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     Date : 19980106

     Dossier : IMM-1179-97

Winnipeg (Manitoba), le lundi 6 janvier 1998

En présence de Monsieur le juge Rothstein

Entre :

     AHMADIAN SASAN,

     AHMADIAN MELIKA,

     SAATCHI MOJGAN,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire et renvoie l'affaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle instruction sans délai par une autre formation de jugement.

     Signé : Marshall E. Rothstein

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     Date : 19980106

     Dossier : IMM-1179-97

Entre :

     AHMADIAN SASAN,

     AHMADIAN MELIKA,

     SAATCHI MOJGAN,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

Audience tenue à Toronto (Ontario) le 10 décembre 1997

Ordonnance rendue à Winnipeg (Manitoba) le 6 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :      Le juge ROTHSTEIN

     Date : 19980106

     Dossier : IMM-1179-97

Entre :

     AHMADIAN SASAN,

     AHMADIAN MELIKA,

     SAATCHI MOJGAN,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge ROTHSTEIN

[1]      Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 5 mars 1997 par laquelle une formation de jugement de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les requérants, citoyens iraniens, n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Ceux-ci, partis de l'Iran le 18 septembre 1994, sont arrivés au Canada le 31 octobre 1994. Bien que jugeant crédible et digne de foi leur témoignage au sujet de la détention et du harcèlement dont ils avaient été victimes en 1993, le tribunal n'a pas ajouté pas foi à leur témoignage au sujet de la tentative d'extorsion de la part de deux gardiens de la Révolution en 1994. Il voyait dans l'incident de 1993 un acte isolé de harcèlement qui a pris fin après paiement d'un pot-de-vin, et jugeait que les requérants n'avaient pas de raison de craindre d'être persécutés s'ils devaient retourner en Iran.

[2]      La conclusion du tribunal sur le manque de crédibilité des requérants au sujet des incidents de 1994 était fondée sur quatre motifs. Il y a tout d'abord le fait que selon les requérants, deux gardiens de la Révolution les talonnaient pour exiger le paiement de 2 500 $US, de janvier à septembre 1994. Les requérants disaient qu'ils ont déménagé après avoir été découverts par ces derniers. Le tribunal a cependant interprété leur témoignage comme indiquant que, après avoir été découverts, ils sont restés à la même adresse pendant plusieurs mois. Et de conclure :

     [TRADUCTION]

     Le tribunal ne voit pas à quoi servaient ces soi-disant déménagements puisque d'après leur témoignage, les gardiens ont retrouvé les demandeurs immédiatement après et, une fois découverts, ceux-ci sont restés à la même adresse pendant des mois. Le tribunal conclut, par prépondérance des probabilités, que les demandeurs n'ont pas déménagé en 1994 comme ils le prétendent.         

L'intimé concède que le tribunal a mal interprété ce témoignage, lequel indique que les requérants ont effectivement déménagé dès qu'ils furent découverts.

[3]      Le deuxième incident que le tribunal jugeait hautement improbable est l'interpellation du requérant de sexe masculin par des gardiens de la Révolution en 1994, pendant qu'il conduisait son taxi à Téhéran. Celui-ci prétendait qu'à cette occasion, ils ont exigé de l'argent dans les 48 heures. Une raison pour laquelle le tribunal ne pensait pas que cet incident eût eu lieu était qu'il se serait produit " en dehors du secteur de patrouille des deux gardiens de la Révolution qui l'auraient poursuivi ". L'avocat de l'intimé reconnaît que le tribunal ne disposait d'aucune preuve sur la délimitation du secteur de patrouille de ces deux gardiens.

[4]      Le troisième motif pris par le tribunal était " le scénario des ultimatums des gardiens, suivis d'inaction totale une fois le délai passé ". À ce sujet, le tribunal conclut en ces termes :

     [TRADUCTION]

     Non seulement les gardiens de la Révolution ne mettaient pas à exécution leurs ultimatums contre les demandeurs, mais ils ne faisaient rien pour exproprier la demeure des parents du demandeur de sexe masculin, dont le titre foncier avait servi de cautionnement auprès du Komiteh pour la libération des demandeurs en 1993.         

L'avocat de l'intimé concède que le tribunal n'était saisi d'aucune preuve indiquant que le titre foncier de la maison des parents servait de cautionnement auprès du Komiteh.

[5]      À la lumière des trois facteurs susmentionnés, le tribunal a tiré la conclusion suivante :

     [TRADUCTION]

     Le tribunal conclut, par prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas eu tentative d'extorsion de la part des gardiens de la Révolution en 1994 comme le prétendent les demandeurs.         

[6]      Le dernier motif pris par le tribunal est le fait qu'en septembre 1994, après le soi-disant incident du taxi, les requérants continuaient à vivre chez les parents du requérant de sexe masculin jusqu'à leur départ de l'Iran vers la fin du même mois. Voici ce qu'il fait observer à ce propos :

     [TRADUCTION]

     Selon les demandeurs, cette période était celle où ils couraient le plus grand danger. N'empêche qu'ils ont choisi de rester là où les gardiens de la Révolution pourraient les retrouver le plus facilement.         

[7]      Et de conclure :

     [TRADUCTION]

     Le tribunal conclut, par prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne couraient aucun danger à l'époque. Nous jugeons que leurs agissements ne dénotaient pas une crainte fondée de persécution.         

[8]      L'intimé concède que le tribunal a fait certaines conclusions erronées sur les faits, mais soutient qu'il y avait par ailleurs des conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité, propres à justifier sa décision.

[9]      Il y a un autre facteur que la Cour doit prendre en considération en l'espèce. L'audition de la demande des requérants s'ouvrit le 15 octobre 1995, date à laquelle le gros de leurs témoignages a été recueilli. L'audience a été ajournée au 10 janvier 1996, mais le président du tribunal était malade à cette date. Elle n'a repris que le 7 août 1996 et a pris fin le même jour. La décision du tribunal a été rendue le 5 mars 1997. Il s'agit d'une décision de trois pages et demie et portant sur une seule question, celle de la crédibilité. Un intervalle de quelque 18 mois s'est écoulé entre l'audition du gros des témoignages et la conclusion du tribunal en matière de crédibilité. Et même si l'on ne tient compte que de l'intervalle séparant la clôture de l'audience et la date de la décision, il s'est écoulé quelque sept mois entre ces deux dates.

[10]      La Cour répugne à toucher aux conclusions des tribunaux administratifs en matière de crédibilité, et elle ne le fait que dans des cas très exceptionnels. À mon avis cependant, il s'agit en l'espèce de l'un de ces cas exceptionnels. Le tribunal a conclu " par prépondérance des probabilités, il n'y a pas eu tentative d'extorsion de la part des gardiens de la Révolution en 1994 ". En examinant ces probabilités, il devait tenir compte des témoignages produits. En l'espèce, son appréciation des probabilités était fondée au moins sur trois erreurs notables relatives aux faits articulés par les requérants.

[11]      J'accepte que le quatrième motif pris par le tribunal n'ait rien à voir avec sa décision, fondée sur les trois premiers motifs, de ne pas croire qu'il y ait eu tentative d'extorsion en 1994. Il ressort cependant des motifs de sa décision que pour parvenir à sa conclusion finale que les requérants ne couraient aucun danger et n'avaient pas de raison de craindre la persécution, il s'est fondé sur tous les quatre facteurs susmentionnés, dont trois représentaient des conclusions erronées sur les faits. La quatrième conclusion quant au manque de crédibilité n'est pas dissociable de sa conclusion finale et ne suffit pas en elle-même à justifier sa décision. Vu qu'il s'est écoulé quelque 18 mois entre la date où le gros des témoignages a été recueilli et la date de la conclusion en matière de crédibilité, il n'est pas étonnant que le tribunal ait commis des erreurs dans ses conclusions sur les faits.

[12]      Dans ces conditions, je ne suis pas convaincu que dans sa conclusion sur la crédibilité des requérants, le tribunal se soit appuyé sur les preuves et témoignages produits. Je m'empresse de préciser qu'il n'appartient pas à la Cour de décider si les requérants disaient la vérité au sujet des incidents de 1994. Cette décision appartient au tribunal. Tout ce que je peux dire, c'est que parce que le tribunal a tiré en l'espèce des conclusions erronées sur les faits, lesquelles étaient déterminantes dans sa décision, et qu'il s'est prononcé sur la crédibilité longtemps après que les intéressés eurent rendu leur témoignage, je n'ai pas confiance que cette décision fût fondée sur les preuves et témoignages dont il était saisi.

[13]      Le temps que mettait le tribunal à instruire l'affaire est également un facteur. La Cour ne dispose que peu d'éléments d'information sur la question de savoir pourquoi, l'audience n'ayant pu se terminer le 15 octobre 1995, il a fallu attendre jusqu'au 7 août 1996 pour la reprendre. Il ressort de la transcription que les parties et le tribunal étaient en mesure de reprendre l'audience le 7 décembre 1995. Pour une raison inexpliquée, la reprise était prévue pour le 10 janvier 1996, et ce jour-là, le président du tribunal était malade. L'audience a été reportée au 29 mars 1996 mais, de nouveau, rien n'explique pourquoi elle n'a pas eu lieu ce jour-là. Le 3 mai 1996, la date du 7 août 1996 a été choisie pour la reprise. À défaut d'autres informations, tout ce je peux dire, c'est que le tribunal semble avoir instruit cette affaire sans se presser. Certes ses membres et les avocats des parties ont aussi d'autres obligations. Cependant, s'il y a conflit entre les engagements ou si des considérations étrangères à l'affaire la retardent indûment, le tribunal doit rajuster son propre agenda et exiger des avocats qu'ils adaptent le leur afin que l'affaire puisse être résolue en temps voulu.

[14]      L'intervalle de sept mois qui séparait la clôture de l'audience et le prononcé de la décision est inexplicable. Comme indiqué supra, cette décision de trois pages et demie porte exclusivement sur la question de crédibilité. Il n'y avait aucun point de droit difficile. La décision d'un tribunal est remise en question lorsqu'elle a pour seul motif le manque de crédibilité, qu'il est prouvé que le tribunal a tiré des conclusions erronées sur les faits et qu'il s'est écoulé un intervalle de temps excessif avant que la décision ne soit rendue. Il n'y a aucune raison pour qu'une décision fondée sur la crédibilité ait pris sept mois. Afin d'éviter que le passage du temps ne cause des conclusions erronées sur les faits et que la Cour ne remette en question la décision sur la crédibilité par ce motif, la Commission doit veiller à ce que ses décisions soient rendues dans les meilleurs délais.

[15]      L'avocat de l'intimé soumet la question suivante pour certification :

     Sur recours en contrôle judiciaire, le retard mis par la section du statut de réfugié à rendre sa décision est-il un facteur important dans l'appréciation du caractère raisonnable d'une ou des conclusions sur le manque de crédibilité?         

Il faut se rappeler qu'en règle générale, le retard est rarement un facteur déterminant sur recours en contrôle judiciaire. Dans Akthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 129 N.R. 71, [1991] 3 C.F. 32, le juge Hugessen de la Cour d'appel a fait cette observation en page 76 (p. 42 C.F.) :

     À mon avis, dans les affaires non criminelles, toute prétention à la violation de la Charte fondée sur un retard doit s'appuyer sur la preuve, ou à tout le moins sur quelque inférence tirée des circonstances environnantes, que la partie demanderesse a réellement subi un préjudice ou une injustice imputable au retard. Les présentes affaires n'offrent aucune preuve de ce genre.         

[16]      Dans Hernandez c. M.E.I. (1993), 154 N.R. 231, le juge Robertson de la Cour d'appel s'est prononcé en ces termes, page 232 :

     On comprend qu'une cour d'appel ne désirerait absolument pas exclure un argument fondé sur la Charte. On a démontré qu'une règle sans exceptions était plus souvent une source de controverse plutôt que de consensus. En même temps, j'estime que la déclaration ci-dessus doit être placée dans le contexte de l'analyse incisive qui l'a précédée. Dans ce cadre, il est bien clair que l'argument " retard abusif " ne saurait être perçu comme un motif fécond d'annulation des décisions judiciaires. Sur le plan juridique, il est probablement plus réaliste de présupposer que cet argument sera rarement, ou jamais, invoqué avec succès. Les avocats devraient donc en tenir compte.         

[17]      Il se trouve cependant que les arrêts ci-dessus ont été rendus à l'égard de requérants qui cherchaient à faire réformer à leur avantage des décisions défavorables en matière de statut de réfugié au sens de la Convention par ce seul motif que le retard constituait une atteinte aux droits que leur garantissait la Charte. Dans ce contexte, le retard en soi ne constituera pas un argument décisif. Les circonstances sont différentes en l'espèce. Les requérants ne demandent pas que la décision défavorable de la Commission soit réformée à leur avantage, mais que leurs revendications soient renvoyées à la Commission pour instruction par une autre formation de jugement. En outre, il n'est pas seulement question de retard, mais aussi d'erreurs commises par le tribunal sur les faits dans son appréciation de la crédibilité des requérants et des témoignages produits, erreurs manifestement imputables aux longs délais. Cette conjugaison des longs intervalles et des erreurs engage à douter que le tribunal ait pris en considération les preuves et témoignages produits. Chaque cas d'espèce de ce genre doit être décidé à la lumière des faits de la cause. Aucune question ne sera certifiée.

[18]      La Cour fait droit au recours en contrôle judiciaire et renvoie l'affaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle instruction sans délai par une autre formation de jugement.

     Signé : Marshall E. Rothstein

     ________________________________

     Juge

Winnipeg (Manitoba),

le 6 janvier 1998

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1179-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ahmadian Sasan, Ahmadian Melika, Saatchi Mojgan

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      10 décembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

LE :                      6 janvier 1998

ONT COMPARU :

Douglas Lehrer                  pour les requérants

John Loncar                      pour l'intimé

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Vandervenen, Lehrer              pour les requérants

45 rue Saint Nicholas

Toronto (Ontario)

M4Y 1W6

M. George Thomson, c.r.                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Date : 19980106

     Dossier : IMM-1179-97

Entre :

     AHMADIAN SASAN,

     AHMADIAN MELIKA,

     SAATCHI MOJGAN,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


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