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Date : 20200327

Dossier : IMM‑2523‑17

  Référence : 2020 CF 450

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

KAMRAN SOLTANIZADEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente affaire a été de longue durée, en grande partie parce que le défendeur n’a pas procédé à une divulgation adéquate.

[2]  Le demandeur, Karman Soltanizadeh (M. Soltanizadeh), est un citoyen de l’Iran. Au début de 2010, il avait présenté une demande pour immigrer au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés du Québec. Le 16 février 2010, la province de Québec a délivré un certificat de sélection approuvant sa demande d’immigration dans la catégorie des travailleurs qualifiés du Québec à titre de vétérinaire. Le 26 avril 2010, il a demandé un visa de résidence permanente pour s’établir au Canada.

[3]  Près de quatre ans plus tard, le 29 janvier 2014, le demandeur a été reçu en entrevue dans un bureau consulaire canadien aux fins de sa demande de visa. Le 25 mars 2014, le demandeur a été prié de fournir des relevés bancaires détaillés et complets concernant ses comptes personnels et commerciaux. Il a présenté certains des renseignements qui lui étaient demandés le 4 avril 2014.

[4]  Le 2 mai 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a reçu des documents d’information d’un organisme partenaire. Dix mois plus tard, le demandeur a écrit à l’agent des visas pour lui demander une mise à jour. Cela a mené à l’émission d’une lettre relative à l’équité procédurale avisant le demandeur qu’il faisait peut‑être partie d’une catégorie des personnes interdites de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en raison des sanctions imposées à l’Iran en réponse aux risques de prolifération posés par son programme nucléaire.

[5]  Le demandeur a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale le 25 juin 2015, en affirmant que l’agent des visas l’avait confondu avec son frère. Il a déclaré que son frère possède un bureau de change en Iran et qu’il avait viré des fonds de manière légale au Canada et à d’autres pays. De plus, le demandeur affirme que son frère et lui ont un compte bancaire conjoint et que son frère utilise ce compte pour des activités financières.

[6]  Le 22 octobre 2015, l’agent des visas a refusé la demande de résidence permanente du demandeur. L’agent n’était pas convaincu par la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale et a conclu que le demandeur était interdit de territoire parce qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR.

[7]  Le 16 février 2016, le demandeur a déposé, conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de l’agent des visas. À la suite des négociations en vue d’un règlement, le demandeur a convenu d’annuler la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire; en contrepartie, l’affaire devait être renvoyée à un autre agent des visas. M. Soltanizadeh a formulé la demande suivante : si l’agent des visas était d’avis qu’il était interdit de territoire, l’agent des visas devait alors lui fournir des détails supplémentaires et de l’information à l’appui pour lui permettre de répondre de manière significative. Cette demande a été acceptée par le défendeur. À la suite de cette entente, la demande a donc fait l’objet d’un désistement.

[8]  Une deuxième lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur le 26 mai 2016, l’avisant qu’il pourrait être interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d). Cette lettre était pratiquement identique à la première lettre relative à l’équité procédurale et ne fournissait au demandeur aucun détail supplémentaire concernant la conclusion d’interdiction de territoire, contrairement à ce que ce dernier avait demandé et à ce dont il avait été convenu par le défendeur.

[9]  Le 4 juillet 2016 ainsi que le 28 juillet 2016, l’avocat du demandeur a écrit au défendeur pour l’inciter à respecter l’entente et à fournir au demandeur des détails supplémentaires au sujet de la conclusion d’interdiction de territoire potentielle. Le demandeur a souligné qu’en l’absence d’informations supplémentaires, personne ne pouvait s’attendre à ce qu’il réponde à la conclusion selon laquelle il représente un danger pour la sécurité du Canada. Le demandeur a demandé que des renseignements supplémentaires lui soient communiqués, mais il n’a reçu aucune réponse à ce sujet. Le demandeur a envoyé au défendeur une autre demande le 17 février 2017, laquelle comprenait la correspondance antérieure.

[10]  Le 12 avril 2017, une troisième lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur, l’avisant une fois de plus qu’il pourrait faire partie de la catégorie des personnes interdites de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR en raison de virements de fonds effectués depuis et vers l’Iran. Plus précisément, la troisième lettre relative à l’équité procédurale comprenait simplement l’ajout suivant [traduction] : « J’ai des motifs raisonnables de croire que vous avez viré des fonds depuis et vers l’Iran ». Dans une lettre datée du 13 avril 2017, le demandeur a mentionné qu’il n’avait toujours pas reçu d’informations supplémentaires concernant l’interdiction de territoire dont il est l’objet.

[11]  Cela a mené à une décision, prise le 22 mai 2017, selon laquelle le demandeur était interdit de territoire parce qu’il constituait un danger pour la sécurité du Canada. L’agent des visas a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur soutenait le programme de prolifération nucléaire de l’Iran en effectuant des virements de fonds depuis et vers l’Iran.

[12]  Le 6 juin 2017, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du 22 mai 2017. L’autorisation a été accordée par le juge Manson le 8 septembre 2017, et l’audience relative à cette affaire a été fixée au 22 novembre 2017.

[13]  Dans une lettre datée du 25 septembre 2017, le défendeur a offert une fois de plus au demandeur de régler l’affaire. En échange du désistement, la demande de résidence permanente du demandeur serait une fois de plus renvoyée à un autre agent aux fins d’un nouvel examen et d’une nouvelle décision, comme cela avait été fait par le passé. En outre, le défendeur a écrit à la Cour, le 28 septembre 2017, pour l’aviser que le dossier certifié du tribunal (DCT) n’avait pas été produit, puisque les négociations en vue d’un règlement étaient en cours.

[14]  Sans grande surprise, les négociations n’ont pas abouti puisque, comme le demandeur l’a souligné à juste titre, le défendeur n’avait pas respecté ses engagements auparavant; aucune information supplémentaire ne lui avait été fournie en ce qui concerne les allégations d’interdiction de territoire. Par conséquent, le demandeur a refusé de régler l’affaire et a souhaité qu’une audience soit tenue.

[15]  Le 3 octobre 2017, le procureur général du Canada a présenté une requête par écrit pour le compte du défendeur, au titre des articles 8, 36 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, et de l’article 21 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, par laquelle il sollicitait une ordonnance annulant la décision de l’agent des visas datée du 22 mai 2017 et renvoyant l’affaire à un autre agent des visas pour un nouvel examen. À titre subsidiaire, le défendeur demandait une ordonnance prorogeant les délais applicables au dépôt du DCT, des affidavits et du mémoire ainsi qu’une ordonnance ajournant l’audience fixée au 22 novembre 2017.

[16]  La requête du défendeur a été rejetée par la juge McDonald le 17 octobre 2017.

[17]  Le procureur général a ensuite présenté par écrit une requête fondée sur l’article 87 de la LIPR pour le compte du défendeur, en vue d’obtenir le prononcé d’une ordonnance de non‑divulgation de l’information contenue dans le DCT. Une version caviardée du DCT a été déposée le 3 novembre 2017. Le défendeur a demandé l’interdiction de la divulgation au titre de l’article 87 de la LIPR et de l’article 18.1 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23 (la Loi sur le SCRS). Par conséquent, l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire a été reportée au 26 février 2018.

[18]  Le défendeur a fourni à la Cour un dossier classifié, le 30 novembre 2017. Une audience ex parte à huis clos a été tenue le 7 décembre 2017. Les motifs publics de l’ordonnance ont été rendus le 2 février 2018, et l’ordonnance et les motifs classifiés ont été rendus le 14 février 2018. Une ordonnance et des motifs classifiés modifiés ont été rendus le 27 mars 2018 pour corriger des erreurs de transcription, mais aucune modification de fond n’a été apportée. Les deux ordonnances classifiées exigeaient la divulgation d’informations supplémentaires au demandeur.

[19]  Le procureur général a déposé un avis d’appel de l’ordonnance classifiée le 23 février 2018. Conformément au paragraphe 87.01(2) de la LIPR, l’exécution de l’ordonnance du 2 février 2018 (telle que modifiée par l’ordonnance du 27 mars 2018) et l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente ont toutes deux été suspendues en attentant l’issue de l’appel.

[20]  La Cour d’appel fédérale a rendu sa décision le 6 juin 2019, laquelle était accompagnée des motifs publics du jugement. Le jugement exigeait que la Cour réexamine certaines questions abordées dans sa décision de février, telle que modifiée. Après le réexamen, une ordonnance et des motifs classifiés ont été rendus le 30 juillet 2019; ils modifiaient un seul aspect de l’ordonnance classifiée de mars 2018. Le procureur général a interjeté appel de cette ordonnance, appel qui a été ensuite annulé, rétablissant ainsi l’ordonnance de divulgation rendue par la Cour et confirmée par la Cour d’appel fédérale, ainsi que la demande sous‑jacente dont est saisie la Cour.

[21]  Dans une lettre non classifiée datée du 30 septembre 2019, l’avocate du défendeur a fourni les pages révisées (250, 251, 252, 256, 258 et 259) du dossier certifié du tribunal en réponse à l’ordonnance et aux motifs classifiés rendus par la Cour le 30 juillet 2019 et son ordonnance modifiée du 27 mars 2018. En outre, la lettre énonçait ce qui suit :

Enfin, le ministre a exercé sa prérogative et a retiré certaines informations du dossier, conformément aux alinéas 83(1)f) et j) de la LIPR. L’article 87 prévoit que :

L’article 83 s’applique à l’instance et à tout appel de toute décision rendue au cours de l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

Le paragraphe 83(1) prévoit ce qui suit, en parlant du juge :

f) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que le ministre retire de l’instance;

[…]

j) il ne peut fonder sa décision sur les renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et les remet à celui‑ci s’il décide qu’ils ne sont pas pertinents ou si le ministre les retire;

Les pages 252, 256, 258, et 259 contiennent de l’information qui a été retirée du dossier, de sorte que la cour ne devrait pas fonder sa décision sur celle‑ci ni la communiquer.

[22]  Une lettre classifiée adressée à la Cour, datée du 27 septembre 2019, mais reçue le 30 septembre 2019, précisait quelles informations avaient été retirées. À la connaissance de la Cour, c’était la première fois que le ministre avait retiré des renseignements dont le décideur disposait dans l’affaire sous‑jacente dans le contexte d’une requête déposée en vertu de l’article 87 de la LIPR.

[23]  Ni l’article 87 ni les alinéas 83f) et j) n’autorisent expressément le ministre à retirer des renseignements soumis à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. L’article 87 prévoit qu’une demande doit être présentée à la Cour en vue d’interdire la divulgation de renseignements et, comme il est indiqué, énonce que l’article 83 « s’applique à l’instance […] avec les adaptations nécessaires ». Les motifs d’une autorisation de non‑divulgation sont énoncés à l’alinéa 83(1)d) :

il incombe [au juge] de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

[24]  L’article 77 régit la décision de la Cour fédérale concernant le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité, tandis que l’article 83 régit la protection des renseignements contenus tant dans les certificats de sécurité émis par le ministre de la Citoyenneté et le ministre de la Sécurité publique conformément à la section 9 de la LIPR et, « avec les adaptations nécessaires » aux termes de l’article 87, dans les demandes de contrôle judiciaire visant les décisions prises en vertu d’autres dispositions de la Loi, y compris les décisions prises par les agents des visas.

[25]  Comme l’a expliqué madame la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Charkaoui (Re), 2009 CF 1030 (Charkaoui), au paragraphe 24, les ministres ne peuvent pas, légalement, déposer un certificat pour que la Cour évalue son caractère raisonnable sans déposer la preuve le justifiant :

Une telle action ne serait pas autorisée par la LIPR qui exige le dépôt du certificat et de la preuve le justifiant. Ainsi, le certificat déposé sans preuve à l’appui serait ultra vires des ministres, illégal, et nul. Évidemment, telle n’était pas la situation dans la présente affaire : les ministres avaient déposé la preuve justifiant, selon eux, le certificat contre M. Charkaoui. Toutefois, comme la LIPR le leur permet, ils ont choisi de retirer une partie importante de cette preuve.

[26]  La juge Tremblay‑Lamer reconnaissait que, quand il est question d’un certificat de sécurité, une procédure sui generis, les ministres peuvent retirer des éléments de preuve. L’instance relative au certificat ne constitue pas un contrôle judiciaire d’une décision prise par le ministre ou un représentant visé par l’article 87, comme c’est le cas en l’espèce, mais un nouvel examen par la Cour du caractère raisonnable du certificat. Un juge désigné peut seulement décider du caractère raisonnable d’un certificat en se fondant sur la preuve encore comprise au dossier de la Cour. En revanche, dans le cas d’un contrôle judiciaire, la décision a déjà été prise, et la question à trancher est celle de savoir si la décision était raisonnable en fonction des éléments de preuve présentés au ministre ou au représentant.

[27]  Ainsi, dans la décision Charkaoui, les ministres ont concédé que la preuve encore comprise au dossier de la Cour ne suffisait plus pour appuyer la validité du certificat. Par conséquent, la juge Tremblay‑Lamer a conclu au paragraphe 25 « que l’existence de ce certificat ne rencontr[ait] plus les critères posés par le Parlement ». Le juge chargé d’examiner le dépôt du certificat ne pouvait plus fonder une décision sur les éléments de preuve retirés. Le certificat était nul.

[28]  Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, la Cour suprême du Canada reconnaissait que, dans le cadre de la procédure relative à un certificat de sécurité, il peut y avoir une tension irréconciliable entre l’intérêt de l’État à protéger des renseignements sensibles et celui de la personne en cause à être suffisamment informée :

[58] Le régime établi par la LIPR n’indique pas ce qui arrive en cas de tension irréconciliable entre les exigences voulant que la personne visée soit « suffisamment informée », d’une part, et l’impératif de ne pas divulguer les renseignements sensibles, d’autre part. Le régime en cause ne permet pas de faire entorse à la norme de la personne « suffisamment informée », pas plus qu’il n’autorise à divulguer des renseignements sensibles lorsque leur divulgation est absolument nécessaire pour satisfaire à cette norme.

[59] J’estime qu’en cas de tension irréconciliable, le ministre doit retirer les renseignements ou les éléments de preuve dont la non‑divulgation empêche la personne visée d’être suffisamment informée. Dans certains cas, cette tension irréconciliable pourrait, dans les faits, contraindre le ministre à mettre un terme à l’instance.

[29]  Bien entendu, cela s’inscrit dans le cadre d’une procédure relative à un certificat où les intérêts énoncés à l’article 7 de la Charte de la personne désignée sont en jeu, plutôt que dans celui d’un contrôle judiciaire d’une décision de refuser la résidence permanente à un étranger. Cependant, le résultat pratique d’une décision de retirer des renseignements présentés à un décideur peut empêcher la cour de révision de trancher la question de savoir si le demandeur a été traité de façon équitable ou si la décision était par ailleurs raisonnable.

[30]  Dans la présente instance, le défendeur a présumé que le ministre avait la prérogative de retirer des renseignements dont le ministre avait demandé la protection au titre l’article 87, mais qui n’avaient pas été protégés au moyen d’une ordonnance de la Cour conformément à l’article 87. Les renseignements se trouvaient au dossier examiné par le décideur qui a rendu la décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire devant la Cour. En l’absence d’une ordonnance au titre de l’article 87, le demandeur aurait droit d’être informé de ces renseignements.

[31]  La présomption du ministre est fondée sur une interprétation large de la portée de l’article 83. Étant donné que la signification des termes « avec les adaptations nécessaires » faisant référence à l’article 83 dans l’article 87 ne faisait pas l’objet d’un dossier complet et n’a pas été plaidée devant moi, elle sera examinée à une autre occasion. Toutefois, je ne souhaite pas que quoi que ce soit dans les présents motifs soit considéré comme acceptant la position du défendeur concernant le retrait de renseignements dans le cadre d’une requête déposée en vertu de l’article 87.

[32]  À la suite du désistement de l’appel interjeté par la procureure générale à l’égard de l’ordonnance et des motifs classifiés du 30 juillet 2019, la Cour a convoqué une conférence de gestion de l’instance avec les avocats des parties le 23 octobre 2019. À la suite de la conférence, il n’a pas été jugé nécessaire de tenir une audience, puisque le défendeur sollicitait toujours une ordonnance annulant la décision de l’agent des visas, et que le seul litige opposant les parties concernait la nature du recours devant être accordé au demandeur. Les parties ont convenu de présenter par écrit leurs positions respectives à propos des dispositions de l’ordonnance devant être rendue par la Cour. Compte tenu des commentaires formulés par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Charkaoui au sujet de l’incidence du retrait de renseignements en vertu de l’article 83 de la LIPR dans le cadre d’un certificat de sécurité, la Cour a demandé aux parties de lui fournir des commentaires quant à la question de savoir si la décision de l’agent des visas était frappée de nullité à la suite des mesures prises par le ministre.

[33]  La position générale du demandeur, telle qu’énoncée dans les observations écrites présentées le 25 novembre 2019, était que le traitement de sa demande [traduction] « a été tellement retardé et géré de manière si incompétente par les agents d’immigration que le renvoi de l’affaire à un troisième agent pour qu’il prenne une nouvelle décision en l’absence de directives claires discréditerait l’administration de la justice ».

[34]  Le demandeur demande que des directives précises et détaillées soient fournies à l’agent des visas [traduction] « étant donné le retard excessif dans le traitement de cette demande et la manière dont la demande a été gérée par le ministre [et] compte tenu de ce qu’il en a coûté au demandeur en termes de temps, d’efforts et d’argent ».

[35]  Les directives proposées par le demandeur comprennent ce qui suit :

  Qu’un visa de résident permanent lui soit délivré dans un délai de soixante jours si la Cour est d’avis que les renseignements confidentiels sont inexacts et ne soutiennent pas le refus de cette demande.

  Que les renseignements retirés par le défendeur dans sa lettre du 30 septembre 2019 adressée à la Cour ne fassent pas partie du dossier dont est saisi l’agent des visas, et que ce dernier ne se fonde pas sur les renseignements retirés d’une quelconque manière.

  Que toute lettre relative à l’équité procédurale transmise au demandeur indique les sources précises de préoccupation, afin de lui donner suffisamment de renseignements pour qu’il connaisse ce qui lui est reproché et qu’il puisse y répondre. [Par exemple, le demandeur jugerait suffisante la communication de détails concernant toute transaction financière qu’il aurait effectuée entre l’Iran et le Canada.]

  Que toute lettre relative à l’équité procédurale devant lui être transmise le soit dans les 60 jours suivant la date de l’ordonnance de la Cour et que le demandeur dispose de 60 jours supplémentaires pour y répondre.

  Que l’agent rende sa décision concernant la demande dans les 30 jours suivant la réception de la réponse du demandeur à toute lettre relative à l’équité procédurale.

  Si l’agent des visas ne transmet aucune lettre relative à l’équité procédurale, l’agent rendra sa décision dans les 60 jours suivant l’ordonnance de la Cour. Il convient que la Cour fournisse des directives appropriées étant donné qu’elle connaît les renseignements confidentiels, de manière à garantir que la demande du demandeur fera l’objet d’une procédure équitable et qu’une décision raisonnable sera rendue.

[36]  À l’appui des réparations proposées, le demandeur cite une jurisprudence restreinte, où la Cour fédérale a jugé approprié de « [prescrire] les modalités de la décision » des tribunaux administratifs. Cette jurisprudence s’inscrit dans le contexte du droit général en matière de mandamus : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lebon 2013 CAF 55, au par. 13.

[37]  Le demandeur n’a pas abordé la question de savoir si le retrait de renseignements examinés par l’agent des visas avait pour effet de rendre nulle la décision rendue par l’agent des visas.

[38]  Dans ses observations au sujet des mesures de réparation, observations déposées le 9 janvier 2020, le défendeur s’opposait à certaines des conditions proposées par le demandeur, disant qu’elles entraveraient l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas. Le défendeur soutient que la présente affaire ne relève pas d’une exception où un résultat donné serait inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 142.

[39]  Le défendeur propose que la réparation accordée au demandeur prenne la forme d’une ordonnance prévoyant ce qui suit :

  Que le demandeur présente une nouvelle demande de résidence permanente dans les soixante jours suivant l’ordonnance de la Cour;

  Que l’agent des visas ne tienne pas compte des renseignements qui ont été retirés;

  Que le demandeur dispose de soixante jours pour répondre à la lettre relative à l’équité procédurale envoyée par l’agent des visas, qui contiendra une [TRADUCTION] « divulgation accrue des préoccupations relatives à la crédibilité au sujet de certains virements de fonds »;

  Que le défendeur rende une décision définitive concernant la demande dans les trente jours suivant la réception de tous les renseignements requis, y compris les examens médicaux et la vérification des antécédents, provenant du demandeur et des « partenaires » du défendeur.

[40]  En réponse à une question ayant trait au retrait de renseignements par le ministre qui a été soulevée par la Cour durant la conférence de gestion de l’instance du 23 octobre 2019, le défendeur soutient que cette mesure n’a pas rendu nulle la décision de l’agent des visas, mais l’a rendue annulable. Le défendeur affirme ce qui suit :

[traduction]

La Loi tient compte de la nécessité de protéger des renseignements sensibles contre la divulgation publique dans le cadre de contrôles judiciaires et d’instances concernant un certificat de sécurité tout en permettant aux ministres de se fonder sur de tels renseignements afin d’établir ou de défendre le caractère raisonnable de constats d’interdiction de territoire. [Observations en réponse formulées par le défendeur au sujet du recours, paragraphe 13. Non souligné dans l’original.]

[41]  Au paragraphe suivant, le défendeur soutient ce qui suit :

[traduction]

La décision de l’agent des visas relative à l’interdiction de territoire n’est pas rendue nulle en raison du retrait par le ministre de renseignements du DCT. Cependant, il peut simplement s’ensuivre que le ministre, ne pouvant pas se fonder sur les renseignements retirés, ne peut plus défendre le caractère raisonnable de la décision, ou que la Cour ne peut en évaluer le caractère raisonnable. Dans tous les cas, la décision [de l’agent des visas] n’est pas rendue nulle. [Observations en réponse formulées par le défendeur au sujet du recours, paragraphe 18. Non souligné dans l’original.]

[42]  Comme le défendeur le fait valoir, il se peut que la Cour conclue que les renseignements, bien que présumés pertinents le cadre du DCT, ne soient pas importants dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, je conviens avec le défendeur que la décision de l’agent des visas n’est pas frappée de nullité du simple fait que le ministre a retiré des renseignements; cependant, je crois qu’elle pourrait être jugée déraisonnable et être annulée pour ce seul motif. Le ministre ne peut gagner sur les deux tableaux, comme le laisse entendre le premier extrait susmentionné des arguments du défendeur. Si l’information est importante, la Cour pourrait être incapable de déterminer l’incidence que cela aurait pu avoir sur la décision de l’agent ni tirer une conclusion touchant le caractère raisonnable de la décision.

[43]  La demande sera accueillie, et des directives seront transmises à l’agent des visas qui doit examiner l’affaire. En se fondant sur ce qu’elle connaît du dossier, la Cour ne peut conclure que l’issue de la demande de résidence permanente est inévitable. Pour ce motif, la demande du demandeur en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant qu’on lui délivre un visa de résident permanent ne peut lui être accordée. Cependant, compte tenu des circonstances, il est nécessaire et adéquat d’établir les conditions dans lesquelles un agent des visas doit examiner la demande de résidence permanente du demandeur.

[44]  Le défendeur a demandé que des questions soient certifiées si la Cour rendait un jugement portant sur la question de savoir si le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de retirer des renseignements dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, en l’absence d’un dossier complet et d’arguments, le jugement n’abordera pas cette question.

[45]  Aucun motif spécial justifiant l’adjudication de dépens n’a été plaidé.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2523‑17

LA COUR STATUE que :

  • 1) la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  • 2) dans les 60 jours suivant la réception de l’avis du présent jugement, le demandeur peut présenter une nouvelle demande de résidence permanente;

  • 3) dans les 30 jours suivant la réception de la demande du demandeur, l’agent des visas doit fournir au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale qui l’informe davantage de toute préoccupation relative à la crédibilité touchant des virements de fonds auxquels il aurait participé;

  • 4) l’agent des visas chargé d’examiner la nouvelle demande de résidence permanente du demandeur ne doit pas tenir compte des renseignements retirés;

  • 5) les renseignements retirés ne doivent pas être présentés de nouveau à l’agent des visas aux fins d’examen dans le cadre de la nouvelle demande;

  • 6) le défendeur doit rendre une décision définitive en ce qui concerne la demande de résidence permanente dans les trente jours suivant la réception de tous les renseignements requis, y compris les examens médicaux et la vérification des antécédents.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de mai 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2523‑17

INTITULÉ :

KAMRAN SOLTANIZADEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

CONTRÔLE JUDICIAIRE PAR ÉCRIT EXAMINÉ À OTTAWA (ONTARIO)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MARS 2020

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Peter Larlee

POUR LE DEMANDEUR

Cheryl Mitchell

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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