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Date : 20030508

Dossier : T-1900-01

Référence neutre : 2003 CFPI 578

ENTRE :

                                                              BORIS NETUPSKY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                        défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les brefs motifs qui suivent découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) par laquelle l'agent a confirmé la décision antérieure intervenue le 26 mars 1998, qui refusait au demandeur [TRADUCTION] « [...] une demande de remboursement en vertu des dispositions d'équité » . La décision objet du présent contrôle judiciaire est datée du 27 septembre 2001.


CONTEXTE

[2]                L'historique de l'assujettissement du demandeur à l'impôt sur le revenu pour ses années d'imposition 1988 et 1989 est long et complexe. Le demandeur a eu gain de cause en appel de ses cotisations initiales établies pour les deux premières de ces trois années, pour le motif que le ministre du Revenu national ( « le ministre » ) avait établi sa cotisation sur la base qu'il avait eu, dans des opérations de change, une perte en capital et non une perte de revenu. En conséquence, le 2 octobre 1992, les cotisations adressées au demandeur pour ses années d'imposition 1988 et 1989 ont été renvoyées au ministre pour un nouvel examen et l'établissement de nouvelles cotisations[1].

[3]                Plusieurs nouvelles cotisations ont suivi, relativement aux années d'imposition 1988 et 1989 du demandeur, les nouvelles cotisations finales étant établies le 30 septembre 1993. Les premières cotisations pour les deux années en question, et chacune des nouvelles cotisations suivantes, ont été établies sur la base des dispositions relatives à l'impôt minimum de remplacement (IMR) de la Loi de l'impôt sur le revenu.


[4]                Le demandeur a fait appel des nouvelles cotisations établies le 30 septembre 1993 en se fondant sur le fait que l'application de l'IMR, dans sa situation particulière, équivalait à une discrimination fondée sur l'âge, en violation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[2]. La Cour canadienne de l'impôt a rejeté l'appel du demandeur[3]. Le demandeur a interjeté appel, auprès de la Cour d'appel fédérale, de la décision de la Cour canadienne de l'impôt. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel du demandeur[4]. Le demandeur a introduit auprès de la Cour suprême du Canada une demande d'autorisation d'appel de la décision de la Cour d'appel fédérale. L'autorisation a été refusée[5].

[5]                En définitive, relativement aux années d'imposition en cause du demandeur, il restait dans son solde de crédit avec l'ADRC et son prédécesseur, un crédit non remboursable applicable aux impôts payables par le demandeur au cours des sept années suivantes. À l'expiration de ces années, il restait un solde de crédits non remboursables d'environ 72 500 $.

[6]                Par une lettre en date du 7 novembre 1997, le demandeur a introduit une demande auprès de l'ADRC ou son prédécesseur sollicitant une mesure de redressement relative au solde de crédit d'impôt non remboursable. Il a écrit :


[TRADUCTION] [...] Je demande respectueusement à Revenu Canada de tenir compte de ma situation et d'autoriser, en vertu des dispositions d'équité, la libération du solde de crédit dans mon compte d'impôt à la fin de l'année d'imposition 1996. Comme mesure de rechange, je demande respectueusement à Revenu Canada d'examiner la possibilité d'appliquer ledit solde de crédit dans mon compte, tel qu'il apparaissait à la fin de l'année d'imposition 1996 [en application des dispositions relatives à l'impôt minimum de remplacement], aux impôts subséquents auxquels je pourrais être assujetti[6].

[Non souligné dans l'original.]

Sous-jacente à sa demande de mesure de redressement en vertu des dispositions d'équité, se trouvait la prétention du demandeur que, antérieurement au printemps 1990, il était et [TRADUCTION] « avait été en faillite de facto » . En définitive, a-t-il prétendu, les dispositions IMR de la Loi de l'impôt sur le revenu ne lui étaient tout simplement pas applicables pendant la période en cause.

[7]             Le demandeur a fait l'objet d'une requête de mise en faillite par la Banque Royale du Canada en 1998 et, le 23 juin 1999, il a été formellement déclaré failli par la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[8]             Par une lettre datée du 5 janvier 1998, la demande de mesure de redressement du demandeur, en vertu des dispositions d'équité de la Loi de l'impôt sur le revenu, a été rejetée. Un agent du ministère du Revenu national a écrit :

[TRADUCTION] Je suis au regret de vous informer que j'ai décidé qu'il n'est pas indiqué dans les circonstances, d'étudier votre demande de remboursement ni de proroger le délai pour reporter prospectivement votre impôt minimum de remplacement[7].


Le motif sous-jacent à la conclusion qui précède était essentiellement que le concept de « faillite de facto » n'est pas reconnu par la Loi de l'impôt sur le revenu et ne pouvait servir de fondement pour une mesure de redressement.

[9]         Le 15 janvier 1998, la défenderesse a sollicité un examen de deuxième niveau de la décision du 5 janvier 1998. Par une lettre en date du 26 mars 1998[8], l'examen de deuxième niveau a été refusé.

[10]       Par une lettre en date du 25 juin 2001, le demandeur a de nouveau sollicité l'examen de sa demande de mesure de redressement. Ce n'était pas une pratique habituelle de l'ADRC ni de son prédécesseur d'examiner, pour une troisième fois, une demande de mesure de redressement. Toutefois, en raison d'un vice de procédure dans le traitement de la deuxième demande, un troisième examen a été entrepris. Cet examen a également donné lieu à un refus et c'est ce refus qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

LES QUESTIONS EN LITIGE


[11]       Voici, j'en suis convaincu, les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire : premièrement, la norme de contrôle appropriée, et j'examinerai brièvement cette question bien qu'elle n'ait pas été soulevée devant moi; deuxièmement, relativement à la norme de contrôle appropriée, il s'agit de savoir si l'ADRC ou son prédécesseur a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en rendant la décision objet du présent contrôle judiciaire; et, troisièmement, vu la reconnaissance au nom de la défenderesse, que la décision objet du présent contrôle judiciaire a été rendue par un agent qui n'avait pas la compétence déléguée requise, cette décision devrait-elle être annulée bien qu'il puisse ne pas y avoir eu une erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la décision elle-même quant au fond?

ANALYSE

a)           Norme de contrôle

[12]       Dans l'affaire Barron c. Ministre du Revenu national[9], le juge Pratte a écrit au nom de la Cour, au paragraphe [5] :

Avant d'exposer les motifs pour lesquels nous estimons que ces conclusions sont erronées, il est peut-être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et que, à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.

Dans la décision Cheng c. Canada[10], j'ai appliqué l'extrait qui précède au contrôle judiciaire d'un examen d'équité, une décision prise dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Je suis convaincu qu'il exprime la norme de contrôle appropriée de la décision qui m'est à présent soumise.

b)           Erreur susceptible de contrôle judiciaire


[13]       Aucun élément de preuve ne m'a été soumis qui montre que le demandeur avait, lors de ses premiers entretiens avec les agents de l'impôt relativement à ses affaires fiscales pour les années 1988 et 1989, soulevé la question de la faillite de facto. Il n'avait pas non plus soulevé cette question dans les procédures antérieures liées à ses cotisations et à ses nouvelles cotisations pour les années en cause. En outre, je suis convaincu que les agents de l'ADRC et de son prédécesseur qui ont examiné la demande de mesure de redressement du demandeur en vertu des dispositions d'équité, ont eu raison de conclure que le concept de « faillite de facto » ne fait pas partie du champ conceptuel de la Loi de l'impôt sur le revenu et ne fournit tout simplement aucun motif, quel qu'il soit, permettant qu'une mesure de redressement soit accordée au demandeur, que cette mesure relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire ou non. Dans ces circonstances, je conclus que l'ADRC et son prédécesseur n'ont commis aucune erreur, quant au fond, susceptible de contrôle judiciaire, en rejetant la demande de mesure de redressement discrétionnaire présentée par le demandeur.

c)            Exercice abusif de pouvoir

[14]       Dans les documents déposés au nom de la défenderesse, et dans les observations qui me sont soumises, la défenderesse a reconnu que l'agent qui a pris et transmis la décision objet du présent contrôle judiciaire n'avait pas le pouvoir délégué requis pour adopter cette décision et la transmettre.

[15]       Dans l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada­Terre-neuve des hydrocarbures extracôtiers[11], le juge Iacobuci, a écrit au nom de la Cour, à la page 228 :


Compte tenu de ces observations, Mobil Oil aurait normalement droit à un redressement pour les manquements à l'équité et à la justice naturelle que j'ai décrits.__Cependant, vu la façon dont je statue sur le pourvoi incident, les redressements que demande Mobil Oil dans le pourvoi lui-même sont peu réalistes.__Bien qu'il puisse sembler indiqué d'annuler la décision du président pour le motif qu'elle résulte d'une subdélégation irrégulière, il serait absurde de le faire et de forcer l'Office à examiner maintenant la demande présentée par Mobil Oil en 1990 étant donné que, suivant le résultat du pourvoi incident, l'Office serait juridiquement tenu de rejeter cette demande, en raison de l'arrêt de notre Cour.

[Non souligné dans l'original.]

[16]       Bien que le juge Iacobucci ait ensuite en recommandé qu'un refus de redressement soit une solution exceptionnelle et qu'il ne s'applique pas de façon générale, en présence d'une erreur susceptible de contrôle judiciaire comme une subdélégation irrégulière, ce qui, j'en suis convaincu, était le cas en l'espèce vu que cela a été reconnu au nom de la défenderesse, je suis convaincu qu'il s'agit d'une solution appropriée compte tenu des faits de la présente affaire. Je suis convaincu que, si la décision objet de contrôle judiciaire était annulée et renvoyée à l'ADRC, la même décision serait nécessairement rendue, pour le motif que le concept de faillite de facto n'est tout simplement pas reconnu dans le champ conceptuel de la Loi de l'impôt sur le revenu d'une manière qui permettrait un redressement comme celui recherché par le demandeur.

[17]       En définitive, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La défenderesse ne sollicite pas de dépens. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 8 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1900-01

INTITULÉ :                                                    BORIS NETUPSKY

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 7 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                   le 8 mai 2003

COMPARUTIONS :

Boris Netupsky                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

Patricia A. Babcock                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris A. Rosenberg                                         POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


Date : 20030508

Dossier : T-1900-01

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 8 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON      

ENTRE :

                                      BORIS NETUPSKY

                                                                                           demandeur

                                                  - et -

                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                        défenderesse

                                        ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


I HEREBY CERTIFY that the above document

is a true copy of the original filed of record

in the Registry of the Federal Court of Canada

on the _______ day of ___________ A.D. 20 ____

Dated this _______ day of ____________ 20 ____

                                                                                             

         Julia Platt, Senior Registry Officer



[1]               (1992), 92 D.T.C. 2282 (C.C.I.)

[2]               Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [L.R.C. 1985, appendice II, no 44], qui constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[3]               (1994), 95 D.T.C. 210.

[4]               (1996) 96 D.T.C. 6129

[5]               [1996] S.C.C.A. No. 153.

[6]               Dossier de la défenderesse, onglet C, page 7.

[7]               Dossier de la défenderesse, onglet E, page 37.

[8]               Dossier de la défenderesse, onglet E, page 48.

[9]               (1997), 209 N.R. 392 (C.A.F.)

[10]              [2001] A.C.F. no 1532, paragraphe 17.

[11]              [1994] 1 R.C.S. 202.


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