a entrepris une restructuration à grande échelle, a conçu le « plan de 100 jours », qui prévoyait l’élimination d’environ 2 500 postes de direction (soit 15 % de ses employés‑cadres), ainsi qu’une réduction du nombre de ses cadres de direction de 17 à 12 (soit une réduction d’environ 30 %). Le nouveau président‑directeur général de Bell a annoncé ce plan le 11 juillet 2008, au moyen de diverses communications avec le public et les employés au cours de l’été, établissant les objectifs du plan en matière de rendement, de compétitivité et de rentabilité.

[13]  Les éléments de preuve qui ont été présentés au Tribunal, en particulier par l’intermédiaire du directeur des ressources humaines de l’époque, ont révélé que les détails du plan, et particulièrement ses licenciements ciblés, ont été élaborés par une équipe de cadres supérieurs de Bell dans le cadre d’un processus hautement confidentiel et sécurisé où l’on a examiné les objectifs en matière de transformation et les secteurs à éliminer. Les membres de cette équipe de restructuration se sont concentrés uniquement sur les postes de direction à éliminer, et non sur les personnes. Ce n’est qu’une fois que les postes à éliminer ont été identifiés qu’une liste a été créée pour apparier les employés à ces postes.

[14]  Malheureusement, le poste de Mme O’Grady faisait partie des 2 500 postes de direction éliminés dans le cadre du plan. En fait, le groupe ST a été éliminé dans son ensemble. La base de connaissances, qui relevait de Mme O’Grady en tant que spécialiste du Web, a été transformée en un produit de libre‑service en ligne. Parmi les membres de l’ancien groupe ST, qui ont tous perdu leur emploi, qui a été éliminé dans le cadre du plan, seules deux personnes sont demeurées à l’emploi de Bell, après s’être portées candidates à des postes dans d’autres secteurs.

[15]  À la suite de la restructuration et du démantèlement de son groupe de ST, Mme O’Grady ne pouvait réintégrer aucun poste lors de son retour chez Bell au début de mai, alors qu’elle avait été autorisée à effectuer un retour progressif au travail par son médecin. Bell a organisé une rencontre avec Mme O’Grady le 20 avril 2009. Mme O’Grady s’attendait à ce que cette rencontre ait pour objet de discuter de son retour au travail. Elle y a plutôt appris que son poste avait été éliminé en août 2008 dans le cadre du plan, que son emploi prenait fin en conséquence et qu’elle recevrait 6,23 mois de salaire complet jusqu’au 27 octobre 2009 – soit davantage que les trois mois habituellement versés en vertu des lignes directrices de Bell, selon les témoignages présentés au Tribunal. En outre, l’indemnité de départ de Mme O’Grady comportait huit mois supplémentaires de salaire tenant lieu de préavis.

[16]  Mme O’Grady a refusé l’indemnité de départ et n’a pas signé l’attestation de renonciation au cours de la réunion de cessation d’emploi d’avril 2009; elle a plutôt retenu les services d’un avocat, avec l’aide duquel elle a négocié une indemnité de départ améliorée qui a été réglée en février 2010, et qui comprenait une indemnité plus élevée que celle offerte à l’origine par Bell, ainsi que ses frais juridiques. Mme O’Grady a signé cet accord de règlement, qui comportait une reconnaissance visant à dégager Bell de toute responsabilité quant à son congédiement.

[17]  En octobre 2010, Mme O’Grady a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission]. En septembre 2011, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte au motif qu’elle était « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi », selon l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi], compte tenu de l’accord de règlement conclu entre les parties qui, comme il a été mentionné plus haut, comprenait une disposition dégageant Bell de sa responsabilité. Mme O’Grady a contesté la décision de la Commission devant notre Cour.

[18]  Dans la décision O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448 [la décision Bell I], la juge Kane a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission en 2011. Elle a statué que la Commission a agi de façon déraisonnable lorsqu’elle a conclu que la plainte de Mme O’Grady « pourrait avoir été déposée de mauvaise foi », parce que la Commission n’a pas tenu compte de sa situation particulière. En particulier, la Cour a conclu que la Commission n’avait pas examiné l’allégation selon laquelle Mme O’Grady avait signé l’attestation de renonciation sous la contrainte psychologique ou émotionnelle. La Cour a donc renvoyé la plainte à la Commission pour qu’elle statue de nouveau sur l’affaire.

[19]  À l’issue de ce nouvel examen, la Commission a décidé de statuer sur la plainte et a chargé un conciliateur d’en arriver à un règlement. Malgré cela, les parties n’ont pas réussi à s’entendre.

[20]  En décembre 2014, la Commission a de nouveau rejeté la plainte de la demanderesse, cette fois en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), parce que, [traduction« compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci par le Tribunal n’est pas justifié ».

[21]  Mme O’Grady a également contesté la décision de 2014 devant notre Cour. Dans la décision rendue à l’issue de cette contestation, O’Grady c Bell Canada, 2015 CF 1135 [la décision Bell II], la juge Elliott a statué que la deuxième décision de la Commission était déraisonnable parce que ses motifs – qui répétaient en grande partie les observations de Bell et ne traitaient pas de la thèse de Mme O’Grady – manquaient de transparence et de justification. Par conséquent, la plainte a de nouveau été renvoyée à la Commission pour réexamen.

[22]  À l’issue de ce deuxième réexamen, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal en novembre 2015. Après une instruction approfondie qui s’est étalée sur huit jours complets, en mars et en mai 2017, en plus de diverses téléconférences de gestion de l’instance en 2016 et en 2017, le Tribunal a rejeté la plainte dans sa décision de décembre 2018 [la décision]. Mme O’Grady conteste maintenant cette décision devant notre Cour.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[23]  Le Tribunal a conclu que Mme O’Grady ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’une discrimination prima facie et que, même si elle croyait sincèrement que son congédiement découlait de sa déficience, cette croyance ne suffisait pas pour établir qu’un acte discriminatoire avait été commis.

[24]  Le Tribunal a souligné que, pour établir l’existence d’une discrimination prima facie, le plaignant doit établir un lien entre l’acte contesté et un motif de discrimination. Le fait d’être licencié pendant un congé d’invalidité n’établit pas en soi un tel lien. Le Tribunal a également jugé non fondée la prétention de Mme O’Grady, qui affirmait avoir fait l’objet d’un traitement défavorable de la part de Bell en raison de sa déficience parce qu’elle a été congédiée pendant un congé d’invalidité et qu’elle n’a été informée de ce congédiement que lorsque l’on a estimé qu’elle était prête à effectuer un retour au travail progressif.

[25]  Le Tribunal a tenu compte de l’argument selon lequel une preuve prima facie peut être établie lorsqu’un employé tout aussi ou moins qualifié obtient par la suite le poste. Toutefois, le membre du Tribunal [le membre] a fait remarquer que le poste de Mme O’Grady avait été aboli et qu’aucun autre employé n’avait été embauché pour l’occuper, poste qui avait en fait été éliminé au même titre que le groupe des pratiques en matière de ST, ainsi que la base de connaissances.

[26]  Le Tribunal a également rejeté l’argument de Mme O’Grady selon lequel Bell avait l’obligation de prendre des mesures d’accommodement au travail pour tenir compte de sa déficience. Le membre a souligné que la situation n’imposait à Bell aucune obligation de prendre des mesures d’accommodement au travail, étant donné l’absence d’une discrimination prima facie. Le Tribunal s’est de plus dit en désaccord avec Mme O’Grady lorsqu’il a déclaré que « la charge de la preuve n’est à aucun moment transférée à la défenderesse dans l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination » (décision, par 68).

[27]  Bref, le Tribunal a jugé que Mme O’Grady n’avait pas démontré, par une preuve documentaire ou orale, qu’il y avait un lien entre son congédiement et sa déficience, concluant que « [s]on congédiement était manifestement sans rapport avec sa déficience; il était plutôt simplement la conséquence de la restructuration de [Bell] » (décision, par 61). Le Tribunal a souligné que, si Mme O’Grady n’avait pas souffert d’une déficience, Bell l’aurait quand même congédiée.

[28]  Vu les conclusions susmentionnées, le Tribunal a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les réparations demandées par Mme O’Grady.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[29]  Mme O’Grady soulève plusieurs questions dans son mémoire des faits et du droit [le mémoire] qui portent principalement sur la décision de Bell de la congédier et sur la façon dont la défenderesse l’a fait. Toutefois, comme l’a mentionné la juge Kane dans la décision Bell I, la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire se limite à la décision visée par le contrôle – en l’espèce, la décision du Tribunal de rejeter la plainte. En fin de compte, les observations de Mme O’Grady se résument en deux arguments distincts. Premièrement, le Tribunal a agi de façon déraisonnable en (i) mettant surtout l’accent sur l’alinéa 7a) de la Loi et en ne tenant pas suffisamment compte des arguments qu’elle a présentés au titre de l’alinéa 7b) de la Loi concernant le « traitement différentiel défavorable », et (ii) en ne tenant pas compte d’éléments de preuve importants. Deuxièmement, Mme O’Grady allègue que le Tribunal a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

[30]  La présente demande de contrôle judiciaire s’inscrit dans le contexte de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Or, elle doit être tranchée en fonction du nouveau cadre analytique établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Malgré l’arrêt Vavilov, le critère essentiel de la norme du caractère raisonnable quant au fondement de la décision et de la norme de la décision correcte à l’égard de l’équité procédurale est resté inchangé dans le contexte des droits de la personne (Ennis c Canada (Procureur général), 2020 CF 43, par 18 [Ennis]). En fait, les décisions de notre Cour concernant les questions en litige en l’espèce sont exécutoires et n’ont pas été modifiées par l’arrêt Vavilov, sauf pour souligner que le contrôle selon la norme du caractère raisonnable doit être un contrôle rigoureux.

[31]  Lorsqu’une décision du Tribunal repose sur une interprétation de sa loi constitutive ou sur une décision mixte de fait et de droit, la Cour doit l’examiner selon la norme plus déférente de la décision raisonnable (Adamson c Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153, par 30, autorisation d’appel à la CSC refusée, 36630 (10 mars 2016)). Cette déférence s’impose en raison de l’expertise considérable et spécialisée du Tribunal (Keith c Canada (Commission des droits de la personne), 2018 CF 645, par 58 [Keith], confirmée par 2019 CAF 251, autorisation d’appel à la CSC déposée). En termes simples, la Cour doit adopter une « attitude de retenue » à l’égard de la décision du Tribunal (Vavilov, par 24).

[32]  La question au cœur de la décision du Tribunal en l’espèce – si l’existence d’une discrimination prima facie a été établie – est une question mixte de fait et de droit. Le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire se limite donc à examiner avec déférence les conclusions tirées par le tribunal spécialisé quant à l’existence d’une discrimination prima facie, afin de déterminer si sa décision était raisonnable (Canada (Procureur général) c Bodnar, 2017 CAF 171, par 21 et 25 [Bodnar], citant l’arrêt Stewart c Elk Valley Coal Corp, 2017 CSC 30, par 27 [Elk Valley]). La Cour doit d’abord examiner les motifs du Tribunal (Gunn c Halifax Employers Association, 2020 CF 344, par 6, citant l’arrêt Vavilov, par 84), et ce, [traduction] « avec une attention empreinte de respect, en cherchant à comprendre le processus de raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à une conclusion » (Desgranges c Canada (Services d’appui aux tribunaux administratifs), 2020 CF 315, par 27).

[33]  En fin de compte, selon l’arrêt Vavilov, une décision raisonnable doit en posséder les caractéristiques – la justification, la transparence et l’intelligibilité – et doit être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, par 99).

[34]  Enfin, la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte dans le contexte du Tribunal canadien des droits de la personne (Keith c Canada (Commission des droits de la personne), 2019 CAF 251, par 6, autorisation d’appel à la CSC déposée), sur lequel l’arrêt Vavilov n’a pas eu d’incidence (voir, par exemple, Ennis, par 18). Bien que, pendant l’audience, Mme O’Grady ait semblé faire des concessions quant aux arguments qu’elle a soulevés dans son mémoire au sujet de l’équité procédurale, par souci d’exhaustivité et pour son bénéfice, je formulerai des observations sur l’équité procédurale et décisionnelle du Tribunal dans la dernière partie des présents motifs.

IV.  Analyse

[35]  Je commencerai par examiner les arguments de Mme O’Grady concernant le caractère déraisonnable de la décision.

1. (i) La décision était‑elle déraisonnable quant à la conclusion d’absence de discrimination prima facie ou de traitement différentiel défavorable?

[36]  Selon l’article 7 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; ou b) de le défavoriser en cours d’emploi. (Cette disposition et toutes les autres dispositions législatives pertinentes se trouvent à l’annexe A du présent jugement.)

[37]  Mme O’Grady soutient que le Tribunal n’a pas tenu compte des arguments qu’elle a fait valoir au titre de l’alinéa 7b), à savoir qu’elle a fait l’objet d’une différence de traitement pendant le processus de congédiement, et qu’il s’est plutôt attardé à l’argument fondé sur l’alinéa 7a), c.‑à‑d. que le congédiement en soi était discriminatoire.

[38]  Plus particulièrement, Mme O’Grady affirme avoir fait l’objet d’un traitement différentiel en raison de sa déficience, soulignant en particulier la pratique de Bell de ne pas informer de la réorganisation les employés qui touchaient des prestations d’ILD avant qu’ils ne soient déclarés aptes à retourner au travail. À son avis, cette politique a défavorisé les employés invalides de Bell par rapport aux autres employés pour ce qui est d’obtenir un emploi à l’interne par suite de la restructuration. Mme O’Grady affirme que des collègues qui étaient tout aussi qualifiés ou moins qualifiés qu’elle et qui n’étaient pas en congé d’invalidité ont obtenu des postes à l’interne pendant son absence, car ils ont été informés de leur licenciement à l’été 2008 – après l’annonce du plan de 100 jours – plutôt que plusieurs mois plus tard comme elle, dans le contexte de ce qu’elle croyait être son entrevue de « retour au travail ».

[39]  Je reconnais que, dans sa décision, le Tribunal a consacré une grande partie de son analyse à tenter de déterminer si le congédiement lui‑même était discriminatoire au sens de l’alinéa 7a), plutôt que de s’intéresser à la façon dont il avait été effectué au sens de l’alinéa 7b) de la Loi. En fait, j’estime que l’attention portée par le Tribunal à l’alinéa 7a) était entièrement justifiée, en ce qu’elle reflétait pour l’essentiel ce sur quoi ont porté les huit jours d’audience devant le Tribunal, à savoir la grande majorité des exposés et des observations des parties, ainsi que l’objet de l’interrogatoire et du contre‑interrogatoire des nombreux témoins convoqués.

[40]  Par conséquent, on ne peut reprocher au membre d’avoir fourni des motifs répondant aux principaux points soulevés au sujet de la raison sous‑jacente du licenciement, et d’avoir surtout cherché à déterminer si Mme O’Grady avait établi l’existence d’une discrimination prima facie, que ce soit au titre de l’un ou l’autre des volets de l’article 7 – à savoir l’alinéa a) concernant son congédiement, ou l’alinéa b) concernant tout traitement défavorable.

[41]  Je suis d’accord avec le membre, qui a ultimement conclu que, « [p]ar suite du plan de 100 jours, le poste de Mme O’Grady a été aboli, et aucun autre employé n’a été embauché pour l’occuper » (par 70), et que Mme O’Grady n’a donc pas démontré prima facie que son congédiement était discriminatoire.

[42]  Quant à l’allégation de discrimination fondée sur un traitement différentiel (alinéa 7b)), je conclus que, contrairement à ce que prétend Mme O’Grady, le Tribunal n’a pas écarté les observations qu’elle a présentées sur ce deuxième motif de discrimination. Le Tribunal a plutôt formulé l’analyse qu’il a menée au titre de l’article 7 en tenant compte dès le début de l’alinéa 7a) et de l’alinéa 7b), comme il ressort de l’extrait suivant de sa décision :

[51]  Le Tribunal était convaincu que Mme O’Grady croyait véritablement que son congédiement résultait directement de sa déficience [...], une déficience dont l’existence n’a pas été contestée. Cependant, de l’avis du Tribunal, et comme il est indiqué plus haut, un témoignage invoquant un motif de distinction illicite n’est pas suffisant en soi pour établir une preuve prima facie de discrimination.

[52]  Par ailleurs, compte tenu de la norme de preuve qui s’applique dans les cas de discrimination, la perception ou la conviction d’un plaignant n’est pas suffisante en soi pour établir un acte discriminatoire.

[...]

[55]  La preuve qu’un employé a été congédié alors qu’il était en congé d’invalidité n’établit pas en soi le lien requis entre la perte d’emploi et le motif de distinction illicite qu’est la déficience.

[Je souligne; la note de bas de page et la référence à l’invalidité sont supprimées.]

[43]  Le Tribunal a traité explicitement de l’alinéa 7b) (différence de traitement défavorable) plus loin dans sa décision :

[66]  Dans ses arguments finaux, la plaignante laisse entendre que, si elle n’était pas au courant du plan de 100 jours et du congédiement des employés concernés, c’était à cause d’un traitement défavorable de la part de Bell en relation avec sa déficience. Je suis d’avis que cette thèse n’est pas fondée.

[67]  Même si elle était convaincue que son licenciement résultait de sa déficience, la plaignante n’a présenté au Tribunal aucune preuve crédible à cet égard. Elle n’a donc pas, selon moi, réussi à présenter une preuve prima facie montrant que son congédiement était lié à un motif de distinction illicite, et plus particulièrement à sa déficience.

[68]  La plaignante soutient que, après la présentation d’une preuve prima facie de discrimination selon la Loi, c’est à l’intimée qu’il revient d’apporter une explication crédible et rationnelle montrant, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite ou la décision contestée ne comportait aucune considération de nature discriminatoire. Elle fait aussi des observations additionnelles sur les obligations respectives des parties d’établir ou de démentir divers éléments suivant la prépondérance des probabilités. Sur le fondement de l’arrêt Bombardier, précité, je suis d’avis que la charge de la preuve n’est à aucun moment transférée à l’intimée dans l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination.

[69]  Également dans son argumentation finale, la plaignante affirme qu’une preuve prima facie est établie, entre autres, lorsqu’un autre employé, qui n’est pas mieux qualifié pour le poste, obtient ultérieurement le poste. Comme il est indiqué auparavant, à la date de son congédiement, Mme O’Grady était responsable de la base de connaissances, et en fait aucun autre employé ne l’a remplacée dans ce rôle.

[70]  Par suite du plan de 100 jours, le poste de Mme O’Grady a été aboli, et aucun autre employé n’a été embauché pour l’occuper.

[Je souligne; les notes de bas de page et la référence à l’invalidité sont supprimées.]

[44]  Par conséquent, le Tribunal s’est penché sur l’argument présenté au titre de l’alinéa 7b) et a conclu qu’il n’était pas fondé. Selon l’arrêt Vavilov, les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Toutefois, les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse ou tirent une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement (Vavilov, par 127 et 128).

[45]  Certes, le Tribunal a amplement expliqué pourquoi il estimait qu’il n’y avait pas eu de discrimination. Il a fondé sa conclusion sur le fait que le poste a été éliminé dans le cadre d’une restructuration majeure de l’entreprise et qu’aucun employé n’a remplacé Mme O’Grady dans son rôle. C’est une conclusion tout à fait raisonnable pour les motifs énoncés par le membre, qui s’appuyaient tous sur la preuve et le dossier de la Cour.

[46]  Quant à l’affirmation de Mme O’Grady selon laquelle elle a été victime de discrimination au titre de l’alinéa 7b) parce qu’elle a fait l’objet d’un traitement différentiel défavorable en n’étant informée de son licenciement que bien des mois après d’autres membres de son groupe, je souligne que la preuve présentée au Tribunal montre que Bell a adopté exactement la même approche à l’égard du licenciement de Mme O’Grady qu’à l’égard du licenciement de tous les autres employés en congé d’invalidité à cette époque.

[47]  Lorsque le plaignant allègue qu’il y a eu discrimination, c’est à lui qu’il incombe d’abord d’apporter une preuve prima facie de discrimination (Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons‑Sears [1985] 2 RCS 536, par 28; Elk Valley, par 23). Le plaignant doit démontrer (1) qu’il possède une caractéristique personnelle spéciale qui relève de l’un des motifs de discrimination illicite; (2) qu’il a été victime d’un traitement différentiel défavorable; et (3) que sa caractéristique personnelle a été un facteur dans le traitement différentiel défavorable (Moore c Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, par 33; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par 35 [Bombardier]). Je cite différentes décisions, mais j’estime que le membre a arrêté le bon critère juridique.

[48]  S’agissant des faits pertinents, il ressort de témoignages non contredits de personnes qui occupaient des postes de cadres à l’époque que, pendant la mise en œuvre du plan, Bell avait comme pratique d’attendre que les employés en congé d’invalidité soient déclarés aptes à retourner au travail avant d’appliquer une mesure administrative, notamment le congédiement. Le chef du GGI, ainsi que le gestionnaire chargé du dossier d’ILD de Mme O’Grady, ont déclaré que, sur les 2 500 personnes dont les postes ont été éliminés, entre 100 et 200 étaient en congé d’invalidité.

[49]  Selon le directeur des RH à l’époque, la rencontre avec l’employé avait habituellement lieu en présence d’un représentant principal de l’unité opérationnelle et des RH, d’un conseiller en replacement et d’un membre du service de soutien (tel qu’un représentant du Programme d’aide aux employés), ce dernier étant bien souvent en attente à l’extérieur de la salle. Ces personnes étaient présentes à la réunion avec Mme O’Grady.

[50]  La preuve montre donc que Mme O’Grady a été traitée de la même façon que les autres employés de Bell qui étaient en congé d’invalidité au moment de la restructuration. Il est vrai que le Tribunal ne s’est pas penché sur les motifs de ce choix d’entreprise – et il n’avait pas non plus à les remettre en question – mais il reste que diverses raisons humanitaires pourraient expliquer pourquoi Bell a décidé de n’informer les personnes en congé d’invalidité de leur congédiement qu’au moment où elles ont été jugées médicalement aptes à retourner au travail. Après tout, il appert des témoignages qu’il a coûté plus cher à l’entreprise de garder ceux qui touchaient des prestations d’ILD. En effet, Bell a assumé la charge financière de ces congés ainsi que des services de réadaptation connexes, y compris les frais importants des services dont Mme O’Grady a bénéficié par l’intermédiaire de Banyan.

[51]  J’estime donc que le Tribunal a raisonnablement conclu que Mme O’Grady n’a pas démontré prima facie qu’elle a subi un traitement différent ou défavorable par rapport à d’autres personnes qui se trouvaient dans une situation semblable. En effet, il convient d’interpréter les paragraphes 66 à 70 de la décision (reproduits ci‑dessus), où le Tribunal nie qu’elle aurait fait l’objet d’un traitement défavorable au titre de l’alinéa 7b) de la Loi, dans le contexte des paragraphes qui les précèdent immédiatement, où il rejette l’idée d’un lien discriminatoire entre le congédiement de Mme O’Grady et sa déficience ou son absence du travail :

[62]  [] mentionne la décision Tutty c. Canada (Procureur général), 2011 CF 57, dont les faits ressemblent à ceux de la présente affaire. Dans cette affaire, un employé a allégué avoir été victime de discrimination quand son poste a été éliminé en raison d’une restructuration et il a été licencié la veille de son retour au travail. Le juge Barnes s’est exprimé ainsi, au paragraphe 25 de son jugement : « L’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement ne requiert pas, après tout, qu’il suspende une restructuration d’entreprise légitime en attendant qu’il soit remédié à la déficience d’un employé affecté. » Au paragraphe 26, il a ajouté ce qui suit : « Étant donné la restructuration légitime de l’entreprise, M. Tutty n’avait pas de [traduction] "droit" spécial d’être maintenu à son poste existant du simple fait que la mesure d’accommodement qu’il recevait n’était pas encore parvenue à son terme. »

[63]  Je crois que l’« obligation d’accommodement » est une obligation très sérieuse, mais elle n’est pas absolue, et la jurisprudence permet d’affirmer qu’elle ne prend naissance que si le plaignant a d’abord établi une preuve prima facie de discrimination (voir Renaud, précitée; Roopnarine, précitée, au paragraphe 72).

[64]  Malgré la compassion qu’éprouve le Tribunal pour la déficience dont souffre la plaignante, l’intimée invoque la décision Hill c. Spectrum Telecom Group Ltd., qui prévoit que, puisque la restructuration de l’employeur avait commencé avant le retour au travail de l’employé, il n’y avait pas de lien entre la restructuration de l’intimée et la déficience du plaignant :

[traduction] Hormis les soupçons du demandeur et un malheureux hasard temporel, rien ne prouve que la déficience du requérant a joué un rôle, par des moyens directs ou indirects, dans la décision. L’intimée avait commencé la restructuration avant que le requérant ne soit déclaré apte à retourner au travail.

[65]  À la lecture des précédents invoqués par l’intimée, il est évident qu’il doit exister un lien ou un rapport entre le congédiement et la déficience. En l’espèce, il n’y a aucun lien entre les motifs du congédiement de Mme O’Grady et sa déficience. Si elle n’avait pas souffert d’une déficience, son emploi aurait quand même pris fin. Selon la jurisprudence, même lorsque l’obligation d’accommodement s’impose, celle‑ci n’oblige pas l’employeur à maintenir un poste existant pour un employé alors qu’une restructuration de l’entreprise est en cours. Par ailleurs, l’employeur qui procède à une restructuration peut même remplacer l’employé, pour autant que sa décision ne soit pas entachée par des considérations de nature discriminatoire [Filion c. Capers Restaurant, 2010 HRTO 74, paragraphes 26‑27; Brosnan c. Banque de Montréal, 2015 CF 925, paragraphes 25‑26.].

[52]  Ces conclusions sont toutes raisonnables et elles présentent un résumé exact de la règle selon laquelle le congédiement d’un employé qui est en congé d’invalidité ne donne pas naissance à une présomption de discrimination (voir également Kerr c Bell Canada, 2007 CF 1230, par 18, cité par le membre au par 56 de la décision).

[53]  L’une des conditions essentielles à l’établissement d’une discrimination prima facie est la preuve d’un effet préjudiciable subi par le demandeur (Bodnar, par 26). Le Tribunal a raisonnablement conclu que, eu égard à la norme de preuve requise, soit celle de la prépondérance des probabilités, cette preuve n’avait pas été faite (Bombardier, par 65), en ce sens qu’il n’y a aucun lien entre la restructuration et la déficience de Mme O’Grady.

[54]  Compte tenu de la preuve présentée au Tribunal, j’estime qu’il était tout à fait raisonnable pour le membre de conclure qu’il n’existait aucune preuve prima facie de discrimination fondée sur le fait que Mme O’Grady a été congédiée, ou encore qu’elle a fait l’objet d’un traitement différentiel défavorable en n’étant informée du congédiement qu’après avoir été jugée apte à retourner au travail.

[55]  Pour conclure sur la première question soulevée par Mme O’Grady – que la décision était déraisonnable quant à façon dont le Tribunal a abordé la question de la discrimination – la cour de révision doit se demander si, dans son ensemble, la décision est raisonnable, et elle doit se rappeler que « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par 90). Les motifs doivent être interprétés de façon globale et contextuelle, conjointement avec l’issue, afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par 97). En l’espèce, le Tribunal a conclu, à juste titre, à l’absence de discrimination fondée sur l’un ou l’autre des motifs de l’article 7 de la Loi. La décision et l’explication qu’il a fournie dans son analyse juridique et ses conclusions étaient étroitement liées à la preuve dont il disposait. Le raisonnement du membre était tout à fait raisonnable dans le contexte juridique et factuel pertinent.

1. (ii) Le Tribunal a‑t‑il déraisonnablement fait abstraction d’éléments de preuve importants?

[56]  Mme O’Grady soutient également que le Tribunal a fait abstraction d’éléments de preuve importants et a plutôt fondé sa décision sur ce qu’elle appelle des [traduction« mensonges flagrants ». Plus particulièrement, Mme O’Grady soutient (1) que le Tribunal n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle elle n’est pas [traduction« retournée au travail » au sens de la politique d’ILD de Bell, de sorte qu’elle ne pouvait pas être congédiée pendant qu’elle touchait des prestations d’ILD; et (2) qu’en arrivant à la conclusion que son poste avait été aboli, le Tribunal n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle son poste était plus complexe que celui d’un spécialiste du Web et ne se limitait pas à la gestion de la base de connaissances.

[57]  Je souligne que le recueil de documents produit par Mme O’Grady contient de nombreux documents qu’elle a passés en revue de façon très systématique à l’intention du membre. Le membre lui a accordé une écoute patiente pendant la majeure partie des deux premiers jours d’audience, alors que Mme O’Grady examinait un à un les éléments de preuve. Elle a de nouveau passé la plupart de ces éléments en revue dans ses observations finales. Encore une fois, le membre a fait preuve d’une grande patience, conseillant à Mme O’Grady de prendre tout le temps dont elle avait besoin et posant des questions lorsqu’il avait besoin d’éclaircissements.

[58]  Toutefois, une grande partie de la preuve n’avait tout simplement rien à voir avec les conclusions du Tribunal et ce dernier n’avait donc pas besoin d’en parler dans ses motifs. En effet, « [l]es motifs d’une décision ne sont pas un résumé de l’audience »; il n’est pas nécessaire de faire allusion à des éléments de preuve non pertinents (Birkett c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2007 CF 428, par 31, confirmée par 2008 CAF 127). Le tribunal est présumé avoir examiné toute la preuve qui lui a été présentée et il n’est pas tenu de mentionner expressément dans ses motifs chacun des éléments de preuve qu’il a considérés (Gosal c Canada (Procureur général), 2011 CF 570, par 60 [Gosal]). Cela dit, s’il ne fait pas état d’un élément de preuve important, la cour de révision pourrait être plus encline à conclure qu’il a rendu une décision déraisonnable sans tenir compte de la preuve (Gosal, par 60, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 F.T.R. 35 (CF), par 14 à 17).

[59]  En l’espèce, je ne suis pas d’accord pour dire que le Tribunal a fait abstraction du témoignage de Mme O’Grady au sujet de son [traduction« retour au travail » au sens de la politique d’ILD de Bell, pour ce qui est de la proposition selon laquelle elle ne pouvait pas être congédiée pendant qu’elle touchait des prestations d’ILD. La raison en est que le Tribunal n’a tiré aucune conclusion quant à savoir si Mme O’Grady était ou non [traduction« retournée au travail » au sens de la politique d’ILD de Bell. Le membre a plutôt simplement conclu que son poste avait été éliminé, de sorte qu’elle ne pouvait le réintégrer. La politique de retour au travail de l’ILD n’était donc pas pertinente. Le membre n’avait aucune raison de traiter de cet élément.

[60]  Je ne suis pas non plus d’accord pour dire qu’en tirant la conclusion que le poste de Mme O’Grady avait été aboli, le Tribunal n’a pas tenu compte de la preuve démontrant que son poste était plus complexe que celui d’un spécialiste du Web et ne se limitait pas à la gestion de la base de connaissances. Par ailleurs, j’estime sans fondement l’affirmation selon laquelle le membre a fondé sa décision sur des [traduction] « mensonges flagrants », ce que Mme O’Grady allègue à de nombreuses reprises dans son mémoire. Je souligne que le Tribunal disposait d’éléments de preuve, dont le témoignage de la directrice du groupe ST qui a embauché Mme O’Grady comme spécialiste du Web, selon lesquels celle‑ci a informé Mme O’Grady au moment de son embauche que les rôles dans le groupe évolueraient probablement avec le temps, ce qui est arrivé à celui de Mme O’Grady lorsqu’une partie importante de ses responsabilités a consisté à gérer la base de connaissances.

[61]  Pour en revenir à la décision, je constate que le membre n’a tiré aucune conclusion de fait concernant la répartition du travail de Mme O’Grady, pas plus qu’il n’a conclu que son rôle se limitait exclusivement à la gestion de la base de connaissances. En fait, j’ai interprété la décision comme si le membre reconnaissait implicitement que Mme O’Grady avait d’autres responsabilités lorsqu’il a déclaré : « Ses tâches liées à la mise en œuvre et au développement d’une base de connaissances n’ont pas été transférées à un autre employé » (décision, par 57). En effet, il ressort de la preuve présentée au Tribunal lors de l’audience, notamment du témoignage de la directrice du groupe ST de l’époque, que la base de connaissances était devenue un produit « libre‑service », ce qui signifiait qu’il n’avait plus à être géré par Mme O’Grady ou tout autre membre de son ancienne équipe.

[62]  En fin de compte, les éléments de preuve dont Mme O’Grady prétend que l’on a fait abstraction n’étaient pas incompatibles avec la conclusion principale du Tribunal, à savoir qu’elle n’a pas établi prima facie qu’il y avait eu discrimination. Mme O’Grady n’a donc pas démontré que le membre a commis une erreur susceptible de révision en ne mentionnant pas un élément de preuve particulier, ou encore que le Tribunal a rendu sa décision en faisant abstraction de la preuve dans son ensemble.

[63]  Je reconnais que le Tribunal a principalement renvoyé au recueil de documents de la défenderesse. C’est simplement que le Tribunal a jugé cette preuve plus convaincante pour appuyer ses conclusions concernant la nature du licenciement. Le nœud de la décision repose sur l’appréciation qu’a faite ce tribunal spécialisé de la preuve et des témoignages qui lui ont été présentés. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de cette évaluation, notamment au poids accordé à la preuve – un exercice qui est au cœur du mandat du Tribunal (Keith, par 90; Conseil des Abénakis d’Odanak c O’Bomsawin, 2018 CF 112, par 36).

[64]  En l’espèce, le membre a conclu que « Mme O’Grady n’a pas apporté une preuve écrite ou orale suffisante pour convaincre le Tribunal que son congédiement était lié à sa déficience » (décision, par 60). À défaut d’absence de justification quant au poids donné à la preuve et à l’appréciation de celle‑ci, ce qui, selon moi, n’est pas le cas en l’espèce, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des motifs qui justifient de façon transparente et intelligible la conclusion du membre.

2. Le tribunal a‑t‑il commis des erreurs en matière d’équité procédurale?

[65]  Lors de l’audition du présent contrôle judiciaire, Mme O’Grady a fait des commentaires préliminaires au sujet du déroulement de l’audience devant le Tribunal, soulevant des préoccupations selon lesquelles on aurait porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

[66]  En premier lieu, Mme O’Grady a dit croire que certains documents comportant des renseignements médicaux sensibles avaient été divulgués de façon inappropriée. On l’a assurée que ces documents étaient demeurés confidentiels tout au long de l’audience du Tribunal. Toutefois, lorsque le Tribunal a transmis le dossier certifié du tribunal à notre Cour, certains documents de nature sensible ont été inclus. Je n’ai aucune objection à rendre l’ordonnance demandée, d’autant plus que la défenderesse y consent et vu la nature de ces documents, qui demeureront confidentiels (voir la liste à l’annexe B du présent jugement).

[67]  En second lieu, Mme O’Grady a soulevé des questions de procédure au sujet de ce qui s’est produit à l’audience du Tribunal. Elle a soutenu que le membre n’avait pas tenu compte de ses besoins médicaux, ce qui rendait le processus inéquitable. Toutefois, après mûre réflexion, elle a modifié sa prétention, admettant que cette préoccupation visait [traduction« d’autres personnes » présentes dans la salle d’audience plutôt que le membre lui‑même. Là encore, je conviens avec Mme O’Grady, après avoir écouté l’enregistrement au complet, que le membre lui a donné toutes les occasions possibles de prendre des pauses santé au besoin.

[68]  Il ne reste donc qu’un seul argument relatif à l’équité procédurale, que je vais maintenant aborder. Dans son mémoire, Mme O’Grady reproche à plusieurs reprises au Tribunal d’avoir fait preuve d’une [traduction« apparence de partialité » envers Bell. Par exemple, elle soutient qu’en faisant sienne la déclaration de Bell selon laquelle elle « figurait parmi les 2 500 employés de Bell » qui ont été congédiés, le Tribunal commence sa décision en exprimant un préjugé négatif à l’égard de sa prétention qu’elle a été traitée différemment des autres employés congédiés. Mme O’Grady soutient en outre que le Tribunal, de façon déraisonnable, accorde davantage de crédibilité au [traduction« témoignage verbal » de Bell qu’à la preuve « écrite concrète » qu’elle a présentée. Lors de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, Mme O’Grady a de nouveau admis que le membre n’était pas partial.

[69]  À l'intention de Mme O’Grady et pour dissiper toute préoccupation qu’elle aurait pu avoir après l’audience au sujet de cette admission, j’expliquerai pourquoi, tout comme elle, j’estime qu’il n’y a aucune crainte raisonnable de partialité.

[70]  En premier lieu, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le membre a fait preuve d’une grande impartialité tout au long de l’audience, sans favoriser l’une ou l’autre des parties. Par exemple, il a tranché diverses questions de procédure au cours de l’audience, parfois en faveur de la demanderesse, Mme O’Grady, parfois en faveur de la défenderesse, Bell. À divers moments, lorsque Mme O’Grady a remis en question l’équité du contre‑interrogatoire, le membre a traité ses préoccupations de façon directe, au fur et à mesure où elles se présentaient et, pour son bénéfice en tant que profane, il lui a expliqué le processus d’audience, notamment le rôle de l’avocat de Bell, qui a opposé sa défense à plusieurs reprises. En fait, le membre a fait preuve d’une grande empathie et d’une grande patience à l’égard de Mme O’Grady, et il a répondu à ses besoins à de nombreuses reprises tout au long du processus. Il a accordé à Mme O’Grady tout le temps dont elle avait besoin pour présenter des éléments de preuve et des observations et pour interroger et contre‑interroger les témoins.

[71]  Je remarque que dans la décision Bell II, la juge Elliott – qui examinait alors les arguments de partialité soulevés par Mme O’Grady – a fait de ces allégations relatives à l’équité procédurale un argument selon lequel la décision manquait de justification, de transparence et d’intelligibilité. La juge Elliott a statué que la décision de la Commission était déraisonnable, en ce qu’elle reprenait en grande partie les observations de Bell, tout en soulignant que seulement deux phrases de cette décision n’avaient pas été rédigées par la défenderesse (Bell II, par 25).

[72]  En l’espèce, j’estime encore une fois que, lorsqu’elle parle de [traduction« partialité », Mme O’Grady veut en fait dire qu’elle estime que la décision est déraisonnable. Par exemple, Mme O’Grady soutient que le Tribunal a été [traduction] « partial » en refusant d’examiner la preuve qu’elle avait présentée au sujet des initiatives de Bell, tout en permettant à Bell d’obtenir ses dossiers médicaux (mémoire, par 21). Sans s’attaquer au bien‑fondé de ces allégations, le membre a écarté la preuve en question, qui datait de plusieurs années après le dépôt de la plainte, tout en permettant l’accès aux dossiers médicaux, étant donné que la demanderesse avait déjà consenti à les fournir. Le membre a pris une décision raisonnable dans les deux cas, comme il l’a fait pour tous les autres aspects de la décision.

V.  Les dépens

[73]  Quant à la question des dépens, j’ai souligné, à l’issue du contrôle judiciaire, que Bell avait agi de façon très courtoise en ne demandant pas les dépens. L’avocat de Bell a adopté cette position même si, de toute évidence, il lui a fallu beaucoup de temps pour se préparer, étant donné l’ampleur de l’audience du Tribunal et du dossier. Je trouve ce geste particulièrement affable, compte tenu de la quantité de critiques dont Bell et lui ont fait l’objet au cours des audiences du Tribunal et devant la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Cela dit, comme aucune partie n’a demandé les dépens, aucuns dépens ne seront adjugés.

VI.  Conclusion

[74]  Bien que la Cour ait renvoyé pour réexamen deux décisions antérieures de la Commission concernant l’affaire de Mme O’Grady, ces demandes mettaient en cause des processus et des considérations très différents de ceux qui m’ont été présentés. En effet, lorsque chacune de ces deux demandes de contrôle judiciaire a été instruite, Mme O’Grady n’avait pas encore eu l’occasion de présenter sa preuve et ses observations dans le cadre d’une audience. Elle a maintenant eu la possibilité de le faire devant le Tribunal. Mme O’Grady a plaidé sa cause avec beaucoup de conviction tout au long des huit jours d’audience, que je me suis fait un devoir d’écouter attentivement. Je conclus que le Tribunal est arrivé à sa conclusion ultime en se fondant sur le droit et les précédents.

[75]  Par conséquent, compte tenu des contraintes juridiques pertinentes, la décision est à la fois juste et raisonnable. Comme pour toute autre affaire, je suis tenu de trancher la présente affaire conformément à la primauté du droit et aux principes juridiques applicables. Je n’ai donc d’autre choix, compte tenu de tout ce que j’ai expliqué ci‑dessus, de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier T‑157‑19

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les documents énumérés à l’annexe B du présent jugement demeureront confidentiels.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de juin 2020.

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE A

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6

 

Canadian Human Rights Act, RSC, 1985, c H-6

Actes discriminatoires

Discriminatory Practices

 

Emploi

Employment

 

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

 

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;…

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or …

 

Rapport

 

Report

44 (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

44 (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Suite à donner au rapport

Action on receipt of report

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

Idem

Idem

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 


ANNEXE B

Les documents suivants seront considérés comme confidentiels :


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑157‑19

 

INTITULÉ :

KATHLEEN O’GRADY C BELL CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉcembRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 AVril 2020

 

COMPARUTIONS :

Kathleen O’Grady

 

LA DEMANDERESSE

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Maryse Tremblay

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, SENCRL, SRL :/ LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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