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Date : 20051216

Dossier : IMM-3104-05

Référence : 2005 CF 1706

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

OSCAR ALEJANDRO QUIJANO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]             M. Quijano prétend qu'il a contribué à des efforts de répression de la criminalité afin de combattre le trafic de drogues dans son pays, le Nicaragua, en fournissant des renseignements aux autorités. Il allègue qu'en conséquence, son pays n'est plus en mesure de lui fournir une protection contre les trafiquants et les policiers corrompus. Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) était en

désaccord avec cette allégation. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision de la Commission.

[2]                Pendant huit ans, M. Quijano et sa femme ont habité dans le Sud du Nicaragua, à Cardenas, près de la frontière du Costa Rica. Le demandeur affirme qu'au début de l'année 2002, des cartels de trafic de stupéfiants ont commencé à introduire des drogues illégales à la frontière. Par la suite, ces cartels ont réussi à établir un large réseau et à opérer librement en payant des pots-de-vin à des policiers, des agents d'immigration et des officiers de l'armée corrompus. Ces cartels se sont ensuite lancés dans la contrebande d'armes.

[3]                Cette situation a entraîné un accroissement du niveau de violence et des problèmes sociaux connexes à Cardenas. Le demandeur, un homme d'affaires, s'investissait de façon active dans sa collectivité, et il prétend qu'il a mené des actions en vue d'exiger des policiers qu'ils agissent de façon décisive contre l'insécurité grandissante. Il a fourni des renseignements aux policiers au sujet des activités des trafiquants de drogue dans la région, mais il affirme qu'il a été déçu de leurs efforts parce que les trafiquants qui avaient été arrêtés ont pu acheter leur liberté.

[4]                Le demandeur prétend que son rôle d'informateur a entraîné des actes de vandalisme sur son restaurant, qui ont fait fuir ses clients. Il a aussi décrit des incidents lors desquels il a été victime de harcèlement et de menaces. Il en a avisé la police, mais n'a pas reçu leur protection. Le demandeur en est venu à la conclusion qu'à moins de quitter le Nicaragua, les trafiquants finiraient certainement par le tuer. Il est venu au Canada en juillet 2004 et a déposé sa demande d'asile.

[5]                La Commission a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, au motif qu'il existe une protection de l'État adéquate dans le pays. En particulier, la Commission a noté que les autorités gouvernementales du Nicaragua font des efforts sérieux pour combattre les cartels de trafiquants de drogues en arrêtant les importants trafiquants de drogue, en menant des campagnes contre le trafic des stupéfiants en collaboration avec la U.S. Drug Enforcement Agency, en adoptant des mesures visant à réduire la corruption au sein de la police du Nicaragua, en modernisant les lois contre le trafic des stupéfiants et en faisant appel à l'armée et à la marine lors d'opérations antidrogue. Cette conclusion était fondée sur l'examen de la preuve documentaire présentée au commissaire.

[6]                La seule question soulevée en l'instance est la suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de certaines preuves pertinentes lorsqu'elle a conclu que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l'État ?

[7]                La conclusion selon laquelle il y a possibilité de protection de l'État est une question de fait, qui doit être examinée en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable. En l'espèce, la conclusion de fait de la Commission ne peut être infirmée que si elle est manifestement déraisonnable, et qu'elle ne s'appuie sur aucun des éléments de preuve présentés.

[8]                Lorsque des conclusions de fait sont tirées au sujet de la protection de l'État, elles doivent être évaluées en fonction du critère énoncé dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1, soit que les faits doivent « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection [du demandeur] » et ainsi réfuter la présomption de protection. Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit pour laquelle la décision de la Commission appelle une retenue moins élevée.

[9]                Par conséquent, dans plusieurs décisions récentes, la Cour a statué que la norme générale d'examen pour une conclusion d'existence d'une protection de l'État doit être la décision raisonnable. La juge Danielle Tremblay-Lamer en est arrivée à cette conclusion après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle dans l'affaire Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2005) 45 Imm. L.R. (3d) 58, 2005 CF 193. Je souscris à son analyse et je mettrai la même norme en pratique.

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la protection de l'État ?

[10]            Le demandeur prétend que la Commission n'a pas tenu compte de certaines preuves substantielles lorsqu'elle a conclu qu'il existait une protection de l'État. Le demandeur a fourni des preuves écrites, orales et documentaires pour appuyer son témoignage au sujet du manque de volonté, ou de l'incapacité, du Nicaragua de lui offrir une protection valable. La Commission n'a pas contesté sa crédibilité. M. Quijano soutient, par conséquent, que la Commission ne pouvait pas simplement faire abstraction de sa preuve et favoriser la preuve documentaire sur laquelle elle s'est fondée.

[11]            À l'exclusion de l'un des documents déposés par le demandeur, un Rapport sur les droits de la personne du Département d'État, la preuve documentaire sur laquelle par la Commission a choisi de s'appuyer est constituée principalement du International Narcotics Control Strategy Report sur le Nicaragua de 2002. En effet, les motifs de la Commission comprennent de grandes parties de ce rapport. Ce fait a été reconnu par le commissaire dans les notes en fin de texte de ses motifs. Le demandeur affirme que le commissaire n'a utilisé que les sections du rapport qui soutenaient ses conclusions, et qu'il a omis les éléments qui semblaient jeter le doute sur la capacité du gouvernement du Nicaragua de fournir une protection contre le trafic de stupéfiants et la violence.

[12]            La Cour a statué que l'examen sélectif des preuves par la Commission constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire : Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001) 15 Imm. L.R. (3d) 263, 2001 CFPI 626, Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 771, 2003 CFPI. La Commission n'a pas à mentionner tous les éléments de preuve, mais doit faire état des preuves qui contredisent directement ses conclusions : Ragunathan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 154 N.R. 229 (C.A.).

[13]            Le défendeur affirme que la Commission n'a pas à mentionner chaque élément de preuve qui lui a été présenté, pour remplir son obligation de présenter des motifs pour sa décision : Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 589 (C.A.F) (QL). On présume que le tribunal a examiné et a apprécié toutes les preuves qui lui ont été présentées, à moins qu'il n'y ait une preuve claire et convaincante du contraire.

[14]            À mon avis, le fait que le commissaire se soit appuyé presque entièrement sur le International Narcotics Control Strategy Report dans ses motifs n'entache pas la décision de nullité. Le rapport décrit de façon détaillée la situation du Nicaragua par rapport au trafic des stupéfiants et à la corruption de certains de ses agents de police, ainsi que les mesures qui sont prises afin de régler ces problèmes.

[15]            Je ne crois pas non plus que le commissaire ait cité le rapport de façon sélective. J'ai lu avec attention les passages qui, aux dires du demandeur, auraient été omis délibérément et je ne suis pas d'avis que ces passages ajoutent des renseignements importants aux parties du texte sur lesquelles le commissaire s'est appuyé. Ils ne changent pas la description faite par le commissaire, mais ils ajoutent, au mieux, des détails aux énoncés plus généraux qu'il a cités.

[16]            Après examen de toutes les preuves documentaires du dossier, j'estime qu'il était raisonnable de la part de la Commission de conclure qu'une protection de l'État adéquate aurait pu être offerte au demandeur au Nicaragua.

[17]            Les demandeurs d'asile doivent fournir une confirmation claire et convaincante de l'incapacité de leur État de les protéger : Ward, susmentionnée. La protection offerte par l'État ne doit pas nécessairement être parfaite : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[18]            Le demandeur affirme que, puisque les trafiquants étaient de connivence avec des agents de police corrompus, il était déraisonnable de s'attendre à ce qu'il demande la protection de la police. Cependant, la preuve, y compris le Rapport sur les droits de la personne, met en évidence que l'État effectue des enquêtes et des poursuites judiciaires contre la corruption policière et les autres agissements criminels. Le problème semble être de nature locale, plutôt que systémique.

[19]            Comme la juge Snider l'a énoncé dans l'affaire Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1152 (QL), 2004 CF 944, au paragraphe 8, lorsque des éléments purement locaux ou indésirables sont en cause, et que l'État en question est un État démocratique et qu'il offre une protection à des victimes dans une situation semblable à celle du demandeur, il peut être objectivement raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur y demande une protection, avant de rechercher une telle protection à l'étranger.

[20]            En l'espèce, les motifs de la Commission témoignent d'une évaluation équilibrée et juste de la preuve qui lui a été présentée, et reconnaissent que malgré les efforts des autorités, le trafic de stupéfiants demeure un problème important au Nicaragua. Il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que, malgré les obstacles auxquels le Nicaragua fait face, les mesures prises par le gouvernement offraient aux citoyens une protection adéquate, sinon parfaite, contre le trafic de drogues.

[21]            Par conséquent, la présente demande sera rejetée. Aucune question de portée générale n'a été proposée pour la certification et aucune ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3104-05

INTITULÉ :                                       OSCAR ALEJANDRO QUIJANO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               8 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                      16 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Waikwa Wanyoike

POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WAIKWA WANYOIKE

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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