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     Date : 19980626

     Dossier : IMM-3306-97

OTTAWA (Ontario), le vendredi 26 juin 1998

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED

Entre :

     SYED SHAHAB HAIDER ZAIDI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     Ayant entendu ce recours à Toronto (Ontario), le mercredi 24 juin 1998 et par les motifs prononcés ce jour en la matière,

     Déboute le demandeur de son recours.

     Signé : B. Reed

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980626

     Dossier : IMM-3306-97

Entre :

     SYED SHAHAB HAIDER ZAIDI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge REED

[1]      Le demandeur agit en l'espèce en contrôle judiciaire contre la décision par laquelle une agente des visas, exerçant le pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de l'alinéa 11(3)b) du Règlement sur l'immigration, DORS/78-172, lui a refusé le statut de résident permanent bien qu'elle lui ait accordé 71 points d'appréciation (alors que 70 points suffisent pour l'obtention de ce statut). Ce refus tient à ce que selon l'agente des visas, le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances du demandeur de réussir son installation au Canada. Celui-ci soutient qu'elle (1) faisait preuve de prévention et a préjugé de son cas, (2) prenait en compte des facteurs non pertinents, et (3) ne tenait pas compte des facteurs pertinents.

[2]      Dans son affidavit, le demandeur fait savoir qu'à l'ouverture de son entrevue, l'agente des visas " lui a dit immédiatement " qu'elle " ne trouvait pas sa demande satisfaisante ". Il soutient qu'elle manifestait ainsi sa prévention à son égard, ce que celle-ci nie catégoriquement. Voici ce qu'elle affirme aux paragraphes 9 et 10 de son propre affidavit :

     [TRADUCTION]

     9. Contrairement à ce qu'affirme le demandeur au paragraphe 15 de son affidavit, je tiens à souligner avec force que je ne lui ai pas dit du tout à son entrée dans mon bureau : " Je ne trouve pas votre demande satisfaisante ", à quoi il aurait répondu : " Je vous convaincrai. Dites-moi juste ce que vous ne trouvez pas satisfaisant ". L'entrevue vise, entre autres buts principaux, à mesurer les chances de réimplantation du candidat à l'immigration au Canada. Il serait inique de la part d'un agent des visas de tenir pareils propos avant même que l'entrevue ne commence. Je n'ai rien dit de tel au demandeur.         
     10. J'ai eu avec le demandeur une longue entrevue, au cours de laquelle il s'est vu donner pleinement la possibilité de faire la preuve des aptitudes professionnelles qu'il pourrait apporter avec lui au Canada. Ce n'est que vers la fin de l'entrevue que j'ai exprimé des réserves quant à ses qualifications, afin qu'il pût y répondre avant ma décision en la matière.         

[3]      Il y avait eu bien entendu une instruction préliminaire sur pièces de la demande du demandeur avant l'entrevue. Il aurait pu facilement voir à tort une connotation négative dans les propos visant à recueillir d'autres renseignements au sujet de sa demande. Je n'ai pas été convaincue que l'agente des visas ait préjugé de son cas.

[4]      Le demandeur soutient qu'elle prenait en compte des facteurs non pertinents, puisqu'elle a écarté une lettre sur ses antécédents de travail aux États-Unis. Il impute cette attitude négative au fait qu'il travaillait au noir aux États-Unis et que, selon l'agente des visas, cette lettre " était écrite de façon bizarre, certains mots étant en majuscules ". Le demandeur fait savoir qu'il a offert de lui montrer des talons de ses chèques de paie et de prouver qu'il payait l'impôt sur son revenu d'emploi.

[5]      L'agente des visas répond à ce propos qu'à ses yeux, le fait qu'il travaillait au noir aux États-Unis n'avait rien à voir avec l'authenticité de la lettre en question. Elle dit qu'elle ne se rappelle pas mot pour mot leur conversation mais qu'elle aurait exprimé des doutes sur cette lettre parce que celle-ci n'était pas signée et que des majuscules n'y étaient pas à leur place.

[6]      Le fait que cette lettre n'est pas signée est un vice majeur. On ne saurait blâmer l'agente des visas de ne lui attacher aucune importance ou de douter de son authenticité. Il y a également lieu de noter que la compagnie dont le papier à en-tête servait pour cette lettre n'existait plus à la date de l'entrevue.

[7]      Voici les points d'appréciation que l'agente des visas a accordés au demandeur :

     Âge                      10

     Demande professionnelle              10

     Préparation professionnelle spécifique      11

     Expérience                  6

     Emploi réservé                  0

     Facteur démographique              8

     Études                      13

     Connaissance de l'anglais              7

     Connaissance du français              0

     Personnalité                  6

     TOTAL                      71

[8]      N'empêche qu'elle a jugé qu'il n'était pas admissible au Canada, et sa décision a été approuvée par un agent supérieur. Elle n'était pas persuadée qu'il réussirait son installation au Canada. Voici ce qu'on peut lire dans la lettre envoyée au demandeur :

     [TRADUCTION]

     Aux termes de l'alinéa 11(3)b) du Règlement sur l'immigration, " l'agent des visas peut " refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10, s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier ". Dans votre cas, je ne suis pas convaincue que vous réussiriez votre installation au Canada. Cette conclusion a été soumise par écrit à un agent d'immigration supérieur qui l'a approuvée. Voici les motifs qui fondent ma décision :         
     Au cours de l'entrevue à laquelle vous comparaissiez dans nos bureaux le 25 juin 1997, vous avez fait savoir que vous n'aviez jamais visité le Canada. Ni votre femme ni vous-même n'avez au Canada des parents qui puissent vous aider dans votre réimplantation. Vous êtes le seul gagne-pain pour votre femme, pour vos trois enfants et pour votre mère, qui est veuve et que vous avez également déclarée sur votre formule de demande comme personne à charge.         
     Sur votre demande, vous indiquez Analyste de systèmes comme profession envisagée. Comme vous n'avez aucune expérience véritable dans cette profession, je vous ai évalué au regard de la profession de programmeur d'ordinateur. Je ne suis cependant pas convaincue que vos chances d'établissement dans cette profession soient bonnes; votre formation professionnelle dans ce domaine est très limitée, vous n'avez qu'une brève expérience de la vie en Amérique du Nord et, prié d'expliquer certains concepts courants de ce domaine, vous avez eu beaucoup de mal à vous exécuter. Je conclus par conséquent que vous ne seriez pas du tout compétitif sur le marché ouvert du travail au Canada. (Ci-joint copie des points d'appréciation que vous avez obtenus)         

[9]      Voici ce qu'on peut lire dans les notes qu'elle a prises au cours de l'entrevue :

     [TRADUCTION]

     L'intéressé a manifestement quelques connaissances et antécédents en informatique, mais pas assez pour se qualifier comme analyste de systèmes. J'ai demandé au vice-consul McLeman de lui poser quelques questions vraiment élémentaires dans ce domaine, dont la question de savoir ce que c'est qu'un " BUS ", et il n'a pas pu y répondre. Il est possible que l'intéressé ait travaillé comme programmeur d'ordinateur et c'est à ce titre que je l'ai évalué. Cependant, bien qu'il obtienne le minimum requis de points d'appréciation pour satisfaire aux critères de sélection, je ne suis pas du tout convaincue de ses chances de réussir son installation au Canada. Il n'a jamais été dans ce pays et n'y a aucun parent. Sa formation dans ce domaine est très limitée, son expérience de la vie en Amérique du Nord est brève et, à mon avis, il ne serait pas du tout compétitif sur le marché du travail. Je lui ai demandé d'expliquer par écrit comment il chercherait du travail, mais il n'a pas répondu à la question. Par ailleurs, le relevé de son compte en banque indique 9 600 $US, dont 5 000 ont été déposés il y a moins de deux semaines. Il dit qu'il s'agit là d'un virement d'un compte d'épargne qu'il a " de sa fille (qui est au Pakistan). Se dit propriétaire de bien immeuble au Pakistan, mais ce n'est pas ce qu'il indique sur sa formule de demande. Il a une femme et trois enfants au Pakistan, mais a inscrit sa mère qui est veuve sur la liste des personnes à charge puisqu'il est fils unique. À mon avis, il ne remplit pas les conditions d'immigration au Canada malgré le nombre de points d'appréciation obtenu, et je recommande le rejet discrétionnaire de sa demande.         

[10]      Le demandeur conteste l'évaluation faite par l'agente des visas, disant qu'il n'a peut-être pas de parents au Canada, mais qu'il y a un ami qui l'aiderait. Que s'il n'a jamais visité le Canada, il a travaillé pendant deux ans aux États-Unis et les deux pays se ressemblent. Et qu'il ne demande le statut de résident permanent que pour lui-même, et non pour sa femme, ses enfants ou sa mère. Il conteste la conclusion que son instruction est limitée, que son expérience de la vie en Amérique du Nord est limitée, et qu'il ne connaît guère le domaine revendiqué.

[11]      Malheureusement pour le demandeur, son dossier corrobore les conclusions de l'agente des visas. Par ailleurs, s'il ne demande pas immédiatement le droit d'établissement pour sa famille, il se trouve qu'une fois qu'il se voit accorder ce droit, sa femme et ses enfants y auraient également droit. L'aptitude du requérant à s'établir au Canada avec les personnes à sa charge est un facteur.

[12]      Dans Chiu Chee To c. M.C.I. (A-172-93, 23 mai 1996), la Cour d'appel fédérale a posé que la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions des agents de visas relatives aux demandes d'immigration est la même que celle définie par la Cour suprême du Canada dans Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 1, où le juge McIntyre a fait l'observation suivante en pages 7 et 8 :

     C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.         

[13]      Dans Chen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] 1 R.C.S. 725, la Cour suprême du Canada a adopté la conclusion tirée par les juges Strayer ([1991] 3 C.F. 350) et Robertson (motifs dissidents, [1994] 1 C.F. 639, pages 649 et 650) au sujet de l'interprétation du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172. Elle a ainsi approuvé l'interprétation centrée sur les considérations économiques qui s'attachent à la réimplantation au Canada. Dans ses motifs de jugement, le juge Strayer a fait l'observation suivante en page 361 :

     Étant donné cet accent sur les facteurs économiques mis à la fois par le législateur et par le gouverneur en conseil à l'égard de la question de déterminer si un immigrant est en mesure de " s'établir avec succès " au Canada, il est difficile de voir comment le pouvoir discrétionnaire accordé à un agent des visas par le paragraphe 11(3) du Règlement peut permettre à ce dernier de ne pas tenir compte du nombre de points d'appréciation et de déterminer, essentiellement pour des raisons non économiques, qu'un immigrant n'aura pas de chance de s'établir avec succès au Canada. Même si ce paragraphe exige uniquement que l'agent des visas soit " d'avis qu'il existe de bonnes raisons ", ces raisons doivent être de nature à le porter à croire que l'immigrant n'est pas en mesure de s'établir avec succès au sens économique du terme. Elles ne peuvent embrasser des raisons comme les suivantes : qu'un immigrant ne sera probablement pas un bon voisin, un bon résident ou finalement un bon citoyen du Canada " Si ces personnes doivent être exclues pour de telles raisons, cela doit se faire en vertu du processus prévu à l'article 19 et non par le biais de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un agent des visas sous le régime du paragraphe 11(3) du Règlement parce qu'il croit qu'un immigrant est indésirable.         

                                 [non souligné dans l'original]

[14]      À mon avis, la décision du juge Strayer signifie aussi que le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas n'est pas tel qu'il peut tenir compte des facteurs qui ont été déjà évalués pour l'attribution des poins d'appréciation, à moins que les notes ne soient zéro (voir page 362).

[15]      En l'espèce, l'avis défavorable de l'agente des visas concernait l'aptitude du demandeur à se réimplanter au Canada du point de vue économique. Étant donné l'insuffisance des connaissances de ce dernier dans le domaine qu'il disait posséder, son manque d'expérience sur le marché du travail nord-américain, le fait qu'il n'avait aucun plan pour chercher du travail au Canada, et le nombre de personnes qui seraient à sa charge, l'agente doutait qu'il fût en mesure de s'établir au Canada, financièrement parlant, sans l'assistance publique.

[16]      Le demandeur ne dit pas que l'agente des visas ait implicitement donné des notes plus basses dans sa décision discrétionnaire défavorable, ni ne produit aucune preuve à cet égard.

[17]      Par application des critères définis par la jurisprudence, je conclus qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision de l'agente des visas. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

     Signé : B. Reed

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 26 juin 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-3306-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Syed Shahab Haider Zaidi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      24 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MME LE JUGE REED

LE :                      26 juin 1998

ONT COMPARU :

M. Joseph Farkas                  pour le demandeur

M. Stephen Gold                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Joseph Farkas                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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