Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200313


Dossier : IMM‑4366‑19

Référence : 2020 CF 381

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 13 mars 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

DAVINDER KUMAR SHARMA

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Davinder Kumar Sharma, est un citoyen de l’Inde. En février 2019, M. Sharma a demandé un visa de résident temporaire [VRT] afin de travailler comme plombier au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Dans une décision rendue en juin 2019, un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à New Delhi en Inde [l’agent] a refusé la demande de M. Sharma [Décision]. L’agent n’était pas convaincu que M. Sharma serait capable d’exercer convenablement l’emploi de plombier.

[2] M. Sharma soutient que la Décision est déraisonnable parce qu’elle n’est pas étayée par la preuve dont disposait l’agent. Il soutient également que l’agent a manqué aux règles de l’équité procédurale en abordant son dossier avec partialité et l’esprit fermé. M. Sharma sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent et demande à la Cour d’annuler cette Décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent en vue d’un nouvel examen.

[3] Après examen de la preuve dont disposait l’agent et du droit applicable, je ne vois aucune raison d’annuler la Décision de l’agent. L’agent a expliqué, en se référant aux éléments de preuve, pourquoi il refusait la demande de VRT présentée par M. Sharma. Essentiellement, l’agent n’était pas convaincu que M. Sharma avait réellement travaillé comme plombier en Inde. La Décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. De plus, à tous égards, l’agent a respecté les exigences en matière d’équité procédurale dans son traitement de la demande de M. Sharma et n’a fait preuve d’aucune forme de partialité répréhensible. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Sharma.

II. Contexte

A. Les faits

[4] En février 2019, après avoir reçu une offre d’emploi de DMS Hydronic Mechanical Systems Ltd., situé à Burnaby en Colombie‑Britannique, et à la suite d’une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] favorable, M. Sharma a présenté une demande de VRT en vue de travailler au Canada comme plombier. En mars 2019, l’agent a examiné la demande de VRT de M. Sharma. Il a conclu que M. Sharma avait de faibles notes en anglais et qu’il y avait des incohérences entre l’achèvement de ses études secondaires et sa formation professionnelle. De plus, l’agent avait des doutes concernant l’authenticité du prétendu emploi de M. Sharma auprès de son employeur actuel en Inde, GST Industries [GST], car la lettre de référence de l’employeur soumise par M. Sharma avait un caractère officieux.

[5] Par conséquent, en avril 2019, l’agent a réalisé une entrevue téléphonique avec le prétendu employeur actuel de M. Sharma afin de vérifier la situation d’emploi de M. Sharma. Lorsque l’agent a demandé au porte-parole de l’employeur d’énumérer tous les employés de l’entreprise, il n’a pas inclus M. Sharma. C’est seulement après que l’agent a passé en revue la lettre de référence que le porte-parole de l’employeur a compté M. Sharma parmi ses employés.

[6] Le 4 juin 2019, l’agent a tenu une entrevue avec M. Sharma pour lui permettre de répondre aux préoccupations de l’agent concernant son emploi en Inde. Au terme de l’entrevue, l’agent n’était pas convaincu que M. Sharma serait capable d’exercer l’emploi de plombier au Canada et, sur cette base, il a refusé la demande de VRT présentée par M. Sharma.

B. La Décision

[7] Comme il arrive souvent en ce qui concerne les demandes de permis de travail, la Décision elle‑même est brève et ne comporte que quelques lignes. Toutefois, les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] prises par l’agent, qui font partie intégrante de la Décision, permettent de mieux comprendre l’analyse effectuée par l’agent et les motifs qui l’ont mené à refuser la demande de M. Sharma.

[8] Selon les notes du SMGC, à l’entrevue en juin 2019, l’agent a soulevé auprès de M. Sharma plusieurs préoccupations concernant son emploi chez GST, et lui a donné la chance d’y répondre. Ces préoccupations étaient les suivantes :

  • M. Sharma avait fourni une liste de noms des employés avec qui il travaillait chez GST, mais cette liste ne concordait pas avec celle fournie par son employeur;
  • L’agent a remis en question des photos montrant M. Sharma en train d’effectuer divers travaux de plomberie et M. Sharma a répondu que son représentant en immigration lui avait conseillé de prendre de telles photos;
  • M. Sharma n’avait pas soumis de preuve démontrant la réception de paiements réguliers pour son prétendu emploi en Inde et ne pouvait prouver que des paiements inconstants au moyen de chèques dont les numéros de série étaient rapprochés. Aux yeux de l’agent, cela posait problème, car il semblait invraisemblable que les numéros de série soient si rapprochés alors que l’employeur de M. Sharma avait un commerce actif qui comptait plusieurs employés;
  • M. Sharma ne pouvait avancer d’explication pour l’absence de certains paiements pour une période de plusieurs mois;
  • M. Sharma ne pouvait fournir d’autres pièces attestant de son emploi, par exemple un Formulaire 16 (certificat de salaire annuel), des déclarations fiscales ou des relevés bancaires faisant état de dépôts et de versements;
  • M. Sharma ne pouvait expliquer comment il a obtenu son emploi au Canada, ni fournir de renseignements précis sur la façon dont les travaux de plomberie sont exécutés au Canada;
  • Il y avait incohérence quant au nom d’un certain Balwinder Singh, signalé comme étant l’autre plombier chez GST, et quant à la question de savoir si cette personne était en fait le père de M. Sharma.

[9] Au terme de l’entrevue, l’agent a refusé la demande de VRT de M. Sharma, car il n’était pas convaincu que M. Sharma serait capable d’accomplir adéquatement le travail requis. L’agent a expliqué à M. Sharma que les renseignements fournis par son employeur durant l’entrevue téléphonique ne concordaient pas avec les réponses fournies par M. Sharma, qu’il y avait un manque de renseignements crédibles de la part de M. Sharma dans le cadre de l’entrevue, et que la documentation devant démontrer son prétendu emploi à titre de plombier en Inde était insuffisante.

C. La norme de contrôle

[10] Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents des visas est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Dans cet arrêt, les juges majoritaires ont exposé un cadre d’analyse révisé pour déterminer la norme de contrôle applicable à l’examen sur le fond des décisions administratives, en statuant qu’il y avait présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, sauf si l’intention du législateur ou la primauté du droit exige une dérogation à cette présomption (Vavilov aux para 10 et 17). Je suis convaincu que ni l’une ni l’autre de ces exceptions ne s’appliquent en l’espèce et qu’il n’y a aucune raison de déroger à la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable à la Décision de l’agent.

[11] En ce qui concerne la réelle teneur de la norme de la décision raisonnable, le cadre établi dans l’arrêt Vavilov ne représente pas un écart marqué par rapport à l’approche antérieure de la Cour suprême, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] et dans des décisions subséquentes, qui était fondée sur les « caractéristiques d’une décision raisonnable », soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). La cour de révision doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision », afin de déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para 83 et 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] aux para 2 et 31).

[12] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale (qui englobent la crainte de partialité), l’approche à adopter n’a pas changé dans la foulée de l’arrêt Vavilov (Vavilov au para 23). Les tribunaux ont généralement conclu que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable pour déterminer si un décideur se conforme à l’obligation d’équité procédurale et aux principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43).

[13] Toutefois, dans des décisions récentes, la Cour d’appel fédérale a affirmé que les questions d’équité procédurale ne sont pas vraiment tranchées selon une norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique pour la cour de révision, et la cour doit être convaincue que la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24 et 25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP] au para 54). Cette évaluation comprend notamment les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Vavilov au para 77).

[14] Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire met en jeu l’équité procédurale et que des atteintes à la justice fondamentale sont alléguées, la question ultime qui se pose est de savoir si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances en jeu, le processus suivi par le décideur était équitable et s’il offrait aux parties le droit d’être entendues ainsi qu’une possibilité complète et équitable de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre (CFCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51-54).

III. Analyse

A. Caractère raisonnable

[15] M. Sharma se plaint du fait que l’agent ne lui a posé aucune question sur ses connaissances ou ses aptitudes à exécuter les tâches d’un plombier, et du fait que l’agent ne lui a pas demandé de soumettre des relevés bancaires avant l’entrevue – relevés que M. Sharma a affirmé être en mesure de fournir et qui auraient confirmé le versement régulier de sa paie par son employeur. De plus, M. Sharma affirme avoir confirmé que le dénommé Balwinder qui travaille chez GST n’était pas la même personne que son père, qui porte aussi le nom de Balwinder. S’appuyant sur la décision Sevilla c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 424 [Sevilla], où la Cour a déclaré que, si un agent adopte un point de référence, il doit le dire clairement et expliquer le lien avec les exigences prévues par la loi, M. Sharma soutient que l’EIMT relative à un plombier n’exige pas d’expérience de travail précise. Par conséquent, il affirme que la Décision est déraisonnable dans la mesure où l’agent a tenté de dévaloriser l’expérience de travail de M. Sharma chez GST, qui ne constitue pas une exigence de base énoncée à l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [Règlement].

[16] Je ne suis pas d’accord.

[17] À la suite de mon examen de la Décision et des notes du SMGC, je suis convaincu que l’agent n’a pas négligé des éléments de preuve ni commis d’autres erreurs pour en arriver à la conclusion que M. Sharma serait incapable d’exercer adéquatement les fonctions d’un plombier au Canada. Les ressortissants étrangers doivent prouver qu’ils remplissent toutes les exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] et du Règlement. En l’espèce, l’alinéa 200(3)a) du Règlement prévoit que le VRT ne peut être délivré si « l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé ».

[18] Étant donné que M. Sharma n’a pas dissipé les préoccupations de l’agent au cours de son entrevue avec l’agent, et qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il remplissait les exigences liées au VRT, il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que M. Sharma ne serait pas capable d’exercer les fonctions d’un plombier (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345 [Khan] au para 22; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484 [Li] au para 31).

[19] Les agents des visas doivent effectuer leur propre évaluation indépendante des demandes de VRT et ils ne sont pas liés par les déclarations du demandeur ou de son futur employeur (Chamma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 29 au para 36; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 aux para 9 et 28). En outre, une EIMT favorable n’est pas déterminante pour ce qui est de savoir comment le pouvoir discrétionnaire sera exercé; il s’agit simplement d’une condition procédurale préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 [Chhetri] aux para 15 à 17).

[20] M. Sharma reproche à l’agent de ne pas lui avoir posé de questions sur son expérience de travail concrète à titre de plombier. Toutefois, en l’espèce, les préoccupations et questions de l’agent visaient la véracité du prétendu emploi de M. Sharma en tant que plombier en Inde. Il incombait à M. Sharma de prouver cet emploi et l’agent n’était pas convaincu par la preuve que M. Sharma travaillait effectivement chez GST. À mon avis, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent des visas de conclure qu’un manque d’éléments de preuve attestant un emploi réel dans le domaine professionnel visé par la demande de VRT constitue un motif raisonnable de croire que l’étranger est incapable d’exercer cet emploi au Canada. L’agent ne dévalorisait pas le travail de M. Sharma chez GST; il évaluait tout simplement si l’emploi était authentique.

[21] Lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit accorder une « attention respectueuse […] à l’expertise établie » et aux connaissances spécialisées du décideur, tel qu’en font foi les motifs de ce dernier (Vavilov au para 93). La norme de la décision raisonnable est ancrée dans le principe de la retenue judiciaire. La cour de révision doit faire preuve de déférence envers le décideur, car cette déférence « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 au para 33; Dunsmuir aux para 48 et 49). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, lorsqu’une question mixte de fait et de droit relève directement du champ d’expertise d’un décideur, le rôle de la cour de révision n’est pas d’imposer l’approche de son choix (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 57). Évidemment, une cour de révision doit s’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle est justifiée au regard des faits pertinents, mais la déférence envers un décideur comporte plus particulièrement une déférence à l’égard de ses conclusions et de son appréciation de la preuve. Les cours de révision devraient éviter « de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Société canadienne des postes au para 61; Vavilov au para 125). Telle est la situation en l’espèce.

[22] En fin de compte, les observations de M. Sharma expriment tout simplement son désaccord avec l’appréciation de la preuve et la Décision de l’agent. Lors d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve ou de substituer ses propres conclusions à celles des agents des visas. Les agents des visas jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils rendent des décisions en vertu du Règlement et la Cour doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de leurs décisions compte tenu de leur expertise spécialisée.

[23] J’estime que la décision Sevilla n’est pas d’un grand secours pour M. Sharma étant donné que les faits de cette affaire diffèrent considérablement de sa situation. Plus la similarité des contextes factuels diminue, plus la pertinence d’un précédent s’atrophie; c’est justement la situation ici. Dans l’affaire Sevilla, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l’agent des visas avait ajouté une exigence additionnelle pour l’octroi d’un permis de travail, soit une expérience de travail d’une ou deux années — une exigence qui ne se trouve pas dans la disposition législative pertinente et qui n’est pas expliquée dans la décision. En l’espèce, l’agent a clairement restreint son analyse et ses réflexions au langage précis de l’alinéa 200(3)a) du Règlement, ainsi qu’à l’aptitude de M. Sharma d’exercer l’emploi prévu de plombier.

[24] Par conséquent, je suis convaincu que, dans les circonstances, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que M. Sharma n’avait pas dissipé ses préoccupations concernant son emploi, et qu’il y avait des motifs de croire qu’il serait incapable d’exercer l’emploi pour lequel le VRT était demandé.

B. Crainte de partialité

[25] Quant à la question de la partialité, M. Sharma conteste tout particulièrement une série de questions durant son entrevue en juin 2019, où l’agent lui a posé trois questions au sujet de son représentant en immigration et des paiements effectués par M. Sharma pour ses services. M. Sharma soutient que cette série de questions — en particulier, les commentaires de l’agent selon lesquels le représentant se livrait à [traduction] « des activités sournoises » et les questions concernant les frais exigés par ce dernier — démontre que l’agent ne pouvait pas rendre une décision équitable sur la demande de VRT présentée par M. Sharma. Selon M. Sharma, l’agent a abordé son dossier avec l’esprit fermé et n’était aucunement disposé à se laisser persuader.

[26] Les arguments de M. Sharma ne me convainquent pas.

[27] M. Sharma énonce correctement le critère qu’il convient d’appliquer en ce qui a trait aux craintes de partialité. Il renvoie à l’arrêt Baker, où la Cour suprême a réitéré que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Baker au para 46). Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice], la Cour suprême du Canada a aussi déclaré que « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet » (Committee for Justice à la p 394). M. Sharma s’est aussi appuyé, avec raison, sur l’arrêt Arthur c Canada (Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 [Arthur], pour affirmer qu’une crainte raisonnable de partialité « ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur [et doit] être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme » (Arthur au para 8).

[28] Une allégation de partialité ne peut être soulevée à la légère et doit être étayée au moyen d’une preuve concrète. En l’espèce, il va sans dire que l’agent avait l’expertise et la compétence requises pour questionner M. Sharma au sujet d’aspects essentiels de sa demande de VRT et de son témoignage. Une entrevue avec un agent des visas n’est pas une invitation à prendre le thé et les agents des visas sont en droit de poser des questions qui peuvent sembler déplaisantes, d’examiner des points litigieux touchant l’authenticité des documents fournis à l’appui des demandes de VRT, et de mettre en doute la crédibilité d’un demandeur. L’agent était en droit de vérifier l’emploi de M. Sharma et d’enquêter sur la véracité de ses déclarations. Le fait de poser des questions pointues n’est pas assimilable à la partialité. Dans les circonstances, je conclus que les questions relevées par M. Sharma n’étaient ni inappropriées ni injustes. Une fois qu’il a reçu les réponses, l’agent est tout simplement passé à d’autres questions concernant le prétendu emploi de M. Sharma chez GST, qui étaient centrales à ses préoccupations. En fin de compte, aucune des questions que M. Sharma identifie comme étant le reflet d’un esprit fermé et d’une apparence de partialité ne figure dans les notes du SMGC parmi les motifs de la Décision rendue par l’agent.

[29] Bref, les allégations de M. Sharma selon lesquelles l’agent semblait avoir un parti pris ne résistent pas à l’analyse. Comme le signale avec raison le Ministre, de telles allégations ne peuvent pas reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Des allégations de partialité doivent plutôt être étayées par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme (Arthur au para 8). M. Sharma n’a soumis aucune preuve de cette nature.

[30] Une allégation de partialité est grave et, de l’avis de la Cour, il faut faire preuve de beaucoup de rigueur pour tirer une conclusion de partialité (Shahein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 987 au para 21). De fait, « l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière » (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 113). Dans le dossier de M. Sharma, je ne vois tout simplement aucun indice de partialité dans le comportement ou les remarques de l’agent. Par conséquent, malgré les efforts louables du procureur de M. Sharma en vue d’identifier un problème d’équité procédurale dans la Décision de l’agent, il n’y a aucun indice d’un tel problème.

[31] Je m’arrête pour souligner que des allégations de partialité et de manquement à l’équité ne peuvent généralement pas être soulevées dans un contrôle judiciaire « si elles pouvaient raisonnablement être soulevées en temps opportun devant la juridiction inférieure » (Hennessey c Canada, 2016 CAF 180 [Hennessey] au para 20). La raison d’être de cette règle est qu’il faut donner au premier décideur, tel que l’agent en l’espèce, « la chance d’aborder la question avant qu’il n’en résulte un préjudice, d’essayer de réparer tout préjudice causé ou de s’expliquer » (Hennessey au para 21). Une partie ne peut garder en réserve un motif procédural pour le brandir plus tard dans le cadre d’un contrôle judiciaire si elle est insatisfaite de la décision de première instance (Hennessey au para 21).

[32] Je formule une dernière observation. En ce qui concerne le traitement des demandes de visa, le devoir d’équité est plus restreint et « la Cour doit se garder d’imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter » (Khan aux para 30-32). La question de l’équité procédurale n’intervient que d’une manière minimale dans le traitement des demandes de VRT, car les personnes qui demandent des permis de travail n’ont aucun droit ou intérêt en jeu. Dans de telles situations, l’équité procédurale n’exige généralement pas d’accorder au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations découlant des documents qu’il a soumis, en particulier lorsque le demandeur peut tout simplement présenter une nouvelle demande de VRT. Plus précisément, les agents des visas n’ont pas le devoir ou l’obligation juridique de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète, de chercher à établir le bien‑fondé de la demande, d’informer le demandeur de leurs préoccupations concernant le respect des exigences législatives ou réglementaires, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande ou de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes (Li aux para 31-35, 37; Chhetri au para 10; Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au para 23). L’imposition d’une telle obligation équivaudrait à exiger de la part de l’agent des visas de donner préavis d’une décision défavorable, une obligation que la Cour a expressément rejetée à de nombreuses occasions.

[33] En l’espèce, M. Sharma a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent à l’entrevue et, en fin de compte, la demande de VRT présentée par M. Sharma a été examinée de façon équitable et exhaustive.

IV. Conclusion

[34] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Sharma est rejetée. Le refus d’accorder un permis de travail à M. Sharma est une issue raisonnable suivant la LIPR et le Règlement, et ce refus repose sur la preuve. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que les motifs exposés dans la Décision démontrent que la conclusion est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. C’est le cas en l’espèce. De plus, à tous égards, l’agent a respecté toutes les exigences de l’équité procédurale dans son traitement de la demande de M. Sharma et n’a fait preuve d’aucune forme de partialité répréhensible. La Décision n’est donc entachée d’aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

[35] Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification. Je conviens qu’il n’y en a pas en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4366‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de mai 2020.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4366‑19

INTITULÉ :

DAVINDER KUMAR SHARMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Puneet Khaira

POUR Le demandeur

Alexandra Scott

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Citylaw Group

Surrey (Colombie‑Britannique)

pour Le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.