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Date : 20200408


Dossier : T-377-16

Référence : 2020 CF 501

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2020

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

BIOFERT MANUFACTURING INC

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

AGRISOL MANUFACTURING INC. ET BIOFERT NA MANUFACTURING INC., FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LE NOM DE BIOFERT, TAHIR MAHMOOD, AMARAN TYAB, SAIF MAHMOOD ET FARRAH MAHMOOD

 

défendeurs/

demandeurs reconventionnels

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Par un jugement rendu le 13 mars 2020, Agrisol Manufacturing Inc. et BioFert NA Manufacturing Inc. [les sociétés défenderesses] et le défendeur individuel, M. Tahir Mahmood [M. Mahmood], ont été tenus solidairement responsables de contrefaçon de marque de commerce et de violation de droit d’auteur. La demanderesse n’a pas eu gain de cause contre les autres défendeurs, et les défendeurs n’ont pas eu gain de cause dans leur demande reconventionnelle.

[2]  Des dommages-intérêts de 82 000 $ ont été accordés, ce qui correspond à 81 000 $ pour la violation de la Loi sur les marques de commerce et à 1 000 $ pour la violation de la Loi sur le droit d’auteur.

[3]  De plus, la demanderesse s’est vu adjuger des dépens dont le montant devait être déterminé à une date ultérieure parce qu’elle a demandé la possibilité de présenter des observations sur une offre de règlement fondée sur l’article 420 des Règles, qui a été rejetée et dont le rejet pourrait entraîner une condamnation au double des dépens prévus par le tarif après la date du rejet.

I.  Observations

[4]  La demanderesse réclamait initialement les dépens suivants :

  • a) un montant total de 183 147,33 $ à titre de dépens, incluant :

  1. le montant de 28 280 $ à titre de dépens prévus par le tarif pour la période allant du début du présent litige au 2 août 2019, et

  2. le double des dépens prévus par le tarif, soit 109 125 $ (c’est-à-dire le double des dépens prévus par le tarif qui ont été proposés, soit 54 562,50 $), pour la période allant du 2 août 2019 à la fin du procès en raison de l’offre de règlement fondée sur l’article 420 des Règles qui a été rejetée par les défendeurs, et

  3. un montant de 45 742,33 $ à titre de débours; ou

A.  Demande du double des dépens prévus par le tarif

[5]  Dans ses observations sur l’article 420 des Règles, après que la décision eût été rendue, la demanderesse a continué de demander le double des dépens prévus par le tarif pour la période commençant après le 2 août 2019. La demanderesse a expliqué qu’elle avait présenté deux offres de règlement, soit le 2 août 2019 (offre fondée sur l’article 420 des Règles) et le 30 septembre 2019 (offre non fondée sur l’article 420 des Règles). L’offre du 2 août 2019 était une offre croissante qui tenait jusqu’au début du procès. L’offre comprenait une indemnisation sous forme de dommages-intérêts, de restitution de profits, de dommages punitifs et exemplaires ainsi que de dépens :

  • a) elle était 200 000 $ si elle était acceptée avant le 19 août 2019;

  • b) elle augmentait à 250 000 $ si elle était acceptée entre le 19 août 2019 et le 15 octobre 2015;

  • c) elle augmentait à 300 000 $ si elle était acceptée après le 15 octobre 2019.

[6]  La demanderesse soutenait que, puisque la Cour a accordé 82 000 $ en dommages‑intérêts, si ce montant était ajouté aux dépens prévus par le tarif qui ont été proposés, soit 81 842,50 $ (82 842,50 $ moins 1 000 $ déjà accordés dans le cadre de requêtes antérieures), plus des débours de 45 742,33 $, ce montant s’élèverait à 209 000,83 $. Ce montant semble résulter d’une erreur de calcul, puisque le montant total s’élève en fait à 209 584,83 $. Quoi qu’il en soit, son argument est que son offre de règlement de 200 000 $ peut être qualifiée d’inférieure à ce qui lui a été accordé selon ce calcul.

[7]  En ce qui concerne l’offre du 30 septembre 2019, la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait pas remplacé l’offre du 2 août 2019. Cette offre incluait les [traduction] « mêmes conditions [...], sauf un paiement de règlement réduit » de 125 000 $, ce qui était inférieur aux dommages‑intérêts accordés, plus les dépens et les débours (calculés à 209 584,83 $, au paragraphe 6 ci-dessus). Cependant, la demanderesse a admis que l’offre ne tenait que jusqu’à la fin de la conférence préparatoire, soit le 2 octobre 2019.

[8]  La demanderesse reconnaît qu’étant donné que l’offre du 30 septembre 2019 ne répond pas aux conditions d’application strictes de l’article 420 des Règles, elle devrait être examinée en vertu de l’article 400 des Règles, qui accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’accorder le double des dépens, puisque l’offre était inférieure aux dommages-intérêts accordés.

[9]  Elle invoque à l’appui des précédents où des dépens représentant 150 % des dépens habituellement prévus par le tarif ont été accordés lorsque les conditions techniques d’application de l’article 420 des Règles n’étaient pas présentes, mais que les cours ont néanmoins souhaité reconnaître les offres de règlement (Dimplex North America Ltd c CFM Corporation, 2006 CF 1403; Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 1998 CanLII 8792 (CF)).

[10]  La demanderesse a également soutenu, pour appuyer l’adjudication de dépens sollicitée, qu’un règlement avait également été offert dans une lettre en date du 8 mars 2016 portant la mention [traduction] « Sous toute réserve ». Cette offre de règlement aurait visé le présent litige ainsi que l’affaire BioFert Manufacturing Inc. c Agrisol Manufacturing Inc., BioFert NA Manufacturing Inc., Tahir Mahmood, Imran Ahmed, et Kamal Preet Singh Bagha de la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

B.  Demande de dépens sur une base avocat-client

[11]  Sa demande subsidiaire porte sur des dépens de 915 945,83 $ sur une base avocat-client (honoraires réels de 712 221,50 $, plus 45 742,33 $ en débours et environ 160 000 $ en honoraires d’instruction, moins les 1 000 $ déjà accordés dans le cadre d’une requête antérieure). Il y a encore une fois une erreur de calcul mineure puisque le montant total s’élève en fait à 916 963,83 $. Une partie de l’écart semble être attribuable au fait que les observations de la demanderesse utilisaient une somme de 2 000 $ au lieu de 1 000 $ à titre de montant déjà accordé dans le cadre de requêtes antérieures. À l’appui de cette demande de dépens sur une base avocat‑client, la demanderesse a fait valoir à l’audience que :

  • a) les défendeurs ont sciemment et manifestement mis sur pied une entreprise de copie;

  • b) les témoignages des défendeurs étaient évasifs et vagues;

  • c) les efforts déployés par les défendeurs ont obligé la demanderesse à entamer des procédures supplémentaires et coûteuses pour reprendre le contrôle du nom de domaine;

  • d) les défendeurs ont adopté des positions déraisonnables quant au litige, notamment en ne donnant pas leur consentement à des modifications courantes, en ne répondant pas aux demandes d’admission; par ailleurs, le défendeur Saif Mahmood a présenté une requête de dernière minute pour représenter lui-même les sociétés défenderesses et M. Mahmood a présenté une requête visant à présenter de nouveaux documents qu’il n’a en fin de compte pas utilisés;

  • e) les défendeurs ont choisi de ne pas retenir les services d’un avocat, même s’ils n’étaient pas [traduction] « impécunieux »;

  • f) aucun des défendeurs n’a obtenu de copies de ses propres documents auprès de leurs anciens avocats, et ils ont compté sur la demanderesse à cet égard;

  • g) le défendeur Saif Mahmood a interrogé des témoins au sujet de renseignements protégés par le privilège découlant des règlements;

  • h) Le défendeur Amaran Tyab n’a pas comparu à deux reprises alors qu’il devait témoigner.

[12]  Bien que des observations initiales sur les dépens aient été présentées par M. Mahmood, ce dernier n’a fourni aucune autre observation en réponse aux observations de la demanderesse concernant l’article 420 des Règles. Les autres défendeurs ont présenté des observations à l’audience, mais n’en ont pas présenté par après. Aucune observation n’a été reçue de la part des sociétés défenderesses.

[13]  J’ai examiné toutes ces observations ainsi que les facteurs énoncés aux articles 400 et 420 des Règles.

II.  Analyse

A.  Double des dépens prévus par le tarif

[14]  Pour que l’article 420 des Règles concernant le double des dépens prévus par le tarif s’applique, l’offre de règlement doit être faite au moins 14 jours avant le début du procès et ne doit pas être révoquée ou expirer avant le début de l’instruction (voir les alinéas 420(3)a) et b) des Règles).

[15]  En l’espèce, l’offre de règlement du 2 août 2019 répond à ces conditions, contrairement à l’offre du 30 septembre 2019, puisque celle-ci ne tenait que jusqu’au 2 octobre 2019.

[16]  Toutefois, l’offre du 2 août 2019 ne répond pas à l’exigence du paragraphe 420(1) des Règles selon laquelle ce qui est obtenu doit être « […] aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l’offre » pour que l’article 420 des Règles s’applique.

[17]  Même si j’utilise les calculs de la demanderesse, qui arrivent au montant de 209 584,83 $, tel que cela est indiqué au paragraphe 6 ci-dessus, ce qui est supérieur au montant de l’offre de règlement du 2 août 2019 de 200 000 $, il faut se rappeler que l’offre était une offre de règlement croissante. Le montant de règlement de 200 000 $ n’était offert que jusqu’au 19 août 2019; cependant, au procès, l’offre de règlement ouverte qui a été acceptée était de 300 000 $.

[18]  Le juge Lemieux a confirmé que « [l]’offre de la demanderesse est qualifiée dans la jurisprudence d’offre croissante, parce qu’elle croît en termes pécuniaires à mesure que la demanderesse engage plus de frais d’avocat, en particulier dans la préparation du procès et au procès lui-même, jusqu’à l’acceptation de l’offre » (Gravel and Lake Services Ltd c Bay Ocean Management Inc, 2002 CFPI 265, par. 7). Il a jugé que la date appropriée pour évaluer la date d’un règlement est la date du procès. Je suis d’accord.

[19]  Je ne suis pas disposé à ordonner des dépens en vertu de l’article 420 des Règles à l’égard de toute offre de règlement qui ne répond pas aux conditions du paragraphe 420(3) des Règles.

B.  Dépens sur une base avocat-client

[20]  Le présent procès n’a pas été facile pour les avocats de la demanderesse. Il est manifeste que les avocats de la demanderesse ont eu beaucoup plus de « travail » à faire parce que les défendeurs individuels n’ont pas retenu les services d’un avocat et que les avocats des sociétés défenderesses ont choisi de ne pas être présents à l’audience, comme en font état  les motifs.

[21]  De toute évidence, les avocats de la demanderesse étaient exaspérés par les défendeurs. Au procès, je leur ai demandé, en tant qu’auxiliaires de justice, d’apporter à l’occasion leur aide. Je les ai félicités d’avoir fourni des documents aux défendeurs lorsque ces derniers ne les avaient pas amenés à la Cour. De plus, les avocats ont dû ressentir d’autres frustrations quotidiennement. C’était très difficile pour la greffière, car elle devait aussi fournir des documents et d’autres services qu’elle n’aurait pas eu à fournir si les parties avaient été représentées. Il ne fait aucun doute que le procès a pris beaucoup plus de temps que si toutes les parties avaient été représentées. La nécessité d’avoir un traducteur pour certains témoins a aussi rendu le procès plus difficile.

[22]  Rien de tout cela n’était imprévu, car la tenue d’un procès complexe en matière de propriété intellectuelle rend souvent la situation plus difficile pour la Cour et les avocats du demandeur; en l’espèce, au lieu d’avocats, nous avions quatre défendeurs non formés en droit.

[23]  Les défendeurs ont toutefois le mérite d’avoir été respectueux envers la Cour et les avocats de la demanderesse lorsque la Cour siégeait, ce qui est tout à fait remarquable étant donné qu’ils ne s’entendaient même pas entre eux. En fin de compte, bien qu’il y ait eu une animosité personnelle entre un certain nombre de participants, il s’agissait d’une affaire de propriété intellectuelle commerciale et nous avons tous fait de notre mieux dans les circonstances. Les défendeurs ont rarement fourni des documents ou examiné les transcriptions antérieures, mais une fois qu’ils ont reçu l’ordre de le faire, ils l’ont fait immédiatement et se sont excusés sincèrement pour leur manque de connaissances juridiques.

[24]  S’agit-il d’une situation qui justifie l’adjudication de dépens sur une base avocat-client à l’encontre des défendeurs? Non. Il ne s’agit pas du cas rare justifiant une telle adjudication. Les défendeurs n’ont pas agi de façon répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Louis Vuitton Malletier SA c Yang, 2007 CF 1179).

C.  Dépens adjugés

[25]  La Cour d’appel fédérale a indiqué que l’adjudication de sommes globales à titre de dépens est appropriée pour éviter un exercice comptable et simplifier le processus (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, aux paragraphes 11 à 13).

[26]  La demanderesse a fourni des factures détaillées des frais et des débours, et je lui accorde une somme globale qui tient compte de tous les facteurs énoncés à l’article 400 des Règles. Je remarque dans le mémoire de dépens que la demanderesse a utilisé la colonne III pour certains dépens et la colonne IV pour la majorité des dépens, de sorte que le calcul fondé sur le tarif est généreux à l’égard de la demanderesse.

[27]  Les facteurs positifs à prendre en compte sont le fait que la demanderesse a tenté de régler l’affaire ainsi que le travail considérable qu’elle a accompli pour mener le procès avec des personnes qui ont agi pour leur propre compte. Ce travail supplémentaire incluait la présentation de requêtes procédurales pendant le procès et d’innombrables objections, ainsi qu’un travail superflu parce qu’elle ne traitait pas avec des avocats. Malgré cela, les avocats de la demanderesse étaient très organisés et bien préparés.

[28]  D’un autre côté, il y a des facteurs négatifs que je dois aussi prendre en compte. La demanderesse a réclamé des dommages-intérêts beaucoup plus élevés (942 300 $ en dommages‑intérêts compensatoires et 100 000 $ en dommages-intérêts punitifs et exemplaires) que ce qui a été recouvré (82 000 $). En fait, elle demande davantage à titre de dépens que ce qui a été accordé à titre de dommages-intérêts. La demanderesse a également eu uniquement partiellement gain de cause, car elle n’a pas eu gain de cause contre trois des défendeurs ni à l’égard de ses demandes de dommages-intérêts punitifs.

[29]  Un élément positif en faveur des défendeurs est qu’ils ont admis certains faits et déposé un exposé conjoint des faits, ce qui a permis de faire gagner du temps à la Cour. Il ne faut pas oublier que cela a été fait à l’initiative de la demanderesse, et que cette dernière a fait tout le travail, mais il n’en demeure pas moins que les défendeurs ont, en fin de compte, collaboré et que cela a permis de gagner du temps et de réduire le nombre de témoins.

[30]  Après une mise en balance de tous les facteurs positifs et négatifs conformément à l’article 400 des Règles, je condamnerai solidairement les sociétés défenderesses et M. Mahmood à verser à la demanderesse une somme globale de 80 000 $, incluant les frais, les débours et les taxes. Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur ou à l’encontre des autres défendeurs.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-377-16

LA COUR STATUE que :

  1. les sociétés défenderesses et M. Mahmood sont solidairement condamnés à verser à la demanderesse une somme globale 80 000 $, incluant les honoraires, les débours et les taxes;

  2. aucuns dépens ne sont adjugés en faveur ou à l’encontre des autres défendeurs.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de mai 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-377-16

 

INTITULÉ :

AGRISOL MANUFACTURING INC. ET BIOFERT NA MANUFACTURING INC., FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LE NOM DE BIOFERT, TAHIR MAHMOOD, AMARAN TYAB, SAIF MAHMOOD, ET FARRAH MAHMOOD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

DU 25 AU 29 NOVEMBRE 2019

DU 2 AU 5 DÉCEMBRE 2019

DU 9 AU 11 DÉCEMBRE 2019

LES 8 ET 9 JANVIER 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Karen MacDonald

Mathew Brechtel

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tahir Mahmood

Amaran Tyab

Saif Mahmood

Farrah Mahmood

POUR LES DÉFENDEURS,

POUR LEUR PROPRE COMPTE

 

Usman Ghani

POUR LES DÉFENDERESSES,

AGRISOL MANUFACTURING INC. ET BIOFERT NA MANUFACTURING INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ghani Law Corp.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDERESSES,

AGRISOL MANUFACTURING INC. ET BIOFERT NA MANUFACTURING INC.

 

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