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Date : 20200415


Dossier : T-1190-19

Référence : 2020 CF 514

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2020

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

BEYOND RESTAURANT GROUP LLC

demanderesse

et

QIANG WANG

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Beyond Restaurant Group LLC [Beyond Restaurant], a déposé la présente demande le 22 juillet 2019 en vue d’obtenir un jugement déclarant invalide l’enregistrement canadien no LMC985822 [l’enregistrement no 822] à l’égard de la marque verbale pokeworks [la marque en cause] et le radiant du registre des marques de commerce conformément à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la LMC]. À l’appui de sa demande de radiation, Beyond Restaurant a déposé les affidavits des témoins suivants : i) Kevin Hsu, associé directeur de Beyond Restaurant Group LLC, souscrit le 30 juillet 2019; ii) Melissa Playford, enquêtrice privée au sein d’Integra Investigation Services Ltd, souscrit le 8 août 2019; et (iii) Akilah Roper, adjointe juridique employée par l’avocat de Beyond Restaurant, souscrit le 30 octobre 2019.

[2]   Beyond Restaurant gère une chaîne de restaurants POKEWORKS partout en Amérique du Nord et est propriétaire de plusieurs enregistrements aux États‑Unis [É.‑U.] relativement à la marque POKEWORKS et à des marques connexes. Le défendeur, Qiang Wang, est le propriétaire inscrit de l’enregistrement no 822. Beyond Restaurant allègue que, à la date à laquelle la présente instance a été introduite, la marque en cause ne distinguait pas les services en liaison avec lesquels elle a été enregistrée et employée par Qiang Wang des services de Beyond Restaurant : al. 18(1)b) de la LMC. Beyond Restaurant allègue également que Qiang Wang a produit une fausse déclaration d’emploi auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada [l’OPIC] afin de [traduction] « squatter » ses droits et de bloquer ses tentatives légitimes de protéger ses droits afférents à la marque de commerce POKEWORKS au Canada.

[3]  En l’espèce, l’audience a été tenue ex parte, car Beyond Restaurant n’a pas été en mesure de trouver l’adresse actuelle de Qiang Wang pour lui signifier l’avis de demande. Je fais remarquer que Beyond Restaurant a demandé et obtenu une ordonnance de signification substitutive le 28 août 2019. Qiang Wang n’a déposé aucun avis de comparution et n’a pas participé à l’instance.

[4]  Pour les motifs suivants, je rejette la présente demande de radiation.

II.  Le contexte

[5]  Depuis 2015, Beyond Restaurant gère une chaîne de restaurants POKEWORKS aux É.‑U., qui propose à la fois des services aux tables et des services de commandes à emporter. Le plat principal du menu est le poké, un plat hawaïen composé de poisson cru en dés. En juillet 2019, on comptait environ 44 restaurants POKEWORKS partout aux É.‑U. et un à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Beyond Restaurant envisageait d’ouvrir des restaurants dans l’ensemble de l’Amérique du Nord (y compris au Mexique) d’ici 2020.

[6]  Le 1er juillet 2016, Beyond Restaurant a demandé l’enregistrement aux É.‑U de la marque de commerce POKEWORKS sur le fondement de l’emploi aux É.‑U. La marque a été enregistrée le 27 décembre 2016 en liaison avec des services de restaurant, y compris des services aux tables et des services de commandes à emporter. Depuis lors, Beyond Restaurant est également devenu titulaire de plusieurs autres marques connexes aux É.‑U., y compris les marques verbales POKE WORKS, POKÉ YOUR WAY et POKE YOUR WAY, ainsi que de quatre dessins-marques présentant des versions stylisées du terme Pokeworks.

[7]  Beyond Restaurant a ouvert un restaurant POKEWORKS à Vancouver à la fin de 2017 [le pré‑lancement a eu lieu le 25 septembre et la grande ouverture le 18 novembre]. Au cours de sa première année d’exploitation, POKEWORKS Vancouver a généré des ventes de près de 600 000 $US et a engagé des dépenses d’un peu plus de 13 000 $US en publicité [au moyen de Yelp, de matériel publicitaire et de publications sur les médias sociaux]. En outre, Beyond Restaurant allègue qu’en juillet 2019, POKEWORKS comptait près de 45 000 abonnés sur Instagram et plus de 11 000 mentions « j’aime » sur Facebook et avait reçu au moins une critique  vidéo de son sushi burrito publiée par FOOD INSIDER et visionnée environ 50 millions de fois.

[8]  Le 5 octobre 2016, Qiang Wang a déposé la demande n1803344 au Canada en vue d’enregistrer la marque en cause sur le fondement de l’emploi projeté en liaison avec des services de restaurant, y compris des services aux tables et des services de commandes à emporter [demande n344]. Le 24 novembre 2017, l’OPIC a délivré un avis d’acceptation. À peine cinq jours plus tard, le 29 novembre 2017, Qiang Wang a déposé une déclaration d’emploi par voie électronique, qui a donné lieu à l’enregistrement n822 relativement à la marque en cause à cette même date : par. 40(2) de la LMC [cette disposition était en vigueur avant le 17 juin 2019, date à laquelle la LMC a subi des modifications importantes].

[9]  Le 26 septembre 2017, deux mois avant que Qiang Wang n’ait produit sa déclaration d’emploi, Beyond Restaurant a déposé la demande no 1859482 en vue d’enregistrer la marque POKEWORKS sur le fondement de l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les mêmes services qu’aux É.‑U., à savoir des [traduction] « services de restaurant, y compris des services aux tables et des services de commandes à emporter » [demande no 482]. À l’exception d’un imprimé des détails de la marque de commerce provenant de la Base de données sur les marques de commerce canadiennes indiquant la mention [traduction] « Date de modification : 2018‑10‑25 » au bas de la page, je précise que Beyond Restaurant n’a fourni aucune autre preuve concernant l’état de la demande no 482, par exemple si elle a invoqué l’enregistrement n822 comme obstacle potentiel à l’enregistrement de POKEWORKS sur le fondement de l’alinéa 12(1)d) de la LMC. Bien que l’imprimé indique que le premier rapport de l’examinateur a été publié le 10 octobre 2018, aucune copie de ce rapport ni aucun renseignement sur son contenu n’ont été fournis à la Cour.

[10]  Beyond Restaurant s’est ensuite organisée pour qu’une enquêtrice privée détermine si Qiang Wang avait employé la marque en cause. Dans son affidavit, l’enquêtrice privée décrit avoir mené une [traduction] « recherche approfondie sur Internet et sur les médias au sujet de la marque “pokeworks” en lien avec Qiang Wang en Ontario, ainsi que des recherches sur Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn », mais n’a rien trouvé. L’enquêtrice privée a également recherché le terme « pokeworks » dans la base de données des entreprises débitrices de l’Ontario et dans les bases de données nationales donnant accès aux jugements des cours de justice et des tribunaux ainsi qu’aux lois et règlements de toutes les provinces et de tous les territoires, mais n’a rien trouvé non plus.

[11]  La pièce A jointe à l’affidavit de l’enquêtrice privée est une copie des détails de l’enregistrement n822. L’adresse du propriétaire inscrit, Qiang Wang, est le 250, chemin Consumers, bureau 909, North York (Ontario) M2J 4V6. L’enquêtrice privée a effectué des recherches sur Qiang Wang en utilisant cette adresse, mais n’a trouvé aucun enregistrement pertinent. Un immeuble de location commercial est sis au 250, chemin Consumers et géré par Fidelity Property Management, qui a confirmé que le bureau était occupé par Morgan Global Anti-Counterfeiting Net Ltd [Morgan Global]. Morgan Global a été constituée en société dans la province le 26 avril 2000 et l’adresse de son siège social est le 250, chemin Consumers, bureau 909. Dans le registre de l’entreprise Morgan Global, Qiang Wang ne figure pas comme administrateur ou dirigeant. Les tentatives de l’enquêtrice privée pour communiquer avec Morgan Global en téléphonant aux numéros figurant dans le registre de l’entreprise et disponibles en ligne sont demeurées vaines.

[12]  Une autre adresse postale figurait également au dossier de Morgan Global, soit le 7100, avenue Woodbine, bureau 110, Markham (Ontario). Cette adresse correspond au Woodbine & Steeles Corporate Center, qui est géré par Colliers. Le 2 avril 2018, l’enquêtrice privée s’est entretenue avec le réceptionniste de Colliers, qui a indiqué que le bureau 110 était vacant depuis environ deux ans et a confirmé que la société située auparavant au bureau 110 s’appelait « Morgen & Kevin ». L’enquêtrice privée a obtenu un rapport de l’Ontario sur le profil de la société Morgen & Kevin Corp, qui indiquait qu’elle a été constituée en société dans la province le 3 avril 1996 et a été dissoute par [traduction] « l’impôt sur le revenu des sociétés » le 13 mai 2017. Qiang Wang ne faisait pas partie des administrateurs et dirigeants inscrits. L’enquêtrice privée a tout de même enquêté sur les adresses des administrateurs et dirigeants inscrits. La première concernait un logement en copropriété, la deuxième n’était pas valide et la troisième était l’emplacement actuel de l’entreprise AIM Health Group à Toronto.

[13]  Le 6 avril 2018, un deuxième enquêteur privé s’est rendu au 250, chemin Consumers, bureau 909, et a confirmé que Morgan Global n’était pas inscrit sur la liste des locataires de l’immeuble, qu’il n’y avait aucune marque d’identification sur la porte du bureau, que la porte était verrouillée et qu’il n’y avait aucun bruit provenant de l’unité. Les efforts déployés pour parler aux occupants des unités voisines et au personnel du bureau de Fidelity Property Management n’ont donné aucun renseignement pertinent.

[14]  Le 3 mai 2018, Beyond Restaurant a envoyé une lettre de demande par courrier recommandé à Qiang Wang au 250, chemin Consumers, bureau 909, North York (Ontario) M2J 4V6, pour lui demander d’annuler volontairement l’enregistrement n822. Je fais remarquer que la lettre n’a pas été retournée à titre de courrier non distribuable et que Qiang Wang n’a jamais répondu à la lettre. Dans son affidavit, Akilah Roper ne dit pas si une confirmation de la livraison ou de la cueillette de la lettre envoyée par courrier recommandé a été obtenue.

[15]  Même si l’enregistrement n822 était inscrit depuis moins de trois ans, Beyond Restaurant a également envoyé une lettre au registraire le 27 juin 2018 pour lui demander d’exercer son pouvoir discrétionnaire de donner un avis en vertu de l’article 45 de la LMC [l’avis prévu à l’article 45] exigeant que le propriétaire inscrit de l’enregistrement fournisse des éléments de preuve démontrant que la marque en cause était employée au cours de la période pertinente en liaison avec les services précisés dans l’enregistrement. Dans sa lettre, Beyond Restaurant a affirmé qu’aucune preuve d’emploi de la marque en cause n’a été établie en liaison avec l’un ou l’autre des services énumérés et que la demande no 344 et la déclaration d’emploi avaient été déposées pour l’empêcher d’étendre ses activités au Canada; il était donc dans l’intérêt public que le registraire exerce son pouvoir discrétionnaire de donner un avis prévu à l’article 45 afin de préserver l’intégrité du registre des marques de commerce. Or, dans une lettre datée du 10 juillet 2018, le registraire a rejeté la demande et a suggéré de contester la marque de commerce devant la Cour fédérale conformément à l’article 57 de la LMC [invoquant l’arrêt United Grain Growers c Lang Michener (2001), 12 CPR (4th) 89 (CAF), ou voir la référence neutre 2001 CAF 66].

[16]  Un an plus tard, le 25 juillet 2019, l’enquêtrice privée a tenté de signifier à Qiang Wang l’avis de demande au 250, chemin Consumers, bureau 909. À l’entrée du bureau 909, l’enquêtrice privée a remarqué que l’unité était occupée par « LK Law & Associates ». La personne qui l’a accueillie a confirmé qu’il ne savait pas qui était Qiang Wang et que celui‑ci n’était pas un avocat du cabinet. Pendant qu’elle était dans le bureau, l’enquêtrice privée a obtenu les cartes professionnelles d’une avocate et d’un consultant/parajuriste en immigration. Le 29 juillet 2019, elle est retournée au 250, chemin Consumers, bureau 909, et a fait une nouvelle tentative de signification. Elle a laissé un exemplaire de l’avis de demande à l’avocate dont le nom figurait sur la carte qu’elle avait précédemment obtenue, qui s’est identifiée de vive voix et lui a fourni sa carte professionnelle. Considérant ces efforts, Beyond Restaurant a obtenu une ordonnance autorisant la signification substitutive en date du 28 août 2019.

III.  Les questions en litige

[17]  La question préliminaire consiste à savoir si Beyond Restaurant a qualité pour agir en l’espèce, et j’y répondrai en premier. Dans l’affirmative, je devrai alors examiner les questions suivantes :

A.  L’enregistrement no 822 devrait-il être déclaré invalide et radié du registre? Pour conclure à l’invalidité, il faut d’abord examiner les questions suivantes : i) La marque en cause était‑elle distinctive à la date à laquelle la présente instance a été introduite? ii) L’enregistrement n822 a-t-il été obtenu par suite d’une fausse déclaration sur des faits importants?

B.  Si elle obtient gain de cause, Beyond Restaurant devrait‑elle avoir droit aux dépens liés à la présente demande?

IV.  Les dispositions applicables

[18]  Voir l’annexe A.

V.  Analyse

[19]  Hormis le registraire, seule une personne intéressée peut présenter une demande de radiation d’un enregistrement d’une marque de commerce : par. 57(1) de la LMC. On entend par « personne intéressée » quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre : art. 2 de la LMC. Comme Beyond Restaurant n’a pas affirmé qu’elle est une personne intéressée et n’a pas non plus présenté d’observations à ce sujet, il appartient à la Cour d’examiner si elle a présenté suffisamment de faits pour lui permettre de conclure, en vue d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, qu’elle est effectivement une personne intéressée et qu’elle a donc qualité pour présenter la demande de radiation.

[20]  Je précise que, si Beyond Restaurant avait démontré que le registraire s’était opposé à la demande no 482 sur le fondement de l’alinéa 12(1)d) de la LMC, invoquant l’enregistrement no 822 comme obstacle potentiel à l’enregistrement, sa qualité pour agir devant notre Cour n’aurait pas été en cause : Beijing Jingdong 360 du E-commerce Ltd c Zhang, 2019 CF 1293 [Jingdong], au par. 12. Cela dit, selon l’interprétation qu’on lui a donnée, la définition établit un seuil de minimis : Jingdong, précitée, au par. 11, citant Vancouver Association for Injured Motorcyclists c Alliance for Injured Motorcyclists Canada, 2010 CF 1207, au par. 10; CIBC World Markets Inc c Stenner, 2010 CF 397, au par. 20, citant John Labatt Ltd  c Carling Breweries Ltd (1974) 18 CPR (2d) 15 (CF 1re inst) [Labatt].

[21]  Comme il est indiqué dans la décision Burmah-Castrol (Canada) Ltd c Nasolco Inc (1974), 16 CPR (2d) 38 (CF 1re inst), au paragraphe 3 : « Il est évident que la notion de “personne intéressée” varie selon les faits de chaque affaire ». Dans la décision Labatt, le juge a conclu ce qui suit : « Je n’aurais aucune difficulté à me prononcer si l’on avait prouvé que la requérante, la John Labatt Limited, exploitait une entreprise semblable à celle de l’intimée, la Carling Breweries Limited, savoir, le brassage de boissons alcooliques y compris la bière, l’ale, la lager, le porter et le stout, mais cette allégation n’apparaît pas dans la déclaration de la requérante » : Labatt, précitée, au par. 56. Cette conclusion était fondée sur le passage suivant de la décision Appolinaris Co’s Trade Marks, Re (1891), 8 RPC 137, aux p. 224‑225 Ch. p. 160 RPC [Appolinaris], qui, bien qu’un peu long, vaut la peine d’être reproduit [tiré de la décision Labatt, précitée, au par. 55] :

[traduction] Nous en arrivons maintenant à examiner cette question en prenant pour acquis, et bien sûr cela s’impose pour y répondre, que la marque de commerce fut erronément inscrite au registre et nous ferons en plus les deux observations suivantes : en premier lieu, il s’agit d’une simple question de locus standi; et en second lieu l’expression « personne lésée » nous semble avoir été insérée dans la loi pour empêcher les agissements des dénonciateurs de profession ou de personnes qui interviendraient par pur sentiment, mais on ne doit pas interpréter cette expression comme signifiant qu’un préjudice grave et sérieux est une condition préalable au droit de demander la radiation. En outre, nous sommes d’avis que toutes les fois qu’un commerçant, grâce à sa marque de commerce enregistrée à tort, restreint le domaine d’activités ouvert à ses concurrents, éliminant par le fait même, soit dans l’immédiat ou selon toute probabilité dans l’avenir, un concurrent de ce champ d’activité dans lequel il désire entrer, ce concurrent est une « personne lésée ». À nouveau, si la marque de commerce illégale a pour effet ou aura vraisemblablement pour effet non pas d’exclure un commerçant concurrent, mais de la gêner, ce commerçant concurrent est, à notre avis, une personne lésée. Un homme exerçant le même commerce que celui qui a illégalement enregistré une marque de commerce et qui désire faire commerce de l’article en question est prima facie une « personne lésée ». Cette présomption peut être repoussée en démontrant qu’en raison de certaines circonstances qui n’ont absolument aucun rapport avec la marque de commerce, la personne qui se plaint ne pourrait jamais faire commerce de l’article en question […]

[22]  Comme il n’était pas allégué que les parties exploitaient une entreprise semblable, le juge a ensuite conclu ce qui suit aux paragraphes 57 et 61 de la décision Labatt, précitée :

Pour justifier sa demande de radiation, la requérante doit démontrer qu’elle a un droit quelconque d’utiliser la marque, bien qu’elle ne soit pas tenue de prouver qu’elle a droit à l’enregistrement […]

Pour être une “personne intéressée”, il faut avoir des motifs raisonnables de craindre de subir un préjudice par suite de l’enregistrement de la marque de commerce. La personne qui cherche à faire radier l’inscription doit prouver que celle-ci constitue pour elle un obstacle.

[23]  Contrairement à ce qui a été observé dans la décision Labatt, Beyond Restaurant a suffisamment démontré que les services qu’elle offre relèvent du même secteur d’activités que celui de l’enregistrement no 822. En outre, pour paraphraser la décision Appolinaris, précitée, j’estime qu’il est raisonnablement probable que l’enregistrement no 822 puisse à l’avenir exclure Beyond Restaurant d’une partie de ce secteur d’activités en l’absence d’une radiation. Par conséquent, je conclus que Beyond est une personne intéressée et a donc la qualité requise.

[24]  Passons maintenant à la question de savoir si la marque en cause est distinctive. La date pertinente à retenir pour apprécier le caractère distinctif est la date à laquelle la présente instance a été introduite, à savoir le 22 juillet 2019 : al. 18(1)b) de la LMC. Je commence mon analyse en présumant que l’enregistrement d’une marque de commerce est valide jusqu’à preuve du contraire, et toute incertitude doit être tranchée en faveur de sa validité : Bedessee Imports Ltd c GlaxoSmithKline Consumer Healthcare (UK) IP Limited, 2019 CF 206 [Bedessee], au par. 13, citant Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd c Tune Master Inc, [1984] 82 CPR (2d) 128 (CF) à la p. 134.

[25]  Beyond Restaurant soutient, et je suis d’accord avec elle, que pour être distinctive, la marque doit respecter trois conditions : (i) la marque et les produits ou services doivent être liés; (ii) le propriétaire de la marque doit utiliser cette liaison dans la fabrication, la publicité et la vente des produits ou services; (iii) cette liaison doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer son produit ou ses services de celui ou ceux d’autres propriétaires : Roots Corporation c YM Inc (Ventes), 2019 CF 16 [Roots], au par. 56; 8073902 Canada Inc c Vardy, 2019 CF 743 [Vardy], au par. 56; Boston Pizza International Inc c Boston Market Corp, 2003 CF 892, au par. 16. La preuve du défaut d’emploi peut rendre la marque de commerce invalide au motif qu’elle n’est pas distinctive.

[26]  Beyond Restaurant renvoie à la décision Jingdong comme exemple du type de preuve que la Cour a accepté pour démontrer le défaut d’emploi. Dans cette affaire, le juge Brown a accepté des éléments de preuve non contestés d’un « enquêteur de marques de commerce chevronné qui a effectué de vastes recherches sur Internet et dans les réseaux sociaux, de pair avec des inspections matérielles au lieu d’affaires que le défendeur a inscrit pour ses deux sociétés ainsi que dans sa demande de marque de commerce (lieu d’affaires qui est aussi son lieu de résidence), de même qu’aux emplacements des trois points de vente qu’il a mentionnés », et qui « n’est parvenu à relever aucune preuve de vente [...] aucune preuve de publicité sur [la] marque [...] ou aucune référence du défendeur ou de tiers à celle-ci ». Ces éléments de preuve ont démontré que la marque de commerce du propriétaire n’était pas employée au Canada : Jingdong, précitée, aux par. 17‑21.

[27]  En l’espèce, Beyond Restaurant a présenté une preuve semblable, résumée plus haut, des enquêtes menées par une enquêtrice privée qui [traduction] « mène régulièrement [...] des enquêtes liées à la propriété intellectuelle », en vue de démontrer le défaut d’emploi de la marque en cause. Toutefois, je remarque des lacunes dans la preuve qui ont une incidence sur la question de savoir si Beyond Restaurant a suffisamment démontré le défaut d’emploi de la marque en cause pour que cet argument soit retenu. Premièrement, l’enquêtrice privée n’a pas fourni de liste des critères de recherche qu’elle a utilisés dans ses enquêtes. Dans son affidavit, elle a simplement indiqué qu’elle [traduction] « [...] a mené une recherche approfondie sur Internet et sur les médias au sujet de la marque “pokeworks” en lien avec Qiang Wang en Ontario, ainsi que des recherches sur Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn relativement à Qiang Wang en liaison avec “pokeworks” ». L’absence de détails supplémentaires concernant les critères de recherche fait en sorte qu’il est difficile de vérifier l’ampleur ou la portée et, de fait, le caractère raisonnable des mesures prises à cet égard. Par exemple, on ne sait pas quels [traduction] « médias » ont fait l’objet d’une recherche ni si les recherches ont été effectuées en ligne ou hors-ligne, ou les deux.

[28]  Deuxièmement, l’enquêtrice privée a mené son enquête principalement en avril 2018 et n’a pas pris d’autres mesures depuis, à part se présenter en personne à l’adresse de Qiang Wang indiquée dans l’enregistrement no 822; par conséquent, rien ne démontre que la marque en cause n’a pas été utilisée au cours de la période comprise entre avril 2018 et juillet 2019, qui s’étend sur plus d’un an avant la date pertinente du 22 juillet 2019. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que Beyond Restaurant a suffisamment démontré que la marque en cause n’est pas utilisée, étant donné que Qiang Wang l’a peut-être employé entre-temps et avant le dépôt de la déclaration d’emploi.

[29]  Je reconnais qu’il est difficile d’essayer de prouver l’inexistence d’un fait [c’est‑à‑dire que la marque en cause n’a pas été employée au Canada], mais de plus amples détails sur la portée des recherches menées par l’enquêtrice privée m’auraient peut‑être permis de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la marque en cause n’est pas employée. Par exemple, à l’audience, l’avocat de Beyond Restaurant a affirmé que Wang est un nom de famille courant. Même si j’acceptais cette affirmation [sans preuve à l’appui, car aucune n’a été fournie], comme je l’ai déjà dit, l’affidavit de l’enquêtrice privée renvoie aux recherches effectuées sur le terme [traduction] « “pokeworks” en lien avec Qiang Wang en Ontario » et sur [traduction] « Qiang Wang en liaison avec “pokeworks” ». À mon avis, ces critères ont considérablement réduit la portée des recherches. Qiang Wang a peut-être déménagé et, à titre de propriétaire de l’enregistrement n822, il aurait néanmoins toujours le droit à l’emploi exclusif de la marque en cause dans tout le Canada : art. 19 de la LMC. En outre, je suis prête à déduire de la preuve présentée que Qiang Wang a reçu à cette adresse : (i) l’avis d’acceptation envoyé par l’OPIC le 24 novembre 2017, puisqu’il a ensuite produit la déclaration d’emploi et payé les frais d’inscription le 29 novembre 2017; et (ii) la lettre de demande envoyée par courrier recommandé par Beyond Restaurant le 3 mai 2018, puisque cette lettre n’a pas été retournée à titre de courrier non distribuable. De plus, l’enquêtrice privée n’a donné aucun renseignement sur le nombre de résultats ou de références qu’elle a obtenus concernant Qiang Wang ou Q Wang. En outre, le fait de rechercher Qiang Wang précisément [traduction] « en liaison avec “pokeworks” » a indûment restreint les recherches dès le départ, puisqu’il pourrait s’agir pour lui d’une petite entreprise ou d’une entreprise secondaire qui laisse peu d’« empreintes » numériques [c’est‑à‑dire en ligne] ou hors ligne, s’il en est. Par conséquent, compte tenu de la validité présumée de l’enregistrement, j’estime qu’il fallait davantage de renseignements sur l’étendue des recherches effectuées par l’enquêtrice privée pour réfuter cette présomption, selon la prépondérance des probabilités.

[30]  Cela dit, je conviens que la probabilité de confusion peut être un facteur pertinent, selon les circonstances, dans l’analyse de l’invalidité pour absence de caractère distinctif en vertu de l’alinéa 18(1)b), et, le cas échéant, ce facteur doit également être évalué en fonction de la date à laquelle l’instance a été introduite, soit le 22 juillet 2019 : Bon Appetit Danish, Inc c 2168587 Ontario Ltd, 2019 CF 396, aux par. 40‑41. Le critère applicable consiste à déterminer si la confusion concernant la source des produits ou services se produirait sur la base de la « première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques » : Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece], aux par. 40‑41; Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 [Veuve Clicquot], au par. 20.

[31]  Beyond Restaurant soutient que la marque en cause crée de la confusion avec sa propre marque POKEWORKS, qu’elle emploie au Canada en liaison avec des services de restauration dans son restaurant de Vancouver depuis le 25 septembre 2017, plus de deux mois avant que Qiang Wang ne dépose sa déclaration d’emploi auprès de l’OPIC. Cependant, cet emploi a commencé bien après que Qiang Wang ait déposé la demande no 344 le 5 octobre 2016.

[32]  Beyond Restaurant a produit quelques éléments de preuve de sa notoriété ou de sa réputation, comme des articles dans des publications telles que Food & Beverage Magazine, Forbes, NBC News et The Boston Globe, de la publicité dans les médias sociaux, y compris sur Instagram [avec 45 000 abonnés] et Facebook [avec plus de 11 000 mentions « j’aime »], ainsi qu’une vidéo publiée par Food Insider qui critique le restaurant POKEWORKS et son [traduction] « sushi burrito », qui aurait été vue 50 millions de fois. Certains de ces éléments de preuve, comme la vidéo, précédaient même la production de la demande d’emploi projeté de Qiang Wang relativement à la marque en cause [à savoir la demande no 344, produite le 5 octobre 2016]. Or, rien ne démontre que l’un ou l’autre de ces éléments de preuve concerne le Canada, par exemple si les publications susmentionnées ont eu des retombées positives sur le Canada ou si des Canadiens font partie des abonnés sur Instagram ou des gens qui ont cliqué sur la mention « j’aime » sur Facebook ou ont visionné la vidéo. Par conséquent, même si elle a commencé à employer sa marque de commerce POKEWORKS aux É.‑U. et en a demandé l’enregistrement avant la production de la demande no 344 de Qiang Wang, Beyond Restaurant n’a pas démontré que sa marque avait acquis une certaine réputation au Canada avant de commencer à l’employer à son restaurant de Vancouver en septembre 2017. L’analyse de la confusion se limite donc à l’emploi démontré de POKEWORKS au Canada par Beyond Restaurant.

[33]  Les marques de commerce en question sont essentiellement identiques compte tenu du mot commun « pokeworks », tout comme le sont les services qui y sont associés; par conséquent, le degré de ressemblance est élevé. Les voies de commercialisation ne sont aucunement restreintes dans l’enregistrement no 822 et, par conséquent, elles sont vraisemblablement identiques, ou presque, ou pourraient l’être. Le mot « pokeworks » possède un caractère distinctif intrinsèque, mais qui n’est pas trop prononcé en raison de la signification du mot poké, un plat hawaïen composé de poisson cru en dés. La mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues et la période pendant laquelle elles ont été employées pourraient favoriser Beyond Restaurant, mais cela n’est pas certain car, à mon sens, les résultats de l’enquête de l’enquêtrice privée n’étaient pas concluants en ce qui concerne l’emploi, ou le défaut d’emploi, de la marque en cause par Qiang Wang, et parce que les revenus de Beyond Restaurant pour la première année d’exploitation de son restaurant à Vancouver n’étaient pas énormes. Par conséquent, à la lumière des paragraphes 6(2) et 6(5) de la LMC, je suis d’avis que la probabilité de confusion est élevée.

[34]  Toutefois, l’analyse ne se termine pas là. Comme l’enquête de l’enquêtrice privée a été menée principalement en avril 2018, il est évident que Beyond Restaurant était au courant de l’enregistrement no 822 avant la publication du premier rapport de l’examinateur le 10 octobre 2018 relativement à sa propre demande no 482. Or, aucun élément de preuve n’a été présenté quant à savoir si Beyond Restaurant était au courant de la demande no 344 avant de commencer à employer POKEWORKS au Canada le 25 septembre 2017. Les décisions examinées ci‑dessous nous guideront quant à savoir si Beyond Restaurant avait une telle connaissance et pouvait invoquer son propre emploi de POKEWORKS au Canada jusqu’au moment où la présente demande de radiation a été présentée.

[35]  Dans la décision Humpty Dumpty Foods Ltd v George Weston Ltd (1989), 24 CPR (3d) 454 (CF 1re inst) [Humpty Dumpty], au paragraphe 8, la Cour a souligné les observations suivantes concernant la capacité d’un [traduction] « nouvel utilisateur » à s’appuyer sur son propre emploi pour contester la demande de l’[traduction] « ancien utilisateur » ou, plus précisément, de « l’ancien demandeur » :

[traduction] Autrement dit, l’appelante soutient qu’il est clairement et manifestement erroné que l’intimée soit autorisée à se fonder sur des éléments de preuve qu’elle a produits après la date à laquelle la demande de l’appelante a été présentée pour contester cette demande au motif que la marque de commerce projetée de l’appelante ne distingue pas les produits de l’appelante en liaison avec lesquels l’emploi de la marque AMIGOS est projeté des produits de l’intimée en liaison avec lesquels la marque AMIGO a été employée, entre la date de présentation de la demande de l’appelante et la date du dépôt de la déclaration d’opposition de l’intimée.

[36]  Dans la décision Remo Imports Ltd c Jaguar Canada Ltd, 2006 CF 21, le juge Shore s’est appuyé sur la décision Humpty Dumpty lorsqu’il a conclu, au paragraphe 316 :

Un nouvel utilisateur ne doit pas être autorisé à renforcer sa cause en produisant des preuves établissant que sa revendication était plus forte en raison de l’emploi de sa marque, après avoir pris connaissance de la revendication antérieure de l’ancien utilisateur relativement à la marque.

[37]  Ces deux décisions ont été citées dans la décision The Courtyard Restaurant Inc c Marriott Worldwide Corporation, 2006 CanLII 80366, 2006 CarswellNat 5371 (CA COMC) [Courtyard Restaurant], aux paragraphes 65 à 67 [caractères gras ajoutés] :

Aux fins de l’analyse de ce motif d’opposition, je dois me pencher sur l’argument invoqué à l’audience par l’agent de la requérante sur le fondement de l’enregistrement no TMA205,682 pour la marque de commerce THE COURTYARD CAFE. L’agent de la requérante a fait remarquer que cette dernière est propriétaire de la marque de commerce THE COURTYARD CAFE depuis le 16 juin 2000 et qu’elle et son prédécesseur en titre utilisent la marque de commerce en question au Canada depuis au moins l’année 1972. En conséquence, au 29 août 2000, l’opposante était la nouvelle utilisatrice de la marque de commerce COURTYARD en liaison avec des services de restaurant. Donc, en sa qualité de nouvelle utilisatrice, elle ne peut invoquer le caractère distinctif acquis de sa marque de commerce et ne pourrait contester avec succès le caractère distinctif de la marque. À l’appui de sa prétention, la requérante invoque les décisions Remo Imports Ltd c. Jaguars Cars Limited et al (2006), 2006 CF 21 (CanLII), 47 C.P.R. (4th) 1 (C.F. 1re inst.), et Humpty Dumpty Foods Ltd. c. George Weston Ltd (1989), 24 C.P.R. (3d) 354 (C.F. 1re inst.).

Dans la décision Remo, le juge Shore a déclaré qu’un nouvel utilisateur ne devrait pas pouvoir renforcer sa thèse en produisant une preuve susceptible de démontrer que sa revendication est plus solide du fait de l’emploi de sa marque de commerce après avoir pris connaissance de la revendication antérieure de l’ancien utilisateur à l’égard de cette marque. Je souligne que, puisqu’il est question dans l’affaire Remo d’une action intentée pour commercialisation trompeuse et en contrefaçon/radiation, on peut soutenir qu’elle se distingue d’une instance en opposition [voir Unilever Canada Inc. v Sunrider Corp., 2006 CarswellNat 2018, 2006 (C.O.M.C. 27 mars 2006)]. Cela étant dit, je prends acte des commentaires suivants du juge Shore au paragraphe 327 :

 Le principe selon lequel le nouvel utilisateur qui adopte la marque bien connue de l’ancien utilisateur ne devrait pas bénéficier du caractère acquis découlant de l’emploi qu’il fait de cette marque détournée a été appliqué dans d’autres cas que la radiation. Voici des exemples : (…)

 (3) Dans Humpty Dumpty, le juge Martin a conclu que la Commission des oppositions des marques de commerce n’aurait pas dû tenir compte de l’emploi que la demanderesse (le nouvel utilisateur) avait fait de sa marque après que la demande pendante de l’opposante (ancien utilisateur) concernant la même marque avait été invoquée à l’encontre de la demande d’emploi projeté du nouvel utilisateur, y compris l’emploi fait par ce dernier avant la date pertinente pour l’examen du motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif (c’est-à-dire la date de production de l’opposition) :

 [...] je tiens à ajouter que j’accueillerais aussi l’appel pour le motif que le président n’aurait pas dû accepter la preuve [du nouvel utilisateur] relativement à l’utilisation de la marque de commerce projetée après que [le nouvel utilisateur] eut reçu l’avis que lui a fait parvenir le Bureau des marques de commerce le 10 mai 1985. On précisait dans cet avis que la marque de commerce de l’intimée ne pourrait vraisemblablement être enregistrée vu l’antériorité de la demande de [l’ancien utilisateur] et la possibilité de confusion avec la marque de [ce dernier].

À mon avis, l’affaire Remo se distingue encore de la présente affaire, ne serait‑ce que parce qu’elle mettait en cause une marque de commerce de haute renommée. En fait, il n’y a dans la présente affaire aucune preuve qui puisse mener à la conclusion que la marque de commerce THE COURTYARD CAFE était bien connue à la date pertinente. De plus, puisqu’il n’y a aucune preuve que l’opposante était au courant de l’emploi de la marque de commerce THE COURTYARD CAFE, je suis d’avis que la présente affaire se distingue de l’affaire Humpty Dumpty.

[38]  À mon sens, l’espèce ne se distingue pas aussi facilement de la décision Humpty Dumpty que l’affaire Courtyard Restaurant. Comme je l’ai déjà dit, Beyond Restaurant n’a présenté aucun élément de preuve quant à savoir si elle était au courant de la demande no 344 lorsqu’elle a commencé à employer POKEWORKS au Canada en septembre 2017. Elle a eu connaissance de la déclaration d’emploi déposée et de l’enregistrement no 822 qui en a découlé au moins en avril 2018, soit environ cinq mois seulement après la grande ouverture en novembre 2017 de son premier restaurant POKEWORKS canadien. En outre, comme elle n’a pas démontré avoir acquis une réputation au Canada grâce à l’emploi et à la promotion de POKEWORKS aux É.‑U., et compte tenu des résultats d’enquête non concluants concernant l’emploi de la marque en cause par Qiang Wang, Beyond Restaurant n’a pas réussi à dissiper les doutes quant à la validité de l’enregistrement no 822. Par conséquent, ces doutes doivent être résolus en faveur de la validité de l’enregistrement.

[39]  Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si l’enregistrement no 822 est invalide pour fausse déclaration sur des faits importants, la Cour fédérale a conclu dans la décision Marchands Ro-Na Inc c Tefal SA (1981), 55 CPR (2d) 27, au paragraphe 7, qu’une fausse déclaration sur des faits essentiels à l’enregistrement de la marque de commerce était suffisante pour déclarer l’enregistrement invalide et nul ab initio :

[traduction] [7]  L’intimée soutient que la première marque ne devrait pas être rayée puisque, depuis le mois de décembre 1968, elle a été cédée de façon absolue à la compagnie française qui de fait l’employait déjà. Une cession postérieure ne saurait remédier au vice de l’enregistrement parce que le cédant n’avait rien à céder. T-Fal Corporation de New York n’était pas propriétaire d’une marque de commerce validement enregistrée et n’avait absolument aucun droit de propriété sur la marque T-Fal au Canada. L’enregistrement était nul à l’origine parce qu’il a été obtenu sur la foi d’une déclaration trompeuse et que les faits véritables établissent l’absence de tout droit du cédant sur quelque marque que ce soit. Nul ne peut céder ce dont il n’est pas propriétaire.

[40]  La juge Gleason (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a résumé plus récemment le droit en matière de fausses déclarations sur des faits importants dans la décision Coors Brewing Company c Anheuser‑Busch, LLC, 2014 CF 716, au paragraphe 37 [caractères gras ajoutés] :

[37]  Ainsi, dans Unitel et WCC, la Cour a étendu le nombre de cas dans lesquels une marque de commerce peut être radiée en cas de déclarations inexactes faites de bonne foi pour couvrir, outre les fausses déclarations concernant les questions visées par l’article 12 de la Loi, toutes les situations où la déclaration inexacte a entraîné la délivrance d’un certificat d’enregistrement qui ne l’aurait pas été autrement (bien qu’en vérité, ces décisions n’ont pas tant élargi que réaffirmé le principe formulé par le juge Addy dans Marchands, décision rendue en 1981, dans laquelle la Cour avait invalidé un enregistrement en raison d’une fausse déclaration d’emploi).

[41]  En vertu de la loi en vigueur au moment de la délivrance du certificat d’enregistrement no 822, Qiang Wang était tenu de déclarer qu’il avait commencé à employer la marque de commerce projetée au Canada pour pouvoir enregistrer la marque en cause : par. 40(2) de la LMC. Bien que Qiang Wang ait déposé une déclaration d’emploi, la preuve dont dispose la Cour ne permet pas de déterminer si la marque en cause a été employée avant la production de la déclaration d’emploi ou si elle n’a pas été employée du tout. Par conséquent, je suis d’avis que Beyond Restaurant n’a pas satisfait à la norme de preuve pour établir que l’enregistrement no 822 est nul ab initio.

VI.  Conclusion

[42]  Par conséquent, la présente demande est rejetée, puisque Beyond Restaurant n’a pas établi suffisamment de faits pour permettre à la Cour de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la marque en cause n’a pas été employée et n’est pas distinctive et que Qiang Wang a fait une fausse déclaration sur des faits importants en déclarant que la marque en cause a été employée au Canada en réponse à l’avis d’acceptation émis à l’égard de la demande no 344.

[43]  Comme Qiang Wang n’a pas comparu dans le cadre de la présente instance, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-1190-19

LA COUR STATUE que la demande en vue de faire déclarer invalide l’enregistrement canadien nLMC985822 pour la marque verbale pokeworks et de le faire radier du registre des marques de commerce conformément à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, est rejetée sans frais.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de juin 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


Annexe A : Dispositions applicables

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, version en vigueur depuis le 2002‑12-31

Trademarks Act, RSC 1985, c T-13, version in force from 2002-12-31 to present

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

distinctive Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trademark, describes a trademark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or that is adapted so to distinguish them; (distinctive)

personne intéressée Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l’encontre de la présente loi. (person interested)

person interested includes any person who is affected or reasonably apprehends that he may be affected by any entry in the register, or by any act or omission or contemplated act or omission under or contrary to this Act, and includes the Attorney General of Canada; (personne intéressée)

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, version en vigueur depuis le 2002‑12-31

Trademarks Act, RSC 1985, c T-13, version in force from 2002-12-31 to present

6 (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

6 (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, version en vigueur depuis le 2002‑12-31

Trademarks Act, RSC 1985, c T-13, version in force from 2019-06-17 to present

18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

18 (1) The registration of a trademark is invalid if

[…]

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

(b) the trademark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced;

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, version en vigueur du 2014‑12-09 au 2019-06-16

Trademarks Act, RSC 1985, c T-13, version in force from 2014-12-09 to 2019-06-16

40 (2) Lorsqu’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce projetée est admise, le registraire en donne avis au requérant. Il enregistre la marque de commerce et délivre un certificat de son enregistrement après avoir reçu une déclaration portant que le requérant, son successeur en titre ou l’entité à qui est octroyée, par le requérant ou avec son autorisation, une licence d’emploi de la marque de commerce aux termes de laquelle il contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des produits et services a commencé à employer la marque de commerce au Canada, en liaison avec les produits ou services spécifiés dans la demande.

40 (2) When an application for registration of a proposed trade-mark is allowed, the Registrar shall give notice to the applicant accordingly and shall register the trade-mark and issue a certificate of registration on receipt of a declaration that the use of the trade-mark in Canada, in association with the goods or services specified in the application, has been commenced by

BLANK

(a) the applicant;

(b) the applicant’s successor in title; or

(c) an entity that is licensed by or with the authority of the applicant to use the trade-mark, if the applicant has direct or indirect control of the character or quality of the goods or services.

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, version en vigueur depuis le 2019-06-17

Trademarks Act, RSC 1985, c T-13, version in force from 2019-06-17 to present

57 (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque de commerce.

57 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the trademark.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1190-19

 

INTITULÉ :

BEYONG RESTAURANT GROUP LLC c QIANG WANG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 15 avril 2020

COMPARUTIONS :

Evan Reinblatt

Andrew Ngo

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evan Reinblatt

Andrew Ngo

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

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