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Date : 20041123

Dossier : T-800-04

Référence : 2004 CF 1639

OTTAWA (Ontario), le 23 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :                    

                 MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                              RONALD BAKER

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un membre de la Commission d'appel des pensions (la Commission), en date du 12 mars 2004, qui accorde au demandeur la permission d'interjeter appel auprès d'elle.          


FAITS             

[2]                Le défendeur, Ronald Baker, est âgé de 61 ans; il a travaillé comme marin presque toute sa vie. En 1995, il a cessé de travailler en raison d'une blessure qu'il a subie alors qu'il était au travail. Il déclare souffrir d'une blessure au dos et d'arthrite aux jointures.

[3]                En octobre 1996, le défendeur a produit sa première demande de prestation d'invalidité selon le Régime de pensions du Canada, L.R.C (1985), ch. C-8. Le ministre du Développement des ressources humaines Canada (le ministre) a rejeté la demande, et le défendeur n'a pas interjeté appel de la décision.

[4]                Le défendeur a déposé une seconde demande en décembre 1998, laquelle a été refusée par le ministre. En octobre 1999, il a interjeté appel de la décision auprès du tribunal de révision. En juin 2000, ce tribunal a conclu que, le ou avant le 31 décembre 1999, le défendeur n'était pas invalide au sens du Régime de pensions du Canada. Cette date est pertinente parce que, compte tenu des gains et cotisations du défendeur, il s'agit du dernier jour pour lequel il est admissible à des prestations.

[5]                Le défendeur a présenté à la Commission une demande de permission d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision, permission qui a été refusée en octobre 2000. Il n'a pas sollicité de contrôle judiciaire de cette décision.


[6]                En janvier 2001, le défendeur a présenté une troisième demande de prestations d'invalidité que le ministre a refusée. Cette décision a été portée en appel devant un tribunal de révision. Le 2 juin 2003, ce tribunal a conclu que la question qui lui était présentée était chose jugée, et qu'il était lié par l'issue de la demande précédente. En conséquence, il a rejeté l'appel.

[7]                En novembre 2003, le défendeur a sollicité la permission d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission. Un membre désigné de celle-ci a accordé la permission recherchée le 12 mars 2004.

QUESTION EN LITIGE

[8]                Le demandeur affirme que la question en litige est de savoir si le membre désigné de la Commission d'appel des pension s'est trompé en accordant au défendeur la permission d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision?


LÉGISLATION PERTINENTE

[9]                Voici les articles pertinents du Régime de pensions du Canada :



81. (1) Dans les cas où_:

[...]

b) un requérant n'est pas satisfait d'une décision rendue en demande de l'article 60,

[...]

ceux-ci peuvent, ou, sous réserve des règlements, quiconque de leur part, peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où ils sont, de la manière prescrite, avisés de la décision ou de l'arrêt, ou dans tel délai plus long qu'autorise le ministre avant ou après l'expiration de ces quatre-vingt-dix jours, demander par écrit à celui-ci, selon les modalités prescrites, de réviser la décision ou l'arrêt.

[...]

82. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en demande de l'article 81 ou du paragraphe 84(2) ou celle qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en demande du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, peut interjeter appel par écrit auprès d'un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l'expiration des quatre-vingt-dix jours.

[...]

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en demande de l'article 82 - autre qu'une décision portant sur l'appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse - ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu'autorise le président ou le vice-président de la Commission d'appel des pensions avant ou après l'expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d'appel des pensions, afin d'obtenir la permission d'interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

[...]

84. (1) Un tribunal de révision et la Commission d'appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait concernant_:

a) la question de savoir si une prestation est payable à une personne;

b) le montant de cette prestation;

c) la question de savoir si une personne est admissible à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

d) le montant de ce partage;

e) la question de savoir si une personne est admissible à bénéficier de la cession de la pension de retraite d'un cotisant;

f) le montant de cette cession.

La décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire de la présente loi, ou celle de la Commission d'appel des pensions, sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l'objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, est définitive et obligatoire pour l'demande de la présente loi.

(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d'appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu'il a lui-même rendue ou qu'elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.                                            

81. (1) Where

[...]

(b) an demandeur is dissatisfied with any decision made under section 60,

[...]

the dissatisfied party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof may, within ninety days after the day on which the dissatisfied party was notified in the prescribed manner of the decision or determination, or within such longer period as the Minister may either before or after the expiration of those ninety days allow, make a request to the Minister in the prescribed form and manner for a reconsideration of that decision or determination.

[...]

82. (1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), or a person who is dissatisfied with a decision of the Minister made under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act, or, subject to the regulations, any person on their behalf, may appelthe decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunal may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister's decision and of the reasons for it.

[...]

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appelreferred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for permission to appelthat decision to the Pension Appeals Board.                        

[...]

84. (1) A Review Tribunal and the Pension Appeals Board have authority to determine any question of law or fact as to

(a) whether any benefit is payable to a person,

(b) the amount of any such benefit,

(c) whether any person is eligible for a division of unadjusted pensionable earnings,

(d) the amount of that division,

(e) whether any person is eligible for an assignment of a contributor's retirement pension, or

(f) the amount of that assignment,

and the decision of a Review Tribunal, except as provided in this Act, or the decision of the Pension Appeals Board, except for contrôle judiciaire under the Federal Courts Act, as the case may be, is final and binding for all purposes of this Act.

(2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on faits nouveaux, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.


ANALYSE

[10]       Pour que la permission d'interjeter appel soit accordée, le membre désigné de la Commission doit conclure que la partie ayant sollicité cette permission a présenté une cause défendable. Voir Martin c. Ministre du Développement des ressources humaines (1999), 252 N.R. 141 (C.A.F.). Le demandeur soutient que, en l'espèce, le défendeur n'avait pas une cause défendable et que la Commission a commis une erreur de droit en accordant la permission d'interjeter appel.

L'autorité de la chose jugée

[11]            Le demandeur affirme que le tribunal de révision et la Commission sont liés par la décision antérieure vu le principe de l'autorité de la chose jugée. Il plaide également que la Commission ne peut rouvrir le dossier en application du paragraphe 84(2) pour le motif que le défendeur a soumis des « faits nouveaux » , étant donné que seul le tribunal de révision a autorité pour revoir sa décision antérieure. Selon le demandeur, la Commission n'a pas autorité en l'espèce pour apporter un changement, et donc elle s'est trompée en décidant qu'il y avait une cause défendable.

[12]            Le défendeur n'a pas présenté d'argumentation, et n'a pas comparu.

[13]            La Cour d'appel a traité récemment d'une situation similaire à celle qui nous occupe. Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Fleming, [2004] CAF 288, M. Fleming a produit deux demandes de prestation refusées suivant le Régime de pensions du Canada. La première demande a été soumise à un tribunal de révision, mais M. Flemming n'a pas sollicité la permission d'interjeter appel devant la Commission. Le seconde demande a été rejetée par le ministre et par un tribunal de révision pour cause de chose jugée. Le tribunal de révision a conclu également qu'il n'y avait pas de faits nouveaux justifiant la réouverture du dossier et peut-être l'annulation et la modification de la décision. M. Flemming s'est vu accorder la permission d'interjeter appel à la Commission.

[14]            Avant l'audience, le ministre a présenté une requête en rejet de l'appel, plaidant que la Commission n'avait pas compétence pour l'entendre. La Cour d'appel a conclu que la requête en rejet aurait dû être accueillie. Elle a estimé que la décision du tribunal de révision concernant la première demande empêchait le ministre et le tribunal de révision d'examiner la seconde demande sur le fond. En conséquence, il était certain qu'un appel relatif à la seconde demande serait rejeté compte tenu de l'application du principe de l'autorité de la chose jugée. Voir également Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. MacDonald (2002), 291 N.R. 399 (C.A.F.).

[15]            La Cour d'appel a déclaré que la Commission ne pouvait intervenir même si celle-ci était d'avis que le second tribunal de révision s'était trompé en décidant qu'il n'y avait pas de « faits nouveaux » justifiant de revoir la décision antérieure. La Commission n'avait pas compétence pour entendre un appel d'une décision du tribunal de révision selon laquelle il n'y ait pas de faits nouveaux. En fait, une telle décision n'était susceptible de contrôle que par la Cour fédérale. Voir aussi Oliveira c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (2004), 320 N.R. 168 (C.A.F.).

[16]            À la lumière de l'arrêt Fleming, précité, de la Cour d'appel, il est manifeste que le membre de la Commission s'est trompé en accordant au défendeur la permission d'interjeter appel. La demande présentée par celui-ci en janvier 2001 était chose jugée.

Faits nouveaux


[17]            La troisième demande de pension d'invalidé de M. Baker n'était pas fondée sur des « faits nouveaux » relatifs à son état de santé avant décembre 1999, dernier mois pour lequel il était admissible à une pension d'invalidité. Si elle l'avait été, la procédure appropriée dans le cadre du Régime de pensions du Canada aurait demandé qu'on s'adresse au ministre, à un tribunal de révision ou à la Commission d'appel des pensions pour faire annuler ou modifier, en application du paragraphe 84(2), la décision antérieure. M. Baker n'a pas suivi cette procédure, mais il peut le faire à tout moment dans l'avenir. Ce type de demande n'est pas chose jugée.

[18]            Les dispositions pertinentes du Régime de pensions du Canada sont complexes et techniques. Pour cette raison, le ministre, le tribunal de révision et la Commission doivent s'assurer que M. Baker et les autres demandeurs comprennent qu'ils peuvent demander la modification d'une décision antérieure leur refusant le droit à une pension d'invalidité s'ils présentent des « faits nouveaux » relatifs à leur état de santé durant la période d'admissibilité, faits établissant qu'ils étaient invalides pendant ladite période. Les « faits nouveaux » seraient des faits qui ne pouvaient être « découverts » au moment de leur première demande. Le représentant du ministre devra étudier les nouveaux rapports médicaux soumis par M. Baker pour déterminer si ces documents peuvent constituer des « faits nouveaux » et, si tel était le cas, il devra s'assurer que M. Baker formule sa demande de façon appropriée.

L'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder une demande de contrôle judiciaire n'est pas approprié lorsque la décision n'est pas définitive


[19]            Dès l'ouverture de l'audience, j'ai interrogé le demandeur quant à la pertinence d'introduire la présente demande de contrôle judiciaire étant donné que la décision accordant la permission d'interjeter appel n'est pas définitive. Dans le cadre du Régime de pensions du Canada, la Commission a pour mandat d'entendre l'appel de cette décision. En conséquence, il n'est pas indiqué que la Cour fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision non définitive qui ne touche pas à la compétence. La théorie de l'autre recours approprié s'applique en l'espèce, comme je l'ai dit dans la décision AgustaWestland International Limited c. Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et al., 2004 CF 1545, paragraphes 39 à 45. Étant donné que la Commission n'avait pas compétence pour cause de chose jugée, la présente affaire est à bon droit sujette au contrôle judiciaire.

[20]            Pour ces motifs, la présente demande sera accueillie, et la question sera renvoyée au président de la Commission pour réexamen.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du membre de la Commission est annulée, et la question est renvoyée au président de celle-ci pour réexamen.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »            

                JUGE               

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., D.E.S.S. trad.


                                                                                  COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-800-04

INTITULÉ :                                        Ministre du Développement des Ressources humaines c. Ronald Baker

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                18 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       23 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Arielle Elbaz                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Michel Mathieu

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041123

                                                     Dossier : T-800-04

                                                                                   

ENTRE :

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                  demandeur

et

RONALD BAKER

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                 


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