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Date : 20200401


Dossier : T‑448‑18

Référence : 2020 CF 468

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er avril 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JOSEPH D. YUE

demandeur

et

BANQUE DE MONTRÉAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Yue conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] de ne pas réactiver la plainte relative aux droits de la personne [la décision] qu’il a déposée à l’encontre la Banque de Montréal [BMO], son ancien employeur. Les présents motifs expliquent pourquoi il s’agit là d’une issue raisonnable et pourquoi le présent contrôle judiciaire est par conséquent rejeté.

I.  Contexte

[2]  M. Yue a commencé à travailler à la BMO en 1982. Pendant une bonne partie de sa période d’emploi pour la BMO, il se déplaçait entre son domicile à Barrie et son lieu de travail au centre‑ville de Toronto.

[3]  À l’automne 2011, la BMO a permis à M. Yue de travailler à Barrie deux jours par semaine jusqu’à l’achèvement d’un projet précis. En février 2012, M. Yue a demandé à la BMO de prendre des mesures d’adaptation liées à ses problèmes de santé et de lui permettre de travailler à Barrie cinq jours par semaine. Il a fourni à l’appui de sa demande une note de médecin précisant que sa [TRADUCTION] « maladie est aggravée par un repos inadéquat et ses allers-retours entre Barrie et Toronto. Il est souhaitable qu’il travaille à Barrie cinq jours par semaine ».

[4]  En mars 2012, M. Yue a été victime d’un accident de la route. Sa demande de mesures d’adaptation a été refusée plus tard ce mois‑là, et un plan de retour au travail progressif a été proposé. En avril 2012, M. Yue a présenté une demande d’invalidité de courte durée, qui a été refusée peu après. Il a été informé qu’il pouvait interjeter appel en fournissant les documents nécessaires dans les 30 jours. Il prétend avoir tenté de le faire, mais ne pas avoir été en mesure de respecter le délai.

[5]  M. Yue a ensuite informé la BMO qu’il prenait un congé de maladie, et cette dernière a répondu qu’elle considérerait que M. Yue était en congé sans solde non autorisé à compter du 2 avril 2012.

[6]  M. Yue n’est jamais retourné au travail et a finalement démissionné en 2015. Il a déposé un grief et a autrement saisi les tribunaux de sa situation avant et après la fin de son emploi à la BMO. La décision de la Commission de ne pas rouvrir sa plainte fait partie d’une série de décisions, et je ferai donc un bref historique des autres procédures pertinentes.

A.  Historique des procédures

(1)  La plainte de congédiement injuste

[7]  En avril 2012, M. Yue a déposé une plainte contre la BMO en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [CCT], dans laquelle il alléguait avoir été congédié injustement par la BMO. La plainte en question a été entendue par un arbitre sur une période de neuf jours s’échelonnant d’août 2013 à avril 2014. La principale question était de savoir si le refus de la BMO de prendre les mesures d’adaptation demandées par M. Yue équivalait à un congédiement déguisé.

[8]  En juillet 2014, l’arbitre Leonard Marvy [l’arbitre] a rejeté la plainte déposée en vertu du CCT dans une décision étoffée de 20 pages. Il a conclu que la BMO n’avait pas congédié M. Yue de manière déguisée parce que : 1) la documentation médicale ne justifiait pas la nécessité de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Yue et de lui permettre de travailler à temps plein à Barrie; et 2) même si de telles mesures s’étaient révélées nécessaires, M. Yue n’a pas répondu de façon raisonnable aux mesures d’adaptation proposées par la BMO.

[9]  M. Yue a demandé à notre Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, et, dans un jugement rendu le 26 août 2015 où elle a examiné les conclusions factuelles et juridiques de l’arbitre (dossier de la Cour T‑1687‑14), la Cour a conclu que la décision était raisonnable.

[10]  M. Yue a interjeté appel du jugement de la Cour fédérale à la Cour d’appel fédérale [CAF], qui, à son tour, a rejeté l’appel dans une décision rendue en avril 2016 (Yue c Banque de Montréal, 2016 CAF 107). La CAF a conclu que, compte tenu de la preuve médicale présentée, la décision de l’arbitre n’avait rien de déraisonnable. La juge Gleason a, au nom de la CAF, statué qu’il était loisible à l’arbitre de conclure que la preuve ne démontrait pas la nécessité de travailler à Barrie. Elle a également conclu que la BMO n’avait pas failli à son obligation d’offrir des mesures d’adaptation, étant donné l’insuffisance d’éléments de preuve à l’appui des allégations médicales et le « dépôt précipité de [l]a plainte pour congédiement injuste immédiatement après le rejet de sa demande de prestations d’invalidité » (par 7). La juge Gleason a ajouté ce qui suit au paragraphe 8 :

En outre, nous ne sommes pas d’accord pour dire que l’arbitre n’a pas tenu compte de l’effet d’une modification possible de l’horaire de travail de l’appelant, qui lui permettait de travailler à Barrie deux ou trois jours par semaine, de façon temporaire. L’arbitre a examiné cette question aux paragraphes 52 et 53 de la sentence, et il n’y a rien de déraisonnable dans son examen de la question. Même si la Banque a mis fin prématurément à l’entente permettant à l’appelant de travailler à Barrie, il n’y a rien de déraisonnable dans le fait de conclure qu’il ne s’agit pas d’un congédiement déguisé, qui exige une modification unilatérale substantielle d’une condition essentielle du contrat de travail, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Farber c Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, au paragraphe 24. Il n’y a rien de déraisonnable dans le fait de refuser de conclure qu’un changement de quelques semaines à un lieu de travail temporaire constitue un congédiement déguisé, surtout si l’on tient compte de l’insistance de l’appelant sur le fait qu’il avait besoin de travailler à Barrie cinq jours par semaine.

(2)  La plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne

[11]  En décembre 2012, M. Yue a déposé une plainte à la Commission, alléguant que la BMO avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de son âge et de sa déficience. En mai 2013, la Commission a décidé de ne pas traiter la plainte étant donné que la plainte fondée sur le CCT était en cours. Les parties ont été informées qu’une fois ce processus terminé, elles pourraient demander à la Commission de réactiver la plainte, ce que M. Yue a fait en mai 2016.

[12]  En juin 2016, la Commission a informé les parties que l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [LCDP] était susceptible de s’appliquer à la plainte parce qu’il se pouvait que les mêmes questions aient déjà été traitées dans le cadre du processus fondé sur le CCT, de sorte que la plainte pouvait être jugée « vexatoire ». La Commission a invité les parties à présenter des observations à cet égard, ce que les parties ont fait.

[13]  En octobre 2017, une agente des droits de la personne de la Commission [l’enquêteuse] a produit un rapport en vertu des articles 40 et 41 [le rapport] à l’intention des parties. Dans ce rapport exhaustif de 14 pages à simple interligne, l’enquêteuse a relevé, dans la plainte fondée sur la LCDP, huit allégations qui, de toute évidence, avaient été traitées par l’arbitre nommé en vertu du CCT. Elle a formulé des recommandations, notamment que la Commission n’avait pas à tenir compte de telles plaintes, vu les similitudes entre le processus de traitement des plaintes de la Commission et le processus d’arbitrage prévu au CCT.

[14]  L’enquêteuse a ensuite énuméré sept allégations dont l’arbitre n’avait pas traité directement. Toutefois, après avoir examiné les allégations en question, elle a recommandé à la Commission de refuser de les examiner (et, par conséquent, d’examiner la plainte) en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, au motif qu’elles auraient pu être réglées dans le cadre d’un autre processus, soit le processus de plainte fondé sur le CCT. L’enquêteuse a conclu dans son rapport que M. Yue aurait pu et aurait dû soulever ces nouvelles allégations dans le cadre de la plainte qu’il avait présentée sous le régime du CCT —avant ou pendant l’instruction de cette plainte —, soulignant que, à l’audience en question, M. Yue était représenté par un conseiller juridique.

[15]  Malgré ces conclusions, l’enquêteuse a procédé à l’évaluation des allégations et conclu qu’elles étaient vagues, dans la mesure où M. Yue n’avait présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que la discrimination alléguée était liée à son âge ou à une déficience quelconque.

[16]  À la lumière de ses conclusions concernant les allégations répétées et nouvelles, l’enquêteuse a recommandé à la Commission de ne pas instruire la plainte, celle‑ci étant vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

[17]  L’enquêteuse a donné aux parties l’occasion de répondre à son rapport — ce qu’elles ont fait une fois de plus —, et la Commission a tenu compte de ces réponses avant de rendre sa décision finale, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

B.  Décision faisant l’objet du contrôle

[18]  Le 17 janvier 2018, la Commission a adopté intégralement les recommandations de l’enquêteuse et a décidé de ne pas instruire la plainte au motif qu’elle était vexatoire. Dans sa décision, elle a accepté les conclusions de l’enquêteuse, soit que l’arbitre nommé en vertu du CCT avait examiné certaines des allégations de la plainte et que toutes les autres questions auraient pu figurer dans la plainte déposée sur le fondement du CCT et être traitées dans le cadre de ce processus. La Commission a qualifié de [traduction] « spéculation » l’argument de M. Yue selon lequel il n’aurait pas pu soulever toutes les questions pertinentes relatives aux droits de la personne dans le cadre des procédures introduites en vertu du CCT. Elle a déterminé que, même si ce n’était pas le cas, elle aurait tout de même exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner la plainte parce que M. Yue n’avait pas étayé ses allégations. M. Yue conteste maintenant cette décision.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[19]  M. Yue soulève une multitude de questions qui, selon lui, constituent des erreurs juridiques et factuelles commises par la Commission et qui prennent aussi leur source dans la décision initiale de l’arbitre. Lors de l’audience relative au contrôle judiciaire, il est revenu à maintes reprises sur les erreurs commises selon lui par l’arbitre dans la décision du 6 juillet 2014 relativement à la plainte de congédiement injuste fondée sur le CCT. M. Yue a également déposé un avis de question constitutionnelle [l’avis] alors que les procédures étaient déjà bien entamées. Dans l’avis en question, il a soulevé un certain nombre d’arguments au titre de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte]. À l’audience, ces arguments ont suscité peu de commentaires de l’une ou l’autre des parties, et j’en traiterai à la fin des présents motifs.

[20]  À l’audience, j’ai rappelé plusieurs fois à M. Yue que le présent contrôle judiciaire portait sur la décision rendue par la Commission en janvier 2018 — y compris le rapport de l’enquêteuse d’octobre 2017 — et non sur la décision du 6 juillet 2014, qui est une affaire réglée parce que la CAF a rejeté son appel. J’ai également expliqué à M. Yue que le présent contrôle judiciaire ne portait pas sur les erreurs antérieures que, alléguait‑il avec véhémence, son ancien avocat n’avait pas adéquatement soulevées devant l’arbitre et qu’il n’avait pas pu corriger à ce moment‑là en raison de son invalidité.

[21]  M. Yue a néanmoins déclaré avoir compris que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Il en est ainsi parce qu’aucune des exceptions prévues à la norme ne s’applique en l’espèce (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, par 33 [Vavilov]).

[22]  Dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, le rôle de la Cour consiste à déterminer si la décision était rationnelle et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, aux par 83, 86 et 99). Dans l’affirmative, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission. C’est à M. Yue qu’il incombe de démontrer que la décision comporte une faille décisive et qu’elle est déraisonnable (Vavilov, par 100). Je vais expliquer ci‑dessous les raisons pour lesquelles M. Yue ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

III.  Analyse

A.  Caractère raisonnable de la décision

[23]  Le paragraphe 41(1) de la LCDP est ainsi libellé :

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

 

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celleci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

[24]  Les dispositions qui précèdent confèrent à la Commission le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte frivole ou vexatoire. Le terme « vexatoire » s’entend d’une affaire sur laquelle il a été ou aurait pu être statué de façon appropriée dans une autre instance (voir Zulkoskey c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268, par 18 [Zulkoskey]). Le terme « vexatoire » au sens de la LCDP est interprété de façon large et souple afin d’éviter les dédoublements et le gaspillage de ressources découlant d’une remise en cause (Zulkoskey, par 24; Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, par 36 [Figliola]). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Figliola, « [l]a justice est accrue par la protection de l’attente des parties qu’elles ne soient pas sujettes à des instances supplémentaires, devant un forum différent, pour des questions qu’elles estimaient résolues définitivement » (par 36).

[25]  Les principaux facteurs à évaluer pour décider de l’application de l’article 41 de la LCDP en regard d’une remise en cause ont été résumés dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, par 50 [Bergeron] :

  1. Existait‑il une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne?

  2. La question juridique tranchée dans l’autre forum était‑elle essentiellement la même que celle soulevée dans la plainte pour atteinte aux droits de la personne?

  3. Le plaignant a‑t‑il eu la possibilité de connaître les éléments invoqués contre lui et de les réfuter?

[26]  Dans son rapport, l’enquêteuse énonce les facteurs dont la Commission peut tenir compte pour déterminer si l’alinéa 41(1)d) de la LCDP s’applique. Les voici :

  1. Le décideur dans l’autre instance avait‑il compétence pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne?

  2. Les questions soulevées lors de cette autre instance étaient‑elles essentiellement les mêmes que celles soulevées par la plainte en l’espèce?

  3. Le plaignant a‑t‑il eu la possibilité de soulever toutes les questions pertinentes en matière de droits de la personne?

[27]  Les facteurs énumérés par l’enquêteuse concordent avec ceux mentionnés dans les arrêts Bergeron (précité) et Figliola (par 46 à 54). La Commission, qui a adopté le rapport de l’enquêteuse dans son intégralité, a examiné de façon approfondie les facteurs en question et elle a estimé que les éléments nécessaires pour conclure que la plainte était « frivole » étaient réunis, notamment que l’arbitre, un décideur indépendant, avait rendu une décision finale sur bon nombre des questions soulevées devant la Commission. Parmi les allégations examinées et rejetées par l’arbitre, mentionnons celles voulant que la défenderesse n’avait pas pris de mesures d’adaptation, qu’elle avait congédié M. Yue de façon déguisée et qu’elle avait injustement réduit sa rémunération en avril 2012.

[28]  En ce qui concerne la demande de M. Yue de réactiver sa plainte fondée sur la LCDP, la Commission a raisonnablement conclu que l’on avait « statué de façon appropriée » sur le fond de cette plainte dans le cadre du processus d’arbitrage engagé en vertu du CCT, dans la mesure où l’arbitre avait abordé les principales allégations et les principaux faits sur lesquels elle reposait, à savoir :

  • (i) le changement de bureau de Barrie à Toronto en 2003;

  • (ii) la charge de travail supplémentaire de M. Yue;

  • (iii) le fait que M. Yue n’a pas reçu d’augmentation de salaire au mérite en 2010‑2011, malgré une très bonne évaluation;

  • (iv) les menaces de rétrogradation du gestionnaire et directeur de M. Yue lorsque ce dernier a demandé une promotion en 2011;

  • (v) le défaut de fournir à M. Yue un ordinateur portatif ou un téléphone qui n’était pas [traduction] « dysfonctionnel »;

  • (vi) le rejet de la demande de M. Yue de travailler à temps plein au bureau de Barrie plutôt que d’avoir à se rendre à Toronto à la suite d’un accident de la route survenu en mars 2012;

  • (vii) le fait de déclarer que le congé de maladie de M. Yue était non autorisé, non approuvé et sans solde;

(viii)  la réduction rétroactive du salaire de M. Yue au 1er avril 2012 après le rejet de sa demande d’invalidité de courte durée.

[29]  Par ailleurs, la Commission a conclu que la décision de l’arbitre ne portait pas directement sur les allégations suivantes liées à la LCDP :

  • (i) le travail [traduction] « d’élagage » du vice‑président exécutif, qui a remplacé les employés de 55 ans et plus et réduit leur nombre et le fait que M. Yue soit devenu une [traduction] « cible d’élagage » en 2010;

  • (ii) l’absence de gratitude ou de reconnaissance publique relativement aux réalisations professionnelles de M. Yue alors que d’autres personnes ont eu droit à un tel traitement;

  • (iii) les sept ans d’isolement de l’équipe de M. Yue, qui travaillait entouré [traduction] « de beaucoup de bureaux vides »;

  • (iv) le fait que la BMO a tardé pendant plus de deux semaines à fournir à M. Yue son dossier d’emploi, le privant ainsi de revenu pendant cinq semaines;

  • (v) le fait que la BMO a obligé M. Yue à payer les frais d’assurance‑vie pendant huit mois ainsi que les frais associés aux prestations d’invalidité, et ce, même s’il n’y avait pas accès;

  • (vi) l’absence de soutien du personnel de l’équipe des ventes de la BMO lorsque M. Yue a déposé sa plainte pour « congédiement déguisé » en 2012;

(vii)  le non‑versement de l’indemnité de départ à laquelle M. Yue estimait avoir droit.

[30]  Après avoir examiné les nombreuses allégations — nouvelles et anciennes —, la Commission a conclu que l’arbitre pouvait entendre et trancher des questions liées aux droits de la personne dans la mesure où elles se rapportent au congédiement injuste (voir Macfarlane c Day & Ross Inc., 2010 CF 556, par 74). Elle a conclu qu’il n’y a pas de différence importante entre le processus de traitement des plaintes de la Commission et le processus d’arbitrage fondé sur le CCT parce que l’arbitre qui est saisi d’une plainte pour congédiement injuste peut statuer sur les questions de droits de la personne qui s’y rapportent. Ainsi, l’intérêt de la justice n’exigeait pas de la Commission qu’elle se prononce sur les allégations formulées dans la présente plainte que l’arbitre avait déjà examinées ou qui auraient dû être soulevées dans le cadre de ce processus. Il s’agit là d’une conclusion intelligible, transparente et justifiée au regard des faits et du droit pertinents.

[31]  Quoi qu’il en soit, la Commission a également déterminé que les nouvelles allégations de M. Yue n’étaient pas étayées par des faits permettant d’affirmer qu’elles étaient liées à son âge ou à sa déficience. Plus précisément, la Commission a conclu que M. Yue n’avait pas établi de lien entre les allégations (ii) à (vii) et le motif de distinction illicite de l’âge, et que l’allégation (i) était sans fondement et n’était qu’une simple affirmation. Enfin, les allégations de discrimination fondée sur la déficience étaient également sans lien, et plusieurs d’entre elles concernaient des symptômes apparus après le comportement discriminatoire allégué, tandis que les autres n’étaient pas étayés par des éléments de preuve permettant d’établir un lien entre la conduite et la déficience de M. Yue.

[32]  Selon moi, il était raisonnable pour la Commission de conclure qu’il était évident et manifeste que de telles allégations étaient vouées à l’échec et que, par conséquent, la plainte était frivole. La Commission dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour rejeter les allégations qu’elle juge « frivoles » lorsqu’il apparaît manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec (Davidson c Canada (Procureur général), 2019 CF 877, par 13 et 32).

[33]  De plus, selon moi, il est important de garder à l’esprit que, lorsqu’elle agit en vertu de l’article 44 de la LCDP, la Commission procède à un examen préalable et exerce ainsi une fonction qui est analogue à celui du juge qui effectue une enquête préliminaire (McIlvenna c Banque de Nouvelle‑Écosse (Banque Scotia), 2019 CF 1610, par 16). Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la Commission lorsqu’elle exerce un tel pouvoir (Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, par 40; Joshi c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2014 CF 552, par 54).

[34]  Je souscris pleinement à l’argument de la défenderesse qui soutient qu’elle ne devrait pas avoir à continuer de consacrer des ressources au litige concernant la cessation d’emploi de M. Yue. Comme l’a fait remarquer la Cour dans la décision Klimkowski c Chemin de fer Canadien Pacifique, 2017 CF 438, au paragraphe 63 :

[L]a Commission n’est pas tenue par la justice de statuer sur la plainte, même si la plaignante n’est pas satisfaite du résultat. La Commission n’est pas un mécanisme d’appel des décisions d’arbitrage et la décision liée à la plainte ne fera pas progresser l’objectif de la loi

B.  Arguments fondés sur la Charte

[35]  Après que M. Yue eut fini de présenter ses arguments à la Cour, je lui ai demandé s’il souhaitait aborder ceux qu’il avait soulevés dans son avis et dont il n’avait pas parlé dans sa plaidoirie ni dans son mémoire des faits et du droit. M. Yue a dit très brièvement que ses droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte avaient été violés, sans préciser la nature de telles violations. Il s’en est remis aux arguments écrits qui figuraient dans son avis.

[36]  L’avocat de la BMO a répondu que, vu la nature des questions soumises à la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire, il ne savait pas vraiment de quelle façon répondre à l’avis. Même en supposant que l’avis est valide — ce qu’il n’a pas admis —, il a soutenu que les motifs fondés sur la Charte qui étaient invoqués n’avaient aucune incidence sur le contrôle judiciaire parce que, dans les circonstances, la Charte n’était pas en cause et que les questions n’avaient pas été soulevées devant la Commission et ne pouvaient donc pas l’être pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire.

[37]  Vu le peu de temps que M. Yue a consacré à ses arguments relatifs à la Charte et la nature imprécise de l’avis, je ferai de mon mieux pour déchiffrer et examiner les arguments qui y sont soulevés, aussi ambigus soient‑ils. L’avis semble se résumer aux allégations selon lesquelles : (i) la Commission a violé les droits garantis à M. Yue par les articles 7, 12 et 15 de la Charte et, ce faisant, elle a enfreint les principes d’équité procédurale; et (ii) la BMO a également violé les droits garantis à M. Yue par les articles 7 et 12 — et peutêtre 15 — de la Charte.

[38]  Avant de me pencher sur le bienfondé de l’avis, je soulignerai que, du point de vue procédural, celui‑ci n’est pas conforme aux règles de la Cour fédérale. Au lieu de contester, sur le fondement de l’article 52 de la Charte, la validité, l’applicabilité ou l’effet sur le plan constitutionnel des dispositions législatives en cause — ce qui est l’objectif de l’avis exigé par l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 —, l’avis fait état de mesures qui seraient inconstitutionnelles en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Les violations liées au paragraphe 24(1) de la Charte auraient pu et auraient dû être plaidées dans le dossier du demandeur et, plus précisément, dans le mémoire des faits et du droit de M. Yue.

[39]  Malgré le dépôt tardif de l’avis, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire et accepter que de nouveaux arguments soient présentés à un stade avancé de l’instance (Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 22, par 12 [Al Mansuri]). Dans l’affaire Al Mansuri, les demandeurs ont invoqué une série d’arguments fondés sur la Charte pour la première fois dans leur exposé complémentaire des faits et du droit. La juge Dawson (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire d’examiner des arguments invoqués tardivement, y compris ceux fondés sur la Charte (Al Mansuri, par 12). Les facteurs énoncés dans la décision Al Mansuri ont été appliqués à de nombreuses occasions, notamment dans le contexte de l’immigration (dans lequel s’inscrit la décision Al Mansuri — voir, par exemple, Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 864, par 26 à 29) et dans des contextes autres que l’immigration (voir, par exemple, Jama c Canada (Procureur général), 2018 CF 219, par 21 à 26. La liste non exhaustive des facteurs énumérés dans la décision Al Mansuri compte, outre la force apparente des nouveaux arguments, les questions suivantes :

  • (i) Les faits et éléments intéressant les nouveaux arguments étaient‑ils tous connus (ou raisonnablement accessibles) à l’époque où la demande d’autorisation fut déposée et/ou mise en état?

  • (ii) Est‑il possible que la partie adverse subisse un préjudice si les nouveaux arguments sont étudiés?

  • (iii) Le dossier révèle‑t‑il tous les faits à l’origine des nouveaux arguments?

  • (iv) Les nouveaux arguments sont‑ils apparentés à ceux au regard desquels fut accordée l’autorisation?

  • (v) Le fait de permettre que les nouveaux arguments soient invoqués retardera‑t‑il indûment l’audition de la demande?

[40]  M. Yue ne satisfait pas aux deux premiers facteurs puisqu’il devait connaître les faits pertinents au moment où il a déposé sa demande de contrôle judiciaire. Même si sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire mentionnait son intention de présenter certains arguments relatifs à la Charte dans un dépôt ultérieur, M. Yue n’a pas approfondi ces arguments avant de déposer son avis. Cependant, je suis conscient que M. Yue agit pour son propre compte et qu’il n’est jamais facile d’être un plaideur non représenté, surtout lorsqu’il s’agit de soulever des arguments relatifs à la Charte. Par conséquent, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire afin d’examiner les arguments de M. Yue en fonction des trois autres facteurs énoncés dans la décision Al Mansuri. Je vais maintenant aborder les arguments en question.

(1)  La Commission a‑t‑elle violé les droits garantis à M. Yue par la Charte?

[41]  M. Yue allègue que la Commission a violé ses droits garantis par la Charte :

  • (i) en jugeant sa plainte frivole et vexatoire malgré le fait qu’aucune des violations des droits de la personne commises par la BMO [traduction] « n’a été analysée dans le cadre de l’arbitrage fédéral en matière de relations de travail ni devant aucun autre tribunal », alors que la preuve écrite concernant les actions de la BMO n’a pas été prise en compte;

  • (ii) en utilisant une partie de la décision de l’arbitre pour [traduction] « passer l’éponge sur toutes les violations des droits de la personne commises par la BMO en mars‑avril 2012 »;

  • (iii) en ne tenant pas compte des mesures d’adaptation prescrites par son neurologue en raison de sa déficience;

  • (iv) en dénaturant [traduction] « l’arrêt de travail attribuable à la BMO » dans le cadre de son évaluation sans fondement.

[42]  S’appuyant sur ces allégations, M. Yue soutient que la Commission a violé les droits que lui garantissent les articles 7, 12 et 15 de la Charte ainsi que ses droits à l’équité procédurale. C’est pourquoi il demande à la Cour fédérale de lui accorder une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte.

[43]  Une bonne partie de l’avis porte sur l’explication de M. Yue quant aux raisons pour lesquelles la décision de la Commission est erronée et injuste à son égard. Cependant, à moins d’être fondée sur une violation de la Charte — comme la discrimination illégale —, la décision de la Commission de ne pas réactiver la plainte en matière de droits de la personne de M. Yue contre son ancien employeur ne constitue pas une violation de ses droits garantis par la Charte. Les litiges fondés sur la Charte, qui sont de nature complexe et technique, exigent de bien cerner le droit protégé par la Charte ou la valeur en cause, la façon précise dont le droit a été violé et, le cas échéant, si la violation de la Charte par l’acteur gouvernemental était justifiée. Je conclus que, en l’espèce, cela n’a pas été fait. En termes simples — et comme je l’expliquerai ci‑dessous relativement à chaque allégation fondée sur la Charte —, M. Yue ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver l’existence d’une violation.

[44]  Premièrement, en ce qui concerne l’article 7, M. Yue écrit dans son avis que la Commission l’a privé de ses [traduction] « droits fondamentaux à des mesures d’adaptation en raison de sa déficience » et [traduction] « n’a pas ordonné que les dossiers non résolus de violations des droits de la personne commises par la BM soient renvoyés pour examen à Travail Canada ». Il ajoute que le comportement de la Commission l’a laissé [traduction] « dans l’incertitude et que sa conduite a permis à la BMO de se placer au‑dessus des lois civiles canadiennes ». Or, l’article 7 protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, et M. Yue n’explique pas en quoi il y aurait eu atteinte à l’un de ces trois droits protégés par l’article 7.

[45]  Deuxièmement, dans son avis, M. Yue soutient que la Commission a violé l’article 12 de la Charte en écartant la preuve que la BMO l’a maltraité [traduction] « en faisant preuve de cruauté par ses multiples actes de désobéissance civile à l’égard du Code canadien du travail, de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Loi constitutionnelle ». Toutefois, je remarque que l’article 12 protège les personnes contre les peines cruelles et inusitées. Le fait que la plainte de M. Yue n’a pas été entendue par un tribunal ne constitue pas une telle peine. Même si certains peuvent se sentir punis lorsqu’ils n’obtiennent pas ce à quoi ils estiment avoir droit, ce n’est assurément pas le genre de peine qui entraîne l’application de l’article 12. M. Yue n’a cité aucun précédent établissant que l’article 12 a la portée qu’il lui donne. Il n’est pas, par exemple, dans une situation où il risque d’être torturé après avoir été expulsé du pays, comme dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, par 51.

[46]  Troisièmement, en ce qui concerne l’article 15, M. Yue soutient qu’il ne devrait pas être privé de son [traduction] « droit à une protection et à des avantages égaux en vertu de la loi, comme le prévoit l’article 239.1 du Code canadien du travail (1985) » et, encore une fois, que la Commission [traduction] « n’a pas ordonné que les dossiers non résolus des violations des droits de la personne commises par la BMO soient renvoyés pour examen à Travail Canada ». M. Yue n’a fourni aucun autre renseignement relativement à un tel argument. Il n’a pas précisé en quoi la Commission l’avait traité différemment des autres en raison de l’un ou l’autre des motifs protégés par la Charte (la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques) ou d’un motif analogue. Le seul motif qui aurait pu s’appliquer à la situation de M. Yue est la déficience physique. Toutefois, son avis n’explique pas en quoi la Commission l’a traité différemment en raison de sa déficience. M. Yue semble estimer que le fait de ne pas obtenir de la Commission ce à quoi il croit avoir droit équivaut à de la discrimination.

[47]  Si on examine sous un autre angle les allégations fondées sur la Charte, M. Yue n’a fourni aucun contexte factuel adéquat à l’appui de l’une ou l’autre de ces allégations (Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086, à 1099 [Danson]). Dans l’affaire Thurrott c Canada (Procureur général), 2018 CF 577, où le demandeur a demandé à la Cour d’examiner la constitutionnalité de la procédure de procès sommaire des Forces canadiennes, et le juge Boswell a écrit ce qui suit, aux paragraphes 37 et 38 :

En l’espèce, le demandeur n’a établi ni les faits en litige ni les faits législatifs nécessaires pour justifier une contestation de la constitutionnalité du régime de procès sommaire. Les arguments du demandeur sur le manque allégué d’indépendance ou de conformité à la Charte du processus de procès sommaire sont vagues et ne sont pas appuyés par la jurisprudence. Par ailleurs, certains des arguments sont clairement inexacts, comme le fait qu’il ne pouvait pas être emprisonné ou se voir imposer une lourde amende ou une autre punition sévère en vertu du paragraphe 108.17(1) des ORFC. Aucun des éléments de preuve du demandeur (dans la mesure où il y en a) ne peut atteindre le seuil établi dans Danson pour un fondement factuel approprié à l’appui d’une contestation constitutionnelle.

En fait, le demandeur n’a même pas établi que ses propres droits garantis par la Charte étaient en cause. Les arguments du demandeur à l’égard de ses droits en vertu des articles 7 et 12 de la Charte peuvent être facilement rejetés. L’amende de 1 000 $ ne portait aucunement atteinte à son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, et elle ne dépassait certainement pas le seuil élevé requis pour qualifier une peine de cruelle et d’inusitée.

(2)  La BMO a‑t‑elle violé les droits garantis à M. Yue par la Charte?

[48]  Dans son avis, M. Yue affirme que la décision de la Commission a eu pour effet [traduction] « de passer l’éponge sur toutes les violations des droits de la personne susmentionnées commises par la BMO » et [traduction] « d’accorder à la BMO le pouvoir suprême de violer le Code canadien du travail, la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi constitutionnelle en toute impunité ». Entre autres choses, M. Yue écrit que les actions de la BMO étaient cruelles et que cette dernière l’a maltraité, faisant preuve, à son égard, de [traduction] « cruauté par ses multiples actes de désobéissance civile à l’égard du Code canadien du travail, de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Loi constitutionnelle », ce qui, semble‑t‑il affirmer, porte atteinte aux droits que lui garantit l’article 12 de la Charte. En outre, il affirme que la BMO lui aurait fait subir [traduction] « un traitement inusité interdit par l’article 7 de la Loi constitutionnelle ».

[49]  Ces présumées violations de la Charte auraient pu — et auraient dû — être soulevées devant la Commission ou devant l’arbitre. Selon le paragraphe 50(2) de la LCDP, le Tribunal canadien des droits de la personne a compétence pour examiner et appliquer la Charte, et il peut accorder des réparations en cas de violations à la Charte conformément aux pouvoirs que la LCDP lui accorde (voir R c Conway, 2010 CSC 22, par 81 et 82). Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, la Cour suprême a affirmé que les tribunaux jouissent du pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner une question soulevée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. Le juge Rothstein a écrit ce qui suit au nom des juges majoritaires : « En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif mais qu’elle ne l’a pas été » (voir par 22 à 26).

(3)  La Commission a‑t‑elle violé les droits à l’équité procédurale de M. Yue?

[50]  Dans son avis, M. Yue allègue que [traduction] « la décision de la CCDP contrevenait également à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale » et il laisse donc entendre qu’il y a eu partialité et que la Commission a agi de mauvaise foi. Il ne s’agit pas en soi de violations de la Charte, mais plutôt de manquements aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. De toute évidence, en soulevant de telles questions, M. Yue fait valoir des arguments qu’il aurait dû présenter dans son mémoire des faits et du droit, plutôt que dans un avis de question constitutionnelle déposé après la présentation de tous les actes de procédure et de toutes les réponses.

[51]  Même si les allégations en question avaient été déposées en temps opportun, j’estime qu’elles ne sont pas assez détaillées ni corroborées par suffisamment d’éléments de preuve. Durant sa plaidoirie, M. Yue n’a rien dit de plus à ce sujet. À la lumière du dossier soumis à la Cour, je ne vois aucune preuve d’une crainte raisonnable de partialité : une personne bien renseignée (c.‑à‑d. raisonnable) qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique ne croirait pas « que, selon toute vraisemblance, [la Commission], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, par 20, citant l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978]). 1 RCS 369, 2015 CSC 25, p 394). Le critère qui permet de conclure à l’existence de partialité, réelle ou perçue, est strict. Les motifs qui permettent de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité doivent être sérieux, et le critère n’est pas celui d’une « personne de nature scrupuleuse et tatillonne » (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, par 76).

[52]  Je souligne qu’il ne faut pas prendre à la légère les allégations de partialité. Je ne vois assurément rien qui donne à penser que la Commission a fait preuve de partialité ou de mauvaise foi, qu’elle n’a pas accordé le plein droit de participer au processus ou qu’elle a commis quelque autre irrégularité procédurale que ce soit. Bref, les allégations relatives à l’équité procédurale formulées par M Yue dans son avis ne sont rien de plus que de simples affirmations sans fondement.

(4)  Réparation

[53]  En ce qui concerne la réparation sollicitée par M. Yue, ce dernier écrit dans son avis : [traduction] « Par conséquent, je, le demandeur, sollicite une réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à un acte ou à une omission du gouvernement du Canada, à savoir la CCDP et le Programme du travail du gouvernement fédéral ».

[54]  Toutefois, ce n’est pas parce que M. Yue n’est pas satisfait des décisions de la Commission et de l’arbitre nommé en vertu du CCT qu’il peut, pour cette seule raison, alléguer qu’il y a eu violation de la Charte ou demander réparation.

(5)  Conclusion sur l’avis

[55]  Enfin, vu la nature de son avis, j’ai mentionné que M. Yue ne conteste pas la constitutionnalité de la LCDP en tant que telle, mais allègue plutôt avoir été victime de violations de la Charte dans le cadre de l’application de la loi. Dans la mesure où M. Yue aurait pu avoir l’intention de contester directement l’article 41 dans son avis ou ses observations de vive voix, je rappelle qu’il aurait pu le faire devant la Commission (Nouvelle‑Écosse (Workers' Compensation Board) c Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers' Compensation Board) c Laseur, 2003 CSC 54, par 3).

[56]  En dernier lieu, je souligne que, tout comme il l’a fait dans le cas des principaux arguments qu’il a fait valoir à l’appui du présent contrôle judiciaire et qui ont été analysés ci‑dessus, M. Yue appuie ses arguments relatifs à la Charte sur l’existence d’erreurs de fait et de droit qui, affirme‑t‑il sans fondement factuel suffisant, ont été commises et n’ont pas été prises en considération dans le cadre du processus de plainte déposée en vertu du CCT et du processus d’arbitrage connexe. Comme nous l’avons déjà expliqué, le processus fondé sur le CTC et le processus d’appel ont pris fin avec la décision de la CAF et les questions examinées ne peuvent pas être débattues à nouveau devant la Cour. En ce qui concerne les allégations de violation de la Charte découlant de la décision de la Commission et de la conduite de la BMO, il s’agit de simples allégations qui ne soulèvent pas de questions prêtant à débat.

IV.  Conclusion

[57]  Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, l’approche de M. Yue consistait principalement à contester les procédures antérieures qui reposaient sur le CCT et qui se sont soldées par la décision de la CAF en 2016. Elles ne font pas l’objet du présent contrôle judiciaire : M. Yue a eu l’occasion de les contester. Ses tentatives de remettre en question les conclusions factuelles et juridiques de l’arbitre sont donc malavisées.

[58]  Pour ce qui est de l’affaire dont la Cour est actuellement saisie, même si M. Yue a souligné les faiblesses qu’il a perçues dans la décision de la Commission, il n’a pas réussi à prouver que la décision était — dans l’ensemble, ou même en partie — déraisonnable. L’analyse de la Commission mène logiquement à la conclusion qu’elle a tirée. Lue dans son intégralité, la décision est tout à fait transparente, intelligible et justifiée. En outre, M. Yue ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que les motifs de la Commission ou de l’enquêteuse sont lacunaires. Enfin, les allégations fondées sur la Charte n’ont pas été étayées. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

V.  Dépens

[59]  Chacune des parties a demandé des dépens de 2 000 $. Dans le cas de la défenderesse, du moins, il s’agissait d’un montant très raisonnable, vu les importants efforts déployés dans le cadre du présent contrôle judiciaire, y compris la participation de deux avocats à la préparation et à l’instruction de l’instance. Par conséquent, la Cour accorde à la défenderesse la somme forfaitaire de 2 000 $, payable immédiatement par le demandeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑448‑18

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. M. Yue doit verser immédiatement des dépens de 2 000 $ à la défenderesse.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de juin 2020.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T44818

 

INTITULÉ :

JOSEPH D. YUE c BANQUE DE MONTRÉAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 1ER AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Joseph D. Yue

 

LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Frank Cesario

Julia M. Nanos

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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