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Date : 20200330


Dossier : IMM-3363-19

Référence : 2020 CF 454

Ottawa, Ontario, le 30 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ELMONTHE ELVE

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 janvier 2019 par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Le demandeur soutient que la SPR a commis des erreurs susceptibles de contrôle en concluant que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité et était donc visé par l’exclusion prévue par l’alinéa 1F(a) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention], et par l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et, de plus, en appliquant de manière rétroactive le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (signé le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, RT Can 2002 no 13 [Statut de Rome]).

[2]  À mon avis, la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne le constat de complicité du demandeur, ni en ce qui concerne son interprétation du droit international. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs exposés ci-dessous.

II.  Faits et procédures

[3]  Le demandeur est ingénieur militaire, et citoyen haïtien. Il affirme s’être volontairement enrôlé dans les Forces armées d’Haïti [FADH] en septembre 1984 et y avoir servi jusqu’à sa dissolution en 1994. De septembre 1984 à 1989, il a exercé les fonctions de garde aux Casernes Dessalines, une prison politique qui était attenante au palais présidentiel, et faisait partie du complexe présidentiel.

[4]  Entre 1984 et 1989, les preuves documentaires accablantes établissent que la torture des prisonniers politiques avait lieu régulièrement au sein des Casernes Dessalines. Selon le témoignage du demandeur, il n’était pas au courant de cette activité et, à sa connaissance, les cellules de la prison n’étaient utilisées que pour punir les soldats indisciplinés.

[5]  Le demandeur a témoigné que, lorsqu’il travaillait à la prison, il y résidait également. Selon le procès-verbal d’une audience de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], ainsi que son témoignage devant la SPR, le demandeur avait témoigné qu’il était tout simplement un gardien aux portes 1 et 2 des Casernes Dessalines, et qu’il avait pour tâche d'assurer des services de sécurité du périmètre de la prison et n’était pas au courant des actes de torture qui se déroulaient dans la prison pendant la durée de son service.

[6]  L’armée en Haïti a été dissoute en 1994 par Jean-Bertrand Aristide, le président à l’époque.

[7]  Il soutient que, en raison de son appui au président Jovenel Moïse, qui avait milité pour le rétablissement de la force militaire en Haïti depuis sa campagne électorale en 2016, le demandeur était persécuté par des bandes de criminels.

[8]  D’après son récit, le domicile du demandeur a été attaqué dans la nuit de 16 au 17 mars 2017.

[9]  L’épouse du demandeur, Christilia Nard Elve Israel, avait déjà planifié un voyage aux États-Unis prévu pour le lendemain, soit le 17 mars 2017 « pour acheter des produits pour [son] commerce, alors [elle] ait profité de ce voyage pour venir au Canada » le 27 mars 2017, afin de demander l’asile avec son frère, Ecclesiaste Israel, qui avait quitté Haïti pour se rendre aux États-Unis la veille, soit le 26 mars 2017.

[10]  Le 9 avril 2017, le demandeur est arrivé au Canada en passant lui aussi par les États-Unis et il a présenté sa demande d’asile à la frontière canadienne. Dans son récit, le demandeur allègue craindre d’être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son soutien aux politiques du président haïtien, Jovenel Moïse. Il soutient de plus que l’épouse de son beau-frère a été attaquée trois fois entre les mois de mars et avril 2017. Le demandeur a déposé plusieurs rapports de police et un rapport médical à l’appui de ces allégations.

[11]  Devant la SPR, le représentant du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a affirmé que les demandeurs d’asile manquaient de crédibilité et que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié aux termes de l’alinéa 1Fa) de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

III.  Décision de la SPR

[12]  Le 4 janvier 2019, la demande d’asile a été rejetée. La SPR a conclu que les trois demandeurs d’asile n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger.

[13]  Tout d’abord, la SPR a noté que la preuve documentaire établissait, selon la prépondérance des probabilités, que la torture de civils a eu lieu à la prison Dessalines entre les années 1984 et 1989 et que cette prison était décrite comme un des points du « triangle de la mort » en Haïti (citant une multitude de rapports de Human Rights Watch, d’Amnesty International, de l’Organisation des États américains, du Bureau de la Citoyenneté et des Services d’immigration des États-Unis). Selon cette même preuve documentaire, la SPR note que des agences de sécurité étatiques ont commis des actes de torture de façon généralisée et systématique à la prison.

[14]  Bien que la SPR constate qu’elle ne dispose d’aucun élément de preuve dont il ressort que le demandeur s’est livré personnellement à des actes de torture, la SPR conclut que la contribution du demandeur à la torture était (i) volontaire, (ii) consciente et (iii) importante :

  1. La contribution du demandeur était volontaire vu son propre témoignage selon laquelle il a rempli ses tâches professionnelles volontairement;

  2. Cette contribution était consciente en raison de la longue durée de son affectation à la prison, le fait qu’il habitait à la prison et l’improbabilité qu’il n'était pas au courant des actes de tortures bien documentés qui ont eu lieu dans la prison;

  3. Selon la SPR, la contribution du demandeur était importante en préservant la clandestinité de la prison et veillait à ce que les victimes de crimes ne s’échappent pas de l’établissement.

[15]  Pour ces raisons, la SPR a conclu que le demandeur était visé par l’alinéa 1Fa) de la Convention.

[16]  La SPR a également analysé le témoignage du demandeur. Selon son témoignage, il était tout simplement un gardien chargé de la sécurité du périmètre de la prison Dessalines et n’était pas au courant des actes de torture qui se déroulaient dans la prison pendant qu’il était en fonction. Selon la SPR, ce témoignage manquait de crédibilité compte tenu de la preuve documentaire qui atteste la réputation de la prison comme lieu de torture.

[17]  Suite à la décision de la SPR, le demandeur et les codemandeurs d’asile (son épouse et son beau-frère) ont déposé un avis d’appel auprès de la Section d’appel des réfugiés [SAR].

[18]  Trois mois plus tard, le ministre signifie la demande de rejet, soutenant le défaut de compétence de la SAR, concernant seulement le demandeur. La SAR a retenu l’argument du ministre et a décidé de rejeter l’appel du demandeur pour défaut de compétence aux termes de l’alinéa 110(2)d) de la LIPR.

[19]  Le 28 janvier 2020, la SAR a rejeté la demande d’asile de l’épouse et du beau-frère du demandeur. Ils ont déposé une demande de contrôle judiciaire visant cette décision auprès de notre cour, et leur demande est toujours en cours.

[20]  Par conséquent, l’affaire dont je suis saisi ne porte que sur la décision du SPR portant que le demandeur n’a pas qualité de réfugié et qu’il est exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de l’alinéa 1Fa) de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.

IV.  Questions en litige

[21]  La présente affaire soulève deux questions :

  1. Est-ce que la SPR a tiré une conclusion déraisonnable en estimant que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité et donc qu'il était exclu de l’application de la Convention aux termes de son alinéa 1Fa) et de l’article 98 de la LIPR?

  2. Est-ce que la SPR a commis une erreur en concluant qu’au moment des atrocités commises aux Casernes Dessalines, la torture constituait un crime contre l’humanité?

V.  Norme de contrôle

[22]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a consacré une grille d’analyse remaniée permettant de déterminer la norme de contrôle applicable en matière de décisions administratives. Selon cette grille, le point de départ est la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de cas : lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit appelle un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov au para 17). En l’espèce, nous ne sommes en présence d'aucun des cas justifiant la dérogation à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. La décision de l’agent d’immigration est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux paras 73-142).

VI.  Discussion

1.  Est-ce que la SPR a tiré une conclusion déraisonnable en estimant que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité et était donc exclu de l’application de la Convention aux termes de son alinéa 1Fa) et de l’article 98 de la LIPR?

[23]  L’article 98 de la LIPR et l’alinéa 1F(a) de la Convention disposent :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

Exclusion — Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

Sections E et F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

 

Sections E and F of Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

[…]

 

[…]

F Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

F The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

[…]

 

[…]

[24]  La SPR a clairement indiqué qu’il n’avait été produit aucune preuve tendant à établir que le demandeur lui-même avait directement participé aux actes de torture. Par conséquent, la question pour la SPR était de savoir si ce dernier était complice des tortures commises à la Casernes de Dessalines alors qu’il y vivait et y était en fonction.

[25]  Le critère de la complicité relatif à l’exclusion prévue par l’alinéa 1Fa) a été récemment examiné par la Cour suprême du Canada, au paragraphe 29 de l’arrêt Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola] :

Pour les motifs qui suivent, nous concluons qu’une personne est inadmissible à la protection des réfugiés suivant l’art. 1Fa) pour cause de complicité dans la perpétration de crimes internationaux lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel du groupe qui les aurait commis.

[Je souligne.]

[26]  Le fardeau de la preuve incombe alors au ministre d'établir la complicité de l'intéressé (Ezokola au para 29, citant Ramirez v Canada (Minister of Employment and Immigration), 1992 CanLII 8540 (FCA), [1992] 2 FC 306 à la p 314 [Ramirez]).

[27]  Devant moi, le demandeur s’est concentré sur la question de la contribution volontaire, consciente et importante du demandeur (Ezokola aux paras 29, 68, 84, 91).

[28]  Je dois également signaler qu’il n’est pas sérieusement controversé en l’espèce que, entre 1984 et 1989, pendant la période où le demandeur principal vivait et était en fonction aux Casernes Dessalines, et comme le confirme la preuve documentaire objective accablante, la torture y a été pratiquée, ni que la FADH constituait l’élément central du gouvernement haïtien et de la répression étatique.

(1)  La contribution volontaire de demandeur

[29]  Il n’est pas non plus sérieusement controversé en l'espèce que le demandeur a participé volontairement aux activité des FADH en qualité de membre. En fait, et comme il a témoigné devant la SPR, c’est le demandeur qui a spécifiquement demandé son affectation aux Casernes Dessalines.

[30]  En conséquence, la conclusion de la SPR portant qu’il existe des raisons sérieuses de penser que la contribution du demandeur aux actes de torture en cause était volontaire me semble raisonnable.

(2)  La contribution consciente du demandeur

[31]  À l’époque, le demandeur faisait partie de la 21e compagnie du bataillon Jean-Jacques Dessalines. Le demandeur qualifie ce bataillon d’unité spécialisée de l’armée haïtienne qui relevait directement du président haïtien Jean-Claude Duvalier jusqu’à sa destitution en 1986. La 21e compagnie était une unité de tactique, et, avec quatre autres compagnies d’élite, était stationnée aux Casernes Dessalines.

[32]  Selon le témoignage du demandeur, trois des cinq compagnies d’élite, dont la 21e, assuraient la garde, en rotation, de l’intérieur de la prison; « quand la compagnie s’occupe du garde intérieur, c’est lui qui s’occupe de la sentinelle, pour la surveillance de l’ensemble des bâtiments », avec accès à tous les bâtiments des Casernes Dessalines.

[33]  La 21e compagnie, soit d’environ 300 à 400 personnes, était composée de plusieurs pelotons. Le peloton du demandeur était composé de 27 hommes. Il confirme que, quand sa compagnie assurait la garde intérieure de la prison, il accomplissait sa tâche en bon soldat.

[34]  Le demandeur fait valoir que la SPR considérait les Casernes Dessalines comme un complexe de petite taille; comme le demandeur y vivait et y exerçait ses fonctions, la SPR a alors simplement tenu pour acquis qu’il était au courant des actes de torture flagrants qui s’y déroulaient en secret.

[35]  Le demandeur fait référence à un article dont il ressort que les FADH comptent environ 9000 membres, dont 4000 sont basés dans la capitale Port-au-Prince, et qu’elles supervisent, entre autres, les prisons haïtiennes. Cet article précise qu’au sein des Casernes Dessalines se trouvaient le Service détectif [SD], l’unité spécialisée de police politique du gouvernement, et dont 200 membres étaient chargés des détentions et des interrogatoires des prisonniers politiques.

[36]  Le demandeur soutient qu’il n’existe aucune preuve tendant à établir dans quel département des Casernes Dessalines les interrogatoires et la torture des prisonniers avaient eu lieu. Le demandeur affirme qu’il n’était pas membre du SD et qu’il n’a jamais assuré la garde de la porte d’accès au palais présidentiel.

[37]  Devant moi, l’avocat du demandeur affirme que le demandeur n’était responsable que du périmètre de sécurité aux portes 1 et 2, ce qui n’avait rien à voir avec les activités du SD. Il soutient qu’en faisant constamment référence aux Casernes Dessalines en termes généraux, la SPR n’a jamais vraiment recherché si le demandeur était concrètement au courant des actes qui y étaient commis en violation des droits de l’homme.

[38]  Il est constant que les portes 1 et 2 donnent accès au périmètre intérieur des Casernes Dessalines, sans nécessairement donner accès au palais présidentiel. Cependant, il ne me semble pas que l’interrogatoire et la torture des prisonniers se déroulaient en fait dans le palais présidentiel. Le même article auquel le demandeur fait référence précise :

La prison des Casernes se compose d’une sorte de carré en mur avec un couloir au milieu. Celui-ci est bordé de chaque côté de cinq cellules individuelles. Chaque cellule mesure six pieds de long et trois de large. En arrivant, le prisonnier est déshabillé et laissé nu dans la cellule qui contient uniquement un vieux matelas sale.

[39]  De plus, il n’est pas tout à fait exact que le demandeur n’était en poste qu’aux portes 1 et 2. Lors de son témoignage devant la SPR, et après avoir confirmé que les compagnies assuraient, par rotation, la garde de l’intérieur de la prison comme sentinelles chargées de la surveillance de tous les bâtiments, le demandeur a déclaré :

Oui, parce qu’on […] il y avait plusieurs postes et c’est nous tous qui étions mandatés pour surveiller la bâtisse et il y avait plusieurs des […] plusieurs postes.

[40]  Lorsque le conseil du ministre lui demande s’il était toujours en poste à la barrière, il répond :

Il y avait plusieurs barrières et nos […] et moi, je faisais la rotation. Des fois, on est au poste 1, poste 2, ainsi de suite.

[Je souligne.]

[41]  Le demandeur n’a jamais dit qu’il n’était affecté qu’aux portes 1 et 2. Ce qu’il a dit, c’est qu’il y avait rotation à l'égard de chaque poste (« on est au » poste 1, et après au poste 2, etc.). Il est donc inexact de dire que le demandeur n’était en poste qu’aux portes 1 et 2 et qu’il ne savait pas ce qui se passait, ni qui entrait ou sortait des autres postes autour du périmètre de la prison.

[42]  Les preuves semblent aller dans le sens de la conclusion du SPR selon laquelle le demandeur devait être au courant des allées et venues des prisonniers, à l’intérieur et à l’extérieur des Casernes Dessalines, et plus précisément de ce qui se passait à l’intérieur.

[43]  Le demandeur fait valoir que la SPR a eu tort de conclure qu’il était au courant des atrocités sur la base de simples conjectures et de ce qui était essentiellement une conclusion défavorable sur le plan de la crédibilité. Il cite le jugement Ventocilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 575 [Ventocilla], à l'appui de la thèse portant que le ministre ne peut pas s’acquitter de son fardeau de la preuve en ce qui concerne l’alinéa 1Fa) de la Convention sur le fondement d’inférences et de conclusions défavorables sur le plan de la crédibilité.

[44]  Dans le jugement Ventocilla, le juge Teitelbaum a observé :

[29] Le demandeur soutient qu’une conclusion de complicité dans la perpétration de crimes de guerre ne peut être fondée sur une conclusion négative quant à la crédibilité. Il se fonde à cet égard sur la décision La Hoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, dans laquelle le juge Blanchard a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 21 et 23 :

À mon avis, la décision de la Commission excluant le demandeur de l’application de la Convention ne peut être maintenue. En effet, la Commission conclut que le demandeur doit être exclu de l’application de la Convention parce qu’elle le juge non crédible. Pourtant, la Couronne supporte le fardeau d’établir qu’il y a des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis des actes énoncés à l’article 1F. En l’espèce, la Commission semble avoir conclu que le demandeur devait être exclu parce qu’il ne l’a pas convaincue qu’il n’avait pas commis de tels actes. Le demandeur ne supporte pas ce fardeau. Le raisonnement de la Commission sur ce point est erroné et justifie, en soi, une intervention de cette Cour puisqu’il s’agit d’une erreur de droit.

[…]

La preuve doit démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité. En l’espèce, la Commission ne s’est pas penchée sur cette question. Elle n’établit pas quels crimes le demandeur aurait commis; elle se contente d’y faire référence en termes généraux. Elle s’en est tenue à conclure que la torture est fréquemment utilisée par l’armée péruvienne, de même que les exactions contre la population civile dans les zones occupées par les rebelles du Tupac Amaru et du Sentier Lumineux. Vu qu’elle dit ne pas considérer crédible le témoignage du demandeur, la Commission conclut que, du fait de son appartenance à l’armée du Pérou, il est responsable de tels crimes. À mon avis, ces motifs ne suffisent pas à établir que des actes de la nature de crimes contre l’humanité ont été commis par le demandeur en l’espèce.

[30] À mon avis, le jugement La Hoz s’applique directement au cas qui nous occupe. Le ministre ne peut s’acquitter de son fardeau de la preuve par des inférences, surtout si elles ne sont pas raisonnables.

[Je souligne.]

[45]  De plus, c’est au ministre qu’incombe le fardeau de démonter qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur était complice des actes de torture qui se déroulaient au sein des Casernes Dessalines (Ramirez au para 10; Ezokola au para 29).

[46]  Je reconnais que le ministre ne peut s’acquitter de ce fardeau par de simples sous-entendus, insinuations, conjectures pures ou conclusions défavorables en matière de crédibilité. En effet, ce fardeau appelle plus que des simples suspicions ou conjectures, mais moins que la norme civile de la preuve selon la prépondérance des probabilités (Sivakumar v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] 1 FC 433; Ezokola aux paras 101-102). De manière connexe, la notion de complicité par association a été rejetée par notre Cour suprême (Ezokola au para 30).

[47]  Cependant, il arrive un moment où il existe une ligne de démarcation nette entre la preuve et une conclusion particulière, où il n’y a pas d’autre conclusion raisonnable. Dans de telles situations, où la conclusion particulière saute aux yeux, il me semble que les inférences ne sont pas nécessairement déraisonnables (Harb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CAF 39 aux paras 26-28 [Harb]).

[48]  Ici, compte tenu de la petite taille du complexe carcéral, la fréquence à laquelle le demandeur a gardé la prison, la taille relativement petite du bataillon des FADH en cause, et la longue période lors de laquelle le demandeur a habité au complexe et y a travaillé, et après avoir fait référence à la preuve documentaire sur les atrocités commises aux Casernes Dessalines, la SPR observe :

Il est tout simplement invraisemblable que des organismes internationaux, qui n’avaient pas accès aux Casernes Dessalines pendant cette période, soient au courant de la torture répandue et systémique de prisonniers civils dans cette prison, mais que M. Elve [le demandeur], une personne qui a travaillé, habité et fourni des services de sécurité dans la prison pendant plus de cinq ans, ne le soit pas.

[49]  Le demandeur était au cœur de l’action. Il ne se trouvait pas à des centaines de kilomètres. Le demandeur était non seulement responsable du périmètre de sécurité, mais il y vivait aussi de manière permanente. L’espace est relativement petit, ceux qui entraient et sortaient étaient surveillés de près. On ne peut qu’imaginer les cris d’agonie émanant des cellules des prisonniers.

[50]  Le demandeur dit qu’il n’était qu’au bas de l’échelle de l’autorité. Cependant, il a été promu de simple soldat à soldat première classe alors qu’il était en poste aux Casernes Dessalines.

[51]  Dans le jugement Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 662, le juge Mainville a résumé le droit concernant la constatation de la complicité par présomption. Il a observé au paragraphe 4 :

En résumé, le simple fait d’être fonctionnaire d’un État dont le gouvernement commet des crimes contre l’humanité ne suffit pas pour prononcer l’exclusion sous le paragraphe 1Fa), pas plus que ne suffit la simple connaissance de ces crimes. Il doit y avoir un lien entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés. Ce lien peut être établi par présomption si le demandeur d’asile occupait un poste hiérarchique élevé dans la fonction publique, dans la mesure où il y a des raisons sérieuses de penser que le poste en question permettait au demandeur d’asile d’exécuter, d’encourager ou de dissimuler ces crimes, ou permettait au demandeur d’asile de concourir ou de collaborer à ces crimes.

[Je souligne.]

[52]  Ce résumé du droit n’a pas été répudié par la Cour d’appel fédérale ni par la Cour suprême.

[53]  Bien que l’affaire Ezokola concernait la connaissance présumée d’une personne qui occupait un poste assez élevé dans le service extérieur congolais, je ne pense pas que le principe ne puisse s’appliquer à des fonctionnaires moins élevés dans la hiérarchie qui remplissent le critère de complicité fondé sur la contribution, un principe au final confirmé par la Cour suprême à l'occasion de cette affaire (Ezokola au para 29).

[54]  Dans ce cas, le lien requis avec les actes de torture peut être établi par présomption.

[55]  En l’espèce, il me semble que lorsque le demandeur soutient qu’il n’était pas au courant des atrocités commises, cela est contraire à la simple logique. Il y avait certainement des raisons sérieuses de penser que le demandeur a volontairement contribué de manière consciente aux atrocités commises aux Casernes Dessalines. La conclusion de la SPR me semble raisonnable.

(3)  La contribution significative du demandeur

[56]  Ayant conclu qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur savait que les actes de torture étaient commis dans la prison en cause, la SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le fait de garder l’établissement et d’assurer que ces crimes puissent être commis dans un secret relatif, constitue une contribution importante.

[57]  Le demandeur fait valoir une fois de plus que la SPR a persisté à considérer les Casernes Dessalines en termes généraux, et n’a pas porté son attention sur l’élément plus précis qui ressort de la preuve : le demandeur était responsable simplement de la sécurité aux portes 1 et 2, et non du périmètre général de tout l’établissement.

[58]  Le demandeur a admis dans son témoignage que sa compagnie avait des fonctions de sentinelle, et faisait partie de la garde du périmètre des Casernes Dessalines, en rotation dans les différents postes d’entrée. Quant à la rotation, il affirme « passer d’un poste à l’autre ». Il confirme être capable de « regarder partout » de l’endroit où il se trouvait. De plus, comme l’a constaté la SPR, le demandeur a admis dans son entrevue avec l’ASFC que ses tâches en matière de sécurité comportaient « le fait de monter la garde aux sentinelles afin de surveiller tout le complexe de la Casernes Dessalines ».

[59]  J’ai déjà constaté que la déclaration devant moi du demandeur selon laquelle il n’était stationné qu’aux postes 1 et 2 sans aucune connaissance des activités dans les autres postes était en contradiction avec son propre témoignage.

[60]  Le demandeur affirme que s’il y a eu de la torture dans l’édifice, elle a été pratiquée en secret par le SD, et non pas par la branche de l’armée chargée de la sécurité du périmètre de la prison et, comme il n’était pas membre du SD, il n’était pas au courant des atrocités alléguées.

[61]  Je dois avouer que je trouve cela un peu difficile à croire étant donné le contexte dans lequel le demandeur vivait et exerçait ses fonctions aux Casernes Dessalines : il est constant qu’elles sont de petite taille.

[62]  Je note également, d’après le témoignage du demandeur, qu’il était catégorique sur le fait qu’il n’était pas au courant des atrocités qui se déroulaient et lorsqu’il lui a été demandé à quoi servait la prison, il a répondu qu’elle servait simplement à discipliner les soldats. Cependant, lorsqu’on l’a interrogé, il a mentionné que les activités du SD étaient différentes de celles des militaires.

[63]  Le défendeur pose la question rhétorique suivante : pourquoi le demandeur a-t-il même mentionné le SD alors que la SPR n’a pas mentionné ce groupe, surtout que le demandeur lui-même était catégorique sur le fait que les Casernes de Dessaline étaient utilisées exclusivement pour discipliner les soldats.

[64]  J’avoue qu’il est étrange que le demandeur fasse référence aux activités du SD au sein de la prison après avoir simplement nié toute connaissance des atrocités qui s’y déroulent.

[65]  Le poste de demandeur lui permettait d’aider, d’encourager, et de dissimuler les crimes en question. En fait, pour être complice de crimes gouvernementaux, un fonctionnaire doit être au courant de leur perpétration et savoir que son comportement « facilitera la perpétration des crimes ou la réalisation du dessein criminel » (Ezokola au para 89).

[66]  La SPR conclut comme suit:

[57] Un garde qui fournit la sécurité pour un tel établissement assure que le crime peut se dérouler de manière relativement secrète. Un garde s’assure que les personnes qui pourraient exposer l’activité criminelle à l’intérieur de l’établissement — des militants, des journalistes, des membres de la famille des victimes, des politiciens de l’opposition, des observateurs des droits de la personne — ne sont pas en mesure d’avoir accès aux crimes qui se déroulent à l’intérieure ni de les documenter. Un garde veille à ce que les victimes du crime ne soient pas en mesure de s’échapper de l’établissement ou elles sont torturées.

[58] Pour tous ces motifs, le tribunal conclut qu’il existe des raisons sérieuses de penser que la contribution de M. Elve [le demandeur] à la torture était importante.

[Je souligne.]

[67]  Il ne s’agit pas d’une situation où le demandeur est trouvé complice par association, ni d’un cas d’acquiescement passif. Le poste de demandeur lui permettait, directement et sur place, d’encourager et de dissimuler les crimes en question. Par son comportement, le demandeur a facilité la perpétration du crime.

[68]  Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a consacré la grille d’analyse au regard des exigences minimales en matière de complicité dans le cadre de l’alinéa 1Fa). La grille d’analyse énumère six facteurs (Ezokola au para 73) :

(1) la nature de l’organisation;

(2) la méthode de recrutement;

(3) le poste ou le grade au sein de l’organisation;

(4) la connaissance des atrocités commises par l’organisation;

(5) la période de temps passée dans l’organisation;

(6) la possibilité de quitter l’organisation.

[69]  Dans sa décision, la SPR a cité ces facteurs, mais a surtout porté son attention, dans le cadre de l’analyse de l’exclusion reconnue à l’alinéa 1Fa), sur la nature des crimes commis à la Casernes Dessalines et la contribution du demandeur.

[70]  Compte tenu de la preuve au dossier, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur manquait de crédibilité et qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur était complice aux crimes de torture (Harb aux paras 27-28).

[71]  Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion du SPR sur cette question.

2.  Est-ce que la SPR a commis une erreur en concluant qu’au moment des atrocités commises aux Caserne Dessalines, que la torture constitue un crime contre l’humanité?

[72]  La SPR a affirmé que « la torture constitue un crime contre l’humanité » conformément au Statut de Rome et à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 [Loi sur les crimes contre l’humanité].

[73]  Suivant cette affirmation, la SPR a conclu que le demandeur a apporté une contribution volontaire, consciente et importante aux actes de torture commis de 1984 à 1989 à la Casernes Dessalines, et par conséquent, elle a conclu que le ministre a établi qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur était complice du crime international de torture au sens du Statut de Rome et de la Loi sur les crimes contre l’humanité.

[74]  Le demandeur a soutenu qu’il ne pouvait être considéré comme complice quant à la torture généralisée et systémique commise aux Casernes Dessalines entre 1984 and 1989 parce qu’à cette époque, la torture n’était pas reconnue comme crime international selon le Statut de Rome. Le demandeur soutient que cette conclusion de la part de la SPR constitue une erreur de droit puisqu’il y a application rétroactive du Statut de Rome.

[75]  Je tiens à préciser que cette question n’a pas été soulevée devant la SPR; il s’agit d’un nouvel argument présenté pour la première fois devant moi. Toutefois, en raison de l’importance de cette question, je pense qu’il s’agit d’une situation où je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire et permettre que cet argument soit débattu (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, [2011] 3 RCS 654 aux paras 5, 27-29; Yahaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1570 au para 42; Canada (Procureur général) c Alliance de la fonction publique du Canada, 2014 FC 688 aux paras 17-24; Agence du revenu du Québec c Commission des relations du travail, 2015 QCCS 6142 au para 30; Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7, article 18.1).

[76]  Tout d’abord, en l’espèce, le demandeur ne fait pas l’objet d’une poursuite pénale; il n’a pas été reconnu coupable, en vertu d’une loi quelconque, d’avoir commis où d’avoir été complice d’actes de torture. La référence au Statut de Rome visait simplement à illustrer les crimes internationaux pour lesquels la SPR a estimé qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur était complice.

[77]  La SPR n’a pas véritablement fait une application rétroactive du Statut de Rome. À mon avis, la SPR a retenu une interprétation rétrospective du Statut de Rome, ce qui est conforme à la jurisprudence canadienne. D’après ma lecture de la décision, la SPR a plutôt constaté que la torture est reconnue internationalement, y compris au Canada, comme crime contre l’humanité.

[78]  Je noterai d’abord qu’au paragraphe 114 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a reconnu que le droit international constitue une « contrainte importante pour un décideur administratif dans certains domaines du processus décisionnel administratif » en raison de la présomption de respect du droit international (reconnu notamment dans les arrêts R c Hape, 2007 CSC 26 aux paras 53-54 et B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58 aux paras 47-49) :

Nous tenons également à faire remarquer que le droit international représentera une contrainte importante pour un décideur administratif dans certains domaines du processus décisionnel administratif. Il est bien établi que la législation est réputée s’appliquer conformément aux obligations internationales du Canada et que l’organe législatif est « présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel » : R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 53; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754, par. 40. Depuis l’arrêt Baker, il est également établi que les conventions et les traités internationaux, même s’ils n’ont pas été mis en œuvre par une loi au Canada, s’avèrent utiles pour déterminer si une décision participe d’un exercice raisonnable du pouvoir administratif : Baker, par. 69‑71.

[79]  Ainsi, une interprétation erronée du droit international est une sous-catégorie de « lacune fondamentale » (Vavilov au para 101) qui peut « amener la cour de révision à perdre confiance dans le résultat obtenu » (Vavilov au para 106). En d’autres termes, conformément à la présomption de respect du droit international, le décideur ne peut raisonnablement interpréter une disposition canadienne d’une manière qui est incompatible avec les obligations imposées au Canada par le droit international (p.ex., Vavilov aux paras 177-182, 194).

[80]  Dans sa décision, la SPR a cité la définition de la torture (comme crime contre l’humanité) consacrée par l’article 7 du Statut de Rome et l’a mentionnée à l’appui de la conclusion selon laquelle la torture constituait bel et bien un tel crime.

[81]  En effet, ce texte dispose :

Article 7

Crimes contre l’humanité

1. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

[…]

f) Torture

[…]

2. Aux fins du paragraphe 1 :

e) Par « torture », on entend le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle; l’acception de ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles;

[…]

[82]  Le Canada a ratifié le Statut de Rome en 2000 lorsque la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre a reçu la sanction royale (États-Unis c Burns, 2001 CSC 7, [2001] 1 RCS 283 au para 88; Ezokola au para 49).

[83]  Comme l’explique le juge Létourneau, la Loi sur les crimes contre l’humanité vise surtout à sanctionner les « crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis au Canada ou à l’étranger » et à mettre « en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale » (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 303 au para 2; aussi Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, Préambule, paragraphe 2(1)).

[84]  La reconnaissance de la torture comme crime contre l’humanité a été intégrée au droit canadien par les paragraphes 4(3), 4(4), 6(3), 6(4) et 6(5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité.

[85]  L’article 24 du Statut de Rome lit comme suit :

Article 24

Non-rétroactivité ratione personae

1. Nul n’est pénalement responsable, en vertu du présent Statut, pour un comportement antérieur à l’entrée en vigueur du Statut.

2. Si le droit applicable à une affaire est modifié avant le jugement définitif, c’est le droit le plus favorable à la personne faisant l’objet d’une enquête, de poursuites ou d’une condamnation qui s’applique.

[86]  Le demandeur cite la jurisprudence Ventocilla, la doctrine et l’article 24 du Statut de Rome (clause de non-rétroactivité ratione personae) à l’appui de la thèse selon laquelle la torture n’a pas été reconnue comme crime contre l’humanité avant l'entrée en vigueur du Statut de Rome, soit le 1er juillet 2002.

[87]  Je rejette cette thèse. La torture a été reconnue comme crime contre l’humanité depuis au moins 1945 (Bonilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 881 au para 124 [Bonilla]; Ramirez; Ventocilla; Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/1P/4/FRE/REV.1, Genève, 1992, UNHCR 1979; paragraphes 4(3), 4(4), 6(3), 6(4) et 6(5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité).

[88]  Dans l’arrêt Ramirez, la Cour d’appel fédérale a retenu la thèse portant que les actes de torture et les meurtres commis par les forces armées constituaient soit un crime de guerre, soit un crime contre l’humanité. Cependant, comme le souligne la Cour, la qualification des actes du demandeur était moins importante, compte tenu du fait que les actes se sont produits dans un contexte de guerre civile ou d’insurrection civile (Ramirez au para 2) :

[traduction]

[…] En l'espèce, le crime en question est soit un crime de guerre, soit un crime contre l'humanité. Ce n'est certainement pas un crime contre la paux, et serait normalement inclus dans les crimes contre l'humanité. [1] Cependant, vu les faits, sont en cause des crimes commis au cours d'une guerre civile ou d'une insurrection civile; par conséquent, la solution ne dépend pas de savoir quelle catégorie est pertinente, et j'ai donc opté pour l'expression « crimes internationaux », laquelle vise indifféremment les deux catégories de criminalité.

[89]  La note 1 dans ce passage se rapporte à une opinion doctrinale qui assimile la torture à un crime contre l’humanité :

[1] Dans son traité The Law of Refugee Status (1991), à la p. 217, le professeur James C. Hathaway opine que [traduction] « le génocide, l'esclavage, la torture, et l'apartheid" » constituent des crimes relevant de cette qualification. Selon Guy S. Goodwin-Gill : [traduction] « La notion de crimes contre l'humanité a directement inspiré la convention sur le génocide de 1948, dont l'article II définit le 'crime en droit des gens' » (The Refugee in International Law (1983), aux pp. 59-60).

[90]  Dans l'arrêt Harb, la Cour d’appel fédérale a retenu l’argument de l’intimé selon lequel le Statut de Rome est un instrument international qui peut être utilisé pour interpréter l’alinéa 1Fa) :

[6] À l’audience, le procureur de l’intimé a suggéré que le renvoi au Statut du tribunal international pour l’ex-Yougoslavie et au Statut du tribunal international pour le Rwanda soit biffé de la question certifiée. Ces statuts, selon lui, ne sont pas véritablement des « instruments internationaux » au sens de l’article 1Fa). La procureure de l’appelant ne s’est pas opposée à cette proposition et la Cour, sans se prononcer sur le bien-fondé de la prétention de l’intimé, se rend à sa suggestion.

[7] Du même souffle, le procureur de l’intimé a fait valoir que même si les crimes allégués en l’espèce avaient été commis entre 1986 et 1993, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002, constituait un instrument international dont il était permis de tenir compte pour définir « un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité » pour les fins de l’application de l’article 1Fa). La question pourrait avoir son importance, dans la mesure où l’article 7 du Statut de Rome contient une définition plus contemporaine des « crimes contre l’humanité ».

[8] Il est à mon avis certain que l’article 1Fa) doit être interprété de manière à inclure les instruments internationaux conclus depuis son adoption. Le paragraphe 150 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, publié en 1979 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, précise qu’« il existe un nombre considérable de ces instruments [internationaux], conclus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’époque actuelle […] »

[Je souligne.]

[91]  Par contre, ces deux arrêts ne contient aucune discussion de l’effet de la clause de non-rétroactivité (article 24) du Statut de Rome, et ils ne précisent pas la date à laquelle le Canada a reconnu la torture comme crime contre l’humanité, soit selon le droit conventionnel ou le droit coutumier. De plus, la Loi sur les crimes contre l’humanité ne précise pas si la torture a été reconnue comme crime contre l’humanité avant le 17 juillet 1998 (a contrario, Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, articles 4(4), 6(4); Munyaneza c R, 2014 QCCA 906 aux paras 24, 27 [Munyaneza]).

[92]  Ces lacunes ont résulté en une certaine incohérence dans la jurisprudence.

[93]  Dans l’affaire Ventocilla, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait conclu que le demandeur avait commis des actes, pendant le conflit armé péruvien, qui avaient été reconnus comme constituant des crimes de guerre au sens du Statut de Rome, et qu’il était donc exclu de toute protection par application de l’alinéa 1Fa). La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que la Commission avait commis une erreur en concluant que les crimes de guerre commis au cours d’un conflit interne pouvaient faire jouer l’exclusion prévue par l’alinéa 1Fa) de la Convention.

[94]  Cette décision était fondée sur une interprétation non rétroactive du Statut de Rome et la Loi sur les crimes contre l’humanité :

[14] Il ne fait aucun doute que le Statut de Rome est un instrument international dont on peut se servir pour interpréter les crimes visés à la section Fa) de l’article premier (voir l’arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, aux paragraphes 7 et 8 et les Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, 4 septembre 2003). Il ne fait par ailleurs aucun doute que les faits reprochés au demandeur, à savoir la torture et le meurtre de « prisonniers de guerre » (des guérilleros du Sentier lumineux et du Tupac Amaru) font partie de la liste des actes considérés comme des crimes de guerre commis dans le cadre d’un conflit interne (article 8, paragraphe 2, alinéa c(i) du Statut de Rome).

[15] Le demandeur reconnaît que les faits qui lui sont reprochés seraient considérés comme des crimes de guerre au sens des définitions contenues dans le Statut de Rome, mais il soutient que le Statut de Rome ne peut s’appliquer aux actes qui lui sont reprochés parce qu’il est entré en vigueur le 1er juillet 2002 et que les faits qui lui sont reprochés se sont produits entre 1985 et 1992. En fait, le demandeur soutient que la définition des crimes de guerre prévue par le Statut de Rome ne peut s’appliquer rétroactivement. Le demandeur fait remarquer que le Statut de Rome renferme une clause de rétroactivité. De plus, le demandeur cite le jugement Ramirez à l’appui de son argument qu’une personne doit avoir la mens rea applicable à un crime international pour se voir refuser l’asile (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1992 CanLII 8540 (FCA), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.)) et il ajoute que ce principe fait en sorte qu’une personne ne peut avoir la mens rea requise pour commettre un crime international si elle n’est pas au courant que les faits qui lui sont reprochés constituent un crime international.

[16] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les définitions du Statut de Rome ne peuvent être appliquées rétroactivement. La définition de « crime de guerre » prévue par la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre appuie l’argument du demandeur. […] 

[17] Comme le Statut de Rome ne faisait pas partie du droit international au moment de la perpétration des actes en question, on ne doit pas s’y reporter pour savoir comment il définit les crimes de guerre pour déterminer si les faits reprochés au demandeur constituent ou non des crimes de guerre.

[18] Cette interprétation s’appuie sur le principe de la non‑rétroactivité qui existe en droit pénal international. Ce principe est qualifié de [traduction] « second corollaire au principe de la légalité. Il signifie qu’une personne ne peut être jugée ou condamnée en vertu d’une loi qui est entrée en vigueur après la survenance du fait en question » (John R. W. D. Jones et Steven Powles, International Criminal Practice (Ardsley, N.Y., Transnational, 2003, § 6.1.21)).

[19] Par ailleurs, j’estime que la définition des crimes de guerre prévue par le Statut de Rome ne peut être utilisée pour déterminer si les actes en question constituent des crimes de guerre parce qu’ils ont été commis avant que le Statut de Rome ne fasse partie du droit international.

[20] En conséquence, en supposant que des crimes de guerre pouvaient être commis au cours d’un conflit interne, la Commission a commis une erreur de droit. Cette erreur était déterminante, compte tenu du fait que la définition actuelle des crimes de guerre qui est reconnue en droit international ne peut s’appliquer rétroactivement. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et l’affaire sera renvoyée à une autre formation de la Commission pour être jugée de nouveau.

[95]  L’application de la règle de non-rétroactivité est aussi conforme au principe de nullum crimen sine lege, nulla poena sine — il n’y a de crime ou de peine qu’en conformité avec une loi qui est certaine, sans ambiguïté et non rétroactive (Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man), 1990 CanLII 105 (CSC), [1990] 1 RCS 1123 à la p 1152).

[96]  Deux ans après la jurisprudence Ventocilla, la Cour fédérale a observé que la torture était reconnue comme crime contre l’humanité depuis la deuxième guerre mondiale (Bonilla) :

[105] Quatrième question La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en appliquant rétroactivement des définitions des crimes contre l’humanité tirées du Statut de Rome?

[…]

[107] L’argument du demandeur suivant lequel l’article 4 de la LCHCG empêche l’application du Statut de Rome parce que celui‑ci n’était pas en vigueur nous oblige à analyser l’article 4 en question.

[…]

[108] Je relève que le défendeur signale que cet article se trouve sous la rubrique « INFRACTIONS COMMISES AU CANADA » de sorte qu’il ne s’applique pas au cas qui nous occupe.

[109] Je constate également qu’il ressort du libellé de cet article qu’en édictant cette loi, le législateur fédéral ne voulait pas ouvrir la porte au type d’arguments invoqués par le demandeur. Il est d’ailleurs bien précisé dans la seconde partie de cet article que ces dispositions ne limitent et n’entravent d’aucune manière « l’application des règles de droit international existantes ou en formation ».

[110] Les tribunaux canadiens ont également incorporé des conventions internationales sur la torture. Ainsi que la Commission l’a fait observer, l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 43, a approuvé la définition de la « torture » énoncée à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée par le Canada en 1987.

[111] En second lieu, l’analyse à laquelle on doit se livrer en l’espèce suppose que l’on interprète tant les lois nationales que les lois internationales portant sur les crimes contre l’humanité.

[112] Ainsi que Lorne Waldman l’explique dans Immigration Law and Practice « Convention Refugees and Persons in Need of Protection », (2006) 1 LexisNexus Canada 8.519, à la page 8.540 :

[traduction]

[…] Les actes constituant des crimes contre l’humanité ne se limitent plus à ceux qui sont énumérés dans la définition de l’article 6 du Statut du Tribunal militaire international. La communauté internationale considère désormais le génocide et l’apartheid comme des crimes contre l’humanité. De plus, des actes comme la torture et la piraterie ont effectivement été assimilés à des crimes internationaux.

[113] Dans Mugesera, précité, la Cour suprême du Canada explique qu’un « crime contre l’humanité consiste dans la commission d’un acte prohibé énuméré qui contrevient au droit international coutumier ou conventionnel ou qui revêt un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations ». De toute évidence, la Cour suprême a reconnu qu’on aurait tort de s’empêtrer dans les aspects techniques de différentes lois qui ont été édictées pour répondre à divers objectifs, et ce, à des époques différentes.

[114] Il est indubitable que, dans notre jurisprudence et partout dans le monde, on s’entend pour dire que l’élimination des crimes contre l’humanité comme la torture constitue l’une des principales préoccupations des instruments internationaux signés depuis la Seconde Guerre mondiale (voir Ramirez, précité). Aucune date arbitraire n’a été fixée pour conclure à la culpabilité en cas de torture. Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur de droit et je suis d’avis de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire sur ce motif.

[Souligné dans l’original]

[97]  De plus, je note que, par ailleurs, plusieurs autres sources juridiques vont dans le sens de l’argument selon lequel la torture a été reconnue comme crime contre l’humanité avant la mise en œuvre du Statut de Rome (Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] RT Can no 36; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] RT Can no 47, articles 4, 7, 10; Déclaration universelle des droits de l’homme, NU Ass Gén Rés 217 A (III), 10 décembre 1948, articles 3, 5; Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la Résolution 808 (1993) du Conseil de Sécurité, Doc off CS NU, 1993, Doc NU CS/25704 au para 48; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1 aux paras 61-65; Fannie Lafontaine, Prosecuting Genocide, Crimes Against Humanity and War Crimes in Canadian Courts (Toronto: Carswell, 2012) aux pp 149-155).

[98]  Cependant, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette question puisque la SPR ne s’est pas véritablement livrée à l’application rétroactive du Statut de Rome. Comme je l’ai déjà mentionné, à mon avis, la SPR a retenu une interprétation rétrospective du Statut de Rome qui est conforme à la jurisprudence canadienne.

[99]  Comme le souligne le juge Mosley dans le jugement Betoukoumesou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 591, en niant la pertinence de la jurisprudence Ventocilla, la mise en œuvre de la Loi sur les crimes contre l’humanité démontre l’intention du législateur de donner un effet rétrospectif (et non pas rétroactif) aux obligations internationales en matière de crimes internationaux :

[25] Le demandeur invoque la décision Ventocilla […]

[26] La décision Ventocilla n’est que de peu d’utilité pour le demandeur, parce qu’elle traitait d’une définition de crime de guerre qui n’est pas applicable en l’espèce. De plus, la question dont je suis saisi dans la présente affaire n’avait pas trait à l’application rétroactive des infractions prévues dans la loi de 2000, mais à l’effet de ses aspects déclaratoires. L’article 14 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre est, à mon avis, déclaratoire, en ce sens qu’il décrit le droit applicable au moment où le demandeur travaillait pour le compte du SNIP dans l’État alors connu sous le nom de Zaïre. Subsidiairement, il s’agit d’une législation rétrospective valide qui attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un événement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi : Benner c Canada (Secrétaire d’État), 1997 CanLII 376 (CSC), [1997] 1 RCS 358, aux paragraphes 39 et 40 (CSC).

[100]  La distinction entre la rétroactivité et la rétrospectivité a également été reconnue par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Munyaneza :

[50] Il est vrai que les crimes reprochés à l’appelant ont été commis en 1994 alors que la Loi [sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre] n’a été adoptée qu’en 2000. Cela ne résulte cependant pas en la création rétroactive d’un crime.

[51] En effet, la Loi ne tente pas de créer ex post facto un crime, mais uniquement de permettre la poursuite au Canada de personnes qui ont posé, avant son entrée en vigueur, des gestes qui constituaient, au moment où ils sont survenus, un crime contre l’humanité, un crime de guerre ou un génocide, selon le droit international, comme le démontrent les définitions de ces crimes au par. 6(3) de la Loi : […]

[52] La Loi est ainsi conforme à l’al. 11 g) de la Charte qui reconnaît que le caractère criminel d’une action au moment où elle fut posée peut s’évaluer en fonction tant du droit interne que du droit international : […]

[53] Par ailleurs, notre droit n’interdit pas la modification des règles de compétence des tribunaux pour permettre la poursuite au Canada d’actes qui constituaient, au moment où ils ont été posés, des infractions selon le droit canadien ou le droit international (R. c. Finta, 1994 CanLII 129 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 701). C’est ce qu’a fait la Loi.

[54] En résumé, en adoptant la Loi et en abrogeant les amendements de 1987 au Code criminel, le législateur n’a pas créé de nouvelles conséquences juridiques pour le passé, mais uniquement pour le futur; tout au plus, peut-on parler d’effet rétrospectif, mais non de rétroactivité au sens retenu dans l’arrêt Benner c. Canada (Sec. d’État), 1997 CanLII 376 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 358, p. 381.

[55] Par conséquent, la Loi permet validement la poursuite au Canada d’un individu pour un crime de guerre commis avant 2000.

[Citations omises.]

[101]  En l’espèce, la SPR a retenu la thèse portant que la torture constitue un crime contre l’humanité. Ce faisant, la SPR a assorti de nouvelles conséquences des actes qui ont été commis avant la mise en œuvre de la Loi sur les crimes contre l’humanité et le Statut de Rome. Il y a donc application rétrospective de la loi et non pas rétroactive (Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e ed (Montréal : Éditions Thémis, 2009) aux paras 508-527; Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc., division Éconogros c Collin, 2004 CSC 59, [2004] 3 RCS 257 au para 46; Elmer A. Driedger « Statutes: Retroactive, Retrospective Reflections » (1978) 56 Can Bar Rev 264 aux pp 268-269, 275-276).

[102]  Bien que le processus décisionnel de la SPR soit formulé de manière brève, je conclus que l’interprétation retenue par elle n’est pas déraisonnable (Vavilov aux paras 115-124).

[103]  Par conséquence, notre intervention n’est pas nécessaire en l’espèce.

VII.  Conclusion

[104]  Pour ces motifs, je conclus la décision de l’agent est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas présenté de question à certifier.

 


JUGEMENT au dossier IMM-3363-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


Annexe A – Les dispositions applicables

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24

Infractions commises au Canada

 

Offences Within Canada

 

 

Génocide, crime contre l’humanité, etc., commis au Canada

 

Genocide, etc., committed in Canada

4 (1) Quiconque commet une des infractions ci-après est coupable d’un acte criminel :

 

4 (1) Every person is guilty of an indictable offence who commits

 

[…]

 

[…]

b) crime contre l’humanité;

 

(b) a crime against humanity; or

 

[…]

 

[…]

Punition de la tentative, de la complicité, etc.

 

Conspiracy, attempt, etc.

 

(1.1) Est coupable d’un acte criminel quiconque complote ou tente de commettre une des infractions visées au paragraphe (1), est complice après le fait à son égard ou conseille de la commettre.

 

(1.1) Every person who conspires or attempts to commit, is an accessory after the fact in relation to, or counsels in relation to, an offence referred to in subsection (1) is guilty of an indictable offence.

 

Peines

 

Punishment

 

[…]

 

[…]

(2) Quiconque commet une infraction visée aux paragraphes (1) ou (1.1) :

 

(2) Every person who commits an offence under subsection (1) or (1.1)

 

a) est condamné à l’emprisonnement à perpétuité, si le meurtre intentionnel est à l’origine de l’infraction;

 

(a) shall be sentenced to imprisonment for life, if an intentional killing forms the basis of the offence; and

 

b) est passible de l’emprisonnement à perpétuité, dans les autres cas.

 

(b) is liable to imprisonment for life, in any other case.

 

Définitions

 

Definitions

 

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

 

crime contre l’humanité Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu. (crime against humanity)

 

crime against humanity means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission. (crime contre l’humanité)

[…]

 

[…]

Interprétation : droit international coutumier

 

Interpretation — customary international law

 

(4) Il est entendu que, pour l’application du présent article, les crimes visés aux articles 6 et 7 et au paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome sont, au 17 juillet 1998, des crimes selon le droit international coutumier sans que soit limitée ou entravée de quelque manière que ce soit l’application des règles de droit international existantes ou en formation.

 

(4) For greater certainty, crimes described in Articles 6 and 7 and paragraph 2 of Article 8 of the Rome Statute are, as of July 17, 1998, crimes according to customary international law. This does not limit or prejudice in any way the application of existing or developing rules of international law.

Infractions commises à l’étranger

 

Offences Outside Canada

 

Génocide, crime contre l’humanité, etc., commis à l’étranger

 

Genocide, etc., committed outside Canada

 

6 (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci-après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

 

6 (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada

 

[…]

 

[…]

b) crime contre l’humanité;

 

(b) a crime against humanity,

 

[…]

 

[…]

is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8.

 

Punition de la tentative, de la complicité, etc.

 

Conspiracy, attempt, etc.

(1.1) Est coupable d’un acte criminel quiconque complote ou tente de commettre une des infractions visées au paragraphe (1), est complice après le fait à son égard ou conseille de la commettre.

 

(1.1) Every person who conspires or attempts to commit, is an accessory after the fact in relation to, or counsels in relation to, an offence referred to in subsection (1) is guilty of an indictable offence.

 

Peines

 

Punishment

 

(2) Quiconque commet une infraction visée aux paragraphes (1) ou (1.1) :

 

(2) Every person who commits an offence under subsection (1) or (1.1)

 

a) est condamné à l’emprisonnement à perpétuité, si le meurtre intentionnel est à l’origine de l’infraction;

 

(a) shall be sentenced to imprisonment for life, if an intentional killing forms the basis of the offence; and

 

b) est passible de l’emprisonnement à perpétuité, dans les autres cas.

 

(b) is liable to imprisonment for life, in any other case.

Définitions

 

Definitions

 

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

 

crime contre l’humanité Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu. (crime against humanity)

 

crime against humanity means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission. (crime contre l’humanité)

[…]

 

[…]

Interprétation : droit international coutumier

 

Interpretation — customary international law

 

(4) Il est entendu que, pour l’application du présent article, les crimes visés aux articles 6 et 7 et au paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome sont, au 17 juillet 1998, des crimes selon le droit international coutumier, et qu’ils peuvent l’être avant cette date, sans que soit limitée ou entravée de quelque manière que ce soit l’application des règles de droit international existantes ou en formation.

 

(4) For greater certainty, crimes described in articles 6 and 7 and paragraph 2 of article 8 of the Rome Statute are, as of July 17, 1998, crimes according to customary international law, and may be crimes according to customary international law before that date. This does not limit or prejudice in any way the application of existing or developing rules of international law.

Interprétation : crimes contre l’humanité

 

Interpretation — crimes against humanity

 

(5) Il est entendu qu’un crime contre l’humanité transgressait le droit international coutumier ou avait un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations avant l’entrée en vigueur des documents suivants :

 

(5) For greater certainty, the offence of crime against humanity was part of customary international law or was criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations before the coming into force of either of the following:

 

a) l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, signé à Londres le 8 août 1945;

 

(a) the Agreement for the prosecution and punishment of the major war criminals of the European Axis, signed at London on August 8, 1945; and

 

b) la Proclamation du Commandant suprême des Forces alliées datée du 19 janvier 1946.

(b) the Proclamation by the Supreme Commander for the Allied Powers, dated January 19, 1946.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3363-19

 

INTITULÉ :

ELMONTHE ELVE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Angelica Pantiru

 

Pour le demandeur

Me Zoé Richard

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Angelica Pantiru

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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