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Date : 20200415


Dossiers : IMM-2407-19

IMM-2409-19

Référence : 2020 CF 513

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

Dossier : IMM-2407-19

ENTRE :

SANDEEP KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2409-19

ET ENTRE :

JASPREET KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Madame Sandeep Kaur et madame Jaspreet Kaur ont toutes les deux présenté une demande de permis de travail postdiplôme [PTPD] après avoir obtenu leur diplôme du Collège Lambton à Sarnia. Selon les instructions sur l’exécution des programmes du PTPD [IEP-PTPD], elles devaient présenter leur demande de PTPD dans les 90 jours suivant la réception de la confirmation écrite (p. ex., une lettre ou un relevé de notes officiels) du collège qu’elles avaient répondu aux exigences liées à la réussite du programme d’études.

[2]  Les demanderesses ont présenté leur demande de PTPD dans les jours qui ont suivi la réception de cette confirmation écrite. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a rejeté ces demandes au motif que les demanderesses n’avaient pas fourni les documents exigés concernant l’achèvement de leurs études. Les demanderesses ont présenté une demande de rétablissement du statut et une autre demande de PTPD dans les jours qui ont suivi le refus. Ces demandes ont été rejetées parce que l’agent examinateur a conclu que les demanderesses avaient présenté les documents exigés plus de 90 jours après la réception de leur diplôme, qui correspondait, avait présumé l’agent, à la date de fin d’études.

[3]  J’estime que les décisions de l’agent étaient déraisonnables. Dans les circonstances, et à la lumière de l’information dont disposait ou dont aurait dû disposer l’agent, il n’était pas raisonnable de supposer que les demanderesses avaient reçu leur diplôme à la date de fin d’études inscrite sur le diplôme. Il n’y avait par conséquent aucune raison de conclure que les demandes des demanderesses ne respectaient pas les délais, étant donné qu’elles avaient été présentées dans les 90 jours suivant la date, selon les éléments de preuve, à laquelle elles avaient reçu leur confirmation écrite du collège. À la lumière de la présente conclusion, je n’ai pas à trancher la question de savoir si le premier refus était raisonnable, même s’il semble contrevenir aux IEP-PTPD.

[4]  Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire des demanderesses sont accueillies.

II.  Les demandes de permis de travail postdiplôme des demanderesses

[5]  La situation des deux demanderesses est essentiellement identique aux fins des présentes demandes. Les demandes ont par conséquent été jointes par ordonnance de la protonotaire Milczynski, datée du 4 septembre 2019, et ont été entendues ensemble. Étant donné que la Cour croit comprendre que les demanderesses sont parentes, et parce que leur situation est la même en ce qui concerne les questions qui sont soulevées, je les désignerai ensemble comme « les demanderesses ».

[6]  Les demanderesses sont toutes les deux entrées au Canada, en provenance de l’Inde, en décembre 2016. Elles ont reçu des permis d’études pour suivre des programmes d’études de deux ans donnés au Collège Lambton, qui est un établissement d’enseignement désigné par IRCC en Ontario. Sandeep était inscrite au programme de gestion du marketing et de vente‑conseil, tandis que Jaspreet suivait le programme d’administration des affaires. Leurs permis d’études étaient valides jusqu’au 30 novembre 2018.

[7]  Les demanderesses ont terminé leur programme d’études le 17 août 2018, et ont voulu se prévaloir du Programme de permis de travail postdiplôme administré par IRCC. Comme l’a écrit la juge Mactavish, « [l]e Programme de travail postdiplôme permet aux étudiants étrangers ayant obtenu un diplôme dans un établissement postsecondaire canadien participant d’acquérir une expérience de travail au Canada. L’expérience de travail qualifié au Canada acquise dans le cadre du programme aide ensuite les diplômés à obtenir la résidence permanente au Canada » : Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019 au par. 1.

[8]  Le Programme de PTPD n’est pas prévu expressément dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ou dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR] : voir la décision Osahor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666 au par. 13. Il découle plutôt de l’article 205 du RIPR, lequel accorde au ministre le pouvoir de créer des programmes permettant aux étrangers d’obtenir des permis de travail lorsque le ministre le juge nécessaire pour des raisons d’intérêt public en rapport avec la compétitivité des établissements universitaires ou de l’économie du Canada : RIPR, sous-al. 205c)(ii); Nookala au par. 13; Osahor aux par. 13, 14 et 17.

[9]  Les critères permettant la délivrance d’un PTPD sont énoncés dans les IEP‑PTPD : Nookala au par. 12; Osahor aux par. 14 et 15. La Cour a à maintes reprises jugé qu’IRCC doit appliquer strictement les critères énoncés dans les IEP‑PTPD et n’a pas le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour ne pas respecter ses conditions : Nookala aux par. 11 et 12; Abubacker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1112 au par. 16; Ofori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 212 aux par. 14 et 20; Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 526 au par. 11.

[10]  Au moment où les demanderesses ont présenté leur demande, les IEP‑PTPD  prévoyaient qu’un demandeur était admissible à un PTPD s’il i) avait un permis d’études valide au moment où il a présenté sa demande de permis de travail; ii) avait été, sans interruption, un étudiant à plein temps au Canada et s’il avait terminé un programme d’études d’au moins huit mois; et iii) avait terminé avec succès un programme d’études dans un établissement d’enseignement agréé et avait reçu un avis écrit de l’établissement selon lequel il était admissible à l’obtention de son diplôme ou certificat. Les IEP‑PTPD prévoyaient ce qui suit au sujet du moment où les demandeurs peuvent présenter une demande :

Le demandeur doit présenter une demande de permis de travail dans les 90 jours qui suivent la réception d’un document de l’établissement d’enseignement (par exemple, un relevé de notes ou une lettre officielle) confirmant qu’il a satisfait aux exigences liées à l’achèvement de son programme d’études. Le décompte des 90 jours commence le jour où les notes finales de l’étudiant sont publiées ou à la réception d’un avis officiel écrit de l’établissement d’enseignement signifiant la réussite du programme par l’étudiant, selon la première éventualité.

[Les caractères gras font partie de la version originale, le souligné est ajouté.]

[11]  Les 2 et 3 octobre 2018, respectivement, le Collège Lambton a envoyé un relevé de notes à Jaspreet et à Sandeep. Ces relevés confirmaient qu’elles avaient toutes les deux répondu aux exigences pour l’achèvement de leur programme d’études, étant donné qu’à la fin de chaque relevé sont inscrits le nom du programme d’études et la mention [traduction] « DIPLÔMÉ(E) (Août 2018) ». Les demanderesses ont présenté ces relevés de notes avec leur demande de PTPD le 6 octobre 2018.

III.  Refus, rétablissement du statut et réexamen

[12]  Au moyen de lettres datées du 21 décembre et du 24 décembre 2018 respectivement, un agent d’IRCC a rejeté les demandes de Jaspreet et de Sandeep. L’agent a écrit dans les lettres de refus d’IRCC que les demanderesses n’étaient pas admissibles à un permis de travail au titre du Programme de PTPD parce qu’elles n’avaient pas [traduction] « produit les documents exigés concernant l’achèvement de [leurs] études » [en caractères gras dans l’original]. IRCC a fait savoir aux demanderesses que leur statut de résident temporaire avait expiré à la date de la lettre et qu’elles pouvaient demander le rétablissement de leur statut de résident temporaire dans les 90 jours.

[13]  Les demanderesses ont rapidement obtenu des lettres du registraire du Collège Lambton confirmant qu’elles répondaient aux exigences obligatoires de fin d’études. Elles ont présenté ces lettres, en date du 25 décembre 2018, avec des copies de leurs certificats de fin d’études (que les parties ont appelé [traduction] « diplômes », terminologie que je conserverai), d’autres copies de leur relevé de notes et d’autres documents, accompagnés de lettres de présentation de leur conseiller en immigration qui demandait le rétablissement de leur statut de résident temporaire et la délivrance des PTPD, le 26 décembre 2018.

[14]  Le 28 mars 2019, un autre agent d’IRCC a rejeté les demandes de rétablissement du statut présentées par les demanderesses au motif que celles-ci n’avaient pas acquitté les droits exigibles. Étant donné que le refus du rétablissement du statut signifiait qu’elles n’avaient plus le statut de résident temporaire, leurs demandes de PTPD ont aussi été rejetées. Les demanderesses avaient toutefois acquitté les droits exigibles. Par conséquent, elles ont demandé le réexamen de ces refus le 10 avril 2018 et ont introduit les présentes demandes de contrôle judiciaire quelques jours plus tard.

[15]  Le 2 mai 2019, un troisième agent d’IRCC a rejeté les demandes de réexamen, même s’il reconnaissait que les demanderesses avaient acquitté les droits exigibles. Les demandes ont été rejetées au motif qu’elles avaient été présentées le 26 décembre 2018, soit en dehors des 90 jours de la date de fin d’études, soit le 17 août 2018. Les notes figurant dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] au sujet de chaque demande sont identiques, à l’exception du numéro de demande, du titre du programme d’études et de la date figurant sur les relevés de notes. Les notes se rapportant à la demande de Jaspreet sont libellées en ces termes :

[traduction]

Demande de renseignement datée du 10 avril 2019, demandant le réexamen du dossier. La demande a été rejetée le 28 mars 2018, pour droits insuffisants. Après examen du dossier, il a été déterminé que les droits exigibles ont été acquittés et découverts sous « Observations du représentant ». La demande W304010722 a été reçue au Centre de traitement des demandes – Edmonton (CTDE) le 26 décembre 2018. La cliente a fourni une preuve qu’elle a terminé le programme de gestion des affaires du Collège Lambton. Les étudiants étrangers au Canada sont admissibles à un permis de travail postdiplôme s’ils présentent une demande dans les 90 jours suivant la délivrance d’un avis les informant qu’ils ont satisfait à toutes les exigences de leur programme d’études. La cliente a produit une preuve qu’elle avait terminé son programme le 17 août 2018, au moyen d’une copie de son diplôme. Elle a fourni son relevé de notes daté du 2 octobre 2018, mais elle a été informée initialement le 17 août 2018 quand elle a reçu son diplôme. La cliente devait demander un permis de travail au plus tard le 15 novembre 2018 pour être admissible à un permis de travail dans cette catégorie. La cliente ne satisfait pas aux conditions d’admissibilité des nouvelles lignes directrices puisqu’elle a présenté sa demande avant le 14 février 2019. La demande a été rouverte et rejetée parce que la cliente n’est pas admissible à présenter une demande dans cette catégorie. Fait savoir à la cliente qu’elle n’a plus de statut et qu’elle doit quitter le Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  Comme il est souligné, les présentes demandes de contrôle judiciaire ont été présentées après le rejet des demandes de rétablissement du statut parce que les droits exigibles n’avaient pas été acquittés. Toutefois, puisque les motifs intermédiaires du 2 mai 2019 reconnaissaient que les droits avaient été acquittés, mais rejetaient les demandes en raison du non-respect du délai, les demandes de contrôle judiciaire reposent sur les motifs du 2 mai 2019.

IV.  Question en litige

[17]  La question déterminante dans la présente demande est celle de savoir si la conclusion d’IRCC selon laquelle les demandes de PTPD des demanderesses ont été présentées en retard était raisonnable.

[18]  Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique à la question en litige : Saggu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 31 au par. 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux par. 16 et 17, 23 à 25.

V.  La décision d’IRCC était déraisonnable

[19]  Les demandes initiales des demanderesses et les demandes présentées le 26 décembre 2018 ont été présentées dans les 90 jours de la date à laquelle les demanderesses ont reçu leur relevé de notes, au début d’octobre. L’agent d’IRCC a conclu que les demandes de PTPD présentées par les demanderesses ne respectaient pas les délais étant donné que a) les diplômes qu’elles ont présentés portaient le 17 août 2018 comme date de fin d’études; et b) toutes les deux « [avaient] été informée[s] initialement le 17 août 2018 quand elle[s] avai[en]t reçu [leur] diplôme ». En prenant comme point de départ le 17 août 2018, il ressort que les demandes du 26 décembre 2018 ont été présentées en dehors du délai de 90 jours. La conclusion selon laquelle les demanderesses ont obtenu leur diplôme à la date de fin d’études est par conséquent au cœur de la conclusion de l’agent.

[20]  La date à laquelle les diplômes en question ont été décernés ou ont été reçus par les demanderesses ne figure pas sur les documents. Figurent sur les documents le nom de la personne à qui ils sont décernés et la confirmation que celle-ci a rempli les conditions de fin d’études. Il y est ensuite écrit : [traduction] « En foi de quoi, nous apposons sur les présentes notre sceau et nos signatures à Sarnia, en Ontario, ce 17e jour d’août 2018. » Suivent la signature du président, du président du conseil d’administration et du registraire, et le sceau du Collège Lambton. Si l’on prend au pied de la lettre l’inscription voulant que le sceau et les signatures ont été apposés « ce 17e jour d’août 2018 » [non souligné dans l’original], l’on serait porté à croire que les documents ont été établis le 17 août 2018. Toutefois, même si cette mention est exacte, une inférence est nécessaire avant que l’on puisse conclure que les demanderesses ont obtenu leur diplôme à cette date.

[21]  Les lettres accompagnant les demandes présentées par les demanderesses le 26 décembre 2018 auxquelles était joint leur diplôme respectif ne précisent pas la date à laquelle celles‑ci ont obtenu les diplômes. Elles portaient plutôt sur le fait que les lettres de confirmation distinctes envoyées par le registraire du Collège Lambton — qui avaient été obtenues et présentées, peut-on supposer, en réponse aux refus par IRCC des premières demandes — n’avaient été reçues que la veille. Les choses auraient manifestement été plus claires si la lettre de présentation précisait la date à laquelle les demanderesses avaient obtenu leur diplôme. En fait, comme l’a souligné l’avocat du ministre, la présente demande n’aurait probablement pas été nécessaire s’il en avait été ainsi.

[22]  Toutefois, la question qui se pose est celle de savoir s’il était raisonnable que l’agent conclue que les diplômes ont été obtenus à la date à laquelle ils ont été préparés étant donné qu’il n’y a aucune précision quant à la date à laquelle ils ont été obtenus. À cet égard, je conviens avec le ministre que les éléments de preuve que les demanderesses ont présentés dans les présentes demandes voulant qu’elles aient obtenu leur diplôme en novembre 2018 ne devraient pas être pris en compte dans l’appréciation, puisque l’agent n’en disposait pas au moment où il a rendu sa décision : Kim au par. 8, citant l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au par. 19.

[23]  L’inférence selon laquelle les demanderesses ont obtenu leur diplôme à la date de fin d’études repose sur des hypothèses quant à la façon dont les diplômes sont remis aux étudiants ayant terminé leur programme d’études au Collège Lambton et à la date à laquelle cela est fait. Malgré tout, dans d’autres circonstances, et en l’absence de toute autre information, une telle inférence pourrait être raisonnable. Toutefois, dans ces circonstances particulières, et à la lumière des autres renseignements qui sont disponibles, je conclus que ce n’est pas une inférence raisonnable.

[24]  L’agent doit prendre en compte, entre autres facteurs dont il est saisi, le fait que les relevés de notes des demanderesses établissent qu’ils n’ont été émis qu’au début d’octobre et que le Collège n’avait rédigé ou envoyé une lettre de confirmation que des mois plus tard. Chacun de ces faits mine une inférence voulant que le Collège prépare et décerne les diplômes à la date réelle de fin d’études et que les diplômés ont reçu leur diplôme le même jour. Je souligne à cet égard que l’agent ne disposait pas d’éléments de preuve qu’il y ait eu une cérémonie ou une autre manifestation le jour de la fin d’études au cours de laquelle les diplômes ont été décernés. Figure aussi parmi les facteurs le fait que les premières demandes des demanderesses ont été présentées dans les jours suivant l’émission des relevés de notes, mais que les diplômes n’y étaient pas joints même si c’était bien après la date de fin d’études. Même si le dossier certifié du tribunal ne précise pas que l’agent avait devant lui les demandes que les demanderesses avaient présentées en octobre, la lettre de présentation de décembre mentionnait clairement les demandes en question et leur rejet de sorte que l’agent était au courant de cet élément ou aurait dû l’être. Là encore, il ressort de ces autres facteurs que la date la plus proche à laquelle les demanderesses ont reçu leur avis officiel était la date figurant sur leur relevé de notes. Quoi qu’il en soit, au lieu de renvoyer à cette date claire et explicite, IRCC n’a pas tenu compte des relevés de notes pour plutôt inférer que la date inscrite sur les diplômes correspondait à la date de l’avis officiel.

[25]  Je conclus que, à la lumière des faits propres à la présente affaire, et étant donné la chronologie des documents et des demandes dont disposait ou aurait dû disposer l’agent, il était déraisonnable que celui-ci infère que les demanderesses avaient obtenu leur diplôme le 17 août 2018. Il était par conséquent déraisonnable de conclure que la période de 90 jours pour la présentation d’une demande de PTPD commençait ce jour-là et que les demandes qui ont été présentées le 26 décembre 2018 l’ont été hors délai.

[26]  À cet égard, je rejette l’argument du ministre voulant qu’il était [traduction] « raisonnable de se fier à la date de leur certificat de fin d’études parce que les demanderesses ont reconnu qu’elle savaient qu’elles avaient fini leurs études en août 2018 et qu’elles ont obtenu leur certificat en novembre 2018 », pour deux motifs. Premièrement, les IEP-PTPD disent clairement que le délai pour la présentation des demandes ne commence pas à la date à laquelle le demandeur finit ses études ou « sait » qu’il a fini ses études, mais bel et bien à la date à laquelle il reçoit une confirmation écrite de l’établissement d’enseignement. Deuxièmement, l’argument repose sur exactement les mêmes éléments de preuve déposés dans le cadre des présentes demandes à l’égard desquels le ministre fait valoir à juste titre qu’ils ne doivent pas être pris en compte puisque l’agent n’en disposait pas.

[27]  Puisque je conclus que la décision de l’agent voulant que les demandes de PTPD aient été présentées hors délai est déraisonnable, il ne m’est pas nécessaire de trancher les autres questions soulevées par les demanderesses. Ces questions comprennent leurs arguments selon lesquels les temps de traitement d’IRCC ne devraient pas être retenus contre elles, que les nouvelles IEP-PTPD qui étaient en vigueur en février 2019 (et qui prévoient notamment un délai de 180 jours pour la présentation d’une demande) devraient s’appliquer malgré les formulations apparemment transitoires de la nouvelle politique et que l’agent avait un pouvoir discrétionnaire inhérent aux termes des articles 25, 25.1 et 25.2 de la LIPR de lever des conditions spécifiques.

[28]  Il ne m’est pas non plus nécessaire de trancher la question de savoir si la décision initiale de rejeter les demandes que les demanderesses ont présentées le 6 octobre 2018 au motif qu’elles n’avaient pas produit les documents nécessaires [traduction] « en ce qui concerne l’achèvement de leurs études » était raisonnable. Cependant, dans les circonstances, après avoir présenté la question aux parties et après avoir reçu leurs observations à ce sujet, je l’aborderai brièvement.

[29]  Comme il est mentionné plus haut, en octobre 2018, les demanderesses ont produit leurs relevés de notes confirmant que chacune était « DIPLÔMÉ(E) » (août 2018). Les IEP-PTPD qui étaient en vigueur à ce moment prévoyaient expressément qu’un relevé de notes pouvait constituer une confirmation écrite par l’établissement d’enseignement que les demandeurs avaient rempli les conditions pour la réussite du programme d’études. IRCC a quand même rejeté les demandes et demandé aux demanderesses de produire des confirmations supplémentaires qu’elles avaient achevé leurs études. Même si l’avocat du ministre a souligné qu’IRCC exigeait deux documents distincts, il n'y avait rien dans l’ancienne version des IEP-PTPD — laquelle contient, selon le ministre, des conditions [traduction] « strictes » d’exécution du programme — qui exigeait la présentation d’un document distinct confirmant l’achèvement des études. Au contraire, il était précisé qu’un relevé de notes pouvait servir à confirmer l’achèvement des études, ce que les relevés de notes des demanderesses faisaient à première vue.

[30]  Le ministre soutient qu’il n’est pas loisible à la Cour d’examiner ce rejet initial, le percevant comme une décision antérieure et citant la remarque formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nacho Nyak Dun selon laquelle « [d]ans le cadre d’une révision judiciaire, il n’appartient pas au tribunal d’évaluer la légalité de chaque décision antérieure à la décision contestée » : First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 CSC 58 au par. 32. Les demanderesses répliquent qu’elles contestent le rejet de leur demande de réexamen des demandes de PTPD, et que ce réexamen peut et doit être effectué selon l’ensemble du dossier. Elles soulignent qu’IRCC a bel et bien réexaminé le motif initial du deuxième rejet — le non-paiement des droits exigibles — pour quand même rejeter les demandes au motif du non-respect du délai. Elles soutiennent qu’IRCC aurait pu et aurait dû reconnaître de la même façon que les premières demandes étaient complètes et auraient dû être approuvées.

[31]  Je ne crois pas que l’arrêt Nacho Nyak Dun empêche un décideur d’examiner des décisions rendues avant la contestation lorsque celles-ci s’appliquent au caractère raisonnable de la décision contestée dans le contexte particulier d’une affaire. Le raisonnement du juge de Montigny aux par. 27 à 31 de la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381, citée par les demanderesses, semble s’appliquer en l’espèce. Dans le présent cas, les demanderesses ont chacune présenté une demande dans les délais, qui semblait contenir toute l’information requise par le Programme des PTPD. IRCC n’en a pas moins rejeté les demandes suivant une supposition apparemment erronée que les demandes n’étaient pas complètes et que les demanderesses pouvaient présenter une demande de rétablissement du statut. Les demanderesses ont toutes les deux suivi les instructions d’IRCC et ont produit les documents supplémentaires qui sont apparemment superflus, pour apprendre ensuite que leurs demandes étaient désormais hors délai parce qu’elles avaient suivi les instructions d’IRCC. Dans de telles circonstances, il m’est difficile de conclure que l’agent ou la Cour ne peut pas examiner le refus initial d’IRCC, même si cette décision ne fait pas directement l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

VI.  Conclusion

[32]  Le rejet des demandes de PTPD et des demandes de rétablissement du statut connexes des demanderesses, au motif que celles-ci n’étaient pas admissibles à un PTPD parce que leur demande avait été présentée en dehors du délai de 90 jours qui s’appliquait, était déraisonnable. Les demandes de contrôle judiciaire des demanderesses sont accueillies. Les décisions d’IRCC sont annulées et les affaires sont renvoyées à un autre agent d’IRCC pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

[33]  Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-2407-19 et IMM-2409-19

LA COUR STATUE que :  

  1. Les demandes de contrôle judiciaire de Sandeep Kaur et de Jaspreet Kaur sont accueillies. Les décisions d’IRCC sont annulées, et les affaires sont renvoyées à un autre agent d’IRCC pour qu’il rende une nouvelle décision.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de mai 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2407-19

 

INTITULÉ :

SANDEEP KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-2409-19

 

INTITULÉ :

JASPREET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

le 15 AVril 2020

 

COMPARUTIONS :

Aris Daghighian

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Jocelyn Espejo Clarke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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