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Date : 20050531

Dossier : T-2096-04

Référence : 2005 CF 782

ENTRE :

                                       Richard Angell, Douglas Atherton, Guy Auger,

Claude Bastien, Madeleine Bastien, Georges Bédard,

André Bergeron, Denis Blais, Irène Bleton,

Raymond Boucher, Robert Catudal, Diane Coallier,

Pierre Collette, André Desjardins,

Marcel Dontigny, Madeleine Duford-Bédard,

Marguerite Dumais, Larry Elliot,

Maurice Foucault, Pierre Gravel,

Andrea Gugliandolo, Robert S. Jude,

Jerry Kuzyk, Liette Lafond, Michel Laframboise,

Claude Landry, Robert Laurin,

Christian Lavoie, Yves Lemay, Gérard Lemieux,

Liliane Lupien, Michel Lyman,

Gaétan Mailhot, John McAllister, Réjean McKeown,

Denis McNamara, Normand Ménard,

Richard Migas, Mario Nantel,

Romain Paquette, François Piché,

Jean-Guy Proteau, Lilly Rahmann,

Réjean Rougeau, Claude Roulx, Jacques Samson,

Marcel Samson, Julio Seiz, Geneviève Spinedi,

Duc-Thieu Vu et Brian Wheeler

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

Ministre du Revenu national,

Agence des douanes et du revenu du Canada,

Sa Majesté du chef du Canada, et

Procureur général du Canada

                                                                             

                                                                                                                                          défendeurs


                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

Introduction

[1]                Bien qu'ils aient porté le mérite de leurs cotisations devant la Cour canadienne de l'impôt (la CCI) et que le débat à cet égard soit en théorie toujours pendant devant ce dernier tribunal, les demandeurs ont néanmoins entrepris une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour (la demande des demandeurs) dans laquelle ils recherchent, entre autres, l'arrêt définitif du processus de cotisation et l'annulation des avis de nouvelles cotisations au motif essentiel que le ministre du Revenu national (le ministre) aurait commis un vice de procédure très grave et un défaut caractérisé en ne se prononçant pas dans un délai raisonnable sur les oppositions logées par les demandeurs.

[2]                De par leur requête à l'étude, les défendeurs réclament la radiation de la demande des demandeurs aux motifs soit que notre Cour n'a pas compétence pour accorder aux demandeurs certains des remèdes qu'ils recherchent, soit que la demande des demandeurs à l'égard des autres remèdes recherchés ne révèle tout simplement aucune cause d'action raisonnable ou que cette demande est frivole ou vexatoire ou constitue un emploi abusif des procédures de la Cour.


Contexte

[3]                Le ou vers le 19 mai 1992, le ministre faisait parvenir aux demandeurs des avis de nouvelles cotisations (les nouvelles cotisations) par lesquels le ministre refusait aux demandeurs à l'égard de l'année fiscale 1988 certains crédits d'impôt reliés à des dépenses touchant la recherche scientifique et le développement.

[4]                Vers le 3 août 1992, les demandeurs logèrent des avis d'opposition à l'encontre de ces nouvelles cotisations. Ce n'est que vers le 30 octobre 1998 que les demandeurs ont porté en appel devant la CCI les nouvelles cotisations.

[5]                On doit comprendre de l'affidavit de l'un des demandeurs, soit M. Douglas Atherton, daté du 11 janvier 2005 (l'affidavit d'Atherton) et déposé par les demandeurs à l'appui de leur demande que les demandeurs n'ont pas porté leurs appels devant la CCI avant 1998 parce qu'ils attendaient dans l'intervalle, donc pendant plus de six ans, que le ministre se prononce sur leurs oppositions aux nouvelles cotisations.


[6]                Selon notre compréhension de l'affidavit d'Atherton, les demandeurs tiennent que le ministre est le seul responsable de ce délai, que ce délai contrevient à l'obligation de diligence raisonnable qu'a le ministre à l'égard de tout avis d'opposition logé et que ce délai fait qu'au moment même du dépôt des avis d'appel devant la CCI, les demandeurs ne pouvaient plus s'acquitter adéquatement du fardeau de preuve qui leur revient devant la CCI.

[7]                Les demandeurs qualifient cette dernière dynamique d'atteinte grave et sérieuse à l'équité procédurale.

[8]                Il est à noter que l'affidavit d'Atherton n'explique nullement en quoi les demandeurs dès le dépôt des avis d'appel auprès de la CCI étaient préjudiciés quant à la preuve leur revenant devant ce dernier tribunal.

[9]                Au moment du dépôt de leur dossier de réponse à la requête en radiation des défendeurs, les demandeurs ont également déposé une requête visant, d'une part, à amender certains des remèdes déjà formulés à leur demande et, d'autre part, à ajouter certains remèdes à cette demande.


[10]            Vu qu'en matière d'amendement, à l'instar d'une demande de radiation d'une procédure, l'on doit permettre l'amendement à moins qu'il soit clair et évident que l'amendement est voué à l'échec (voir Raymond Cardinal et al. c. Her Majesty the Queen, décision non rapportée de la section d'appel de cette Cour en date du 31 janvier 1994, dossier A-294-77, juges Heald, Décary et Linden), il y a lieu de manière à simplifier les choses de tenir que les amendements mis de l'avant par les demandeurs se retrouvent bel et bien à la demande des demandeurs et d'évaluer en bout de course la requête en radiation des défendeurs en tenant pour acquis que l'ensemble des remèdes des demandeurs sont à l'étude pour les fins d'adjudication sur cette requête en radiation. On comprendra qu'il n'y aura pas en fin d'analyse d'adjudication séparée sur la requête en amendement des demandeurs. Les amendements se trouveront évacués par le sort de la requête en radiation des défendeurs.

[11]            Les remèdes mis de l'avant par les demandeurs sont formulés ainsi (les remèdes recherchés par la demande) :

a.              l'arrêt définitif du processus de cotisation et de perception à l'égard des demandeurs relativement à l'année d'imposition 1988 et autres années concernées suite à l'investissement par les demandeurs, en 1988, dans la société Système ALH Enr. (ci-après « ALH » );

b.              l'annulation des avis de nouvelle cotisation émis aux demandeurs pour l'année d'imposition 1988 et autres années concernées, suite à l'investissement par les demandeurs dans ALH;

c.              l'extinction par prescription des sommes réclamées aux demandeurs aux termes des avis de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1988 et autres années concernées suite à l'investissement par les demandeurs dans ALH;

d.              l'octroi de dommages-intérêts aux demandeurs pour le préjudice causé par le défaut du Ministre et de l'ADRC de rendre une décision;

e.              la déclaration à l'endroit des défendeurs à l'effet que le défaut caractérisé des défendeurs de se conformer à leur obligation de diligence prévue à 165(3) LIR constitue une fin de non-recevoir à l'endroit de toute poursuite ou mesure de recouvrement des montants exigibles aux termes des avis de nouvelle cotisation et dans le but de traiter tous les demandeurs sur un même pied d'égalité, le remboursement avec intérêts, s'il y a lieu, de toute somme versée par les demandeurs en satisfaction des avis de nouvelle cotisation;

f.               l'autorisation pour les demandeurs d'exercer tout recours subsidiaire approprié;


g.              De façon subsidiaire et sans limiter ce qui précède, une ordonnance à l'endroit des défendeurs les enjoignant d'annuler tous les intérêts courus depuis la date de dépôt des avis d'opposition;

h.              l'octroi aux demandeurs de tout autre remède que la Cour considère juste            et approprié.

(On notera que les soulignements sont ceux des demandeurs et reflètent des amendements soit partiaux, soit totalement nouveaux.)

[12]            Par ailleurs, les motifs initiaux soulevés par les demandeurs pour l'obtention des remèdes recherchés sont demeurés identiques et sont formulés ainsi par ces derniers :

a.              les défendeurs ont fait défaut de respecter leur obligation d'agir avec diligence énoncée à l'article 165(3) de la LIR et leur devoir d'agir équitablement en vertu des principes du droit administratif canadien;

b.              les défendeurs ont porté atteinte aux droits des demandeurs à la sécurité de la personne et à la protection contre tout traitement cruel et inusité, reconnus par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés ( « Charte canadienne » );

c.              l'article 50 de la Loi d'exécution du budget de 2004 (L.C. 2004, ch. 22) édictant l'article 222 de la LIR, qui établit le délai de prescription de dix ans des dettes fiscales fédérales payables en vertu de la LIR, n'a pas d'effet rétroactif;

d.              même si l'article 50 précité avait un effet rétroactif, l'article 222 de la LIR, tel que rédigé, est discriminatoire et porte atteinte au droit des demandeurs à l'égalité reconnue par l'article 15 de la Charte canadienne.

[13]            Enfin, la requête en radiation des défendeurs est mue en vertu des principes dégagés par le juge Strayer de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, pages 54-55, où il fut dit :


This is not to say that there is no jurisdiction in this court either inherent or through rule 5 by analogy to other rules, to dismiss in summary manner a notice of motion which is so clearly improper as to be bereft of any possibility of success. (See e.g. Cyanamid Agricultural de Puerto Rico Inc. v. Commissioner of Patents (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (F.C.T.D.); and the discussion in Vancouver Island Peace Society et al. v. Canada (Minister of National Defence) et al., [1994] 1 F.C. 102; 64 F.T.R. 127, at 120-121 F.C. (T.D.)) Such cases must be very exceptional and cannot include cases such as the present where there is simply a debatable issue as to the adequacy of the allegation in the notice of motion.

[Non souligné dans l'original.]

Analyse

[14]            Je pense pour les motifs qui suivent que la Cour doit intervenir en l'espèce et faire droit à la requête en radiation des défendeurs.

[15]            Nul ne remet en doute qu'aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), le ministre a le pouvoir d'établir des cotisations (paragraphe 152 (4) de la Loi) et un contribuable a le droit de loger par écrit un avis d'opposition (paragraphe 165 (1) de la Loi). Dans le présent cas, ces étapes furent suivies et il n'y a pas lieu d'y revenir.

[16]            Suite à l'envoi d'un avis d'opposition, la Loi prévoit au paragraphe 165(3) une obligation pour le ministre de se pencher à nouveau sur la cotisation initialement établie. Toutefois, l'alinéa 169 (1)b) de la Loi établit qu'un contribuable qui a signifié au ministre un avis d'opposition peut également, en tout temps, interjeter appel auprès de la CCI après l'expiration d'un délai de 90 jours suivant la signification de son avis d'opposition, si le ministre n'a pas annulé ou ratifié la cotisation ou n'a pas établi une nouvelle cotisation. Le paragraphe 165(3) et le paragraphe 169(1) de la Loi se lisent comme suit :


165. (3) Sur réception de l'avis d'opposition, le ministre, avec diligence, examine de nouveau la cotisation et l'annule, la ratifie ou la modifie ou établit une nouvelle cotisation. Dès lors, il avise le contribuable de sa décision par écrit.

165 (3) On receipt of a notice of objection under this section, the Minister shall, with all due dispatch, reconsider the assessment and vacate, confirm or vary the assessment or reassess, and shall thereupon notify the taxpayer in writing of the Minister's action.

169. (1) Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposition à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation :

a)     après que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

b)     après l'expiration des 90 jours qui suivent la signification de l'avis d'opposition sans que le ministre ait notifié au contribuable le fait qu'il a annulé ou ratifié le cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation;

toutefois, nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l'expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article 165, portant que le ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

169. (1) Where a taxpayer has served notice of objection to an assessment under section 165, the taxpayer may appeal to the Tax Court of Canada to have the assessment vacated or varied after either

(a) the Minister has confirmed the assessment or reassessed, or

(b) 90 days have elapsed after service of the notice of objection and the Minister has not notified the taxpayer that the Minister has vacated or confirmed the assessment or reassessed,

but no appeal under this section may be instituted after the expiration of 90 days from the day notice has been mailed to the taxpayer under section 165 that the Minister has confirmed the assessment or reassessed.

[17]            Ces deux dispositions ont été revues par la Cour d'appel fédérale dans la décision qu'elle a rendue le 21 décembre 2000 dans l'arrêt James c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 2135 (l'arrêt James).


[18]            Dans cet arrêt, la Cour avait à se pencher sur une décision de première instance qui avait rejeté une requête d'un contribuable qui recherchait l'annulation de cotisations au motif que le ministre n'avait pas agi avec toute la diligence possible dans l'examen d'avis d'opposition. Dans ce dernier cas, le ministre avait mis plus de dix ans avant de ratifier les cotisations.

[19]            La Cour d'appel fédérale a rappelé comme suit, aux paragraphes 12, 13 et 20 de ses motifs, le fait qu'un délai dans la ratification n'est pas susceptible d'entraîner l'annulation de cotisations et qu'en cas de délai du ministre à cet égard, la solution pour le contribuable était soit d'aller en appel devant la CCI, soit de rechercher devant notre Cour l'obtention d'un mandamus pour forcer justement le ministre à agir. Voici les propos de la Cour :

12.            La Loi de l'impôt sur le revenu ne prévoit pas la conséquence que peut entraîner l'omission de la part du Ministre d'examen un avis d'opposition avec diligence. L'arrêt qui fait autorité sur ce point devant notre Cour est l'arrêt Bolton c. La Reine, (1996), 200 N.R. 303, 96 D.T.C. 6413, [1996] 3 C.T.C. 3 (C.A.F.). Dans cette affaire, le juge Hugessen, parlant au nom de la Cour, a déclaré ceci (à la page 304, N.R.) :

le législateur n'entendait clairement pas que le défaut du ministre d'examiner de nouveau une cotisation avec toute la diligence possible ait pour effet d'annuler la cotisation. En cas d'inaction de la part du ministre, le contribuable a pour recours l'appel prévu à l'article 169 :

13.            La référence à l'article 169 se rapporte à l'alinéa 169(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, tel qu'il se lit actuellement. [...]

[...]

20.            L'avocat de M. James soutient que l'interprétation de l'alinéa 165(3)b) qui a été donnée dans Bolton impose au Ministre une obligation légale mais ne donne aux contribuables aucun moyen efficace d'obliger le Ministre à respecter cette obligation. Il est vrai que, selon l'arrêt Bolton, le contribuable ne peut prétendre avoir le droit de faire annuler une nouvelle cotisation parce que l'examen de l'opposition qu'il a formée dure depuis trop longtemps. Il n'en découle pas toutefois que le contribuable ne dispose d'aucun recours. Il peut interjeter appel devant la Cour de l'impôt aux termes de l'alinéa 169(1)b) ou introduire une instance devant la Cour fédérale pour obliger le Ministre à examiner l'opposition et à prendre une décision à ce sujet. [...]

[20]            D'ailleurs, permettre l'annulation des cotisations au motif que le ministre a fait défaut de ratifier une cotisation avec diligence aurait pour effet de contrecarrer l'intention du législateur en privant de sens l'alinéa 169(1)b) de la Loi qui confère expressément aux contribuables un recours lorsque le ministre ne ratifie pas une cotisation à l'intérieur d'un délai jugé convenable par le contribuable. L'objet des dispositions pertinentes de la Loi est manifestement de conférer aux contribuables le droit de contester le bien-fondé des cotisations établies à leur égard sans pour autant permettre que de telles cotisations soient annulées pour des vices de forme ou de procédure qui n'ont aucun impact sur le fond de la cotisation. Accorder aux demandeurs la réparation demandée aurait pour effet de contrecarrer la réalisation de cet objet, ce qui serait contraire aux principes d'interprétation des lois.

[21]            Encore plus récemment, dans l'arrêt Addison & Leyen Ltd. v. Canada, [2005] F.C.J. no 516, le juge Kelen de notre Cour a de nouveau identifié les recours spécifiques et limités qu'un contribuable peut entreprendre lorsqu'il considère que le ministre prend trop de temps à agir. Aux paragraphes 25 et 26 de sa décision, le juge Kelen s'exprime comme suit :

25.            The applicants are not the first taxpayers to complain that the tax department has not treated them fairly, has unreasonably delayed the processing of their tax assessment and has administratively abused them. Parliament is aware of such complaints, and has provided in subsections 152(8) of the ITA that an assessment shall be deemed to be valid and binding notwithstanding any error, defect or omission in the assessment or in any proceeding relating to the assessment. Moreover, Parliament has provided in section 18.5 of the Federal Courts Act that there is no judicial review in the Federal Court with respect to the validity of an assessment if there is an adequate alternative remedy. When the tax department acts unfairly, abusively or unreasonably, the taxpayer has the following remedies:

1.              an appeal to the Tax Court of Canada from the assessment;


2.              an appeal to the Minister that the taxpayer has been unfairly, unreasonably or abusively treated whereupon the Minister has the power to waive all penalties and interest assessed against the taxpayer. There is judicial review to the Federal Court from the Minister's decision on the fairness appeal;

3.              an action for damages in this Court or a provincial superior court based on negligence or abuse of process by officials of the tax department; and

4.              an application for mandamus in this Court that the Minister act without delay.

26.            For these reasons, this Court does not have the jurisdiction to grant the relief sought by the applicants in this application for judicial review, Accordingly, this application for judicial review is bereft of any chance of success and must be struck.

[22]            De plus, dans l'arrêt Solomons c. Canada, [2003] A.C.I. no 22, le juge Bowie de la CCI rappelle comme suit au paragraphe 9 de ses motifs qu'un contribuable ne peut s'asseoir sur ses oppositions pour se plaindre par après d'un délai :

9.              [...] Il est maintenant établi [Voir Note 5 ci-dessous] que si un contribuable qui a déposé un avis d'opposition ne reçoit pas un avis de confirmation ou un avis de nouvelle cotisation "avec diligence" [Voir note 6 ci-dessous], son recours ne consiste pas à rester passif, subissant sans broncher tout le retard que le ministre peut lui infliger, puis à déclarer lors de l'appel l'emporter par forfait. Après un délai de 90 jours, il peut interjeter appel à cette cour pour faire aboutir l'affaire : voir le paragraphe 169(1) de la Loi. S'il ne le fait pas, il ne peut pas se plaindre du délai par la suite. Ce motif d'appel est dénué de mérite.

Note 5:     Bolton c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., no A-1-95, 11 juin 1996, 96 D.T.C. 6413.

Note 6 :    Paragraphe 165(3) de la Loi.


[23]            À mon avis, la jurisprudence citée plus avant, soit les arrêts Bolton, James, Addison et Solomons, établit de façon spécifique et exhaustive les recours spécifiques et limités qu'un contribuable peut entreprendre lorsqu'il considère que le ministre prend trop de temps à agir quant à une ratification sous la Loi.

[24]            En conséquence, je considère qu'il est clair et évident que les considérations et principes que la Cour d'appel fédérale a pu revoir dans l'arrêt Society Promoting Environmental Conservation c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 239, n'ont pas place en l'espèce puisque cet arrêt de 2003 traite de faits totalement différents de ceux qui nous occupent, soit l'annulation possible d'une ordonnance ministérielle d'expropriation en raison d'un processus de consultation vicié.

[25]            Si l'on revient aux circonstances du cas qui nous occupe, on constate, premièrement, que malgré tous les remèdes formulés par les demandeurs à leur demande, aucun de ces remèdes ne vise l'obtention d'un mandamus. Ce n'est pas le libellé très large des remèdes f) et h) (voir paragraphe 11 supra) qui peuvent et doivent être interprétés dans les circonstances comme visant un tel remède en mandamus. On doit tenir que les demandeurs ou leurs procureurs connaissent cette voie du mandamus depuis les arrêts Bolton et James et c'était à eux à formuler de façon précise dans leur demande, en conformité avec la règle 301 des Règles des Cours fédérales (les règles), les recours et remèdes qu'ils recherchent. La Cour n'est pas là pour conseiller les demandeurs sur ces aspects.

[26]            Deuxièmement, l'autre recours envisagé par les arrêts Bolton et James, soit l'appel devant la CCI, a été exercé ici par les demandeurs.

[27]            Les demandeurs à l'affidavit d'Atherton n'expliquent en rien, outre pourquoi ils n'ont pas ressenti le besoin de forcer, via cette Cour, le ministre à agir, pourquoi une telle ratification par le ministre aurait été de nature à changer la donne et à leur permettre justement de s'acquitter adéquatement du fardeau de preuve qui leur revient devant la CCI.

[28]            Une autre décision de la Cour d'appel fédérale, soit l'arrêt Webster c. Canada, [2003] A.C.F. no 1569, rendue le 21 octobre 2003 (l'arrêt Webster), sert également à identifier qu'un manquement allégué à l'équité procédurale dans le cadre du processus d'opposition/ratification n'est pas de nature à amener cette Cour à octroyer un remède en annulation.

[29]            Dans l'arrêt Webster, le demandeur avait reçu la décision de ratification du ministre et avait logé un appel de cette décision devant la CCI. Toutefois, alors que cet appel était toujours pendant, M. Webster s'est aperçu, suivant sa perception, que la préposée du ministre qui avait regardé ses oppositions avait possiblement eu accès à des renseignements qui lui avaient été refusés à lui.

[30]            Au paragraphe 10 de ses motifs, la Cour résume l'approche soumise par M. Webster :


10.            On fait valoir au nom de M. Webster que c'était là un manquement à la justice naturelle, manquement pour lequel il a droit à réparation, et que le seul tribunal ayant le pouvoir de lui accorder réparation pour ce manquement est la Cour fédérale. La réparation qu'il demande est une ordonnance annulant la confirmation de ses cotisations et imposant le réexamen de ses oppositions. On s'accorde pour dire que la Cour de l'impôt ne peut lui accorder cette réparation, parce que sa compétence se limite à dire si les cotisations sont valides en droit.

[31]            Par après, aux paragraphes 20 et 21, la Cour d'appel fédérale se prononce comme suit relativement au constat qu'elle n'a pas compétence pour ordonner l'annulation de la ratification du ministre :

20.            [...] Quels que soient les vices ayant pu entacher la procédure d'opposition dans le cas de M. Webster, la décision qui a résulté de cette procédure ne peut être contestée que d'une seule manière, par un appel devant la Cour de l'impôt.

21.            J'ajouterais que le droit d'interjeter appel à la Cour de l'impôt à l'encontre d'une cotisation n'est pas un droit négligeable. Le mandat de la Cour de l'impôt est de dire, à la suite d'un procès au cours duquel les deux parties auront la possibilité de produire des documents et des témoignages, si les cotisations visées par l'appel sont valides ou invalides en droit. Si les cotisations sont invalides en droit, il n'importera pas de savoir si la procédure d'opposition était viciée. Si elles sont valides, elles subsisteront quand bien même la procédure d'opposition serait viciée.

[32]            L'arrêt Scott Slipp Nissan Ltd. c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1096 (l'arrêt Scott) est un exemple où la Cour peut intervenir par contrôle judiciaire en faveur d'un contribuable lorsque ce dernier ne recherche pas l'annulation de cotisations mais plutôt une mesure de communication pour permettre que le processus d'opposition non encore terminé soit plus transparent.

[33]            Aux paragraphes 13 à 15, puis 17 et 18 de l'arrêt Scott, le juge O'Keefe de notre Cour établit comme suit la distinction à tirer :


[13]          La Cour fédérale n'a pas compétence sur les procédures structurées comme procédures de contrôle judiciaire qui en fin de compte visent à faire annuler ou réformer des cotisations fiscales, mais la présente demande n'est pas une tentative déguisée de SSNL de contester ses cotisations. SSNL conteste plutôt le refus de l'ADRC de lui communiquer intégralement son dossier de vérification, dossier dont SSNL affirme avoir besoin pour déposer utilement des avis d'opposition et les faire valoir. Sans exprimer aucune opinion sur l'à-propos du refus de l'ADRC de divulguer des renseignements de tiers en application de la Loi sur la taxe d'accise, je crois que SSNL devrait bénéficier d'une tribune où elle puisse faire valoir que la décision de l'ADRC était illégale. La Cour fédérale est une tribune à laquelle peut s'adresser SSNL.

[14]          Je ne suis pas persuadé que la Cour est dépourvue de compétence pour juger cette demande de contrôle judiciaire en raison de l'article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée. La décision contestée par SSNL concerne la divulgation incomplète de son dossier de vérification par l'ADRC, et non le fond même des cotisations de mai 2003. L'article 18.5 empêche la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire d'une décision « dans la mesure où elle est susceptible d'un tel appel » (je reprends ici les mots employés dans le Loi) devant, notamment, la Cour canadienne de l'impôt. La loi sur la taxe d'accise ne prévoit pas expressément un droit d'appel à la Cour canadienne de l'impôt à l'encontre de la décision du ministre de refuser la divulgation, et la décision de non-divulgation n'est pas non plus si étroitement liée aux cotisations de SSNL au point de transformer toute contestation de la décision de non-divulgation en une contestation des cotisations elles-mêmes.

[15]          Il est clair que je ne me range pas à l'avis du procureur général pour qui la divulgation de documents doit être obtenue à la faveur d'un appel interjeté à la Cour canadienne de l'impôt. La manière dont le procureur général considère le régime législatif forcerait les contribuables à aller de l'avant avec des avis d'opposition dénués de sens, parfois non fondés sur une connaissance des faits, qui auraient peu de chances de succès, sinon aucune, simplement pour être en mesure de se prévaloir des procédures de la Cour canadienne de l'impôt en matière de divulgation de documents. Selon moi, adopter une telle interprétation du régime législatif serait porter atteinte à l'objet avoué de la procédure de l'avis d'opposition, une procédure qui vise à offrir au contribuable une véritable occasion de persuader le ministre du Revenu national que sa cotisation devrait être annulée ou remplacée par une nouvelle cotisation. [...]

[...]

[17]          En l'espèce, le ministre n'a rendu aucune décision sur les avis d'opposition de la SSNL. Cette demande de contrôle judiciaire a été déposée avant que le droit d'appel de SSNL à la Cour canadienne de l'impôt ne prenne naissance et donc (pour reprendre les mots que la juge Sharlow) avant que ne soit « achevée la procédure d'opposition » .

[18]          Affirmer que, dès que prend naissance un droit d'appel à la Cour canadienne de l'impôt, un contribuable est contraint d'aller de l'avant avec cet appel au lieu d'obtenir par contrôle judiciaire la communication d'autres documents, ce serait permettre au ministre de se soustraire à l'objet même de la phase du régime qui concerne les oppositions. [...]


[34]            Ainsi, pour les motifs qui précèdent, il m'apparaît qu'il est clair et évident que cette Cour n'a pas compétence pour accorder l'annulation d'avis de cotisation tel que ce remède est formulé au paragraphe b) des remèdes recherchés par la demande (voir supra, paragraphe 11). Dans la même mesure et pour les mêmes motifs, cette Cour n'a pas compétence pour faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement, soit d'ordonner l'arrêt définitif du processus de cotisation et de perception à l'égard des demandeurs ou de déclarer une fin de non-recevoir à l'endroit de toute poursuite ou mesure de recouvrement. De plus, on doit savoir qu'aucune fin de non-recevoir à l'encontre de la perception de la créance fiscale découlant de l'investissement des demandeurs dans Système ALH ne peut dès lors leur être accordée car elle aurait pour effet d'éliminer l'assujettissement fiscal prévu par la Loi découlant des cotisations émises à leur égard pour l'année d'imposition 1988. Or, il est reconnu que l'assujettissement fiscal d'un contribuable prévu par la Loi ne peut être contesté que d'une seule manière : par voie d'opposition et d'appel devant la CCI, conformément aux articles 165 et 169 de la Loi.

[35]            Partant, cette Cour n'a pas compétence pour accorder les remèdes a) et e) des remèdes recherchés par la demande.

[36]            Les remèdes a), b) et e) méritent donc clairement d'être radiés.

[37]            Quant au remède c), soit l'extinction par prescription des sommes réclamées aux demandeurs aux termes des avis de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1988 et autres années concernées suite à l'investissement par les demandeurs dans ALH, ce remède ne révèle clairement et de façon évidente aucune cause raisonnable d'action.

[38]            En effet, tel que l'affirment les défendeurs dans leur dossier de requête, ce sont les principes de l'arrêt Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, qui s'appliquent en l'espèce.


[39]            En conséquence, le recouvrement des créances fiscales découlant de la Loi se prescrit six ans après la survenance du « fait générateur » conformément à l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, telle que modifiée. Or, le fait générateur des créances fiscales découlant d'une cotisation survient à l'expiration du délai de sursis aux mesures de recouvrement de la créance en question, prescrit par l'article 225.1 de la Loi. Aux termes du paragraphe 225.1(3) de la Loi, lorsqu'un contribuable en appelle d'une cotisation devant la CCI, le ministre ne peut prendre aucune mesure de recouvrement à l'égard des sommes en litige dans le cadre de cet appel avant le premier en date du jour de la mise à la poste au contribuable d'une copie de la décision de la CCI ou, le cas échéant, du jour où le contribuable se désiste de son appel. Tous les demandeurs à l'exception de Marguerite Dumais, ont interjeté appel à la CCI. À ce jour, aucune décision n'a été rendue dans ces appels, et aucun des demandeurs ne s'est désisté de son appel, lesquels sont tous toujours pendants devant la CCI. Il y a donc lieu de soutenir clairement que le délai de prescription de six ans qui serait applicable à la perception des créances découlant des cotisations établies à l'égard des demandeurs en vertu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, n'a pas encore commencé à courir au motif qu'aucun fait générateur n'est à ce jour survenu.

[40]            Le remède c) des remèdes recherchés par la demande mérite donc d'être radié au complet.

[41]            Quant au remède d), soit l'octroi de dommages-intérêts aux demandeurs pour le préjudice causé par le défaut du ministre et de l'ADRC de rendre une décision, cette Cour est sans compétence à cet égard dans le cadre de la demande puisqu'il est clair et évident que les réparations que peut accorder cette Cour dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire sont prévues de façon limitative au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle que modifiée, lesquelles n'incluent pas l'octroi de dommages-intérêts. La Cour fédérale n'a donc pas compétence pour accorder aux demandeurs des dommages-intérêts dans le cadre de leur demande. (Voir, entre autres, Tremblay c. Canada, [2004] A.C.F. 787, paragraphes 28 à 30 (C.A.F.).)

[42]            Ce remède d) des remèdes recherchés par la demande mérite également d'être radié.


[43]            Il est à remarquer ici que pour les motifs exprimés par les défendeurs à leur dossier de requête, les articles 7, 12 et 15 de la Charte n'ont rien à voir avec le litige des demandeurs. Ces arguments sont donc rejetés et ne sauraient changer les conclusions ci-avant ou ci-après tirées par cette Cour.

[44]            Quant aux remèdes f) et h) des remèdes recherchés par la demande, les motifs déjà exprimés précédemment au paragraphe 25 font que ces remèdes ne peuvent demeurer d'autant plus que s'ils demeuraient à la demande des demandeurs, ils se retrouveraient seuls comme remèdes vu la radiation des autres remèdes. En conséquence, ils seraient davantage en contravention de la règle 301. Les remèdes f) et h) des remèdes recherchés par la demande seront donc radiés parce qu'ils ne révèlent pas une cause raisonnable d'action, qu'ils sont en ce sens frivoles et constituent un abus des procédures de cette Cour.

[45]            Quant au remède g), les demandeurs le formulent ainsi : de façon subsidiaire et sans limiter ce qui précède, une ordonnance à l'endroit des défendeurs les enjoignant d'annuler tous les intérêts courus depuis la date de dépôt des avis d'opposition.

[46]            De fait, par ce remède, les demandeurs visent l'obtention d'une ordonnance enjoignant les défendeurs d'annuler, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, les intérêts courus sur créance fiscale découlant de leurs investissements dans Système ALH, depuis la date du dépôt de leur avis d'opposition relativement à cet investissement.

[47]            Or, le pouvoir d'annuler ou de renoncer aux intérêts ou pénalités payables par un contribuable aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi est un pouvoir discrétionnaire qui appartient au ministre.

[48]            La compétence de la Cour fédérale, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir discrétionnaire, ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. Le pouvoir d'intervention de la Cour se limite plutôt à réviser le processus qui a mené à la décision, et, lorsqu'elle estime qu'elle a un motif d'intervenir, d'annuler la décision et de retourner le dossier au décideur pour qu'il exerce à nouveau son pouvoir discrétionnaire. Il y a donc lieu de considérer clairement en conséquence que la réparation supplémentaire consistant en l'obtention d'une ordonnance enjoignant les défendeurs d'annuler, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, les intérêts courus sur créance fiscale découlant de leurs investissements dans Système ALH, depuis la date du dépôt de leur avis d'opposition relativement à cet investissement est frivole et vexatoire, constitue un emploi abusif des procédures de la Cour et ne révèle aucune cause raisonnable d'action.

[49]            Ce remède g) aux remèdes recherchés par la demande mérite donc d'être radié.

[50]            Vu que tous les remèdes recherchés par la demande méritent d'être radiés, il y aura lieu d'accueillir avec dépens la requête en radiation des défendeurs et de procéder à la radiation au complet de la demande des demandeurs.


[51]            Vu cette conclusion principale, il n'y a pas lieu de se pencher sur les autres remèdes contenus soit à la requête en radiation des défendeurs, soit à la requête en amendements des demandeurs.

[52]            Une ordonnance sera émise en conséquence.

                      Richard Morneau

                            protonotaire

Montréal (Québec)

le 31 mai 2005


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-2096-04

RICHARD ANGELL ET AUTRES

                                                                                          demandeurs

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA,

SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA, ET

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                            défendeurs


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            19 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                   31 mai 2005

ONT COMPARU :


Me Pierre Gonthier

Me Nader Khalil

Me Jean-R. Boivin

POUR LES DEMANDEURS

Me Pierre Cossette

Me Philippe Dupuis

POUR LES DÉFENDEURS


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Marchand Melançon Forget

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS


John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada


POUR LES DÉFENDEURS

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