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                                                                                                                                  Date: 19990709

                                                                                                                                           T-1093-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

E n t r e :

                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                             et

                                                            EDUARDS PODINS,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                                 D É C I S I O N

            Le défendeur n'a pas obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens de l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.

                                                                                                                                                                                                   

                                                                                                                                                  JUGE

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


                                                                                                                                  Date: 19990709

                                                                                                                                           T-1093-97

E n t r e :

                                               MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                             et

                                                            EDUARDS PODINS,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                      MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE McKeown

[1]         Le défendeur, M. Eduards Podins, était magasinier à la prison de remplacement de Valmiera (ersatsgefängnis) à Valmiera, en Lettonie, (la prison de Valmiera) entre le 17 novembre 1941 et la mi-septembre de l'année 1943. Au cours de cette période, il portait le titre officiel de policier de la police auxiliaire lettone. Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), cherche à obtenir la révocation de la citoyenneté du défendeur au motif qu'il [TRADUCTION] « a collaboré avec les autorités allemandes en Lettonie au cours de la période de 1941 à 1943 en tant que membre de la police auxiliaire lettone, une police auxiliaire locale qui était sous le commandement des Allemands » et en raison de [TRADUCTION] « son travail à titre de gardien de camp de concentration à ce qu'on appelait la "prison de remplacement de Valmiera", en Lettonie, au cours de la même période[1]. Le demandeur n'allègue pas que le défendeur a personnellement participé à des atrocités ou à des crimes.

[2]         On peut résumer brièvement ce qui est advenu du défendeur après la période de collaboration présumée. Il a été fait prisonnier de guerre par les Britanniques en 1945 et a été libéré du camp de prisonniers de guerre au printemps 1946. Il a présenté en novembre 1947 une demande en vue d'immigrer en Angleterre. Il est devenu citoyen britannique en 1955. Il a présenté une demande en vue d'immigrer au Canada au début de 1959 et s'est établi au Canada le 29 mai 1959. Le 10 février 1971, il a demandé la citoyenneté canadienne, qu'il a obtenue le 22 février 1971.

[3]         Le 10 mars 1997, le ministre a avisé M. Podins de son intention de demander au gouverneur en conseil la révocation de sa citoyenneté en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C (1985), ch. C-29 (la Loi sur la citoyenneté) et de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19 (qui était en vigueur à l'époque où M. Podins a demandé la citoyenneté) pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]

[...] vous avez été admis au Canada en vue de la résidence permanente et avez obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, en ce que vous avez omis de divulguer aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada le fait que vous avez collaboré avec les autorités allemandes en Lettonie entre 1941 et 1943 en tant que membre de la police auxiliaire lettone, une police auxiliaire locale qui était sous les ordres des Allemands, ainsi que votre travail à ce titre comme gardien du camp de concentration désigné sous le nom de « prison de remplacement de Valmiera » , en Lettonie, au cours de la même période[2].

Les dispositions applicables de la Loi sur la citoyenneté sont ainsi libellées :

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté ;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[4]         En vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la citoyenneté, le défendeur a demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour pour que celle-ci tienne une audience. Le 23 mai 1997, le ministre a effectivement renvoyé l'affaire devant la Cour.

THÈSE DES PARTIES

Le demandeur

[5]         Le demandeur affirme que M. Podins a, dans son formulaire OS.8, dissimulé des faits essentiels au sujet des activités auxquelles il s'est livré pendant la guerre. Le formulaire OS.8 est un formulaire d'immigration que, suivant le demandeur, le défendeur devait remplir en 1959 lorsqu'il a demandé son admission au Canada. Plus précisément, selon le demandeur, M. Podins faisait partie de la police auxiliaire lettone, qui était sous le commandement de la police de sécurité allemande à Valmiera, en Lettonie. En sa qualité de policier (schutzmann) ou de gardien (kartibnieks), il était magasinier et s'acquittait d'autres fonctions liées à l'exploitation d'une cantine militaire et à la distribution des rations d'alcool et de cigarettes à la prison de remplacement de Valmiera. Le demandeur affirme que cette prison était en fait un camp de concentration. Le demandeur ajoute qu'à la suite de son travail à la prison, le défendeur s'est porté volontaire pour travailler au sein du bataillon de la police de sécurité de Lettonie et qu'il s'était également porté volontaire pour servir au sein de la légion lettone, également connue sous le nom de Waffen SS (unités militaires d'élite). Suivant le demandeur, les faits que le défendeur a dissimulés dans son formulaire OS.8 étaient des faits essentiels parce qu'ils ont empêché les fonctionnaires de l'immigration de l'époque de chercher à savoir s'il satisfaisait ou non aux critères de refoulement pour raisons de sécurité qui s'appliquaient à l'époque, plus précisément les critères permettant de déterminer s'il avait « collaboré » avec un ennemi du Canada au cours de la Seconde Guerre mondiale. En somme, le défendeur a obtenu un visa d'admission au Canada par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels concernant ses activités au cours de la Guerre et a été légalement admis au Canada grâce à ce visa. Sur la foi de ce visa, il a par la suite obtenu la citoyenneté canadienne.

[6]         Le demandeur allègue également que le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne en violation de l'alinéa 10(1)d) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19, qui était en vigueur au moment où le défendeur a présenté sa demande de citoyenneté en 1971.

Le demandeur affirme qu'en raison de ses activités au cours de la guerre, le défendeur n'était pas une personne de bonne vie et moeurs au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté et qu'il ne satisfaisait donc pas aux conditions exigées pour pouvoir obtenir la citoyenneté canadienne en 1971.

Le défendeur

[7]         Le défendeur nie avoir jamais été gardien à la prison de Valmiera et maintient que la raison pour laquelle il a été engagé comme « gardien » s'explique simplement par le fait qu'il n'existait pas de poste officiel pour désigner l'emploi qu'il exerçait, celui de magasinier. Il nie aussi avoir jamais travaillé comme policier, affirmant qu'il n'exécutait aucun travail de policier, qu'il ne portait pas d'uniforme ou de brassard et qu'il n'avait pas prêté de serment. Il nie également que la prison de Valmiera était un camp de concentration. À son avis, il s'agissait d'un camp de prisonniers qui existait depuis 1918 et qui avait d'abord été dirigé par les Lettons, puis par les Soviétiques et finalement, par les occupants allemands.

[8]         En ce qui concerne l'allégation suivant laquelle il aurait servi au sein des Waffen SS, le défendeur soutient que ce motif ne fait pas partie de l' « affaire » que le ministre a exposée dans son avis de révocation (l'avis). Plus précisément, dans son avis, le demandeur associe l'allégation de « collaboration » à son présumé service [TRADUCTION] « en tant que membre de la police auxiliaire lettone » et se limite donc à cette allégation et ne mentionne aucun autre motif. À titre subsidiaire, le défendeur affirme que, si la Cour conclut que l'allégation de service au sein des Waffen SS fait partie de l'affaire le concernant, il a été enrôlé de force dans les Waffen SS et on ne saurait donc prétendre qu'il a servi de son plein gré. Le défendeur soutient qu'un enrôlement forcé ou involontaire au sein des Waffen SS ne constitue pas de la « collaboration » au sens des critères de contrôle sécuritaire qui étaient en vigueur en 1959, lorsque le défendeur a obtenu le droit d'établissement. Ainsi, il n'aurait pas été considéré non admissible sur le fondement de ce service. Dans le même ordre d'idées, son travail de magasinier à la prison de Valmiera ne constitue pas de la « collaboration » au sens des critères de contrôle sécuritaire qui existaient au Canada en 1959.

[9]         Le défendeur ajoute qu'il n'a pas fait l'objet d'un contrôle de sécurité lorsqu'il a demandé son admission au Canada en 1959, étant donné qu'il était à l'époque un citoyen britannique par naturalisation, une catégorie non assujettie aux contrôles sécuritaires. Il affirme en outre qu'en tant que citoyen britannique résidant au Royaume-Uni, on ne lui avait pas demandé de remplir un formulaire OS.8, contrairement à ce que le demandeur prétend. Il a plutôt rempli un formulaire IMM. 461. À la différence du formulaire OS.8, ce formulaire n'obligeait pas le requérant à fournir des renseignements au sujet de ses activités durant la guerre. Il exigeait uniquement du requérant qu'il fournisse des précisions au sujet de son emploi actuel et de ses deux emplois précédents. Lors de l'entrevue qu'il a subie au sujet de son droit d'établissement, le défendeur n'a pas été interrogé verbalement en ce qui concerne ses antécédents professionnels ou ses activités durant la Guerre. Il affirme que, de toute façon, la Loi sur l'immigration, dans sa rédaction en vigueur en 1959, ne conférait nullement le pouvoir légal de procéder au contrôle de sécurité des candidats à l'immigration relativement à une collaboration avec l'ennemi. Finalement, le défendeur affirme qu'il était un homme de bonne moeurs au moment de sa demande de citoyenneté en 1971, ce qui est confirmé par le témoignage des personnes qui ont été entendues tant en son nom qu'au nom du demandeur, et que le demandeur n'a soumis aucun élément de preuve pour contester ce fait.

QUESTIONS À TRANCHER

[10]       Je dois décider si le défendeur a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Je dois également décider s'il s'est faussement présenté comme une personne « de bonne vie et moeurs » au moment de sa demande de citoyenneté. Pour pouvoir rendre cette décision, je dois d'abord répondre aux sous-questions suivantes :

1.Le défendeur a-t-il collaboré avec les autorités allemandes dans le cadre du poste qu'il occupait à la prison de Valmiera, en Lettonie, entre 1941 et 1943 ?

2.Plus précisément, le défendeur a-t-il, au cours de cette période, servi comme membre de la police auxiliaire lettone, une police auxiliaire locale qui était sous le commandement des Allemands ? Dans l'affirmative, s'est-il engagé dans la police auxiliaire de son plein gré ?

3.Le défendeur a-t-il agi comme gardien de camp de concentration à la prison de remplacement de Valmiera, en Lettonie, au cours de la même période ?

4.Le service du défendeur au sein des Waffen SS entre 1943 et 1945 fait-il partie de l' « affaire » que le demandeur a exposée dans son avis de révocation ? Dans l'affirmative, le demandeur a-t-il été recruté par conscription dans les Waffen SS ou s'est-il engagé de son plein gré ?

5.Les citoyens britanniques naturalisés qui ont immigré au Canada en mai 1959 étaient-ils soumis à des contrôles sécuritaires ? Dans l'affirmative, la loi permettait-elle à l'époque de soumettre les immigrants à des contrôles sécuritaires ?

6.Le défendeur était-il une personne de bonne vie et moeurs au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté en 1971 ?

PORTÉE DE L'AVIS DE RÉVOCATION DE CITOYENNETÉ

[11]       Ainsi que je l'ai déjà souligné, le défendeur affirme que son service au sein des Waffen SS n'est pas visé par l'avis de révocation, dont le passage qui nous intéresse est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

[...] en ce que vous avez omis de divulguer aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada le fait que vous avez collaboré avec les autorités allemandes en Lettonie entre 1941 et 1943 en tant que membre de la police auxiliaire lettone, une police auxiliaire locale qui était sous les ordres des Allemands, ainsi que votre travail à ce titre comme gardien du camp de concentration désigné sous le nom de « prison de remplacement de Valmiera » , en Lettonie, au cours de la même période.

Dans le jugement Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Johann Dueck (16 octobre 1998, no du greffe T-938-95, C.F. 1re inst.), le juge Noël déclare, à la page 13 :

[...] l'affaire qui est renvoyée à la Cour en vertu de l'article 18 de la Loi [sur la citoyenneté] est « l'affaire » exposée par le ministre dans l'avis [...] Il s'ensuit qu'il n'est pas loisible au ministre, dans le cadre d'un renvoi devant notre Cour, de faire trancher une question qui ne fait pas partie de « l'affaire » que le ministre a exposée dans son avis.

À mon avis, l'allégation suivant laquelle M. Podins a collaboré avec les autorités allemandes du fait de son appartenance à la Waffen SS ne fait pas partie de l' « affaire » exposée dans l'avis. L'avis précise que la « collaboration » attribuée au défendeur concerne sa présumée appartenance à la police auxiliaire lettone et son « travail à ce titre » . Ce libellé a pour effet de restreindre la portée des présumées activités de M. Podins en tant que collaborateur dans le cadre de son travail à la prison de Valmiera et d'exclure toute allégation postérieure à cette période. Comme les allégations relatives au service du défendeur au sein des Waffen SS ne font pas partie de l' « affaire » intéressant M. Podins, il n'est pas nécessaire de tirer de conclusions de fait à ce sujet.

                                                        CONCLUSIONS DE FAIT

CONTEXTE HISTORIQUE

[12]       Le professeur Konrad Kwiet, le témoin du demandeur, a été reconnu comme expert dans les domaines suivants :

-l'historie allemande et européenne modernes, particulièrement la période 1939-1945 ;

-l'évolution et l'essor du nazisme en Allemagne, ainsi que son idéologie et ses objectifs en Allemagne et en Europe entre 1939 et 1945 :

-les projets et les objectifs de l'Allemagne nazie (entre 1939 et 1945) en ce qui concerne l'occupation des pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) par ses forces armées et ses organes administratifs, y compris les forces policières et les forces administratives civiles ;

-la mise en oeuvre des politiques et des objectifs du gouvernement nazi allemand en Europe et plus particulièrement dans les pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) ;

-le rôle de l'armée, de la police et des organismes civils au sein de l'Allemagne nazie entre 1940 et 1944 en ce qui concerne la mise en oeuvre des politiques et des objectifs du gouvernement nazi dans les pays baltes et en particulier en Lettonie ;

-la collaboration des peuples baltes, en particulier des Lettons, à la mise en oeuvre des politiques et des objectifs du gouvernement national-socialiste allemand en Lettonie.

Le survol historique qui suit est tiré du rapport d'expertise du professeur Kwiet, ainsi que du témoignage qu'il a donné devant la Cour.

OCCUPATION ALLEMANDE DE LA LETTONIE

[13]       En 1918, la Lettonie est devenue une république parlementaire après avoir été occupée par de grandes puissances - en particulier l'Allemagne et la Russie - au cours des siècles. L'indépendance de la Lettonie a pris fin dans le cadre du protocole secret du pacte intervenu entre Hitler et Staline en 1939. Hitler a collaboré à l'occupation soviétique de la Lettonie et des autres pays baltes dans le but d'assurer la paix sur le front oriental au début de la guerre. En juin 1940, l'Union Soviétique a occupé la Lettonie, y instaurant un régime stalinien qui a duré une année, au cours de laquelle l'État et la société lettons ont été dans une large mesure soviétisés.

[14]       En 1941, l'Allemagne a lancé une attaque contre l'Union Soviétique sous le nom de code « Opération Barberousse » . Cette mission visait principalement à renverser le régime soviétique, à conquérir un nouvel « espace vital » (lebensraum) à l'Est et à mettre à exécution la « solution finale » , c'est-à-dire l'extermination des Juifs. Les Allemands ont lancé leur campagne militaire le 22 juin 1941 et se sont rapidement rendus maîtres de la Lettonie, qu'ils ont occupée le mois suivant.

[15]       Le professeur Kwiet a exposé les divers moyens employés par les Allemands pour en arriver à leurs fins dans les territoires soviétiques occupés légalement, militairement et administrativement par le biais de l'organisation policière et civile. Le décret judiciaire du 14 mai 1941 excluait le recours aux cours martiales en ce qui concerne toutes les questions touchant les populations civiles, garantissant ainsi que rien ne fasse obstacle au génocide des personnes jugées indésirables pour des raisons d'ordre racial ou politique. Dans le même ordre d'idées, le décret pris par le Kommissar le 6 juin 1941 avait pour effet d'autoriser le meurtre des dirigeants politiques communistes.

[16]       Le führer du Reich SS Heinrich Himmler s'est vu confier des pouvoirs relativement à l'exécution de certaines « tâches spéciales » dans le cadre de l' « Opération Barberousse » , en l'occurrence des mesures contre les ennemis idéologiques du Reich. Pour ce faire, il fallait s'assurer que l'armée allemande qui avançait sur la Lettonie obtienne la collaboration des formations policières déployées dans les zones d'opération de l'armée. De plus, des commandos spéciaux oeuvrant dans des zones de combat reculées devaient lutter contre « tout élément hostile à l'État allemand et au Reich » . Ainsi, quatre corps expéditionnaires opérationnels (einsatzgruppen ou EG), comptant chacun entre 600 et 1 000 hommes, ont pénétré sur le territoire de l'Union Soviétique derrière les armées d'invasion allemandes. Ils étaient autorisés à prendre des « mesures exécutives » (expression officielle utilisée pour désigner la liquidation) contre les populations civiles. Ils ont reçu l'ordre d'exécuter les dirigeants du Parti communiste, les Juifs qui occupaient des postes de commande au sein de la machine de l'État ou du Parti, ainsi que les « autres éléments radicaux » , qui étaient qualifiés de « tireurs isolés » , d' « agitateurs » , de « propagandistes » ou de « saboteurs » . Ils ont également reçu l'ordre d'encourager secrètement la création de cercles « anti-communistes » et « antisémites » dans les territoires conquis et de déclencher des pogroms, qui étaient désignés sous l'euphémisme de « mesures d'auto-purification » et qui devaient être exécutés par les populations locales. L'EG A, qui était affecté aux pays baltes et au secteur nord de l'Union Soviétique, a été assigné au groupe Nord de l'armée allemande, qui a commencé sa progression le 22 juin 1941 et qui a pris Riga, la capitale de la Lettonie, le 1er juillet 1941.

[17]       Après que l'EG A eut pénétré en Lettonie, les massacres ont commencé. L'ordre de déclencher des pogroms et de procéder à des « opérations de nettoyage » provenait des échelons les plus élevés de l'organisation nazie, en particulier du commandant de la police de sécurité. Des collaborateurs recrutés au sein de la population locale étaient chargés de pourchasser et d'abattre les Juifs et les communistes et de déclencher des pogroms. Ces collaborateurs, qui portaient le nom de « forces d'autodéfense » , provenaient du mouvement indépendantiste clandestin de Lettonie qui s'était organisé après l'occupation soviétique de 1940. Ils ont procédé à la première vague de massacres de Bolcheviks et de Juifs immédiatement avant et après l'invasion des forces allemandes. Un compte rendu d'octobre 1941 de l'EG A fait état de la liquidation de 30 000 Juifs, soit près de la moitié de 70 000 Juifs qui vivaient en Lettonie au moment de l'invasion allemande. Les Juifs qui ont survécu ont été incarcérés dans des ghettos établis à Riga et dans les villes de Daugavpils (Dünaburg) et de Lietaja (Libau). En novembre 1941, les autorités civiles allemandes ont annoncé que certains districts, dont celui de Valmiera (Wolmar, en allemand) étaient judenfrei (libres de la présence juive). Rien ne permet de penser qu'il restait des Juifs à Valmiera après septembre 1941.

[18]       Après les premières opérations dites d' « auto-nettoyage » effectuées par les forces d'autodéfense locales, les Allemands se sont rapidement emparés de la structure civile lettone. La Lettonie est passée d'un régime militaire à un gouvernement civil le 1er septembre 1941. Sous l'autorité d'Alfred Rosenberg, ministre du Reich chargé de la partie orientale des territoires occupés, on a établi le Reich Commissariat Ostland, qui comprenait les niveaux subordonnés de l'Administration civile - le Reich Commissariat Latvia - ainsi que les administrations locales, en l'occurrence les commissariats de district. L'administrateur civil allemande du rang le plus élevé en Lettonie, le commissaire général Drechsler, exerçait son autorité par l'intermédiaire des commissaires de district. Suivant le professeur Kwiet, bien que l'administration civile fût désignée sous le nom d'administration autonome lettone, cette expression est trompeuse, étant donné qu'il n'y avait pas de politique lettone interne et que tous les organismes administratifs étaient sous contrôle allemand.

[19]       Sur les ordres d'Himmler, un corps policier a été assigné et affecté à la structure administrative civile en Lettonie. Un SS et un chef de police étaient à la tête de chaque échelon du commissariat. Les forces policières qui étaient sous le contrôle allemand étaient composées de la police de sécurité et de la SD, de la police de l'ordre et de la police auxiliaire locale. La « police de sécurité et la SD » étaient constituées de la police politique allemande, de la police criminelle et du service secret (ou service de sécurité). Généralement désignées sous l'appellation de police de sécurité, ces forces étaient chargées du maintien de l'ordre sur le plan politique et criminel, ce qui comportait les ordres d'exécutions et la surveillance des camps de concentration. La police de l'ordre était composée de ce qui, avant l'occupation allemande, correspondait à la police régulière et à la police rurale. Désormais intégrée à la structure policière allemande, ce corps exécutait des fonctions ordinaires de maintien de l'ordre. Le professeur Kwiet a toutefois imputé un rôle de collaborateur à la police de l'ordre, en faisant remarquer que [TRADUCTION] « sous le prétexte d'une "pacification" et d'une lutte aux partisans, les Juifs et les dirigeants communistes, les prisonniers de guerre en fuite, les "civils errants" et d'"autres suspects" étaient traqués et supprimés » [3]. De plus, on a [TRADUCTION] « fait appel à la police de l'ordre pour superviser le transport des personnes déplacées, faciliter les exécutions massives et monter la garde dans les ghettos et les camps et faire disparaître les ghettos et les camps par la suite » .

[20]       La police auxiliaire lettone ou schutzmannschaff était composée de toutes les personnes recrutées au sein des populations locales qui servaient au sein de la police de l'ordre, de la police de sécurité ou du système carcéral. Elle était subordonnée principalement à la police de l'ordre. Certaines de ses unités relevaient toutefois de la police de sécurité. Suivant le professeur Kwiet, indépendamment de leur supérieur immédiat, toutes les forces auxiliaires relevaient en fin de compte de la police de sécurité. De plus, ainsi que l'épithète « auxiliaire » le laisse entendre, il n'existait pas de force policière lettone indépendante au cours de l'occupation allemande. La police auxiliaire lettone était en effet sous les ordres stricts de la police de l'ordre allemande et était assujettie à la supervision générale de la police de sécurité.

[21]       Le professeur Kwiet a expliqué le rôle que la police a joué en ce qui concerne les mesures antisémites prises en Lettonie. À l'automne 1941, 50 000 Juifs ont été déportés en Lettonie en provenance d'autres régions du Reich allemand. On n'avait pas encore terminé la construction des casernes destinées aux personnes déplacées provenant de Salspils et de Jungfernhof (deux villes situées au sud-est de Riga). Les hautes instances SS et le chef de police du Commissariat du Reich à Ostland ont ordonné que la plupart des Juifs groupés dans le ghetto de Riga soient tués pour faire de la place pour les personnes déplacées qui arrivaient. Au cours de la première « opération de nettoyage des ghettos » qui a eu lieu le 30 novembre 1941, 4 000 Juifs du ghetto de Riga ont été exterminés, de même que 1 000 Juifs qui venaient d'arriver de Berlin. Au cours d'une deuxième « aktion » survenue les 8 et 9 décembre, plus de 27 000 Juifs lettons ont été tués. Seulement 2 600 Juifs originaires de Riga ont survécu à cette opération de nettoyage, car on en avait encore besoin comme ouvriers spécialisés. Tous les SS et unités de police déployés à Riga, y compris la police auxiliaire de l'ordre, ont participé à cette deuxième aktion. Des groupes de personnes déplacées continuaient à arriver à Riga et à leur arrivée, les Juifs âgés ou malades été mis à part et conduits dans une forêt avoisinante pour y être abattus. Comme dans le cas des autres lieux de massacre, des membres de la police auxiliaire lettone de l'ordre ont participé à la sélection et à la détention des victimes. Des membres de la police auxiliaire lettone de sécurité connus sous le nom de commandos Arajs ont été affectés aux pelotons d'exécution. En février 1942, quelque 20 000 Juifs de l'Europe centrale se trouvaient incarcérés au ghetto de Riga ou dans les camps de Salaspils et de Jungfernhof. Ils ont pratiquement tous été plus tard victimes de la solution finale.

VALMIERA DURANT L'OCCUPATION ALLEMANDE

[22]       Valmiera est située à une centaine de kilomètres au nord-est de Riga. Le 7 juillet 1941, les troupes de la 61e division d'infanterie allemande qui avançaient sur la Lettonie sont arrivées à Valmiera. Elles n'ont rencontré aucune résistance militaire. Selon le professeur Kwiet, il faut en conclure que les troupes russes avaient déjà quitté les lieux, après le 1er juillet. On ne m'a soumis aucun élément de preuve permettant de croire que des combats ont eu lieu à Valmiera. Après leur arrivée, les troupes allemandes n'ont pas installé de quartiers généraux militaires locaux ou régionaux à Valmiera. Elles n'ont pas non plus déployé de sous-unité EG A dans la région. On a laissé le soin aux forces d'autodéfense lettones de prendre en charge l'administration locale et d'exécuter des mesures d' « auto-nettoyage » pour débarrasser la région des Juifs et des communistes.

[23]       Valmiera est passée d'un gouvernement militaire à un régime civil le 1er septembre 1941. Le commissaire de district Herman Hansen dirigeait le commissariat de district de Valmiera. Le 28 août 1941, les forces locales d'autodéfense ont été démantelées et remplacées par la police auxiliaire lettone, qui était subordonnée à la police allemande de l'ordre, qui a établi son quartier général à Valmiera en septembre. Les membres de ces unités, appelés schutzmannshaften (unités de protection) ont fait l'objet de contrôles sécuritaires visant à vérifier leur loyauté politique. La région de Valmiera comprenait trois arrondissements qui, en octobre 1941, comptaient 115 fonctionnaires. Au début de novembre 1942, un millier d'hommes servaient au sein de la police de district de Valmiera.

[24]       Au début d'octobre 1941, le bureau régional de la police de sécurité de Valmiera a été ouvert avec à sa tête Werner Gottschalk. Ce bureau régional s'est vu confier la tâche de contrôler les activités de la police politique et de la police criminelle lettones, ainsi que celles de la police de l'ordre, et les différents bureaux régionaux de la police de district de Valmiera ont été forcés de soumettre des rapports à ce bureau. La police de sécurité du district de Valmiera était chargée de pourchasser, d'arrêter, d'interroger et de punir toute personne suspecte considérée comme un ennemi. Elle imposait une « garde préventive » (schutzhäft) et délivrait les ordres de transfèrement des prisonniers (schutzhäftlinge) dans les camps de concentration. C'est également elle qui décidait de l'éventuelle remise en liberté des prisonniers. Elle a pris le contrôle du système carcéral du district de Valmiera. Elle préparait, supervisait et exécutait diverses exécutions en étroite collaboration avec les Allemands et la police auxiliaire lettone.

[25]       À Valmiera, tout comme dans d'autres parties de la Lettonie, les exécutions ont commencé tout de suite après l'invasion allemande. En 1940, sous le régime soviétique, le nombre total de Juifs vivant dans la ville et le district de Valmiera s'élevait à 278. On suppose qu'un certain nombre de Juifs ont quitté la région lorsque, à la veille de l'occupation allemande, les Soviétiques ont ordonné la déportation forcée des Lettons. En outre, il se peut que certains Juifs aient tenté de s'enfuir de Valmiera après avoir entendu parler de l'invasion allemande. Les membres de la communauté juive qui sont restés à Valmiera ont été assassinés peu de temps après. En septembre 1941, lorsqu'il a pris le contrôle de l'administration civile du district de Valmiera, le commissaire de district allemand Hansen a déclaré que ce district était judenfrei, faisant allusion aux trois enfants juifs qui étaient toujours en vie dans la ville et déclarant qu'ils seraient transférés dans un camp de concentration. Le commandant général de la police de sécurité, Walter Stahlecker, a déclaré qu'à la mi-octobre 1941, 209 Juifs et communistes avaient été exécutés dans le district de Valmiera par des unités qui agissaient sous les ordres de la police de sécurité. Les Juifs et les communistes étaient les principaux groupes ciblés en vue de leur extermination, mais on visait également les Tsiganes, les malades mentaux et, au fur et à mesure que s'intensifiait la résistance armée contre le régime nazi dans les territoires soviétiques occupés, toute personne soupçonnée d'être un partisan ou d'avoir aidé des partisans.

LA PRISON DE VALMIERMUIZA

[26]       Les allégations de collaboration dont le défendeur fait l'objet dépendent en grande partie de la nature de la prison de Valmiera, c'est-à-dire de la réponse à la question de savoir si celle-ci servait ou non de camp de concentration. Le tribunal a entendu à ce sujet le témoignage du professeur Kwiet, ainsi que celui des témoins qui ont été entendus devant la commission rogatoire à laquelle j'ai présidée, à Valmiera, du 12 au 24 août 1998. La commission s'est également rendue au domaine Valmiera (Valmiermuiza), l'ancien domaine où était située la prison de Valmiera. Là, elle a entendu le témoignage d'un ancien employé de la prison de Valmiera, Tamara Kalve. Je signale que le professeur Kwiet n'a pu être d'un grand secours en ce qui concerne la prison de Valmiera, étant donné qu'il ne s'est jamais rendu à Valmiera et que ses connaissances des installations et des bâtiments de la prison, ainsi que de la configuration générale des lieux et du traitement des prisonniers, étaient fondées sur les documents que le défendeur lui a remis et sur le témoignage de personnes qui n'ont pas témoigné devant le tribunal. Qui plus est, aucune carte ou aucun dessin de Valmiermuiza n'a été déposé en preuve. En raison du défaut du demandeur de présenter ces éléments de preuve, une grande confusion a été créée dans l'esprit des témoins au sujet de la configuration de la prison. J'étais donc limité en ce qui concerne ma capacité de tirer des conclusions au sujet des fonctions des divers immeubles de Valmiermuiza.

[27]       Il y avait à Valmiermuiza au moins trois bâtiments où des prisonniers étaient logés. Le domaine lui-même avait une superficie de plus de 400 hectares. Il avait d'abord servi de prison en 1918 lorsque la Lettonie avait accédé à l'indépendance et avait été repris par deux puissances occupantes successives, l'Union Soviétique, en 1940, et l'Allemagne, en 1941. Le professeur Kwiet a examiné une série de documents à partir desquels il a tiré des inférences au sujet de la vocation de la prison au moment de l'arrivée des Allemands. Un document intitulé [TRADUCTION] « laissez-passer » et portant la date du 7 juillet 1941, jour de l'arrivée de l'armée allemande, parle des [TRADUCTION] « gardes du camp d'isolement » . Un document daté du 19 juillet 1941 contient le nom de le rang des membres du peloton du camp d'isolement de Valmiera. Suivant le professeur Kwiet, le fait que dix des gardes dont le nom figure sur ce document soient des militaires et que dix soient des civils donne une idée de la composition des forces d'autodéfense lettones. Il en infère que le camp d'isolement de Valmiera a été ouvert par les forces locales nationalistes d'autodéfense lettones au cours de la première semaine de juillet 1941, lorsque les forces en question ont pris le contrôle de la structure policière et administrative de Valmiera, immédiatement après que l'armée soviétique eut battu en retraite et avant l'arrivée des Allemands. Comme rien ne permet de penser que M. Podins avait quelque lien que ce soit avec les forces d'autodéfense, je ne tire aucune conclusion au sujet des activités des forces d'autodéfense à Valmiera en juillet et en août 1941.

[28]       Le professeur Kwiet a en outre conclu que la vocation du camp d'isolement de Valmiera était de détenir le nombre toujours croissant d' « ennemis » - notamment les Juifs et les communistes - que les forces d'autodéfense regroupaient et arrêtaient et de les retrancher de la population. On décidait ensuite de ceux qui devaient être liquidés sur-le-champ, de ceux dont la période d'incarcération serait prolongée et, dans certains cas, de ceux qui seraient remis en liberté. Suivant le professeur Kwiet, les Juifs et les dirigeants communistes étaient sélectionnés et conduits à des lieux d'exécution situés tout près. Citant les déclarations de personnes qui n'ont pas témoigné devant la Cour, le professeur Kwiet a parlé de plusieurs exécutions dont la plupart avaient eu lieu dans un champ de tir situé dans la forêt avoisinante de Kelderleja. En contre-interrogatoire, le professeur Kwiet a toutefois reconnu que ces personnes n'avaient pas été témoins oculaires de ces massacres, mais qu'elle faisaient reposer leur récit sur du ouï-dire, et qu'aucun de ces récits ne permettait d'établir un lien entre les présumées tueries et le camp d'isolement.

[29]       Un document intitulé « Liste des employés du camp d'isolement de Valmiera » et portant la date du 21 juillet 1941 fait état de la présence de 55 employés, ce qui permet de penser que les opérations effectuées dans le camp avaient pris de l'ampleur. Par ailleurs, deux documents, datés respectivement du 27 août et du 8 septembre 1941 et adressés au lieutenant administratif Steins, parlent du « camp de concentration de Valmiera » . Suivant le professeur Kwiet, cette nouvelle appellation témoigne de la transition du contrôle des forces d'autodéfense de Valmiera à l'instauration d'une « administration concentrationnaire » à Riga par la police de sécurité en août 1941. Par suite de l'abolition de toutes les forces d'autodéfense le 28 août 1941, le commandement du camp et le détachement, qui avaient été dotés par les forces d'autodéfense, ont en conséquence été restructurés : dix personnes considérées dignes de confiance et politiquement loyales ont été nommées de nouveau. Les postes ont été dotés avec de nouvelles recrues, qui étaient désormais strictement contrôlées par la police de sécurité allemande. Suivant le professeur Kwiet, en octobre 1941, la transformation était terminée, et le nouveau nom de la prison - erstazgefängnis (prison de remplacement) ou, comme elle était couramment appelée, EG - traduisait la mainmise totale de la police de sécurité allemande sur la prison.

[30]       Mme Tamara Kalve, qui a témoigné devant la Cour pour le compte du demandeur et qui a travaillé à la prison de Valmiera entre 1936 et sa fermeture, se rappelle que, jusqu'à l'arrivée des Russes en 1940, la prison n'avait servi que de prison commune. Parmi les détenus, on comptait des prisonniers politiques, des voleurs et, pour reprendre ses propres paroles, [TRADUCTION] « de prisonniers de droit commun » [4]. Après le départ des Russes et avant l'arrivée des Allemands, il y a eu un court laps de temps durant lequel la prison était inoccupée. Après l'arrivée des Allemands, le témoin a cessé de travailler à la prison pendant environ un mois, après quoi tous les anciens employés ont reçu l'ordre de se présenter au bureau d'emploi local qui était dirigé par les Allemands. Là, Mme Kalve a reçu l'ordre de se présenter à la prison pour reprendre son emploi à une date déterminée. Le responsable de la prison s'appelait Runka et relevait d'un dénommé Gotsalk [sic], vraisemblablement Werner Gottschlak, commandant du bureau de la police de sécurité de Valmiera. Suivant Mme Kalve, Runka et Gatsalks [sic] se rencontraient au moins une fois par semaine.

[31]       Le professeur Kwiet a décrit la structure organisationnelle générale de la prison de Valmiera. Il a témoigné que le personnel du camp était uniquement composé de Lettons, ce que deux anciens prisonniers ont corroboré. Il a cité un rapport soumis par le directeur de la prison de Valmiera à la police de sécurité allemande de Valmiera le 19 juillet 1943. Suivant ce rapport, le camp comptait 93 employés. Arnorlds Runka a été nommé directeur ou chef du camp. Il avait deux adjoints, ainsi que huit employés de bureau, dont une secrétaire, un expert-comptable, un caissier et un commis. Il y avait aussi une équipe technique composée de quatorze personnes, dont des instructeurs qui supervisaient ce que le professeur Kwiet a appelé les « travaux forcés » des détenus, y compris un instructeur chargé des grandes cultures et du triage du lin, ainsi qu'un technicien et un quartier-maître. Le personnel comptait également un médecin de camp et son assistant, une cuisinière et un ouvrier non qualifié. Les surveillants et les gardiens représentaient le groupe le plus important, qui comptait en tout soixante-trois personnes. Il y avait six surveillants qui étaient chargés de surveiller les ailes et les cellules de la prison. Il y avait cinquante gardiens et sept gardiennes. Parmi les gardiens, treize étaient classés policiers auxiliaires supérieurs (oberschutzmänner) et trente-sept, policiers auxiliaires (schutzmänner). Suivant le professeur Kwiet, il ressort de ce qui précède que les gardiens du camp de Valmiera faisaient de toute évidence partie de la shutzmannschaft, c'est-à-dire de la police auxiliaire lettone. Il affirme que les gardiens de la prison de Valmiera portaient l'uniforme vert de l'ancienne armée lettone. Cette affirmation a été pour l'essentiel corroborée par les témoins de la commission, bien qu'un d'entre eux se rappelle que les gardes portaient les uniformes militaires gris-vert de la police de sécurité de Valmiera. Plusieurs des témoins que la commission a entendus se rappelaient que les gardes portaient aussi des brassards, mais n'étaient pas certains de ce qui figurait sur ces brassards.

[32]       Selon le professeur Kwiet, un minorité de gardiens, moins de 20 pour 100 d'entre eux, avaient déjà servi au camp d'isolement installé par les forces d'autodéfense. La majorité d'entre eux avaient été recrutés au moment où le camp avait été transformé de camp d'isolement en camp de remplacement par la police de sécurité. Ils étaient tous des volontaires, car personne n'était forcé de devenir membre de la police auxiliaire ou, par la suite, de s'engager dans l'unité de camp de surveillance. La procédure de recrutement qui était suivie obligeait les candidats à remplir un questionnaire et à signer un contrat de travail. Venaient ensuite les contrôles sécuritaires qui étaient effectués par les fonctionnaires de la police de sécurité.

[33]       Extrapolant à partir de ses connaissances des pratiques nazies générales et des décrets et directives émanant des échelons les plus élevés ne se rapportant pas directement à la prison de Valmiera, le professeur Kwiet a témoigné que les personnes devaient prêter serment quatre semaines après leur admission au sein de la scutzmannschaft. Il a également déclaré qu'il croyait que les gardes de la prison de Valmiera [TRADUCTION] « comme toutes les unités de police et de SS, étaient tenus de garder le silence au sujet de leurs activités, spécialement en ce qui concerne les crimes qu'ils commettaient ou dont ils étaient témoins » [5]. Vitauts Aunins, qui a témoigné devant la commission et qui a travaillé comme sentinelle ou gardien à la prison de Valmiera entre le mois de novembre 1941 et le mois de janvier 1943, a témoigné qu'il n'avait pas prêté serment.

[34]       Le témoignage que le professeur Kwiet a donné au sujet des fonctions exécutées par les gardiens de la prison de Valmiera reposait sur le récit de témoins qui n'ont pas comparu devant la Cour et sur le « règlement du camp de surveillance » des ghettos de Riga et de Kaunas. Il n'y avait plus de « règlement du camp de surveillance » en vigueur dans le cas de la prison de Valmiera. Extrapolant à partir de ces sources, il a déclaré que des gardes étaient postés aux tours de guet, aux guérites et à d'autres endroits le long du périmètre de sécurité du camp. Leur tâche consistait à empêcher l'évasion des détenus qui essayaient de percer la clôture de fil barbelé ou de s'échapper alors qu'ils se trouvaient à l'extérieur pour du travail. Pour ce faire, ils étaient armés et avaient le droit de faire feu sans servir d'avertissement.

[35]       Ce rappel des fonctions des gardes n'est pas entièrement compatible avec les éléments de preuve qui ont été portés à la connaissance de la Cour. Je suis convaincu, vu l'ensemble de la preuve qui m'a été soumise, que le complexe carcéral de Valmiera n'était pas clôturé. Il y avait des tours de guet qui encerclaient au moins deux des bâtiments où les prisonniers étaient logés, et le bâtiment qui sert toujours de prison était flanqué de quatre tours de guet.

[36]       Le témoignage du professeur Kwiet sur les fonctions des gardiens a été contredit par Vitauts Aunins, qui a témoigné que, malgré le fait qu'on lui avait remis une arme lorsqu'il avait commencé ses fonctions de sentinelle, les seules instructions qu'il avait reçues étaient de tirer en l'air si quelqu'un s'enfuyait. Il n'avait reçu aucune directive spéciale sur ce qu'il fallait faire si l'intéressé continuait sa fuite.

[37]       Suivant le professeur Kwiet et les témoins entendus par la commission qui se trouvaient à la prison de Valmiera à l'époque en cause, dans l'exécution de leurs fonctions habituelles, les gardes escortaient les groupes de travail jusqu'à leur lieu de travail. Les gardiens des ghettos de Riga et de Kaunas avaient reçu pour instruction de ne pas maltraiter les prisonniers. Le professeur Kwiet a cité les déclarations de personnes qui n'ont pas témoigné devant la Cour au sujet des divers comportements affichés par les gardes de la prison de Valmiera. À mon avis, ces déclarations ne sont pas admissibles, étant donné que j'ai entendu des témoignages sur les mêmes sujets de la part de personnes qui ont comparu devant mois lors de la commission rogatoire qui s'est tenue en Lettonie. Ainsi, les déclarations d'un ancien prisonnier, le docteur Berzins, contredisait le témoignage que cette même personne a donné devant la commission en août 1998, dans le cadre de la présente instance.

[38]       Suivant le professeur Kwiet, le changement d'appellation, d'EG à « camp de concentration » n'a rien changé à la vocation de la prison. Il s'explique plutôt par un conflit de compétences à la suite duquel la police de sécurité de Lettonie a rebaptisé ses camps de concentration pour éviter de céder le contrôle au bureau principal de l'économie et de l'administration SS en Allemagne, qui s'occupait en règle générale des camps de concentration. Suivant le professeur Kwiet, ce changement de nom n'a eu aucune incidence sur la composition de la population carcérale, qui était constituée de « prisonniers politiques » expression qui englobait tous ceux que la police de sécurité, les corps policiers contrôlés par les Allemands et les SS considéraient comme des opposants au régime. Suivant le professeur Kwiet, voici, après que tous les Juifs de la région eurent été tués ou détenus dans des ghettos (en date du 1er novembre 1941, la région de Valmiera avait été déclarée judenfrei), les personnes qui étaient incarcérées à la prison (EG) de Valmiera : les membres et les fonctionnaires du Parti communiste, son Mouvement de la Jeunesse et d'autres organismes affiliés, des partisans, des parachutistes et des prisonniers de guerre soviétiques qui avaient été capturés et remis entre les mains de la police de sécurité, les personnes qui s'étaient livrées à des actes de sabotage ou d'espionnage ou qui avaient adhéré au mouvement national de résistance letton, ceux qui avaient violé les lois antisémites en offrant un abri ou une cachette souterraine à des Juifs, ceux qui refusaient de travailler, ceux avaient écouté des émissions radiophoniques étrangères interdites et qui avaient fait courir les « rumeurs » qu'ils avaient entendues et, à plusieurs reprises, pendant quelques jours, des familles de Tsiganes. D'autres groupes étaient moins sévèrement punis et se voyaient offrir la possibilité d'être remis en liberté : ceux qui étaient accusés d'avoir appuyé le régime et les politiques soviétiques en Lettonie ou ailleurs et les sympathisants de la cause bolchevik.

[39]       Le professeur Kwiet a souligné que les camps de concentration de Salaspils et de Jungfernhof, qui sont en règle générale considérés comme des camps de concentration dans les livres d'histoire, étaient également désignés sous un autre nom, en l'occurrence celui de « prisons de police élargies » . Toutefois, en contre-interrogatoire, le professeur Kwiet a reconnu que, contrairement à Salaspils, Jungfenrhof et Kaiserwald, la prison de Valemeira n'est pas considérée comme un camp de concentration dans les livres d'histoire. Il a ajouté que le camp lui-même est méconnu dans les livres d'histoire, exception faite d'un article écrit en 1995 par Margers Vestermanis sous le titre de [TRADUCTION] « Prisons nazies et camps de la mort dans la Lettonie occupée entre 1941 et 1945 » . Devant la Cour, le professeur Kwiet a fourni une traduction libre d'un passage de cet article dans lequel on affirme que le camp

[TRADUCTION]

[...] était administré sous le nom officiel de Ersatzgefängnis Wolmar (prison de remplacement de Valmiera). La population carcérale était composée de quelque 500 prisonniers politiques, de Tsiganes, de prisonniers de guerre soviétiques, de politisch belastet, de prisonniers politiques ou [...] ayant des attaches politiques. Parmi les Tsiganes et les prisonniers de guerre, quelque 200 ont été exécutés au printemps 1942. Le lieutenant-commander Sileks [...] le démantèlement ou la fermeture du camp et le transfèrement des détenus au camp central de Salaspils à l'automne 1943[6].

[40]       En contre-interrogatoire, le professeur Kwiet a reconnu que, même s'il est vrai que les autorités allemandes ont donné pour instruction d'enregistrer tous les décès survenus dans les territoires occupés, il n'a vu aucune statistique à cet effet en ce qui concerne Valmiermuiza.

[41]       Citant un rapport statistique de la police de sécurité qui n'a pas été porté à la connaissance de la Cour, le professeur Kwiet a souligné qu'au 15 mars 1943, le nombre de détenus s'élevait à 417 (390 hommes et 27 femmes). Dans ce rapport, les prisonniers étaient qualifiés de schutzhäftlinge, terme qu'il a traduit par l'expression « prisonniers politiques détenus par la police de sécurité allemande » . À son avis, il ressort à l'évidence de l'emploi de ce terme que la « prison de remplacement » de Valmiera servait de schutzhaftlager, c'est-à-dire de camp de concentration relevant de la police de sécurité. Les détenus étaient arrêtés par la police auxiliaire lettone ou par la police allemande. À la suite d'un interrogatoire, la police de sécurité allemande imposait la sanction de la schutzhft ou « garde préventive » qui, selon le professeur Kwiet, consistait à [TRADUCTION] « incarcérer sans procès le délinquant au camp de concentration » [7].

[42]       La Cour a relevé de nombreuses contradictions entre le témoignage des témoins qui ont comparu devant la commission - d'anciens prisonniers et employés de la prison de Valmiera - au sujet du nom de la prison. Celle-ci a été désignée de diverses façons :

« EG » , « camp de concentration » , « ferme de colonie » , « Kremlin » . Parmi les témoins que la commission a entendus, deux personnes - un ex-détenu et un ancien employé - ont employé l'expression « camp de concentration » . Le docteur Berzins, qui était prisonnier à Valmiera à l'époque en cause, a employé l'acronyme EG pour parler de la prison tout en précisant que les habitants de Valmiera la désignaient également sous le nom de camp de concentration. Il a en outre témoigné qu'il s'agissait de [TRADUCTION] « l'appellation officielle du lieu » que l'on retrouvait dans les documents qu'il a reçus de la Croix-Rouge en Allemagne[8]. Bien qu'on ne lui ait pas communiqué le motif de son arrestation et qu'il n'ait pas bénéficié d'un procès, il a bel et bien reçu une note explicative de la Croix-Rouge allemande, qui lui a déclaré que le motif de son arrestation était une schutzhaft, qu'il a traduit par « garde préventive » . Il a retrouvé ce terme dans une loi allemande de 1934 autorisant le gouvernement allemand a détenir indéfiniment des gens sans leur fournir de motif. Pour ce qui est de la situation concrète à la prison de Valmiera, le docteur Berzins a relaté plusieurs exécutions. Il n'a été témoin que d'une seule d'entre elles ; dans les autres cas, il a entendu des coups de feu. Il a témoigné que son père, son frère et un certain nombre de compagnons de cellule avaient été conduits à la forêt de Kelderleja, qu'il avait entendu des coups de feu et que ces hommes n'étaient pas revenus. Il a été personnellement témoin de raclées à la prison de Valmiera à seulement quelques occasions.

[43]       Un autre témoin entendu devant la commission, M. Elmars Krauja, travaillait à l'époque en cause comme caissier à ce qu'il a appelé « la prison de Valmiera » . Il a déclaré qu'il y avait en fait deux prisons, la prison commune, qui était distante d'un kilomètre de Valmiermuiza, et le camp de concentration des « prisonniers politiques » , qui était situé sur les terrains mêmes du domaine. Il a travaillé aux deux endroits, d'abord au camp de concentration, puis à la prison, une fois que le camp avait été démantelé. Aucun autre élément de preuve n'a été soumis pour démontrer que la prison commune n'était pas située sur les terrains de Valmiermuiza. Je n'accepte donc pas son témoignage sur ce point. Plusieurs des caractéristiques de ce que le docteur Krauja a appelé le « camp de concentration » permettent de penser qu'il s'agit en fait de la prison de Valmiera. Il se souvient que le bureau administratif du camp était situé dans une maison blanche, ce qui a été corroboré par Tamara Kalve. Il se rappelle aussi que le camp avait engagé un commis appelé Tamara Kalve. Il a identifié le chef du camp comme était un certain Bunkaa [sic], vraisemblablement Runka, et se rappelle que ce dernier avait consulté un homme appelé Gottschalk, qui faisait partie du bureau de la police de sécurité allemande à Valmiera. Ainsi qu'on le verra plus en détail sous peu, il se souvient également de l'exécution de deux hommes au camp, en l'occurrence Gulbis et Saulitis, un événement corroboré par plusieurs anciens prisonniers et employés de la prison de Valmiera. Pour ces motifs, je conclus que le témoignage qu'il a donné au sujet du « camp » ou du « camp de concentration » se rapporte à la prison de Valmiera.

[44]       Malgré le fait que M. Krauja ait parlé d'un « camp de concentration » , les souvenirs qu'il conserve des opérations qui se déroulaient au camp, du moins de son point de vue de caissier, ne sont pas compatibles avec la définition généralement acceptée de l'expression « camp de concentration » . Son emploi de caissier l'amenait à recevoir les objets de valeur des prisonniers qui arrivaient - surtout des montres et des bagues -, objets que les gardiens lui remettaient et qu'ils entreposaient après les avoir consignés dans un registre. Les objets de valeur étaient remis aux prisonniers lors de leur élargissement. Il se souvient que la plupart des prisonniers politiques incarcérés au « camp de concentration » étaient finalement remis en liberté et que leurs objets de valeur leur étaient rendus. Hormis l'exécution susmentionnée de deux hommes, il ne pouvait se souvenir d'avoir été témoin d'actes de violence. Bien qu'ils ne permettent pas de trancher la question, ces détails laissent planer de forts doutes sur l'affirmation du professeur Kwiet selon laquelle la prison de Valmiera était un « camp de concentration » au sens où on l'entend généralement. Plus précisément, l'élargissement de la plupart des prisonniers et la remise de leurs objets de valeur est tout simplement incompatible avec ce qu'on connaît des camps de concentration.

[45]       Compte tenu du fait que, suivant la preuve, aucune appellation n'était employée de façon uniforme pour désigner la prison en question, du moins en ce qui concerne l'épithète litigieuse de « camp de concentration » , il est nécessaire de s'interroger sur l'exactitude de cette expression à la lumière du fonctionnement effectif de la prison de Valmiera. Tenant compte de cet aspect, je passe maintenant aux éléments de preuve relatifs aux conditions de vie à la prison de Valmiera qui ont été communiqués par le professeur Kwiet, ainsi que par les témoins qui ont témoigné devant la commission et par les anciens prisonniers et employés qui se trouvaient à la prison à l'époque en cause.

[46]       Le professeur Kwiet a tenté de décrire la configuration des lieux de la prison de Valmiera. Comme il n'a jamais visité le site de la prison, sa description est fondée sur des renseignements de seconde main provenant de déclarations de personnes qui n'ont pas témoigné devant la Cour. Je n'accorde pour cette raison aucune valeur à sa description du camp. Certaines des caractéristiques essentielles qu'il a décrites contredisent les observations de la commission, qui a entendu des témoins à Valmiera et qui s'est rendue sur place, à Valmiermuiza. Plus précisément, il a expliqué que le domaine de Valmiera était situé dans un espace clos et a affirmé que tous les prisonniers étaient gardés dans un bâtiment en briques rouges de deux ou de trois étages et que les hommes et les femmes étaient détenus séparément. Il a témoigné que le magasin se trouvait près de l'édifice de la prison. Pourtant, tous les témoins qui se trouvaient à Valmiermuiza au cours de la période en question, y compris d'anciens prisonniers et d'anciens membres du personnel, ont témoigné que les prisonniers étaient logés dans plusieurs bâtiments distincts et qu'ils étaient séparés en fonction de leur sexe et des infractions qu'on leur reprochait. Bien qu'ils divergent d'opinion quant à l'affectation de chaque édifice, les témoins en question ont tous affirmé que la prison de Valmiera était constituée de plusieurs bâtiments, contrairement à ce que le professeur Kwiet a affirmé. Ils ont également déclaré que le magasin se trouvait à environ un kilomètre de distance des divers édifices de la prison. Il convient surtout de souligner qu'ils ont déclaré que le magasin était à un kilomètre de ce qui semble avoir été la prison principale, qui était entourée de barbelés et qui était flanquée de quatre tours de guet, une à chaque coin du bâtiment.

[47]       La commission a pu confirmer ces témoignages lors de sa visite de Valmiermuiza. Le témoin qui a témoigné sur les lieux, Mme Tamara Kalve, a déclaré que les environs du magasin et du bâtiment administratif étaient ouverts, et non bouclés ou patrouillés par des gardiens. Les portes en pierre voisines que l'on devait franchir en passant de la grand route à Valmiermuiza étaient ouvertes en tout temps et les citoyens qui faisaient leurs emplettes au magasin était libres de circuler sur les terrains du domaine. Il n'y avait aucun garde de faction aux portes. En contre-interrogatoire, le professeur Kwiet a concédé que les renseignements qu'il possédaient étaient de seconde main et qu'ils pouvaient être inexacts. Les témoins qui croyaient à l'existence d'un camp de concentration à Valmiermuiza étaient incapables de s'entendre sur le bâtiment où se trouvait le camp de concentration.

[48]       Le témoignage du professeur Kwiet suscite des réserves semblables en ce qui concerne la structure organisationnelle et la situation qui existait à la prison de Valmiera. Il a parlé d'un [TRADUCTION] « régime brutal et sévère auquel les détenus étaient soumis » , citant des déclarations de personnes qui n'ont pas témoigné devant la Cour[9]. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a reconnu que deux des quatre personnes citées n'appuyaient pas cette conclusion, la première ayant déclaré que le pire traitement auquel les détenus étaient assujettis étaient de se faire invectiver par les gardiens et l'autre ayant affirmé que les prisonniers étaient bien traités. Sur d'autres aspects de l'organisation du camp, tels que la question de savoir si les gardiens de la prison de Valmiera devaient prêter serment, le professeur Kwiet a extrapolé à partir de ses connaissances des méthodes policières et carcérales utilisées par les Allemands en Lituanie et en Estonie pour en conclure que les mêmes méthodes étaient suivies en Lettonie et, partant, à la prison de Valmiera. Compte tenu des difficultés rencontrées pour confirmer et vérifier le témoignage du professeur Kwiet sur bon nombre des méthodes utilisées et de la situation qui existait à la prison de Valmiera, je ne peux attribuer qu'une valeur négligeable à cet aspect de son témoignage. Sur ces questions, le témoignage du professeur Kwiet doit être examiné à la lumière du témoignage des personnes qui ont témoigné devant la commission et qui étaient détenues ou employées à la prison de Valmiera à l'époque en cause.

[49]       Suivant le professeur Kwiet, les prisonniers souffraient de la faim. Il a cité des déclarations de témoins ayant affirmé que les prisonniers recevaient moins de 200 grammes de pain par jour, ainsi qu'une soupe claire faite de légumes bouillis. Il a également cité le témoignage d'un ancien gardien de la prison de Valmiera suivant lequel les prisonniers n'étaient pas très bien nourris et étaient très faibles, même s'ils ne crevaient pas de faim. Parmi les témoins que la commission a entendus, deux d'entre eux, qui étaient détenus à la prison de Valmiera à l'époque en cause, ont témoigné au sujet de la nourriture au camp. Anna Vaitkus était emprisonnée au camp en novembre 1941 pour sa présumée participation au vol d'un cheval alors qu'elle était membre de la Ligue des jeunes communistes. Elle a déclaré que, même si les prisonniers avaient droit à de l'eau potable, on ne leur donnait pas de lait (bien qu'on lui ait donné une tasse de lait après qu'elle eut contracté la tuberculose). Elle se souvient que la nourriture était exécrable et que [TRADUCTION] « un bon maître nourrit mieux son chien que ce qu'on nous donnait à manger » [10]. Au petit déjeuner, on leur donnait un demi-litre de café de glands et 200 grammes de pain sec. Le repas suivant consistait en une soupe contenant quelques pommes de terre, du chou et des feuilles de betterave. Le repas du soir était constitué d'une soupe claire contenant des vers. M. Timermanis, qui était incarcéré le 17 décembre 1941, a évoqué une diète semblable, affirmant que la nourriture était [TRADUCTION] « tellement mauvaise qu'elle n'aurait pu être pire » [11].

[50]       Le témoignage du professeur Kwiet au sujet du [TRADUCTION] « régime brutal et sévère auquel les détenus étaient soumis » a été confirmé à divers degrés par les témoins que la commission a entendus. Mme Vaitkus a séjourné 15 mois à la prison. Au cours de son incarcération, elle était surveillée par des matrones, des gardiennes. Les gardiens se contentaient de s'assurer que chacun revienne du travail. Elle a témoigné que, comme elle était une personne obéissante et calme, elle n'était pas maltraitée par les matrones, ne recevant à l'occasion que des réprimandes. Mme Vaitkus a été remise en liberté en mars 1943, après avoir approché un certain M. Zicevs, qu'elle a qualifié de [TRADUCTION] « assistant du directeur général » du bureau de la police de sécurité. Elle a été relâchée après avoir exprimé ses regrets au sujet de son adhésion à la Ligue des jeunes communistes et des activités qu'elle avait exercées à ce titre.

[51]       Mme Vaitkus se rappelle d'avoir vu deux actes de violence commis contre d'autres personnes. Dans le premier cas, une femme qui avait été emmenée à la prison en même temps qu'elle avait été punie pour avoir caché le drapeau letton dans de la sciure de bois. Mme Vaitkus se souvient qu'elle a été violemment battue et qu'elle a regagné ses quartiers [TRADUCTION] « couverte de bleus et d'ecchymoses « [12]. Mme Vaitkus a également relaté l'exécution de deux détenus en février 1942. Tous les détenus et membres du personnel de la prison ont été forcés d'assister à l'exécution. Son récit de cet incident est corroboré par plusieurs autres témoins de la Commission et a également été cité par le professeur Kwiet. Elle se souvient que c'est ce jour-là qu'elle a vu des Allemands à la prison. Ce matin-là, elle et les autres prisonniers qui étaient détenus dans un pavillon appelé « la tour » n'ont pas été conduits au travail. Le directeur de la prison, Runka, et les gardiennes leur ont donné l'ordre de s'habiller et de se rassembler dans la cour de la prison par groupes de deux en face des hommes, qui étaient déjà regroupés. Des gardes armés jusqu'aux dents étaient présents, ainsi que des membres de la police de sécurité.

[52]       Le chef de la police de sécurité a déclaré que deux détenus devaient être punis et on est alors allé chercher deux hommes dans la tour. Le témoin a reconnu l'un des deux hommes, M. Saulite (ou Saulitis, ainsi qu'un autre témoin oculaire qui a témoigné l'a appelé) : il était un de ses voisins dans de sa ville d'origine. Les deux hommes ont été conduits à l'extérieur de l'enceinte clôturée où les détenus avaient été rassemblés. Un officiel en visite a prononcé en allemand quelques paroles que Runka a traduites en lettonien. Les deux hommes ont reçu l'ordre de se retourner. Saulite est tombé à genoux et a supplié qu'on lui laisse la vie sauve, alors que l'autre homme, Gulbis, qui était originaire de la ville de Valmiera, a refusé de se retourner et s'est adressé aux hommes du peloton d'exécution en les mettant au défi de lui [TRADUCTION] « tirer en pleine face » . Les deux hommes ont été abattus par les bourreaux lettons. Un des Allemands s'est approché des deux hommes et leur a tiré des coups de feu à la tempe. On les a laissés gisant dans la neige et les prisonniers qui avaient été rassemblés ont reçu l'ordre de regagner leur cellule. Mme Vaitkus se souvient que le « délit » reproché aux deux hommes était d'avoir lu un journal ou d'avoir rapporté un journal à la prison.

[53]       Le témoignage qu'elle a donné au sujet de cet incident a été corroboré, avec plus ou moins de détails, par les autres témoins qui ont témoigné devant la commission, notamment par d'anciens prisonniers et d'anciens employés, dont Mme Kalve et M. Krauja. Suivant Mme Kalve, tous les membres du personnel avaient reçu l'ordre strict d'assister à l'exécution.

[54]       M. Timermanis a témoigné au sujet des autres actes de violence dont il a été témoin au cours de son incarcération. Interrogé sur la question de savoir s'il avait jamais été payé pour le travail qu'il avait effectué au cours de son incarcération, il a répondu que la seule rémunération qu'il avait touchée était [TRADUCTION] « des coups de poing et des coups de pied » [13]. M. Timermanis a toutefois dit la même chose en ce qui concerne toute sa période d'incarcération, laquelle comprenait son internement subséquent dans des camps connus sans équivoque comme étant des camps de concentration, à savoir Salaspils, Stuthof et Mauthausen. On ne sait pas avec certitude si ses propos se rapportent à la prison de Valmiera. Parlant plus particulièrement de la prison de Valmiera, il s'est rappelé qu'un des gardiens était [TRADUCTION] « une brute » et il a affirmé que tous les gardiens agissaient de la même façon envers les détenus[14]. Il se souvient également que chaque prisonnier se voyait attribuer une lettre (A, B ou C), qui était cousue sur son uniforme. La cote A était attribuée aux cas les plus lourds, c'est-à-dire aux prisonniers qui devaient être exécutés à Kelderleja. Même s'il ne portait pas lui-même d'uniforme, M. Timermanis a été classé dans cette catégorie A pour des raisons qu'il ignorait.

[55]       M. Timermanis se souvient que les gardiens avaient l'habitude de se rassembler dans un pavillon appelé la Maison bleue, qui était situé près des portes est du domaine. Le magasin de la prison se trouvait aussi dans ce bâtiment. Au cours du printemps 1942, M. Timermanis a reçu l'ordre, en compagnie de cinq autres détenus, de nettoyer le lieu où les gardiens se rencontraient, qu'il a qualifié de cafétéria. Lorsque les gardiens sont arrivés, un ancien gardien de prison, qui avait déjà été directeur de la prison, Silnieks, qui était ivre, a enfoncé un revolver dans l'estomac des détenus et a menacé de tous les abattre. Une autre fois, M. Timermanis, qui était en détachement de corvée en train de décharger du bois d'un train lorsqu'il a commencé à fumer la cigarette qu'un cheminot lui avait offerte. Le surveillant, Vilis Krastins, lui a demandé de descendre du train, l'a appuyé contre la porte de l'entrepôt, a braqué son fusil sur son épaule et a menacé de le tuer.

[56]       Le docteur Berzins a été interrogé au sujet des actes de violence dont il avait été témoin alors qu'il était incarcéré à la prison de Valmiera. Il s'est rappelé les exécutions massives qui ont eu lieu le 26 juillet 1941. Les personnes qui devaient être abattues ont été conduites à l'extérieur des cellules situées au rez-de-chaussée du bâtiment. Sur les 35 prisonniers qui se trouvaient dans le bâtiment, seulement cinq ont survécu au massacre. Il n'a pas vu la tuerie, mais a entendu les coups de feu par la fenêtre de sa cellule. Les coups de feu provenaient de la direction de Kelderleja, qui se trouvait à deux ou trois kilomètres de la prison. Parmi les personnes qui ont été exécutées se trouvaient le père du docteur Berzin, le frère de son père, beaucoup de personnes de sa paroisse, ainsi que plusieurs détenus qui avaient partagé sa cellule. Le 9 août 1941, après avoir été transféré dans une autre prison du domaine, il a entendu des coups de feu qui provenaient de la rivière Gauza. Une autre fois, il a vu une vingtaine de prisonniers russophones qui traversaient sous escorte le champ situé devant l'atelier d'ébénisterie où il travaillait. Par la fenêtre du bâtiment, il a vu ces prisonniers qu'on conduisait jusqu'au parc Irshu et peu de temps après, il a entendu des coups de feu. Un soir, au cours de l'été 1943, il a entendu des gens, dont le directeur de la prison, Runka, entrer dans le bâtiment et emprunter le corridor. Il a ensuite entendu [TRADUCTION] « des coups et des gémissements » [15]. Le docteur Berzins a affirmé n'avoir personnellement été témoin de raclées qu'à quelques reprises à la prison de Valmiera.

[57]       Mme Kalve a fait état dans son témoignage de plusieurs cas d'exécutions massives. Sa connaissance de ces événements était toutefois vague et reposait uniquement sur des rumeurs, et non sur des observations personnelles. Elle avait entendu parler de Kelderleja, et a témoigné qu'un nombre considérable de personnes y avaient été massacrées. Elle se souvient que ce lieu était distant de six à huit kilomètres du bâtiment de l'administration. Parmi les gens qui avaient été exécutés se trouvaient des prisonniers politiques, dont certains provenaient de la prison de Valmiermuiza, des Juifs et peut-être aussi des Tsiganes. Elle ne savait pas au juste quand ces exécutions avaient eu lieu, ne se souvenant avec précision que d'un seul incident. Elle ne savait pas qui était responsable du massacre, se rappelant seulement que c'était un commando spécial de Valmiera.

[58]       Les personnes que la commission a entendues ont témoigné au sujet du travail qu'effectuaient les prisonniers à la prison de Valmiera. Au cours de son incarcération, Mme Vaitkus a travaillé au bureau de la police de sécurité en ville, où se travail consistait à repriser des vêtements, à laver les planchers, à s'occuper des fours et à laver la vaisselle. Elle était escortée en ville chaque jour avec ses compagnons de travail par des gardes armés qui travaillaient à la prison. M. Timermanis a, pour sa part, mentionné les diverses tâches auxquelles il a été affecté, notamment le nettoyage de la « cafétéria » des gardes à la Maison bleue et le déchargement du bois des trains. Il travaillait aussi à l'usine de lin. Il se souvient d'avoir réussi une fois à s'échapper sans être vu d'un groupe de travailleurs. Il n'a pas été puni, mais on lui a par la suite interdit de travailler à l'extérieur de la prison.

[59]       L'autre ex-détenu qui a témoigné, le docteur Berzins, se souvient d'avoir été affecté à deux tâches : le nettoyage des champs, et son travail à l'atelier de menuiserie de Valmiermuiza. Il estimait qu'il avait de la chance d'avoir été affecté à ce travail, qualifiant le gardien qui dirigeait l'atelier, Antons Liepa, de [TRADUCTION] « personne formidable » [16]. Il se rappelle été traité [TRADUCTION] « relativement bien » à l'atelier de menuiserie mais [TRADUCTION] « beaucoup moins bien » par les gardiens qui l'escortaient jusqu'à son lieu de travail[17]. Le docteur Berzins se souvient également avoir été envoyé à deux reprises travailler au magasin. Il a été conduit au magasin et confié à son propriétaire ou gérant, M. Podins, qui lui a donné l'ordre de préparer des cartes de rationnement. Le docteur Berzins était heureux d'avoir été affecté à ce travail, qui lui permettait de manger à la cuisine des gardiens pendant qu'il travaillait au magasin. Il se souvient que le docteur Podins portait une chienne de magasinier. Il n'y avait aucun militaire au magasin et il n'avait jamais vu M. Podins faire un salut.

[60]       Mme Kalve, qui était l'adjointe de l'expert-comptable principal de la prison de Valmiera à l'époque en cause et qui s'occupait de la comptabilité de la division de l'administration interne de la prison (agriculture, élevage des porcs et jardinage) se souvient du travail effectué par les prisonniers. Elle a établi une distinction entre les prisonniers politiques et les « criminels » à court terme condamnés à des peines plus légères, se rappelant que seuls ces derniers avaient le droit de travailler à l'extérieur du camp. Les prisonniers étaient toujours escortés jusqu'à leur lieu de travail par des gardes connus sous le nom de uzraugs ou de kartibnieks, dont certains portaient l'uniforme. Le superviseur adjoint de la prison, ainsi qu'une autre personne dont elle ignore le titre, étaient autorisés à donner aux prisonniers l'ordre d'exécuter des tâches déterminées. Les prisonniers étaient souvent envoyés travailler par groupes, et elle se souvient que des prisonniers avaient été dépêcher auprès de particuliers et d'agriculteurs de la région pour effectuer certains travaux comme couper du bois et faire la lessive. Elle se rappelle en avoir vu travailler aux champs et aux écuries à Valmiermuiza. Les produits et les denrées provenant du travail des détenus étaient vendus à profit. Les bénéfices étaient réinvestis dans la ferme et, selon ce que Mme Kalve a présumé, un certain pourcentage était versé au ministère et aux superviseurs de Riga. Elle a témoigné que les prisonniers qui travaillaient à l'usine de lin touchaient un pourcentage des profits, dont une partie leur était versée directement. On conservait le reste pour eux jusqu'à leur remise en liberté. Mme Kalve ne se rappelle pas qu'un prisonnier ait refusé de travailler, faisant remarquer qu'ils étaient intéressés à travailler parce qu'ils étaient rémunérés. Seuls les malades ne travaillaient pas.

[61]       Je constate qu'aucun des anciens prisonniers qui ont témoigné devant la commission n'a corroboré le témoignage de Mme Kalve suivant lequel les prisonniers étaient rémunérés. On leur a tous demandé s'ils recevaient une rémunération. Ils ont tous répondu par la négative. J'en conclus donc qu'ils n'étaient pas payés pour le travail qu'ils effectuaient à la prison de Valmiera.

[62]       La prison de Valmiera a cessé ses activités en septembre 1943, et ses prisonniers ont été transférés au camp de concentration de Salaspils. Suivant le professeur Kwiet, cette mesure s'inscrivait dans le cadre du plan conçu par les Allemands en vue de diminuer le nombre de camps de petite taille et de regrouper les prisonniers politiques dans des camps de concentration centraux plus importants. Il a spéculé que la plupart des gardiens de la prison de Valmiera avaient été redéployés dans divers organismes de police auxiliaire et il a souligné que la plupart de ces personnes avaient en fin de compte été mobilisées au sein de la légion lettone, également connue sous le nom de Waffen SS.

[63]       Je conclus qu'il n'y avait pas de camp de concentration à Valmiermuiza. Il y avait bien une prison, qui logeait des détenus répartis dans divers bâtiments. La vie était brutale, mais on ne saurait la comparer avec l'horreur des camps de concentration. Aucune des personnes qui a témoigné n'a été battue, malgré le fait que certaines avaient entendu parler de raclées occasionnelles. Parmi les témoins que la Commission a entendus, quatre ont parlé d'une exécution dont ils n'ont pas été personnellement témoin, en l'occurrence celle de Gulbis et de Saulitis. Aucune preuve originale de ces massacres n'a toutefois été présentée, et on ne sait pas avec certitude si ses présumées tueries sont reliées à la prison de Valmiera, étant donné qu'elles auraient eu lieu à l'extérieur des terrains de la prison. Même en faisant abstraction de la difficulté que soulève le fait que ces récits sont fondés sur du ouï-dire, les incidents en question, bien que troublants, ne permettent pas de croire qu'il existait à Valmiera le type de programme de massacres systématique qui caractérisait les camps de concentration. Les journées de travail étaient longues, mais ne constituaient pas une menace pour la vie. La nourriture était infecte, mais personne n'est mort de faim. Ce n'était pas une prison selon les normes canadiennes, mais cela n'en fait pas pour autant un camp de concentration.

HISTOIRE PERSONNELLE DU DÉFENDEUR

[64]       M. Podins est né le 5 juin 1918 à Renceni, en Lettonie, une ville située à une quinzaine de kilomètres de Valmiera. Il a grandi sur une ferme qui appartenait à son père. Il avait trois frères et une soeur et se situait au milieu de la fratrie. Il avait huit années de scolarité, ayant été pensionnaire dans une école située à une dizaine de kilomètres de la ferme de ses parents. Pendant toute cette période, il travaillait à la ferme au cours de l'été ou lorsqu'il revenait chez lui. Alors qu'il fréquentait l'école, il est tombé et s'est fracturé la rotule (le genou) en jouant au football.

[65]       Il a quitté la ferme à l'âge de 17 ans et est devenu apprenti chez son frère aîné, Janis, qui était commerçant dans la ville de Tukums, dans la région de Kurzeme, en Lettonie, à l'extérieur de Riga. Il a travaillé pendant un an dans ce commerce. Il a ensuite travaillé brièvement pour des parents jusqu'à ce que son oncle l'aide à se trouver un poste d'employé de commerce dans une coopérative de Valmiera. Il a commencé comme jeune vendeur et à l'arrivée des Russes, en 1940, il avait pris la tête de l'épicerie. L'occupation russe n'a pas changé grand chose à sa vie. Il a continué à travailler au magasin. Il aimait son travail. Il a témoigné qu'il régnait néanmoins un climat de peur au cours de l'occupation russe et que les gens s'abstenaient de parler de crainte d'être trahis par un informateur.

[66]       Lorsque les Allemands sont arrivés au cours de l'été 1941, les approvisionnements ont graduellement diminué à la coopérative et il a été mis à pied au début de septembre. Il s'est rendu à la bourse du travail et a obtenu un emploi comme apprenti cheminot. Il a commencé à travailler le 5 octobre ou vers cette date et, au bout d'un mois, a été envoyé à Riga pour subir un examen. Il a toutefois échoué à l'examen et on lui a dit de revenir un mois plus tard. À son retour à Valmiera, la bourse du travail l'a informé qu'un poste se libérerait à l'épicerie de la prison de Valmiera située sur le territoire de Valmiermuiza. Il connaissait M. Neimanis, la personne qui dirigeait le magasin, et il a obtenu l'emploi. Suivant M. Podins, environ une semaine s'était écoulée entre le moment où il avait échoué à l'examen pour le poste aux chemins de fer et était revenu à Valmiera et le moment où la bourse du travail avait communiqué avec lui. Il a commencé à travailler à la prison de Valmiera le 17 novembre 1941. Comme M. Neimanis est demeuré au magasin pour un certain temps, M. Podins a d'abord travaillé comme vendeur. Le départ de M. Neimanis a été retardé et M. Podins a travaillé avec lui plus longtemps que prévu, peut-être trois mois. Il a témoigné que, même s'il avait l'âge de faire son service militaire, il n'est pas entré dans l'armée parce que son genou n'avait pas bien guéri.

[67]       Interrogé sur la question de savoir s'il pouvait travailler ailleurs qu'à la prison de Valmiera, il a déclaré : [TRADUCTION] « Si vous voulez vivre, si vous voulez manger et vivre et payer vos factures, il faut travailler et c'était un principe que tout le monde travaille et tous devaient se plier à cette règle » [18]. Lorsqu'on lui a demandé expressément pourquoi il n'était pas allé travailler à la ferme familiale, il a répondu qu'il n'aimait pas le travail de la ferme. Il a également déclaré qu'il n'avait pas demandé cet emploi, mais que c'était la bourse du travail qui l'avait envoyé là-bas et qu'il aurait été envoyé dans un camp de travail s'il n'avait pas accepté ce travail. Toutefois, interrogé plus à fond, il a convenu qu'il aimait [TRADUCTION] « le travail de pardevj (vendeur) parce qu'[il avait] reçu une formation pendant plusieurs années comme vendeur » [19]. À divers moments au cours de son contre-interrogatoire, lorsqu'on lui a laissé entendre qu'il avait collaboré avec les Allemands, M. Podins a répondu qu'il n'avait pas eu le choix. La preuve ne démontre cependant pas que M. Podins a été contraint ou forcé de travailler à la boutique de la prison de Valmiera. Il ne disposait peut-être pas d'un large éventail de possibilités d'emplois dans son domaine, mais il n'a pas été forcé de travailler au magasin de la prison de Valmiera.

[68]       Une série de documents qui ont été produits démontrent que M. Podins a été embauché comme policier auxiliaire par la police de sécurité allemande pour occuper le poste de « gardien » à la prison de Valmiera. Une lettre datée du 17 novembre 1941, date à laquelle M. Podins a été engagé par la prison, est adressée au « Chef de la police politique de la région de Valmiera » . En voici un extrait : [TRADUCTION] « Je sollicite un rapport sur les opinions politiques de Eduards Podins, né le 5 juin 1918 et domicilié au numéro 32 de la rue Riga, à Valmiera, qui est entré en service au camp qui m'est subordonné » . Cette lettre est signée « le chef intérimaire » [de la prison], A. Runka. Un autre document intitulé « certificat » daté du 7 mai 1943 est ainsi libellé : [TRADUCTION] « La présente certifie qu'Eduards Podins, né le 5 juin 1918, a servi comme policier au sein du service de la police du district de Valmiera entre le 17 novembre 1941 et le 1er avril 1943 » . Ce document est signé par A. Runka, chef de la prison du district de Valmiera et par E. Rungulis, commis chef adjoint.

[69]       Dans un document non daté intitulé [TRADUCTION] « Liste des brassards des employés de l'EG du district de Valmiera » , le nom « Podins, Eduards » figure au 52e rang. Sa « profession » est celle de « policier » (kartibnieks, dans la version lettone originale) et son « numéro de brassard » est le 2134. Le document est signé par le « chef de l'EG de Valmiera, A. Silins » et parle du « commis principal, S. Spalis » . Au-dessus des signatures, on trouve la note suivante : [TRADUCTION] « NOTA : Les brassards 1 à 58 ont été distribués, alors que les brassards 59 à 75 ne l'ont pas encore été » . Il en ressort que M. Podins s'était vu remettre un brassard. Sous la rubrique [TRADUCTION] « Signature sur réception » , on trouve le symbole « " » , qui signifie qu'il a accusé réception du brassard comme les personnes dont le nom figurait au-dessus du sien. En contre-interrogatoire, M. Podins a témoigné que A. Silins était le directeur de l'EG et qu'il avait par la suite été remplacé par Arnolds Runka. M. Podins a témoigné qu'il ne se souvient pas avoir reçu de brassard et qu'il n'en avait jamais porté, étant donné qu'il n'était pas tenu de le faire. Aucun témoin, y compris les anciens prisonniers, n'a jamais vu M. Podins porter de brassard. Je conclus que M. Podins ne portait pas de brassard lorsqu'il travaillait à la prison de Valmiera.

[70]       Une autre série de documents portent sur les fonctions que M. Podins a exercées à la prison de Valmiera à titre d'employé et de policier. Une déclaration datée du 21 juin 1943 et signée par Runka atteste que [TRADUCTION] « le policier Eduards Podins » a besoin de deux pneus de bicyclette et de deux chambres à air » . Un autre document porte sur la [TRADUCTION] « liste des employés de l'EG du district de Valmiera qui ont le droit de recevoir des cartes de rationnement au 25 janvier 1943 » . Le nom de « Podins, Eduards » figure au numéro 43, et sous la rubrique [TRADUCTION] « poste occupé » , on trouve la mention [TRADUCTION] « policier » . Ces noms sont cochés, y compris celui de M. Podins. M. Podins a témoigné qu'il ne se souvenait pas avoir reçu de telles cartes de rationnement de l'armée. Un autre document énumère les employés de la prison du district de Valmiera qui avaient le droit de recevoir des cartes de rationnement de l'armée en date du 22 février 1943. Le nom de « Podins, Eduards » figure au 43e rang sous la catégorie [TRADUCTION] « policier » (kartibnieks, dans la version lettone). Bien que certains des noms figurant sur cette liste aient été cochés, aucune marque ne figure a côté du nom de M. Podins.

[71]       Une lettre écrite en allemand au chef de la sicherheitspolizei allemande (la police de sécurité) de Valmiera et portant la date du 30 juillet 1943, est intitulée [TRADUCTION] « rapport » . Elle renvoie à une liste annexée des employés de la prison de Valmiera ou de la prison de remplacement ayant droit à des cartes de rationnement de la wehrmacht (des Forces armées). On y demande également d'autres directives de manière à ce que les cartes en question puissent être remises pour une période de quatre semaines. Cette lettre porte la signature de A. Runka, directeur de la prison de Valmiera, et de J. Devits, commis à la même prison. La liste annexée à ce document porte le titre de [TRADUCTION] « Liste des membres de l'ersatzfängnis de Valmiera exerçant des fonctions à l'extérieur et ayant droit aux cartes de rationnement de la wehrmacht du 2 août 1943 » . Le nom « Runka, Arnolds » apparaît en premier sous le titre de « chef » . Le nom « Podins, Eduards » figure au 39e rang avec le titre de schutzmann.

[72]       Voici un extrait d'un autre document daté de juillet 1943 et signé par le directeur de la prison Runka, ainsi que par le secrétaire intérimaire L. Auzenberga :

[TRADUCTION]

Les membres du personnel de l'EG du district de Valmiera qui, en plus des coupons afférents aux cartes de rationnement de savon, ont également droit à des rations supplémentaires de cigarettes conformément au paragraphe 6 de la « Directive concernant l'ordre de distribution des produits du tabac » annoncée dans le numéro 197 du 27 septembre 1942 du Journal officiel des directives.

C'est d'abord le titre de [TRADUCTION] « chef » qui figure à côté du nom « Runka, Arnolds » . Fait intéressant à souligner, la liste comprend le nom d'employés civils exerçant diverses professions, ainsi que des policiers. Ainsi, Elmars Krauja, qui a témoigné devant la commission à Valmiera, apparaît au numéro 6, où la profession qu'on lui attribue est celle de « caissier » . Plusieurs professions non reliées à la police ou à l'armée sont énumérées, dont celles de [TRADUCTION] « secrétaire » , [TRADUCTION] « technicien » et [TRADUCTION] « professeur d'ébénisterie » . Le nom de « Podins, Eduards » apparaît au 37e rang, et la profession qu'on lui attribue est celle de « policier » (kartibnieks). Le nom de M. Podins figure également au numéro 63 sur une liste de juin 1943 intitulée [TRADUCTION] « Membre du personnel de l'EG du district de Valmiera qui reçoivent des cartes de rationnement alimentaire de l'armée et qui ont jusqu'à maintenant reçu un demi-litre d'alcool toutes les quatre semaines [...] »

[73]       Lorsqu'on lui a présenté ces documents, M. Podins a nié à plusieurs reprises avoir jamais travaillé comme policier à la prison de Valmiera. Il a déclaré : [TRADUCTION] « Mon nom figurait sur la liste de paye parce qu'il n'y avait pas de poste de magasinier. À Valmiermuiza, ils indiquaient [TRADUCTION] "police, police auxiliaire" » [20].

[74]       Ces explications ont été corroborées par Tamara Kalve qui, comme il a déjà été signalé, travaillait à l'époque en cause comme assistante de l'expert-comptable principal et qui s'occupait de la comptabilité des deux services d'entretien de la prison. On lui a montré un document remontant à juin 1943 intitulé [TRADUCTION] « Liste des attestations d'identification de service du personnel du camp et de l'entretien de l'EG de la région de Valmiera » . Invitée à donner son avis au sujet du poste de kartibniek (policier) officiellement attribué à M. Podins, Mme Kalve a déclaré : [TRADUCTION] « Eduard Podins travaillait au magasin. Officiellement, son nom figurait sur la liste des kartibnieks et sur la liste des gardiens, pour des raisons de salaire » [21]. Elle a poursuivi en expliquant qu'au début de l'occupation allemande, avant que M. Podins ne soit embauché, le magasin, qui devait répondre aux besoins des employés de la prison, ne fonctionnait pas bien. Quelques femmes y travaillaient, mais le magasin était en désordre. À l'époque, le ministère n'avait pas autorisé la prison à engager des femmes au magasin, étant donné qu'elles ne figuraient pas sur la liste des employés. Mme Kalve ne se souvient pas comment ces femmes étaient payées. Elle se rappelle cependant que, vers 1941, lorsque les femmes sont parties, il a été proposé d'engager un nouvel employé pour le magasin et de l'inscrire sur la liste de paye du ministère en tant que kartibniek. M. Podins a été engagé pour travailler au magasin et son titre officiel de kartibniek ou de schutzmann reflétait cette décision administrative, qui lui permettait de toucher un salaire régulier. On a montré à un autre témoin qui a comparu devant la commission et qui avait déjà travaillé à la prison, M. Krauja, une liste dans laquelle M. Podins était qualifié de kartibniek. Il a témoigné que M. Podins n'avait jamais été un kartibniek au sens où il l'entendait.

[75]       M. Podins a qualifié Valmiermuiza de [TRADUCTION] « ferme collective » et de prison. Il a ajouté qu'on l'appelait également « le Kremlin » . Il a expliqué que la prison était éloignée du magasin et a affirmé qu'il ne se trouvait jamais sur la partie du terrain réservée à la prison. Le magasin se trouvait en périphérie du domaine, près de la route conduisant à la ville.

[76]       Ainsi qu'il a déjà été souligné, la Cour s'est rendue à Valmiermuiza, où elle a entendu le témoignage de Mme Kalve. Le témoignage que Mme Kalve a donné au sujet de l'emplacement et de l'affectation des divers bâtiments qui composaient Valmiermuiza et la prison a toutefois été contredit par les cinq autres personnes qui ont témoigné devant la commission sur ces questions. Les témoins se sont par ailleurs beaucoup contredits sur ces points. En outre, ainsi qu'il a déjà été signalé, aucun plan ou schéma de Valmiermuiza n'a été déposé en preuve ou présenté aux témoins. Je ne puis donc tirer beaucoup de conclusions au sujet de la configuration réelle de Valmiermuiza, notamment de la prison, ou en ce qui concerne la vocation et l'état de chacun des bâtiments où des prisonniers auraient été incarcérés.

[77]       Toutefois, compte tenu de la descente sur les lieux que la commission a effectuée et vu les éléments de preuve portés à la connaissance de cette dernière, je juge crédible le témoignage que M. Podins a donné au sujet de la configuration des lieux à Valmiermuiza et de la distance qui séparait le magasin des bâtiments de la prison. Le magasin, et le bâtiment administratif avoisinant où M. Podins déposait les recettes du magasin, était situé entre ces deux zones. Bien que le magasin n'existe plus, le bâtiment blanc de l'administration est toujours là. Le bâtiment qui semble avoir servi de prison principale et qui était connu sous le nom de « Kremlin » existe toujours et sert encore de prison. Il est situé à environ un kilomètre de l'emplacement du magasin et de l'édifice de l'administration. Ainsi donc, dans l'exercice normal de ses fonctions, M. Podins ne se trouvait pas aux abords immédiats de la prison.

[78]       De l'autre côté du magasin [c'est-à-dire dans la direction opposée de celle du Kremlin] et du bâtiment de l'administration se trouvent deux bâtiments désaffectés qui, selon les témoins qui ont été entendus par la commission, servaient de prisons au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il semble que l'un de ces bâtiments était appelé « la Colonie » et l'autre, un château en ruines, « la Tour » . Les témoins ont fait des déclarations fort divergentes au sujet du type de prisonniers qui étaient incarcérés dans ces bâtiments et en ce qui concerne la nature de leurs conditions de détention. Néanmoins, peu importe leur affectation, ces bâtiments ne sont plus visibles du magasin, à cause des arbres. Aucun élément de preuve n'a été présenté pour démontrer que ce secteur était dépourvu d'arbres ou que les bâtiments étaient visibles du magasin lorsque M. Podins y travaillait. Je trouve donc crédible son affirmation qu'il ne pénétrait pas dans les bâtiments en question de la prison ou qu'il ne les voyait pas régulièrement dans l'exercice de ses fonctions au magasin.

[79]       M. Podins a longuement été interrogé au sujet des fonctions qu'il exerçait véritablement à la prison. Il a décrit son programme quotidien. Pendant toute la durée de son emploi à la prison, M. Podins vivait avec son frère cadet Gunnars au 32, de la rue Riga, à Valmiera, et se rendait au travail à bicyclette. Il était très occupé et travaillait en règle générale entre cinq jours et demi et sept jours par semaine. Il a affirmé qu'il n'y avait pas assez de travail pour deux personnes, mais qu'après le départ de M. Neimanis, il y en avait trop pour une seule personne. Au début, il était l'assistant de M. Neimanis. Lorsqu'il a quitté son emploi, en 1943, il était gérant du magasin ou, en lettonien, veikal vedis. Sa journée de travail commençait à huit heures le matin, heure à laquelle il s'arrêtait en route à la laiterie où il passait prendre du lait pour la cantine située dans le même édifice que le magasin. Il ouvrait ensuite le magasin et accueillait les clients.

[80]       Le magasin servait surtout d'épicerie, mais on y vendait aussi d'autres marchandises. Parfois, les clients lui demandaient de trouver des marchandises difficiles à dénicher à cette époque. Il s'efforçait d'exécuter ces commandes le soir. Sa clientèle était composée de gardiens, d'employés de la prison et de leur femme et de la population locale. Il n'y avait pas d'autre magasin dans le secteur.

[81]       Dans le même bâtiment que le magasin se trouvait une cantine où le personnel de la prison se rencontrait pour bavarder et pour déjeuner. M. Podins a témoigné que ses liens avec la cantine étaient limités et que son travail consistait à s'assurer qu'elle soit propre et de vendre aux responsables de la cantine les aliments qui y étaient servis. Suivant M. Podins, il n'a jamais eu à s'occuper de l'entretien de la cantine, étant donné qu'elle était régulièrement nettoyée, bien qu'il ne puisse dire par qui. Il a déclaré que [TRADUCTION] « chaque jour, il y avait des gens qui allaient et venaient avec de lourdes bottes. Leur rôle était de nettoyer » [22]. Lorsqu'on a demandé en contre-interrogatoire à M. Podins si les personnes qui s'occupaient du nettoyage étaient des prisonniers, il a affirmé n'y avoir jamais vu de prisonniers et a précisé que, de toute façon, il fermait le magasin à 17 h, de sorte qu'il ne pouvait les voir. Cette réponse n'est pas entièrement crédible, étant donné que M. Podins a par ailleurs déclaré qu'il lui arrivait de rester tard au magasin pour exécuter des commandes spéciales.

[82]       Aucun des témoins n'a jamais vu M. Podins en uniforme ou portant un brassard à la prison. M. Podins affirme qu'il portait toujours une chienne de magasinier, ce que plusieurs témoins ont confirmé. Il a témoigné qu'il ne portait comme chapeau que la casquette qu'il mettait lorsqu'il pleuvait, et ce témoignage n'a été contredit par aucun des témoins. Aucun des témoins ne se souvient l'avoir vu agir à d'autre titre que comme vendeur, gérant ou magasinier à la prison de Valmiermuiza, et aucun ne se rappelle l'avoir vu se livrer à des actes de violence. On a demandé à Anna Vaitkus, une ex-détenue qui, avant la présente instance, a déclaré se souvenir d'un gardien nommé Podins, de vérifier si le défendeur qui assistait à la commission rogatoire correspondait effectivement au gardien auquel elle songeait. Voici ce qu'elle a déclaré :

[TRADUCTION]

R.             Je dois vous demander de m'excuser. Ce M. Podins n'est pas le M. Podins dont je vous ai déjà parlé. Que Dieu me pardonne ma méprise.

Q.             Cet homme a-t-il déjà été gardien de prison ?

R.             Ce n'est pas la personne qui nous escortait et qui portait un brassard. Cette personne mesurait 1 m 80 et avait les cheveux noirs. Il avait un visage long et mince.

Q.             Même après toutes ces années, il est impossible qu'il s'agisse de la même personne ?

R.             Non, impossible. Après tout, un visage, ça ne change pas[23].

Ce témoignage était très convaincant et Mme Vaitus était un témoin très crédible.

[83]       Le seul ancien prisonnier qui a effectivement eu des contacts avec M. Podins à la prison de Valmiera est le docteur Berzins. Ainsi qu'il a déjà été signalé, il se souvient d'avoir été affecté à deux reprises au magasin. Il a été conduit au magasin et a été confié à la personne qui lui semblait être le propriétaire, M. Podins, qui lui a donné l'ordre de préparer les cartes de rationnement alimentaire et de les coller sur une feuille de rationnement. Le docteur Berzins a témoigné qu'il avait aimé cette affectation, car il pouvait déjeuner à la cuisine ou cantine des gardiens. Il se rappelle que M. Podins portait une chienne de commerçant, mais ne savait pas quels vêtements il portait en dessous. Interrogé sur la question de savoir s'il avait jamais vu M. Podins faire un salut à quelqu'un, il a répondu par la négative en faisant également remarquer qu'il n'y avait pas de militaires au magasin.

[84]       Interrogé au sujet de cette rencontre, M. Podins a déclaré qu'il n'avait pas demandé le docteur Berzins, mais qu'on l'avait appelé pour lui demander s'il avait du travail à offrir. Il a parlé d'[TRADUCTION] « ergothérapie » pour désigner le travail du docteur Berzins au magasin et se souvient que le docteur Berzins était fort heureux de cette affectation[24]. Mme Kalve, qui avait été assistante de l'expert-comptable principal au cours de la période en cause, a expliqué la procédure que suivaient les membres du personnel de la prison qui désiraient que des détenus travaillent avec eux. Le membre du personnel intéressé en faisait la demande à son supérieur, qui lui envoyait des prisonniers pour l'aider à exécuter le travail. Les prisonniers étaient accompagnés d'un gardien. En pareil cas, M. Podins aurait eu le pouvoir de dire au prisonnier quoi faire, au même titre que tout citoyen ordinaire aurait eu le droit de donner des ordres aux prisonniers quant au travail à effectuer, qu'il s'agisse de faire la lessive, de tondre le gazon ou de couper du bois.

[85]       Mme Kalve a également parlé du poste qu'occupait M. Podins à la prison. À son avis, le magasin ne servait pas tant à faire des profits qu'à desservir le personnel local. Elle se souvient y avoir fait ses emplettes plusieurs fois par semaine. Elle se rappelle qu'on y vendait des aliments, des articles de première nécessité, des aiguilles, du fil, des vêtements et le genre d'articles que l'on trouve habituellement dans un magasin général. Les recettes des ventes étaient déposées dans le compte de Valmiermuiza. Elle a qualifié le poste qu'occupait M. Podins de [TRADUCTION] « commis de magasin » , pardevjs en lettonien. Elle estime que le poste que M. Podins occupait à la prison de Valmiera n'était pas important, si on le compare surtout à des activités plus lucratives comme l'élevage des porcs.

[86]       Le témoignage que M. Podins a donné au sujet des fonctions qu'il a effectivement exercées à la prison de Valmiera était, dans l'ensemble, digne de foi et a été corroboré par le témoignage d'autres détenus qui se souvenaient de lui. Il importe de souligner que, parmi ces témoignages corroborants, il y avait ceux d'anciens prisonniers qui pourraient être considérés comme ayant des intérêts opposés à ceux d'un présumé ancien gardien ou policier. Bien que M. Podins fût qualifié officiellement de policier ou de gardien et que son nom ait en conséquence figuré sur la liste de paye, son véritable travail ne comportait aucune fonction de ce genre. Personne ne l'a vu porter un uniforme de gardien ou une arme ou encore faire un salut à d'autres personnes ou garder ou escorter des prisonniers. Les anciens prisonniers qui ont reconnu M. Podins ou qui l'ont connu se rappelaient de lui comme étant le magasinier et rien d'autre. Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que M. Podins n'était pas véritablement un policier auxiliaire ou un gardien de prison et je conclus qu'on lui a donné ce titre par souci de commodité administrative. Il était le magasinier de la boutique de Valmiermuiza.

[87]       Interrogé sur la question de savoir s'il avait assisté à l'exécution de Gulbis et Saulitis, M. Podins a répondu par la négative. On a insisté, on lui a cité des témoignages suivant lesquels tous les détenus et tous les membres du personnel avaient été forcés d'assister à ces exécutions et on lui a demandé où il se trouvait à ce moment-là :

[TRADUCTION]

Q. Où étiez-vous ?

R. Je ne m'en souviens pas. Probablement en ville. Je ne sais pas. Je ne me souviens de rien. Je vais essayer de me rappeler, mais je n'ai pas de souvenir de l'événement.

Q. Vous ne vous souvenez pas de cet événement ?

R. Non, pas le moindre, aucun. Nul. Zéro.

Q. Pouviez-vous vous trouver au camp ?

R. Je ne sais pas où je me trouvais à ce moment-là. J'étais peut-être au camp. Mais, j'ai peut-être refoulé cet événement dans mon inconscient, vous savez[25].

[88]       Le témoignage que M. Podins a donné sur ce point manque de crédibilité. Mme Kalve, dont le travail n'impliquait aucun contact direct avec les prisonniers, a témoigné qu'elle avait reçu l'ordre, avec tous les autres employés, d'assister à l'exécution. D'ailleurs, tous les témoins qui se trouvaient à la prison de Valmiera à l'époque se souviennent de cet événement. L'affirmation de M. Podins suivant laquelle il n'a pas le moindre souvenir de cet événement, soit qu'il en ait été personnellement témoin ou qu'il en ait entendu parler, n'est pas plausible.

[89]       Plus généralement, l'affirmation de M. Podins suivant laquelle il ignorait tout de la situation qui existait à la prison de Valmiera ébranle fortement sa crédibilité. Contre-interrogé sur des questions comme la composition de la population carcérale et la situation générale qui existait à la prison, M. Podins a souvent donné des réponses évasives, prétendant n'avoir été nullement intéressé par ces questions et n'en conserver aucun souvenir. Il est normal d'avoir des trous de mémoire, compte tenu surtout de l'âge avancé du témoin et de la cinquantaine d'années écoulées depuis les événements en cause. Toutefois, à certains moments, au cours de son témoignage, M. Podins a nié qu'il était au courant de ce qui se passait à la prison en dehors du cadre étroit du magasin où il travaillait. Il a également donné des réponses évasives aux questions qui tendaient à établir un lien entre lui et les gardiens de la prison, notamment les questions concernant son rôle de distributeur de rations aux gardiens.

[90]       D'une part, l'attitude d'ignorance, d'oubli et de neutralité dont M. Podins a fait preuve s'accorde avec l'impression qu'il donne d'être un homme paisible qui fuit la compagnie et qui préfère refouler tout souvenir troublant, une attitude qui semble avoir caractérisé sa vie tant au cours de la guerre que jusqu'à aujourd'hui. D'autre part, son prétendue ignorance de tout événement débordant la cadre étroit du magasin de la prison où il travaillait n'est pas entièrement crédible. Bien que je conclue que le témoignage que M. Podins a donné au sujet de ses fonctions véritables au camp est, pour l'essentiel, digne de foi et que, comme je l'ai déjà souligné, son témoignage soit corroboré par d'autres témoins, je constate que son attitude générale en ce qui concerne la prison de Valmiera n'est pas entièrement digne de foi.

[91]       La prison a été fermée en septembre 1943. Même si M. Podins le nie, la preuve m'a convaincu que la prison a été fermée. Il a alors été enrôlé dans la légion lettone. Lorsqu'on a découvert qu'il avait un problème d'ordre médical (sa blessure au genou), on l'a posté à Riga comme garde pour une année, à compter du 1er octobre 1943. Ainsi que je l'ai déjà signalé, il n'est pas nécessaire de tirer des conclusions détaillées au sujet de cette période du service militaire de M. Podins, étant donné que ces éléments n'ont pas été régulièrement portés à la connaissance de la Cour dans le cadre de l' « affaire » qui l'intéresse.

[92]       À l'automne 1944, au fur et à mesure que les Russes approchaient, M. Podins s'est engagé dans une division d'artillerie en Pologne. Il n'y est pas resté très longtemps, étant donné que la région de Dantzig avait essuyé de lourds bombardements. Deux jours plus tard, les Russes sont arrivés. Il a reçu des éclats d'obus au dos le 7 mai 1945, a été conduit par bateau à Copenhague et, au bout d'un ou deux jours, s'est rendu à Keil, en Allemagne, où il s'est livré aux Britanniques en tant que prisonnier de guerre. Comme sa blessure était partiellement guérie, il n'avait pas besoin d'être hospitalisé et il a été interné au camp de prisonniers de Putlos, près de Lubeck, en Allemagne. Lors de son séjour à Lubeck, il a rencontré son frère aîné, Herberts, qui avait lui aussi été capturé et fait prisonnier de guerre. Lorsque l'hiver est arrivé, il a, en compagnie de nombreux autres prisonniers de guerre, été envoyé à Cedelham, en Belgique, où ils ont passé l'hiver à la caserne. Au printemps 1946, on lui a délivré une levée d'écrou et on l'a renvoyé avec son frère Herberts à Lubeck, en Allemagne. Là, on les a logés à la caserne d'un camp appelé Artilerie Kaserne, où leur autre frère Janis vivait. M. Podins a travaillé au magasin du camp jusqu'en octobre 1947.

[93]       En octobre 1947, M. Podins a vu, au bureau du camp, une affiche invitant les gens à immigrer au Canada, en Australie ou en Grande-Bretagne. Il a rempli des formulaires de demande et a subi un examen médical. Il a réussi l'examen médical et, un mois plus tard, on lui a dit qu'il pouvait se rendre en Angleterre. Il a été conduit par camion en Hollande et est arrivé en Angleterre le 6 novembre 1947. En Angleterre, il a travaillé dans une ferme, puis dans une cafétéria, où il servait le thé. En 1950, il a obtenu un emploi de garçon de salle d'hôpital dans un hôpital de Surrey. En 1951, alors qu'il travaillait dans cet hôpital, il a rencontré sa future femme, qu'il a épousée en janvier 1953. Ils ont par la suite eu deux enfants. Ils ont eu un garçon, qui est né en Angleterre et qui est par la suite décédé, et ils ont ensuite eu une fille, qui est née au Canada en décembre 1964. En 1955, M. Podins a commencé des études de trois ans en sciences infirmières à l'hôpital Nethern.

[94]       En 1955, M. Podins a présenté une demande en vue d'obtenir la citoyenneté britannique. En réponse à sa demande, il a été interrogé par l'agent détective Watts de la police métropolitaine de Londres. Cette entrevue a été effectuée au nom du ministère de l'Intérieur britannique, qui exigeait un contrôle de sécurité lorsqu'un étranger demandait la naturalisation, comme M. Podins. Sur la foi des renseignements qu'il a recueillis au cours de cette entrevue, M. Watts a rédigé un rapport qui porte la date du 21 février 1955. M. Watts, qui a témoigné devant la Cour, a reconnu qu'il n'a aucun autre souvenir de M. Podins que ce qui se trouve dans le rapport. M. Watts a déclaré qu'avant de commencer l'entrevue, il examinait toujours les rapports provenant de divers services, qu'il obtenait les documents de demande du requérant et qu'il interrogeait ensuite le requérant chez lui. Il est certain que c'est la procédure qu'il a suivie pour procéder à l'entrevue de M. Podins. M. Watts a témoigné qu'il essayait d'obtenir un tableau aussi complet que possible de la vie du requérant, mais que, comme il était impossible de vérifier les renseignements concernant le domicile et le travail occupés en Europe de l'Est, il s'en remettait à la loyauté dont le candidat avait fait preuve au cours de son séjour en Grande-Bretagne, ainsi qu'à sa vérification de ses antécédents de travail en Grande-Bretagne.

[95]       Dans son rapport, M. Watts a écrit que M. Podins était vendeur à Valmiera. Aucun nom d'employeur ou lieu de travail n'était précisé. Voici un extrait de ce rapport :

[TRADUCTION]

Le candidat affirme être né le 5 juin 1918 à Renceni, en Lettonie, et avoir fait ses études primaires dans ce village jusqu'à l'âge de quatorze ans. Au cours des deux années qui ont suivi, il a aidé son père à la ferme et est ensuite allé s'installer dans la ville voisine de Valmiera, où il a obtenu un emploi de vendeur à la coopérative. Il affirme que l'occupation de la Lettonie par les Russes en juin 1940 n'a eu aucune incidence sur son travail ou ses conditions de vie et que lorsque les forces allemandes ont envahi son pays un an plus tard, on l'a laissé poursuivre son travail de vendeur.

Il semble que, lors de cette entrevue, M. Podins n'a pas révélé la nature de l'emploi qu'il exerçait à la prison de Valmiera. On ne sait toutefois pas avec certitude si cette lacune est le fruit d'un effort conscient de M. Podins pour dissimuler des faits ou si elle s'explique plutôt par la nature de l'entrevue. M. Watts a témoigné qu'il s'intéressait surtout à ce qui arrivait à l'étranger après son arrivée en Grande-Bretagne et qu'il était pratiquement impossible de vérifier en détail les antécédents d'une personne provenant d'Europe de l'Est. On peut donc en conclure que M. Watts n'a pas vérifié le détail de l'identité des employeurs de M. Podins pour chacun des emplois que ce dernier a occupés comme vendeur ou magasinier en Lettonie.

[96]       M. Watts avait accès a un rapport rédigé en 1950 par un fonctionnaire de l'immigration de Grande-Bretagne. Ce rapport était très bref, mais il comportait une différence entre les renseignements communiqués à l'agent d'immigration et ceux qui avaient été divulgués à M. Watts. Au cours de son entrevue avec M. Watts, M. Podins a déclaré qu'il était entré dans l'armée à l'automne 1943, tandis que, dans le rapport du fonctionnaire de l'immigration, il est déclaré que M. Podins n'a été dans l'armée qu'en 1944. M. Watts a témoigné qu'il était étonné de ne pas s'être aperçu de cette différence lors de l'entrevue, mais cette situation peut s'expliquer par le fait que, comme il a déjà été signalé, il s'est dit d'avis qu'il était pratiquement impossible de vérifier le passé d'un étranger ayant vécu en Europe de l'Est avant ou pendant la guerre. M. Watts a témoigné qu'il était surtout intéressé à savoir jusqu'à quel point l'immigrant étranger s'était intégrée à la société britannique. M. Watts a déclaré qu'en tout état de cause, des vérifications auraient été faites auprès des services de sécurité, comme dans le cas de tout casier judiciaire ou de tout élément d'information porté à l'attention de la police britannique. M. Watts a témoigné que, dans le cas des contrôles de sécurité, les données de base usuelles concernant l'intéressé - son nom, son lieu et sa date de naissance exacts - étaient très importantes. Dans le cas de M. Podins, tous les contrôles de sécurité se sont avérés négatifs. M. Podins a remis à M. Watts une copie de son passeport letton, ainsi que d'autres documents énumérés au bas de la première page et au haut de la deuxième page du rapport.

[97]       M. Podins a dit à M. Watts qu'il avait été recruté par l'armée lettone, qu'il avait ensuite passé une année à Riga et qu'il s'était ensuite rendu en Pologne avec la 15e division d'artillerie. Dans le rapport, M. Watts informe le ministère de l'Intérieur que M. Podins est un personne de bonne moralité. M. Podins a obtenu la citoyenneté britannique en mai 1955.

[98]       Mme Podins, qui a témoigné devant la Cour, a confirmé qu'elle avait rédigé la lettre jointe à la demande de certificat de naturalisation britannique présentée par M. Podins à titre d'étranger et que celui-ci avait copié la lettre. Elle a déclaré que les connaissances de la langue anglaise de M. Podins à l'époque n'étaient pas suffisantes pour qu'il ait pu préparer la lettre. De fait, elle a déclaré que, jusqu'aux années soixante-dix, tous les formulaires de M. Podins avaient été remplis par elle ou encore préparée par elle et copiés par lui. Mme Podins ne se souvient pas d'avoir participé à l'entrevue avec M. Watts, malgré le fait qu'il a précisé qu'il arrivait souvent qu'on permette au conjoint du requérant d'assister à l'entrevue.

[99]       À la fin de 1958, M. et Mme Podins ont décidé d'immigrer au Canada. M. Podins avait vu dans le journal local une annonce indiquant que le Canada avait besoin d'infirmiers et d'infirmières et était prêt à leur payer un salaire de 288 $ par mois, le double de ce qu'il touchait en Angleterre. Il croyait aussi que le Canada offrirait de meilleures perspectives d'avenir à son fils. M. Podins s'est rendu à la Maison du Canada, à Grosvenor Square, à Londres, pour obtenir une liasse de documents, qu'il a ramenés avec lui à la maison pour les faire remplir par sa femme. Une fois le formulaire de demande dûment rempli, M. Podins a présenté le formulaire de demande, le rapport médical et la radiographie à la Maison du Canada, située Trafalgar Square, à Londres. Il a toutefois été informé par la suite qu'il n'avait pas réussi l'examen médical et qu'il ne serait admissible au Canada que s'il subissait une intervention chirurgicale au genou. Il a subi l'opération et a soumis le rapport à la Maison du Canada. Les Podins ont ensuite été invités à se présenter à une entrevue à la Maison du Canada, à Londres. Ils s'y sont présentés au début de 1959.

[100]     M. Podins et sa femme ont tous les deux témoigné que c'est surtout elle qui a parlé lors de cette entrevue, et que celle-ci a duré environ une demi-heure. Ils ont cependant témoigné tous les deux que l'agent d'immigration avait accaparé la plus grande partie de cette demi-heure pour vanter les mérites du Canada. Mme Podins a témoigné qu'elle était sûre presqu'à cent pour cent que c'était elle qui avait rempli le formulaire d'immigration IMM. 461, qui lui a été présenté à l'audience, et qu'elle était certaine à cent pour cent qu'elle n'avait pas rempli le formulaire d'immigration OS.8, parce qu'il est bilingue et qu'elle se serait souvenu d'un formulaire bilingue. Elle a ajouté qu'en raison des détails supplémentaires sur les activités en temps de guerre qui étaient demandés dans le formulaire OS.8, il lui aurait fallu poser beaucoup de questions à M. Podins pour le remplir, et qu'elle n'avait eu aucun problème à remplir le formulaire, autant qu'elle se souvienne. Mme Podins a témoigné, en contre-interrogatoire, que le formulaire qu'elle avait aidé son mari à remplir portait seulement sur les deux derniers emplois de son mari. Je trouve invraisemblable que Mme Podins puisse se souvenir de ce détail 40 ans plus tard. Elle était toutefois digne de foi lorsqu'elle a témoigné que le formulaire qu'elle avait rempli ne demandait aucun renseignement sur les emplois exercées au cours de la guerre. Il est par ailleurs certain que le formulaire IMM.461 ne requérait aucun renseignement au sujet des emplois exercés au cours de la guerre.

[101]     Mme Podins a témoigné que tout ce qu'elle savait des activités de M. Podins au cours de la guerre, c'était qu'il avait été magasinier dans une prison au cours de la première partie de la guerre, bien qu'elle ne sache pas de quelle prison il s'agit. Elle savait seulement qu'il était un magasinier et que les gardiens et les villageois arrêtaient à son magasin. Elle sait aussi que, par la suite, il a fait partie de l'armée lettone et croit qu'il avait été enrôlé par conscription. Mme Podins a témoigné qu'elle avait grandi en Irlande au cours de la guerre et que la guerre ne l'intéressait pas. J'estime que cette partie de son témoignage est crédible, étant donné que l'Irlande était neutre au cours de la guerre et que la guerre ne constituait pas un sujet de conversation courant comme au Canada et en Grande-Bretagne. En ce qui concerne sa propre nationalité et ses démarches d'immigration, Mme Podins a témoigné qu'elle entrait dans la catégorie des ressortissants irlandais qui étaient considérés comme des sujets britanniques, étant donné qu'elle était née en Irlande avant 1948. Ainsi, en ce qui concerne l'entrevue qui a eu lieu à Londres avec les autorités canadiennes de l'immigration, elle affirme qu'elle n'était pas traitée différemment de son mari, étant donné qu'ils étaient tous les deux sujets britanniques.

[102]     Ni M. Podins ni sa femme ne pouvaient se rappeler avoir rempli d'autres formulaires au cours de l'entrevue, et ils ne se souviennent pas non plus avoir vu l'agent d'immigration remplir de formulaires. Ils ont tous les deux nié que l'agent d'immigration a posé des questions à M. Podins au sujet de ses activités durant la guerre.

[103]     Les Podins ont reçu quelque documents, soit à l'entrevue, soit peu de temps après, et trois mois plus tard, le 29 mai 1959, ils sont arrivés à Québec par bateau. Ils ont été accueillis par une Soeur Grise, qui a pris leur papiers et les a aidés à remplir les formalités d'immigration. M. et Mme Podins nient tous les deux nié avoir répondu à des questions à ce moment-là. La religieuse a également fait des démarches pour leur trouver un logement à New Westminster, en Colombie-Britannique, où un emploi avait été réservé pour M. Podins à l'hôpital psychiatrique d'Essendale. Mme Podins a commencé à travailler à cet endroit trois ou quatre mois plus tard. La fiche d'immigration de M. Podins, sur laquelle étaient inscrits tous les renseignements concernant son établissement, renfermaient tous les renseignements personnels de base exacts, ainsi que des renseignements sur ses liens de parenté, ses ressources financières et son adresse au Canada.

[104]     M. Podins a travaillé à l'hôpital Essendale de New Westminster jusqu'en 1962, année où il est retourné en Angleterre pour parfaire sa formation en sciences infirmières. Il est ensuite devenu un infirmier en service général ou infirmier autorisé. Les membres de la famille sont revenus au Canada en 1964, année où un deuxième enfant, Fiona, est né. Le couple a par la suite acheté à Burnaby une maison de soins infirmiers qu'ils ont rebaptisée Deer Lake Private Hospital et qu'ils ont vendue en 1984.

[105]     Le 10 février 1971, M. Podins a présenté devant la Cour de la citoyenneté canadienne une demande de certificat de citoyenneté en tant que sujet britannique. Il s'est présenté comme ayant été légalement admis au Canada en vue d'y établir sa résidence permanente. Le Règlement sur la citoyenneté canadienne, C.P. 1968-1703, DORS/68 404 était en vigueur au moment où M. Podins a présenté sa demande de citoyenneté. Aux termes de ce règlement, un sujet britannique devait présenter une demande d'octroi de la citoyenneté canadienne conformément au paragraphe 13(1) du Règlement sur la citoyenneté canadienne au registraire de la citoyenneté canadienne ou au greffier de la Cour, tandis que les personnes qui n'étaient pas des sujets britanniques devaient, selon l'article 9 du Règlement, déposer cette demande devant le ministre. Le paragraphe 13(1) du Règlement sur la citoyenneté canadienne disposait :

13.(1) Lorsqu'un sujet britannique désire obtenir un certificat de citoyenneté, il doit présenter au Registraire, ou au greffier du tribunal, une demande en la forme prescrite.

[106]     La demande de citoyenneté de M. Podins indique qu'elle a été déposée devant le greffier de la Cour. Elle porte aussi la signature de M. Podins, qui atteste la véracité des déclarations contenues dans la demande. Ainsi, le paragraphe 13(2) du Règlement sur la citoyenneté canadienne s'appliquait au cas de M. Podins. Le paragraphe 13(2) était ainsi libellé :

13.(2) Les articles 9 à 12, à l'exception des paragraphes (1) et (2) de l'article 9, s'appliquent à une demande de certificat de citoyenneté présentée au greffe du tribunal par une personne mentionnée au paragraphe (1).

Les articles 9 à 12 (à l'exception des paragraphes (1) et (2) de l'article 9) obligeaient le requérant, conformément aux paragraphes 10(1) et 11(1) du Règlement, à être présent à l'audience portant sur sa demande au cours de laquelle la Cour pouvait décider d'entendre des témoins en leur faisant prêter ou non serment. En conséquence, M. Podins se serait présenté devant la Cour dans le cadre d'une audience avant de se voir octroyer un certificat de citoyenneté.

[107]     Suivant une autre interprétation de sa demande de certificat de citoyenneté canadienne en tant que sujet britannique, il a peut-être présenté sa demande au registraire, ainsi qu'en fait foi le coin inférieur droit de la page 2 de sa demande, où l'on trouve la mention suivante : [TRADUCTION] « POSTÉ au registraire de la citoyenneté canadienne » . Dans ce cas, le paragraphe 13(3) du Règlement sur la citoyenneté canadienne se serait appliqué à la demande de M. Podins[26]. À mon avis, vu la demande faite sous serment déposée devant le greffier de la Cour, il est plus probable qu'il a présenté sa demande au greffier plutôt qu'au registraire. En tout état de cause, peu importe qu'il ait déposé sa demande de citoyenneté en vertu du paragraphe 13(2) ou du paragraphe 13(3) du Règlement sur la citoyenneté canadienne, il était tenu de convaincre le ministre, aux termes du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19, qu'il possédait les qualités énumérées aux alinéas 1b), c), d), e), f) et g) de cette Loi. L'alinéa c) obligeait le requérant à démontrer notamment qu'il avait été « légalement admis au Canada pour y résider en permanence [...] » . L'alinéa g) obligeait le requérant à convaincre la Cour qu'il était « de bonne vie et moeurs et n'est pas sous le coup d'une ordonnance d'expulsion » . M. Podins a obtenu la citoyenneté le 22 février 1971.

[108]     M. Podins a pris sa retraite en 1986. M. et Mme Podins se sont séparés et ont par la suite divorcés. Avant sa retraite, M. Podins avait acheté un appartement à Hawaï, où il se rendait assez fréquemment. Toutefois, en 1990, après la dissolution de leur mariage, M. Podins a été arrêté par les autorités américaines de l'immigration et s'est vu refuser l'entrée aux États-Unis parce que les autorités américaines avaient reçu un rapport suivant lequel il avait été gardien dans un camp de concentration. Mme Podins a témoigné qu'un parent de M. Podins avait informé les autorités américaines de l'immigration que M. Podins avait été gardien dans un camp de concentration. Mme Podins a ajouté que ce parent était toujours ivre, que M. Podins avait déjà tenté de le convaincre de diminuer sa consommation et qu'il avait répondu qu'il allait se venger de M. Podins. Elle avait essayé d'en apprendre plus sur le sujet et elle a témoigné que M. Podins lui a répondu qu'il n'avait rien à voir avec cette allégation. Il lui a répondu que tout ce qu'il avait fait en Lettonie à l'époque, c'était de travailler au magasin de la prison, ainsi qu'il l'avait déjà déclaré. Aucun autre élément de preuve n'a été présenté au sujet de cet incident.

POLITIQUE CANADIENNE EN MATIÈRE DE CONTRÔLES DE SÉCURITÉ (1946-1959)

[109]     Bien que l'issue de la présente affaire repose en grande partie sur la réponse à la question de savoir comment les critères de refoulement en matière de contrôles de sécurité étaient appliqués à l'époque où le défendeur a immigré au Canada, il est important de comprendre le contexte plus large des préoccupations et des politiques du Canada en matière de sécurité au cours de cette période. L'organisme gouvernemental qui s'occupait des questions de sécurité, le Conseil de sécurité, avait été constitué en grande partie à cause des craintes profondes d'Ottawa en ce qui concerne les menaces à la sécurité nationale. Ces craintes avaient été inspirées par des révélations faisant suite à l'affaire d'espionnage Gouzenko, qui avait précipité le Canada dans la guerre froide. Le Conseil de sécurité s'acquittait des responsabilités spéciales que le Premier ministre avait et a toujours en ce qui concerne les questions de sécurité. Il était présidé par le secrétaire du Cabinet, le plus haut fonctionnaire de la hiérarchie du gouvernement du Canada. En faisaient partie les directeurs experts des organismes gouvernementaux chargés de la sécurité, notamment la GRC, les trois branches des forces armées, le Centre de recherches pour la défense, le ministère des Affaires extérieures, ainsi que tout autre ministère ou organisme jugé nécessaire, dont le chef des services de la Direction de l'immigration.

[110]     La Cour a été aidée dans ce domaine par M. Nicholas d'Ombrain, qui a occupé plusieurs postes supérieurs au sein de la fonction publique fédérale, notamment ceux de conseiller spécial du Sous-solliciteur général du Canada (1977-1982), de Secrétaire adjoint du Cabinet (1982-1991) et de Sous-secrétaire du Cabinet et de conseiller principal du Bureau du Conseil privé (1991-1995). Son expertise a été reconnue dans les domaines suivants : (1) le régime de gouvernement de cabinet et le fonctionnement interne et les rouages du Cabinet et de ses structures d'appui ; (2) l'organisation et la gestion de l'appareil gouvernemental fédéral en matière de renseignements de sécurité, de renseignements extérieurs et d'élaboration et de divulgation des politiques y afférentes ; (3) le rôle du Premier ministre et du Bureau du Conseil privé en la matière. Il importe de souligner que l'expertise de M. d'Ombrain concerne les politiques de l'Administration centrale et non les activités des divers ministères du gouvernement fédéral.

[111]     M. d'Ombrain est un témoin très crédible. Il a reconnu volontiers qu'il n'était pas un expert en ce qui concerne les formalités d'immigration et les modalités d'application des critères de contrôle de sécurité. Il n'a pas hésité à suggérer à l'avocat de M. Podins de consulter des experts en matière de formalités d'immigration en ce qui concerne certains documents, étant donné qu'il ne prétendait pas être lui-même un expert dans ce domaine. Je constate par ailleurs que M. d'Ombrain a, avec raison selon moi, préparé sa documentation sans consulter de contrôleurs de visas ou de fonctionnaires de l'immigration. M. d'Ombrain a obtenu certains documents d'époque du Cabinet et du Conseil de sécurité, ainsi que quelques autres documents. Il semble toutefois qu'il n'a pas obtenu tous les procès-verbaux du Conseil de sécurité portant sur les critères de refoulement pour raisons de sécurité. Il est inexcusable qu'on ne lui ait pas remis tous les documents pertinents. D'autre part, on lui a soumis lors de son contre-interrogatoire de nombreux documents qui n'étaient pas liés à son champ de compétence dans les domaines susmentionnés.

[112]     Le défendeur a adopté le point de vue selon lequel le Cabinet avait donné l'ordre au Cabinet, en 1959, d'encourager l'immigration en provenance d'Europe de l'Est. Je ne suis pas persuadé que ce soit effectivement le cas. Il est indubitable qu'il existe de nombreux documents qui montrent que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et son prédécesseur, le ministère des Mines, ont toujours réclamé l'assouplissement des critères de sécurité. J'estime toutefois qu'il ressort à l'évidence du témoignage de M. d'Ombrain et de celui du contrôleur des visas, M. Cliffe, qu'en réalité, la GRC n'a tenu compte que des directives données au Commissaire de la GRC par le Cabinet, puis à celles que le Commissaire de la GRC a adressées au personnel du bureau de Londres.

[113]     M. d'Ombrain a parlé du rôle du Cabinet au cours de la période de 1946 à 1959. Le Cabinet est un organe strictement informel dont la mission essentielle est politique, bien qu'il s'acquitte aussi d'importantes fonctions administratives. Le Cabinet est d'abord et avant tout un organe au sein duquel les ministres se rassemblent pour déterminer l'orientation de la politique du pays. La solidarité ministérielle en constitue également un aspect essentiel : tous les ministres sont en effet tenus d'appuyer les mesures qu'un ministre déterminé se propose de prendre en vertu des pouvoirs législatifs que lui confère le Parlement ou qu'il détient en vertu de la Prérogative royale. Il convient toutefois de signaler que le pouvoir officiel ou légal du gouvernement du Canada ne tire pas sa source du système décisionnel du Cabinet, mais qu'il s'exerce au niveau des ministres, du gouverneur en conseil et du Parlement.

[114]     Il importe aussi de se rappeler que les documents du Cabinet étaient tenus secrets et qu'ils n'étaient communiqués qu'aux ministres selon le principe de la connaissance sélective. Les directives du Cabinet faisaient toutefois exception. Il s'agissait de directives administratives d'application générale dont l'utilité résidait dans leur large diffusion à l'échelle de la fonction publique.

[115]     Les membres du Conseil de sécurité se sont réunis pour la première fois en juin 1946, puis à 67 autres reprises jusqu'en juillet 1959. Au cours des années trente et de la Seconde Guerre mondiale, il n'y a pratiquement eu aucune immigration au Canada. En 1945, la politique d'immigration du Canada était régie par un règlement qui avait été pris sous forme de décret en 1931 en application de la Loi sur l'immigration de 1927[27]. Ce décret limitait l'immigration aux personnes provenant du Royaume-Uni, des États-Unis, d'Irlande et des États reconnus de l'Empire britannique. Il tenait explicitement compte de « [...] la situation de chômage qui existe temporairement au Canada[28] » .

[116]     Entre 1945 et 1947, le gouvernement du Canada s'était fixé pour priorité de se définir une nouvelle politique en matière d'immigration et d'élaborer des mesures appropriées pour le contrôle sécuritaire des candidats à l'immigration. Le 26 octobre 1945, le décret C.P. 6687 a été adopté. Il prévoyait notamment ce qui suit :

[L]e préposé à l'immigration à un port d'entrée peut permettre à un réfugié de débarquer au Canada s'il est entré au Canada à titre de réfugié avec statut de non-immigrant après le 1er septembre 1939, à condition que ledit réfugié puisse convaincre le préposé à l'immigration qu'il est de bonne vie et moeurs et peut se conformer, à tous autres égards, aux dispositions de la Loi de l'immigration.

[117]     Le 1er mai 1947, le Premier ministre McKenzie King a fait devant la Chambre des communes une déclaration dans laquelle est exposée la nouvelle politique du gouvernement en matière d'immigration :

Le programme du Gouvernement vise à favoriser l'accroissement de la population du Canada en encourageant l'immigration. Le Gouvernement s'efforcera, au moyen de mesures législatives, de règlements et d'une administration efficace, de choisir judicieusement et d'établir en permanence autant d'immigrants que notre économie nationale peut en absorber avantageusement[29].

Cette déclaration a donné le coup d'envoi à la politique d'encouragement à l'immigration au Canada entre 1947 et 1959. Le Premier ministre soulignait également que le principal obstacle au libre mouvement des immigrants à destination du Canada en 1947 n'était pas la politique ou la réglementation gouvernementales, mais la pénurie de moyens de transport. Il a particulièrement signalé le nombre élevé de personnes déplacées et de réfugiés qui se trouvaient en Europe et a déclaré que leur demande serait examinée « en fonction de leur acceptabilité et de leur état de santé[30] » . Il a ajouté : « En prenant ces mesures, le gouvernement cherche à s'assurer que les personnes déplacées qui sont admises au Canada sont susceptibles de faire de bons citoyens[31] » .

[118]     En juin 1947, le Cabinet a autorisé la prise d'un décret visant à admettre au Canada 5 000 personnes déplacées dans la catégorie des travailleurs non spécialisés[32]. D'autres admissions ont été autorisées et, à l'automne 1948, le nombre total d'immigrants admis a été porté à 40 000. Des dispositions spéciales ont été prises dans le cas des réfugiés de Tchécoslovaquie et d'Estonie qui n'étaient pas classés dans la population officielle des personnes déplacées[33].

[119]     Au moment même où il assouplissait sa politique en matière d'immigration, le gouvernement instituait des politiques portant sur le contrôle sécuritaire des candidats à l'immigration. Ces politiques ont été diffusées suivant le principe de la connaissance sélective. Le Cabinet a décidé en 1946 que [TRADUCTION] « [...] le contrôle sécuritaire des candidats immigrants [...] devrait être défini, non par une loi, mais au moyen des mesures administratives ministérielles » [34]. On a décidé de ne pas rédiger de dispositions sur la question en raison des difficultés que comportait la rédaction de telles dispositions. L'importance du secret en matière de sécurité a probablement aussi joué dans cette décision, même si aucune autre raison précise n'a été donnée.

[120]     Le décret C.P. 6687 qui, comme il a déjà été signalé, est entré en vigueur le 26 octobre 1945 et qui assouplissait les dispositions restrictives du règlement de 1931, a été précédé d'un mémoire au Cabinet portant que :

[TRADUCTION]

[...] seuls les candidats à l'immigration ayant obtenu l'autorisation de la Gendarmerie Royale du Canada pourront obtenir le droit d'établissement au sens de la Loi sur l'immigration. Ceux qui ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir cette autorisation conserveront leur statut actuel jusqu'à ce qu'une décision définitive puisse être prise à leur sujet[35].

Bien que le Cabinet ait souligné qu'il était important de s'assurer que les normes de sécurité soient respectées, il existait également un certain conflit entre la nécessité d'instaurer des mécanismes de contrôle efficaces et le besoin de ne pas faire obstacle à l'immigration. Toutefois, chaque fois qu'on lui demandait de préciser ses orientations en la matière, le Cabinet répondait que les contrôles devaient être effectués dans la mesure jugée nécessaire et pratique par la GRC.

[121]     En 1946, il restait encore à la GRC à ouvrir en Europe des bureaux à partir desquels elle pouvait procéder au contrôle sécuritaire des candidats à l'immigration. Le 23 août 1946, le Conseil de sécurité a recommandé à la GRC de se rendre en Europe pour seconder les équipes d'immigration en soumettant les candidats à l'immigration à des interrogatoires sécuritaires. Le Conseil de sécurité a fait remarquer que la GRC pouvait compter sur [TRADUCTION] « [...] l'entière collaboration du Bureau des passeports du Royaume-Uni en ce qui concerne l'interrogatoire de tout suspect » [36]. Le Commissaire de la GRC a accepté la recommandation du Conseil d'instaurer une procédure de contrôle sécuritaire outre-mer. La GRC a ouvert un bureau à Londres à l'automne 1946 et, au cours des 18 mois qui ont suivi, elle a ajouté des membres aux équipes de contrôle d'immigration en Allemagne, en Hollande et en Italie. Chaque équipe était composée d'un contrôleur, d'un médecin des Services de l'immigration du ministère de la Santé nationale et d'un agent de la GRC chargé des contrôles de sécurité.

[122]     En janvier 1947, le Cabinet a approuvé la recommandation du ministre des Mines et des Ressources d'élargir les catégories de personnes admissibles comme immigrants. Toutefois, au cours des débats entourant cette question, le ministre avait fait remarquer que l'élargissement du champ d'application du règlement serait « inefficace » si on ne faisait pas quelque chose pour raccourcir le temps qu'il fallait pour procéder aux contrôles sécuritaires exigés[37]. Lors de la réunion du 30 janvier 1947 du Conseil de sécurité, le Conseil a appris que les effectifs de la GRC à Londres étaient insuffisants compte tenu de l'ampleur du problème : ils pouvaient tout au plus contrôler 5 000 des 30 000 à 50 000 candidats que l'on s'attendait à devoir interroger au cours de l'année à venir. En réponse à la question de savoir s'il fallait renoncer complètement aux contrôles sécuritaires ou réduire le nombre de personnes à interroger, le Conseil a retenu la seconde solution. Ainsi qu'il l'a précisé dans son rapport du 5 février 1947, le Conseil a pris cette décision en grande partie par crainte d'une éventuelle infiltration au Canada d'individus provenant des pays du bloc soviétique [TRADUCTION] « ayant reçu l'ordre de poursuivre les objectifs de leur gouvernement une fois établis au Canada » [38].

[123]     En février 1947, sur le fondement de ce rapport, le Cabinet a décidé d'instaurer un système de contrôles sélectifs. Le Secrétaire du Cabinet a pris acte de cette décision dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Dans le présent rapport, le Conseil de sécurité a réaffirmé l'importance du principe général du contrôle de sécurité et a recommandé qu'on y renonce pas dans le cas des immigrants. Il a été proposé que, pour faire face à la hausse du nombre de demandes, la procédure actuelle soit modifiée soit en limitant les contrôles aux candidats provenant de certaines régions géographiques définies, soit en soumettant les candidats à des contrôles sélectifs, à l'entière discrétion de la GRC.

Le Cabinet a pris acte du rapport qui lui a été soumis et a convenu que, dans ces conditions, le contrôle sécuritaire des étrangers demandant à entrer au Canada en tant qu'immigrants ne soit exigé que dans les cas où l'on estime que les renseignements dont disposent les autorités de l'immigration doivent être complétés par des enquêtes spéciales de sécurité.

Il a également été convenu que le ministère des Mines et des Ressources [le ministère qui s'occupait alors des questions d'immigration] devrait, de concert avec la GRC et en consultation avec les Affaires extérieures, envisager la possibilité d'améliorer les mécanismes de contrôle par le biais d'une collaboration accrue des organismes du Royaume-Uni et des États-Unis[39].

La décision relative aux contrôles de sécurité couvre toute la période qui nous intéresse en l'espèce.

[124]     Le GRC a élaboré des critères de refoulement entre 1947 et 1949. L'objectif des contrôles de sécurité a été exposé dans une note de service en date du 16 septembre 1949 adressée au Premier ministre Louis St-Laurent :

[TRADUCTION]

Refuser l'admission à toute personne qui, en raison de ses antécédents connus, ne s'adapteraient probablement pas au mode de vie canadien et à notre régime démocratique[40].

Le document énumérait ensuite les catégories de personnes jugées non admissibles pour des raisons de sécurité :

-Communistes, agitateurs communistes connus ou fortement soupçonnés de l'être, personnes soupçonnées d'être des agents communistes.

-Membres du service de sécurité de la Wehrmacht allemande. Non-Allemands portant un signe du groupe sanguin du service de sécurité.

-Personnes ayant donné des réponses évasives ou n'ayant pas dit la vérité lors de leur interrogatoire.

-Défaut de produire des documents reconnaissables et acceptables au sujet de leur date d'entrée et de leur période de résidence en Allemagne.

-Déclarations mensongères ; utilisation d'une fausse identité ou d'un nom fictif.

-Collaborateurs résidant présentement dans un ancien territoire occupé.

-Membres du Parti fasciste italien ou de la Mafia.

-Trotskistes ou membres d'une autre organisation révolutionnaire[41].

[125]     Cette liste était pratiquement la même que celle dont la GRC se servait pour ses contrôles sécuritaires, à l'exception d'un critère qui n'avait rien à voir avec la sécurité, celui de [TRADUCTION] « Criminel (connu ou soupçonné) ; joueur professionnel ; prostitué(e) ; profiteur du marché noir » [42]. Ces quatre critères n'ayant pas trait à la sécurité étaient appliqués par les fonctionnaires de l'immigration plutôt que par la GRC, qui se contentait de communiquer aux fonctionnaires les renseignements pertinents[43].

[126]     En 1949, le Secrétaire du Cabinet a recommandé que celui-ci formule une directive pour enjoindre aux sous-ministres et aux chefs d'organismes publics de ne pas informer les personnes refoulées pour des raisons de sécurité des motifs ou même du fait de leur refoulement pour des raisons de sécurité. Il faisait par ailleurs remarquer qu'autrement, on pourrait compromettre des sources se livrant à du contre-espionnage ou à d'autres enquêtes en matière de sécurité. La directive du Cabinet no 14, datée du 28 octobre 1949, décrivait dans les termes suivants les catégories de personnes interdites :

[TRADUCTION]

Les personnes déplacées et certaines catégories de candidats à l'immigration désirant entrer au Canada font l'objet d'une enquête sous le régime de la procédure établie par la GRC. Les personnes qui font partie de certaines catégories déterminées (par ex. les communistes, les membres du parti nazi ou du parti fasciste ou de toute organisation révolutionnaire, les « collaborateurs » et ceux qui utilisent des noms ou des documents faux ou fictifs) sont considérés non admissibles en vertu de la Loi sur l'immigration et se voient refuser un visa. Comme certaines des personnes ainsi refoulées ne savent pas que leurs antécédents subversifs sont connus des organismes chargés de la sécurité et du renseignement, la divulgation des motifs de leur refoulement tend à éveiller les soupçons et à compromettre de précieuses sources de renseignement[44].

[127]     Le Conseil de sécurité a commencé à assouplir les critères de refoulement pour raisons de sécurité le 27 octobre 1950, lorsqu'il a informé le sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration au sujet des contrôles de sécurité des ressortissants allemands qui n'étaient plus exclus pour les raisons suivantes :

[TRADUCTION]

[...] Les ressortissants allemands qui ont à quelque moment que ce soit été associés à l'un des organismes énumérés par la GRC devraient être exclus pour des raisons de sécurité, mais [...] cette interdiction générale ne devrait pas s'étendre aux personnes provenant de pays occupés par les Nazis au cours de la guerre qui auraient pu avoir été associées à de tels organismes en raison des pressions exercées par l'occupant[45].

[128]     Le 30 novembre 1950, le commissaire de la GRC a fait parvenir les nouvelles directives au responsable des contrôles sécuritaires en Europe, le major Wright :

[TRADUCTION]

Sauf les membres des SS, des Waffen SS, de l'Abehr, de la S.D., de la Gestaopo et tout autre Nazi important et dangereux reconnu. L'appartenance au Parti nazi ne constitue plus un motif de refoulement[46].

[129]     Au printemps 1951, le sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a cherché à assouplir les critères de façon à ce que le fait d'avoir servi au sein des Waffen SS ne constitue plus en soi un motif de refoulement. Mais aucune mesure n'a été prise avant mai 1952, lorsque le Conseil de sécurité a accepté d'apporter les changements suivants :

[TRADUCTION]

[...] Il y a lieu de refuser l'admission au Canada aux personnes suivantes :

a)Les anciens membres des SS, de la Sicherheitsdients, de l'Abwehr, de la Gestapo, ainsi que tout ancien membre du Parti nazi qui, selon la directive no 38 du Conseil de contrôle des Alliés du 12 octobre 1946, était considéré comme auteur d'un délit grave ou comme un contrevenant ou qui, suivant le témoignage d'un agent de sécurité, entre à son avis dans l'une ou l'autre de ces catégories. Il convient d'apporter un soin particulier à l'exclusion des personnes coupables d'actes de brutalité commis dans des camps de concentration ou dans des camps de travail.

b)Les anciens membres des Waffen SS, sauf :

(i)Les ressortissants allemands qui ont adhéré aux Waffen SS avant l'âge de 18 ans, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés de force ou par conscription.

(ii)Les volkdeutsche ayant résidé dans un territoire occupé par les Allemands, qu'ils aient été naturalisés Allemands par la suite ou non, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été recrutés de force ou par conscription.

(iii)Les volkdeutsche et les personnes d'autres nationalités ayant été réétablis et ayant été naturalisées Allemands avant d'adhérer aux Waffen SS, lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'ils ont été naturalisés contre leur gré ou qu'ils ont été recrutés de force ou par conscription.

(iv)Les ressortissants allemands et les volkdeutsche ayant résidé auparavant dans un territoire non occupé par le Wehrmacht, qu'ils aient été par la suite naturalisés Allemands ou non, ou qu'ils aient eu une autre nationalité, s'ils peuvent convaincre l'agent de sécurité qu'ils ont été recrutés de force ou par conscription.

c)Anciens collaborateurs qui devraient être exclus pour des raisons de turpitude morale, sauf les collaborateurs mineurs qui ont agi sous la contrainte[47].

[130]     En octobre 1955, les membres du sous-comité du Conseil de sécurité ont convenu de remplacer l'interdiction totale qui frappait les ressortissants allemands qui avaient fait partie d'organismes exclus comme les S.S., l'Abwehr et le S.A. Ces personnes ne seraient désormais admises au Canada que si leur demande d'immigration était parrainée par un proche parent. Toutefois, même avec cette exemption, le sous-comité a conservé l'interdiction générale suivante :

[TRADUCTION]

[...] les anciens membres de la Gestapo, les gardiens de camps de concentration et les personnes qui, de l'avis de l'examinateur, seraient considérées comme auteurs d'une infraction majeure selon la directive no 38 du Conseil de contrôle allié, devraient continuer à être automatiquement refoulés[48].

[131]     En 1957, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a procédé à un réexamen en profondeur des politiques et procédures de l'immigration, et notamment de celles qui concernent les contrôles de sécurité. Le rapport signalait que les autorités britanniques chargées des contrôles de sécurité avaient accepté de vérifier les antécédents judiciaires ([TRADUCTION] « [...] ce qui permettrait aussi de savoir s'ils présentent un risque pour la sécurité » ) [TRADUCTION] « chaque fois que l'agent d'immigration a des raisons de croire qu'il y a lieu de procéder à une telle vérification » [49].

[132]     En décembre 1958, le Comité du Cabinet sur l'immigration a demandé que le Conseil de sécurité réexamine [TRADUCTION] « les critères actuels de refoulement » [50] et que le secrétariat du Conseil redéfinisse les critères alors appliqués :

[TRADUCTION]

a)Communistes connus ou fortement soupçonnés de l'être. Agitateurs communistes ou personnes soupçonnées d'être des agents communistes.

b)Membres du service de sécurité de la Wehrmacht allemande. Non-Allemands portant un signe du groupe sanguin du service de sécurité.

c)Nazis.

d)Criminels (connus ou soupçonnés de l'être).

e)Joueurs professionnels.

f)Prostitué(e)s ou homosexuel(le)s.

g)Profiteurs du marché noir.

h)Personnes ayant donné des réponses évasives ou n'ayant pas dit la vérité lors de leur interrogatoire.

i)Défaut de produire des documents reconnaissables et acceptables au sujet de leur date d'entrée et de leur période de résidence en Allemagne.

j)Déclarations mensongères ; utilisation d'une fausse identité ou d'un nom fictif.

k)Collaborateurs.

l)Membres du Parti fasciste italien ou de la Mafia.

m)Trotskistes ou membres d'une autre organisation révolutionnaire[51].

[133]     Lorsqu'on les examine en fonction des modifications susmentionnées qui ont été apportées en mai 1952, ces critères de contrôles de sécurité étaient en vigueur lorsque M. Podins a présenté sa demande d'admission au Canada au printemps 1959.

CONTRÔLE SÉCURITAIRE DES SUJETS BRITANNIQUES NATURALISÉS

[134]     La thèse du défendeur est que les citoyens britanniques de naissance ou par naturalisation étaient soustraits à tout contrôle sécuritaire en 1958 et 1959. M. Podins affirme en conséquence qu'il n'a pas fait l'objet de contrôles sécuritaires et que le formulaire de demande que sa femme a rempli en son nom ne l'obligeait pas à répondre aux questions portant sur ses activités de guerre. Ainsi qu'il a déjà été signalé, le demandeur affirme que M. Podins aurait eu à remplir un formulaire OS.8, qui obligeait les requérants, à la question no 33, de fournir des détails au sujet de leurs [TRADUCTION] « anciennes adresses et de leurs anciens emplois depuis 1939 » . À titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que, même si en tant que sujet britannique naturalisé, M. Podins n'était pas tenu de remplir le formulaire OS.8 mais plutôt, comme il le prétend, le formulaire IMM.461, qui ne l'obligeait pas à divulguer de renseignements au sujet de ses activités en temps de guerre, il aurait de toute façon été interrogé par l'agent des visas au sujet de ses activités en temps de guerre. Suivant le demandeur, si M. Podins avait fourni des renseignements exacts en répondant à la question no 33 du formulaire OS.8 ou encore en répondant aux questions posées lors de son entrevue d'immigration, l'agent d'immigration aurait soit carrément rejeté sa demande d'admission ou aurait déféré son cas à un agent de la GRC pour un interrogatoire de sécurité, à l' « étape B » . Le demandeur ajoute qu'en ne fournissant pas des renseignements exacts au sujet de ses activités de temps de guerre, M. Podins a à tout le moins exclu la possibilité d'une enquête plus approfondie sur son passé et a de ce fait obtenu son admission au Canada par suite d'une dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[135]     Ainsi qu'il a déjà été expliqué, M. et Mme Podins ont tous les deux témoigné au sujet de la procédure qu'ils ont suivie pour demander l'admission au Canada. M. Podins se souvient s'être rendu à la Maison du Canada, située Grosvenor Place, à Londres, à la fin de 1958, où on lui a remis une série de formulaires à remplir. C'est sa femme qui a rempli les formulaires. Ainsi qu'il a déjà été précisé, Mme Podins a témoigné qu'elle avait rempli le formulaire IMM.461 au nom de son mari. Elle a affirmé qu'elle était certaine qu'il s'agissait bel et bien du formulaire IMM.461 et non du formulaire OS.8, étant donné que le formulaire qu'elle a rempli était unilingue anglais et non rédigé en anglais et en français, comme c'était le cas du formulaire OS.8. Ainsi qu'il a déjà été signalé, le formulaire IMM.461 n'obligeait pas le requérant à préciser les lieux où il avait habité et les emplois qu'il avait occupés depuis 1939. Sous la rubrique [TRADUCTION] « Antécédents professionnels » à la question no 16, on demandait au requérant de fournir des détails au sujet de son emploi actuel et de ses deux derniers emplois. Au moment où il a présenté sa demande, en 1959, M. Podins travaillait comme infirmier. Auparavant, il avait été garçon de salle d'hôpital, serveur dans une cafétéria, et ouvrier agricole. Ainsi, pour répondre à la question no 16 du formulaire IMM.461, il n'aurait pas été tenu de fournir des renseignements au sujet de ses activités de temps de guerre.

[136]     Les deux parties ont fait entendre plusieurs témoins et ont présenté des éléments de preuve documentaire au sujet de la procédure suivie par les sujets britanniques naturalisés pour demander l'admission au Canada. Le demandeur a fait témoigner un ancien fonctionnaire de l'immigration ou agent des visas, M. Gunn, ainsi qu'un ancien agent de contrôle de sécurité ( « étape B » ) ou agent de contrôle des visas, M. Cliffe. Ni l'un ni l'autre de ces témoins n'avait toutefois travaillé en Grande-Bretagne. M. Gunn a été reconnu comme expert en matière de politique canadienne de l'immigration après la Seconde Guerre mondiale et au sujet de l'évolution des critères et formalités canadiennes en immigration après la Seconde Guerre mondiale tant au Canada qu'en Europe, notamment en ce qui concerne les critères et la procédure d'immigration applicables aux sujets britanniques. Il a passé toute sa carrière au Canada, sauf pour les trois années et demie (1954-1947) qu'il a passées à l'ambassade canadienne à Bruxelles, en Belgique, en tant que fonctionnaire de l'immigration. Au cours de cette période, il a été informé des critères de contrôle sécuritaires qui étaient appliqués par les agents de la GRC intervenant à l'étape B. Toutefois, comme toute autre personne travaillant au ministère de l'Immigration, il ne connaissait pas les critères de refoulement fondés sur des raisons de sécurité. Pour sa part, M. Cliffe, en tant qu'ancien agent de contrôle de sécurité ou agent de contrôle des visas, connaissait bien les critères de refoulement fondés sur des raisons d'ordre sécuritaire. Il n'a cependant jamais travaillé en Grande-Bretagne, ayant été posté en Italie, en Allemagne et en Suède entre 1951 et 1957.

[137]     Le demandeur a produit une note de service du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. À ce document daté du 25 mars 1958 est annexé [TRADUCTION] « une série révisée de tous les formulaires et modèles de lettres présentement utilisés dans tous nos bureaux du Royaume-Uni et d'Irlande, ainsi qu'une table des matière révisée » [52]. La table des matières, qui est intitulée [TRADUCTION] « Modèles de lettres utilisés au Royaume-Uni » renferme trois catégories : « Étrangers » , « Britanniques » et « Général » . Sous la rubrique « Étrangers » , la première liasse de documents, qui est cotée A.1, porte l'inscription suivante : [TRADUCTION] « En réponse aux demandes initiales de renseignements provenant du Royaume-Uni qui indiquent qu'elles proviennent d'étrangers » . On y trouve aussi les formulaires OS.8 annexés, ainsi que, vraisemblablement, d'autres formulaires, bien que le reste du texte ait disparu de la copie qui a été soumise. Sous la rubrique « Britanniques » , on ne trouve cependant aucune mention du formulaire OS.8. La liasse de documents se trouvant sous la rubrique « Britanniques » , qui porte sur les demandes de renseignements généraux, indique que le formulaire IMM.461 doit être annexé. La première liasse, qui porte la cote B.1, est revêtue de la mention suivante : [TRADUCTION] « Reconnaissant les demandes de renseignements initiales provenant du Royaume-Uni et de l'Irlande, lorsqu'aucune question précise n'est posée » . La liasse B.1 contient sept formulaires, numérotés UK.1 à UK.5 et cotés IMM.461, ainsi que des instructions médicales. La liasse B.2 porte la mention suivante [TRADUCTION] « Reconnaissant les demandes de renseignements initiales provenant du Royaume-Uni et de l'Irlande, lorsque des questions précises sont posées. Répondre en insérant du texte complémentaire » . La liasse B.2 comporte les mêmes sept formulaires que la liasse B.1.

[138]     Le demandeur a produit le formulaire UK.1, en faisant remarquer que sa première phrase était ainsi libellée : [TRADUCTION] « Le Canada souhaite la bienvenue aux sujets britanniques nés en Grande-Bretagne, en Irlande du Nord, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en République sud-africaine, ainsi que les citoyens de l'Irlande » . Le demandeur a également attiré l'attention de la Cour sur le bas du formulaire, qui est ainsi conçu : [TRADUCTION] « AVIS IMPORTANT : Les présents renseignements ne concernent que les sujets britanniques de naissance qui sont originaires de Grande-Bretagne [...] tous les autres sujets britanniques et étrangers devraient remplir le formulaire de demande ci-joint et l'envoyer par la poste à notre bureau. Sur réception de ce formulaire, nous vous informerons des autres formalités à suivre. »

[139]     Le demandeur soutient en outre que « les autres formalités » à suivre par les citoyens britanniques naturalisés consistaient à remplir le formulaire OS.8. À l'appui de cet argument, il se fonde sur l'article 18 du Règlement sur l'immigration, DORS/56-180, Gazette du Canada, partie II, vol. 90, 13 juin 1956, qu'il rapproche de l'alinéa 6.27a) du Guide à l'intention des fonctionnaires de l'immigration et des agents des visas (le Guide de l'immigration), qui était en vigueur en mai 1959. Les dispositions pertinentes de l'article 18 du Règlement sur l'immigration prévoient ce qui suit :

18.(3) Sous réserve des dispositions du paragraphe (6), toute personne qui cherche à obtenir l'entrée ou la réception au Canada doit porter le visa d'un fonctionnaire de l'immigration canadienne [...]

                                                                                                     [...]

18.(6) Les sujets britanniques en raison de la naissance au Royaume-Uni [...] peuvent chercher l'admission au Canada sans être en possession d'un visa comme il est prévu aux paragraphes (3) ou (4).

[140]     Le demandeur fait remarquer que seuls les sujets britanniques en raison de la naissance au Royaume-Uni sont dispensés de la nécessité d'obtenir un visa. L'alinéa 6.27a) du Guide de l'immigration, qui était en vigueur en mai 1959, disposait :

[TRADUCTION]

6.27a) Les personnes qui demandent un visa, sauf celles qui figurent sur les formulaires portant la cote IMM.55 [cas de parrainage], sont tenues de remplir le formulaire Imm. OS.8, que l'agent des visas doit conserver en permanence.

[141]     Le demandeur soutient qu'il résulte du rapprochement de ces deux textes que, même si tous les sujets britanniques se voyaient d'abord remettre une trousse contenant le formulaire IMM.461, les « autres modalités » indiquées dans le formulaire U.K.1 et prescrites par le Règlement sur l'immigration et le Guide de l'immigration obligeaient les sujets britanniques par naturalisation à remplir le formulaire OS.8.

[142]     Le demandeur se fonde également sur le témoignage de M. Gunn, qui a affirmé que les citoyens britanniques naturalisés étaient tenus de remplir le formulaire OS.8, et qu'ils étaient susceptibles de faire l'objet de contrôles sécuritaires de la part d'un agent de contrôle des visas selon les renseignements qu'ils communiquaient au sujet de leur antécédents depuis 1939. M. Gunn a fait remarquer que les agents des visas étaient en gros au courant des diverses catégories tombant sous le coup des critères de refoulement pour raisons de sécurité, mais qu'il avait été décidé que les agents de la GRC étaient les personnes les plus compétentes pour procéder aux contrôles sécuritaires. Il a déclaré que les agents des visas avait acquis ces connaissances « peu à peu » et il a cité plus précisément un document d'immigration intitulé [TRADUCTION] « Directive no 1 » , qui constituait la première directive donnée au sujet des collaborateurs[53]. Ce document, qui porte la date du 29 mars 1947 et qui a été estampillé le 15 avril de la même année précise, dans son préambule, que [TRADUCTION] « toutes les directives antérieures concernant la procédure à suivre pour l'examen des demandes d'admission sont par la présente annulées et remplacées par ce qui suit : [...] » Sous la rubrique « Immigration d'étrangers » , au bas de la page 1, on trouve les précisions suivantes : [TRADUCTION] « Les personnes ayant servi l'ennemi à quelque titre que ce soit ne peuvent être admises » . Suivant M. Gunn, s'il faut en croire ce document, les agents des visas présumaient automatiquement que ces personnes étaient visées par les critères de refoulement. Cette impression a été renforcée par d'autres documents ultérieurs, tels que la circulaire no 14, un directive du Cabinet en date du 28 octobre 1949, sur la nécessité de ne pas divulguer les résultats des contrôles de sécurité aux requérants. Ce document mentionne les « collaborateurs » parmi les personnes [TRADUCTION] « jugées non admissibles en vertu de la Loi sur l'immigration » [54]. Toutefois, M. Gunn a témoigné que les agents des visas n'ont pas été informés des modifications apportées à la définition du mot « collaborateur » , notamment à celle qui a eu lieu le 15 mai 1952, date où la définition a été limitée pour englober les personnes [TRADUCTION] « qui devraient être exclues pour des raisons de turpitude morale, sauf les collaborateurs mineurs qui ont agi sous la contrainte » [55].

[143]     M. Gunn a témoigné que si, en sa qualité de fonctionnaire de l'immigration, il avait reçu un formulaire OS.8 dans lequel, en réponse à la question no 33, le requérant avait répondu qu'il avait servi au sein des Waffen SS ou encore dans un camp de concentration ou un corps de police auxiliaire dans un pays occupé par les nazis, il aurait renvoyé le requérant pour qu'il subisse un contrôle de sécurité. En outre, si, en 1959, il avait reçu la demande d'un sujet britannique naturalisé qui serait né et aurait vécu dans un pays occupé par l'Union Soviétique après 1944, il l'aurait renvoyé pour subir un contrôle de sécurité. Il ne pouvait s'imaginer qu'un autre agent d'immigration aurait agi autrement dans les circonstances.

[144]     L'avocat du défendeur affirme que, contrairement à ce que M. Gunn affirme dans son témoignage, les citoyens britanniques naturalisés n'étaient pas tenus de remplir un formulaire OS.8 et qu'ils n'étaient pas assujettis à des contrôles sécuritaires. Cette affirmation a été corroborée par le docteur P.E. Hoogewerf, que le défendeur a fait entendre comme témoin. Le docteur Hoogewerf, un citoyen britannique par naturalisation né en Inde, qui avait demandé et obtenu l'admission au Canada en 1960. Lorsqu'on l'a reporté aux formulaires IMM.461 et OS.8, il a témoigné qu'il était certain à quatre-vingts pour cent qu'il avait rempli un formulaire IMM. 461 et non un formulaire OS.8. Plus précisément, il ne se rappelle pas que le formulaire qu'il a rempli était en français et en anglais. Il était libellé en anglais seulement. De plus, les détails qu'il avait eu à fournir au sujet de ses emplois antérieurs étaient [TRADUCTION] « fort simples » et il ne se souvient pas qu'on lui ait demandé, dans ce formulaire ou de vive voix, quelque question que ce soit au sujet de ses antécédents professionnels durant la guerre.

[145]     En contre-interrogatoire, M. Gunn a reconnu qu'il n'était au courant d'aucune directive voulant que les citoyens britanniques par naturalisation reçoivent un formulaire OS.8 après avoir rempli un formulaire IMM. 461. Dans ces conditions, il maintient que le fait pour le requérant de remplir un formulaire OS.8 était moins important que le fait de donner les renseignements exigés par la question no 33 au sujet de ses activités de temps de guerre. Il a d'ailleurs précisé que ces renseignements pouvaient être obtenus au cours de l'entrevue.

[146]     Il ressort d'une série de documents qui ont été produits que les citoyens britanniques naturalisés ne faisaient pas l'objet de contrôles sécuritaires. Ainsi, une note de service adressée le 7 février 1951 par le Directeur du Service de l'immigration au sous-ministre de l'immigration porte ce qui suit, à son premier paragraphe : [TRADUCTION] « Pour le moment, tous les immigrants font l'objet d'un contrôle sécuritaire, sauf les citoyens britanniques, les citoyens d'Irlande, les citoyens des États-Unis, les résidents légaux et permanents des États-Unis et les citoyens de naissance des pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud qui y résident » . Au paragraphe 7, on résume le rôle du bureau de la sécurité de Londres, en déclarant qu'il [TRADUCTION] « autorise tous les étrangers résidant au Royaume-Uni qui demandent leur admission au Canada » [non souligné dans l'original].

[147]     Voici un extrait d'un document intitulé [TRADUCTION] « Contrôle sécuritaire des immigrants britanniques » provenant du secrétaire du Conseil de sécurité, P.M. Dwyer, et portant la date du 5 septembre 1952 :

[TRADUCTION]

Le fait que les immigrants britanniques ne fassent l'objet d'aucun contrôle de sécurité avant d'entrer au Canada préoccupe depuis un certain temps les membres du Conseil [...] Les immigrants britanniques ne sont soumis à aucun contrôle de sécurité avant d'entrer au Canada.

[148]     Dans une lettre en date du 20 octobre 1955 adressée au sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, le colonel Laval Fortier, le commissaire de la GRC L.H. Nicholson déclare, au paragraphe 3 :

[TRADUCTION]

Nous avons avec les services de sécurité britanniques une entente très satisfaisante suivant laquelle on nous prévient si un communiste cherche à immigrer au Canada. Bien qu'en pareil cas nous ne soyons pas en mesure d'empêcher son entrée, nous pouvons à tout le moins suivre ses déplacements une fois qu'il est arrivé au Canada.

[149]     Un document du ministère des Affaires extérieures du Canada daté du 19 janvier 1956 et qui provient d'Ottawa et porte la mention « confidentiel » prévoit que [TRADUCTION] « suivant la procédure d'immigration, tous les candidats à l'immigration au Canada doivent faire l'objet d'un contrôle sécuritaire, à l'exception : a) des sujets britanniques, des citoyens des pays du Commonwealth britannique et des citoyens d'Irlande » [56].

[150]     Le 28 novembre 1956, le directeur du S.G.R.S.-R.-U. a envoyé une note de service confidentielle au chef par intérim de la Division des opérations de la Direction de l'immigration. En voici un extrait :

[TRADUCTION]

[...] conformément à la note de service no 163/56 envoyée au bureau de Londres le 17 août 1956, les agents qui interviennent à l' « étape B » ne relèvent plus de nos bureaux. En conséquence, les interrogatoires ou entrevues préliminaires qui ont lieu à l' « étape B » n'ont plus lieu à nos bureaux du Royaume-Uni.

On y trouvait ensuite les précisions suivantes : [TRADUCTION] « Les formulaires verts U.K.8 utilisés à l' « étape B » sont transmis en quatre exemplaires à l'agent de l' « étape B » à la Maison du Canada pour qu'il complète la documentation relative à l' « étape B » . Le contenu du formulaire U.K.8 est expliqué dans le document précité de la Direction de l'immigration en date du 25 mars 1958, qui comprend une table des matières des modèles de lettres qui étaient utilisés au Royaume-Uni à l'époque[57]. Dans la table des matières, le formulaire U.K.8 est désigné sous le nom de [TRADUCTION] « "formulaire vert" (étape B) utilisé dans le cas de candidats à l'immigration étrangers ou britanniques ayant des antécédents criminels pour lesquels une autorisation est requise » . Compte tenu de ces explications, je conclus qu'un citoyen britannique n'était soumis à un contrôle sécuritaire administratif que lorsque son formulaire IMM. 461 révélait qu'il avait un casier judiciaire.

[151]     Mentionnons finalement un communiqué daté du 28 juin 1957 et revêtu de la mention « secret » que le sous-comité sur les contrôles sécuritaires du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a envoyé au Comité de réexamen des politiques et des procédures en matière d'immigration. Sous la rubrique [TRADUCTION] « Analyse des critères de sécurité » , on trouve [TRADUCTION] « un aperçu des critères qui, pour le moment, permettent d'accorder une dispense ou une exemption en matière de contrôles de sécurité » . Sous l'intitulé [TRADUCTION] « Royaume-Uni » , au paragraphe 12, on trouve ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] bien qu'un communiste britannique soit tout aussi dangereux qu'un communiste d'un autre pays, il n'est pas sage, sur le plan politique, ni possible, sur le plan pratique, de procéder à des contrôles de sécurité au Royaume-Uni [...] L'instauration de contrôles sécuritaires conduirait inévitablement à un ralentissement du flux d'immigrants en provenance du Royaume-Uni. Même si le contrôle sécuritaire des communistes britanniques devait s'avérer plus important que l'immigration des citoyens britanniques, il n'en demeure pas moins qu'il ne semble pas exister au Royaume-Uni d'installations permettant de procéder au contrôle sécuritaire de sujets britanniques.

À la page 15 du rapport, on trouve ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] il est recommandé que les sujets britanniques de naissance ou par naturalisation soient exemptés pour le moment de tout contrôle de sécurité. [Non souligné dans l'original.]

[152]     Il ressort de ce rapport interne du ministère de l'Immigration que tous les citoyens britanniques - que ce soit de naissance ou par naturalisation - étaient dispensés de tout contrôle de sécurité en 1959 lorsque M. Podins a présenté sa demande d'admission au Canada.

[153]     Il ressort de l'annexe B qui est jointe au présent rapport que tous les citoyens britanniques - à l'exception de ceux ayant un casier judiciaire - ne se sont pas seulement vu accorder une dispense de contrôles de sécurité, mais qu'ils étaient exemptés en tant que catégorie de tout contrôle sécuritaire. L'annexe B énumère les catégories d'immigrants, ainsi que les mesures de sécurité dont ils faisaient l'objet. Sous la rubrique [TRADUCTION] « Immigrants qui NE font normalement PAS l'objet de contrôles de sécurité » , on trouve la mention suivante, à l'alinéa a) : [TRADUCTION] « Sujets britanniques (sauf les personnes nées à Chypre) » . La disposition citée à l'appui de cet usage est l'article 7.07, qui renvoie au paragraphe du Guide de l'immigration où sont énumérées les [TRADUCTION] « catégories de personnes qui ne font normalement pas l'objet de contrôles sécuritaires » . Il ressort par ailleurs de plusieurs des paragraphes du rapport du 28 juin 1957 lui-même qu'on faisait une distinction entre une dispense et une exemption. Ainsi, alors qu'au paragraphe 22, il est question d'exemptions fondées sur l'âge, au paragraphe 24, on parle de dispense accordée aux femmes dont le mari a obtenu une autorisation au terme d'un contrôle de sécurité. Qui plus est, au paragraphe 26, on recommande que les femmes n'aient plus à obtenir une dispense, mais qu'on leur accorde plutôt une exemption. Au paragraphe 40, on recommande l'abandon de [TRADUCTION] « la formalité de la dispense ministérielle » et son remplacement par une exemption dans le cas des personnes qui entrent dans la catégorie des « proches parents » . Dans le résumé des recommandations que l'on trouve au paragraphe 58, il est recommandé que [TRADUCTION] « les catégories de personnes exemptées et de celles bénéficiant d'une dispense soient regroupées en une seule et même catégorie d'exemption » . Il ressort de ces textes qu'on établissait une distinction entre les personnes bénéficiant d'une dispense à l'égard de l'obligation de se soumettre à un contrôle de sécurité et celles qui étaient exemptées. Il ressort du rapprochement de ces extraits et de la recommandation formulée au paragraphe 15 du rapport voulant que les sujets britanniques par naturalisation [TRADUCTION] « soient dispensés pour le moment de tout contrôle de sécurité » que M. Podins était exempté de tout contrôle de sécurité lorsqu'il a présenté sa demande d'admission au Canada en 1959.

[154]     Le témoignage de l'ancien agent de contrôle des visas, M. Cliffe, appuie cette conclusion. Il a en effet témoigné que les citoyens britanniques faisaient l'objet d'une procédure de sélection sur dossier, mais que [TRADUCTION] « même si les résultats de cette vérification étaient positifs, on les laissait immigrer au Canada [...][58]. Interrogé à nouveau sur ce point, il a confirmé que, bien qu'il se rappelle que les citoyens britanniques faisaient l'objet d'une procédure de sélection sur dossier, [TRADUCTION] « aucune mesure n'était prise sur la foi des renseignements que nous obtenions. Nous nous contentions de donner des précisions aux autorités canadiennes sur l'identité du candidat à l'immigration » [59]. En contre-interrogatoire, il a convenu que, selon toute vraisemblance, les citoyens britanniques qui immigraient de Londres au Canada en 1958 ou en 1959 n'étaient pas interrogés par des agents de contrôle des visas. Invité à formuler ses observations au sujet de la note de service confidentielle en date du 28 novembre 1956 adressée par le directeur du S.G.R.S.-R.-U. au chef par intérim de la Division des opérations de la Direction de l'immigration, il a convenu qu'à cette date, [TRADUCTION] « les interrogatoires ou entrevues préliminaires à l'étape B n'étaient plus effectués aux bureaux de la GRC au Royaume-Uni » [60]. Lors de son interrogatoire principal, il a témoigné que les sujets britanniques n'étaient pas soumis à l' « étape B » , peu importe qu'ils soient sujets britanniques de naissance ou par naturalisation[61].

[155]     Ainsi qu'il a déjà été signalé, M. Gunn a témoigné qu'un agent d'immigration aurait déféré une personne comme M. Podins aux autorités compétentes pour un contrôle sécuritaire. Il a cité l'alinéa 7.03b) du Guide de l'immigration qui était en vigueur en mai 1959 et qui autorisait les fonctionnaires de l'immigration à déférer un requérant aux autorités compétentes pour un contrôle sécuritaire et ce, même si le requérant faisait partie d'une catégorie de personnes exemptées. L'alinéa 7.03b) dispose :

[TRADUCTION]

Tout agent de la GRC visé à l'alinéa a) qui est affecté à un bureau canadien des visas à l'étranger peut être requis par l'agent des visas de soumettre à un contrôle sécuritaire tout candidat à l'immigration, indépendamment de sa nationalité ou de son pays de résidence habituelle.

[156]     J'estime que, même s'ils disposaient de ce pouvoir discrétionnaire, il est peu probable que les agents d'immigration l'auraient exercé régulièrement. Ainsi que M. Cliffe l'a déclaré dans son témoignage, les agents d'immigration avaient tendance à ne pas déférer les candidats immigrants aux autorités compétentes pour qu'ils subissent un contrôle de sécurité à moins d'être obligés de le faire. Leur attitude envers les requérants était, pour reprendre les paroles de M. Cliffe, [TRADUCTION] « de les laisser entrer au Canada » [62]. Ces propos ont été confirmés par M. d'Ombrain, qui a reconnu, en contre-interrogatoire, qu'il était généralement vrai que [TRADUCTION] « la politique du gouvernement canadien depuis le tout début de l'histoire du Canada jusqu'au moins en 1959 était de favoriser et d'encourager l'immigration des citoyens britanniques au Canada » [63].

[157]     Même en tenant compte du pouvoir discrétionnaire qu'avaient les agents d'immigration de recommander un contrôle de sécurité en vertu de l'alinéa 7.03b) du Guide de l'immigration, dans sa rédaction en vigueur en 1959, on ne peut établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Podins était susceptible de faire l'objet d'un contrôle de sécurité. Comme les seuls éléments de preuve directs sont le témoignage que M. et Mme Podins ont donné au sujet des formalités auxquelles ils ont effectivement été soumis lors de leur immigration au Canada, la thèse du demandeur repose sur la présomption que la procédure suivante était suivie de façon constante et uniforme : (1) les citoyens britanniques naturalisés étaient en règle générale tenus de fournir des détails au sujet de ce qu'ils avaient fait durant la guerre en remplissant le formulaire OS.8 ou un autre formulaire pour pouvoir obtenir un visa d'immigrant canadien ; (2) les agents d'immigration qui travaillaient sur le terrain en 1959 avaient en règle générale coutume d'exercer le pouvoir discrétionnaire que leur conférait l'alinéa 7.03b) du Guide de l'immigration de manière à déférer les citoyens britanniques naturalisés à des agents chargés de les soumettre à des contrôles de sécurité à l' « étape B » , malgré l'exemption générale dont bénéficiaient les citoyens britanniques ; (3) les agents chargés de procéder aux contrôles de sécurité à l' « étape B » rejetaient la candidature des individus ayant travaillé comme magasiniers dans des prisons contrôlées par les Allemands au cours de la Seconde Guerre mondiale.

[158]     Plusieurs facteurs permettent de conclure que les pratiques suivies n'étaient pas aussi uniformes que ce que l'on prétend. Les documents d'immigration et de la GRC que nous avons examinés corroborent la thèse du défendeur suivant laquelle les citoyens britanniques naturalisés n'étaient pas soumis à des contrôles de sécurité. Il ressort de la table des matières des modèles de lettres qui étaient utilisés au Royaume-Uni, du témoignage de M. et de Mme Podins et de celui du docteur Hoogewerf que, malgré l'article 6.27 du Guide de l'immigration, qui obligeait tous ceux qui demandaient un visa à remplir un formulaire OS.8, les requérants dont la demande était examinée au bureau de Londres étaient exemptés de cette formalité. Ils remplissaient plutôt le formulaire IMM. 461. Ainsi, l'agent d'immigration qui interrogeait les requérants n'avait pas en mains les renseignements visés à l'article 33 du formulaire OS.8, c'est-à-dire les antécédents de guerre de l'intéressé. Compte tenu de ces facteurs, même en acceptant que les agents d'immigration pouvaient exercer leur pouvoir discrétionnaire en déférant l'intéressé aux autorités compétentes pour qu'elles procèdent à un contrôle de sécurité, on ne saurait présumer qu'ils l'auraient fait aussi régulièrement qu'il le fallait, d'autant plus qu'il n'a pas été démontré qu'ils possédaient les renseignements nécessaires au sujet des antécédents de guerre de l'intéressé. Même en supposant qu'ils disposaient de ces renseignements, l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est par définition individuel et ne permet pas de conclure qu'il existait une pratique uniforme parmi les agents d'immigration. Qui plus est, les éléments de preuve qui nous ont effectivement été soumis au sujet de la pratique suivie par les agents d'immigration de l'époque nous portent plutôt à croire qu'ils n'étaient pas enclins à déférer des requérants aux autorités compétentes pour subir des contrôles de sécurité, étant donné que leur principale préoccupation était de faciliter l'immigration britannique au Canada. Finalement, même dans le cas peu probable où un agent d'immigration aurait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière à déférer M. Podins à un contrôle sécuritaire à l' « étape B » , on ne saurait conclure que l'agent de l' « étape B » aurait refusé la demande d'une personne qui avait été magasinier dans une prison sous le contrôle des Allemands en Lettonie au cours de la Seconde Guerre mondiale.

[159]     Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait conclure que, parce que M. Podins s'est vu délivrer un visa, il a nécessairement dissimulé intentionnellement des faits essentiels aux autorités canadiennes de l'immigration ou aux autorités chargées des contrôles de sécurité. Je suis d'accord avec le défendeur pour dire qu'en 1958 et 1959, les citoyens britanniques étaient exemptés des contrôles de sécurité, et je conclus que M. Podins n'a pas été soumis à un contrôle de sécurité. Je suis convaincu que M. Podins a rempli le formulaire IMM. 461 et qu'il a répondu véridiquement aux questions de ce formulaire. En tout état de cause, il n'existait de toute évidence aucun système uniforme au Royaume-Uni en 1959 pour qu'on puisse conclure que M. Podins a probablement été déféré aux agents chargés des contrôles de sécurité avant son admission au Canada.

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE FAIT

[160]     Mes conclusions de fait précitées peuvent se résumer comme suit. Le nom de M. Podins se trouvait sur la liste de paye de la police auxiliaire de Valmiera entre le 17 novembre 1941 et la mi-septembre 1943. Il n'a pas été accepté son emploi à la prison de Valmiera sous la contrainte. Je suis toutefois convaincu qu'il ne travaillait pas, en fait, comme policier, et qu'il était désigné dans les registres de la prison comme schutzman ou kartibnieks parce qu'il n'existait pas de catégorie officielle d'emploi de « magasinier » , poste qu'il occupait effectivement à la prison de Valmiera.

[161]     Les conditions de vie à la prison de Valmiera ne respectaient pas les normes contemporaines en matière de droits internationaux de la personne, ni les normes d'une prison canadienne contemporaine. D'anciens prisonniers ont témoigné qu'ils avaient été envoyés aux travaux forcés, qu'ils étaient mal nourris et qu'ils étaient battus. Il y a également des témoignages directs et corroborés au sujet d'une exécution survenue à la prison sous la surveillance du personnel SS allemand. Les éléments de preuve présentés au sujet des conditions de détention à la prison de Valmiera ne permettent cependant pas de conclure à l'existence de la brutalité systématique d'un camp de concentration. Je conclus qu'il ne s'agissait pas d'un camp de concentration, mais bien d'une prison relevant du contrôle de l'occupant allemand au cours des années en question.

[162]     Ainsi que je l'ai déjà souligné, le témoignage de M. Podins était, dans l'ensemble, crédible, pour ce qui est des fonctions qu'il a remplies à la prison de Valmiera. Les ex-détenus qui ont témoigné devant la commission se souvenaient de lui, non pas comme d'un gardien, mais comme d'un magasinier, et aucun ne se rappelait l'avoir vu porter un uniforme de gardien. Ses activités de magasinier ne l'obligeaient pas à pénétrer à l'intérieur du périmètre de la prison de Valmiermuiza. Il ressort de la visite des lieux que la commission a effectuée que ces secteurs carcéraux étaient dissimulés à sa vue et aucun élément de preuve ne permet de conclure le contraire. La prétendue ignorance de M. Podins en ce qui concerne l'exécution de deux prisonniers, exécution qui a eu lieu à Valmiermuiza en février 1942, n'est pas crédible. Mme Kalve et M. Krauja, deux anciens employés de la prison, se rappellent avoir été forcés d'assister à cette exécution, et il n'est pas vraisemblable que M. Podins n'ait aucun souvenir de cet événement et qu'il n'en ait pas eu connaissance. Toutefois, bien que sa prétendue ignorance soulève des doutes quant à sa crédibilité générale, je conclus que son témoignage est digne de foi et qu'il est corroboré sur tous les points essentiels qui ont été soulevés devant moi. Qui plus est, les doutes qui subsistent au sujet du souvenir que M. Podins conserve des événements qui ont eu lieu à la prison de Valmiera ne le font pas tomber sous le coup des allégations formulées par le demandeur au sujet de sa présumée collaboration avec l'occupant allemand au cours de la période en cause.

[163]     De plus, même si les activités de M. Podins à la prison de Valmiera pouvaient être qualifiées de « collaboration » au sens où l'entendaient les agents canadiens chargés de procéder aux contrôles de sécurité en 1959, le demandeur n'a pas démontré que les citoyens britanniques naturalisés étaient assujettis à des contrôles de sécurité à l'époque. Ils n'étaient pas tenus de remplir un formulaire OS.8, qui était obligatoire pour tous les étrangers et qui obligeait les candidats à l'immigration à fournir des détails au sujet des emplois qu'ils avaient occupés au cours de la guerre, ainsi que de leur service militaire et de leur statut de prisonnier de guerre. Les citoyens britanniques par naturalisation étaient plutôt tenus de remplir le formulaire IMM. 461, qui ne renfermait aucune question au sujet des antécédents de guerre du requérant. Il n'a pas été établi non plus que M. Podins aurait été interrogé à ce sujet lors de son entrevue d'immigration. Compte tenu de la preuve documentaire soumise à la Cour et du témoignage d'autres citoyens britanniques qui ont immigré au Canada à l'époque, je ne puis accepter l'argument du demandeur suivant lequel on posait systématiquement ce genre de question aux citoyens britanniques par naturalisation. Je conclus donc que M. Podins n'a pas fait l'objet de contrôles sécuritaires lorsqu'il a immigré au Canada en 1959.

[164]     Vu ces conclusions de fait, je conclus qu'Eduard Podins a été légalement admis au Canada le 29 mai 1959 et qu'il n'a pas obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Comme j'ai conclu que M. Podins n'a pas fait l'objet de contrôles de sécurité en 1959, il n'est pas nécessaire de décider si la loi autorisait de tels contrôles à l'époque.

MORALITÉ

[165]     Ainsi qu'il a déjà été signalé, le demandeur cherche à obtenir la révocation de la citoyenneté de M. Podins au motif supplémentaire qu'il a obtenu la citoyenneté canadienne en violation de l'alinéa 10(1)d) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C., 1970, ch. C-19, dans sa rédaction en vigueur à l'époque où il a présenté sa demande de citoyenneté en 1971. Cet alinéa était ainsi libellé :

10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal

                                                                                                     [...]

d) qu'elle est de bonne vie et moeurs et n'est pas sous le coup d'une ordonnance d'expulsion.

Le demandeur soutient qu'en raison des activités auxquelles il s'est livré durant la guerre, le défendeur n'était pas de bonne vie et moeurs lorsqu'il a présenté sa demande de citoyenneté et qu'il a par conséquent obtenu la citoyenneté canadienne illégalement.

[166]     Compte tenu du témoignage de M. Podins et de celui d'autres personnes qui ont témoigné au sujet de ses agissements, je tire les conclusions suivantes au sujet de sa moralité. L'emploi de magasinier que M. Podins a exercé à la prison de Valmiera au cours de la guerre ne permet pas de conclure qu'il n'était pas « de bonne vie et moeurs » au sens de l'alinéa 10(1)d) de la Loi sur la citoyenneté canadienne qui était en vigueur en 1971. Il avait des rapports limités avec les détenus et, comme il a déjà été souligné, ne travaillait pas comme policier ou gardien. Bien que sa négation de toute connaissance de l'exécution qui a eu lieu à la prison de Valmiera et, de façon plus générale, des conditions qui existaient à la prison et au cours de la guerre, ébranle sa crédibilité, ces aspects douteux de son témoignage ne sont pas suffisants pour remettre en question sa « moralité » au moment de sa demande de citoyenneté, en 1971.

[167]     La défense a cité à la barre plusieurs témoins de moralité, notamment des membres de la famille, des amis et des associés d'affaires, qui ont témoigné que M. Podins était et est toujours un homme aimable, généreux, doux et honnête. Aucun des témoins ne connaissait en détail les activités de M. Podins au cours de la guerre. Pour apprécier ces témoignages, je tiens compte du fait que ces témoins ont été cités par la défense pour attester la moralité de M. Podins. Je constate par ailleurs qu'aucun des ex-détenus de la prison de Valmiera dont les intérêts pourraient être considérés comme étant opposés au défendeur n'a témoigné d'une manière qui pourrait ternir la réputation de M. Podins, que ce soit directement ou indirectement. Vu l'ensemble de la preuve soumise à la Cour, je conclus qu'en obtenant la citoyenneté canadienne en 1971, M. Podins n'a pas violé l'alinéa 10(1)d) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C-19, qui était en vigueur à l'époque de sa demande de citoyenneté.

[168]     Ainsi que je l'ai déjà déclaré, je conclus qu'Eduards Podins a été légalement admis au Canada le 29 mai 1959 et qu'il n'a pas obtenu la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Si les parties ne réussissent pas à s'entendre au sujet des dépens, elles peuvent présenter des observations écrites.

                                                                                                                                                                                                    

                                                                                                                                                   JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 9 juillet 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-1093-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et EDUARDS PODINS

LIEUX D'AUDIENCE :Vancouver (Colombie-Britannique)

Valmiera (Lettonie)

Londres (par vidéoconférence)

DATES D'AUDIENCE :12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21 et 24 août 1998

21, 22, 23 et 24 septembre 1998

3, 4, 5, 6, 9, 10, 12, 13, 16, 17, 18 et 19 novembre 1998

11, 12, 13, 14 et 15 janvier 1999

MOTIFS DE LA DÉCISION prononcés par le juge William P. McKeown le 9 juillet 1999

ONT COMPARU :Me George C. Carruthers

Me Esta Resnickpour le demandeur

Me Dennis G. McCreapour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le demandeur

McCrea & Associates

Vancouver (C.-B.)

pour le défendeur



     [1]Avis relatif à la demande de révocation de citoyenneté, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 10 mars 1997.

     [2]Idem.

     [3]Déposition écrite de M. Konrad Kwiet en date du 14 mars 1998, aux pages 14 et 15.

     [4]Commission rogatoire, transcription, à la page 227.

     [5]Déposition écrite de M. Konrad Kwiet en date du 14 mars 1998, à la page 40.

     [6]Transcription, à la page 380.

     [7]Déposition écrite de M. Konrad Kwiet en date du 14 mars 1998, à la page 37.

     [8]Commission rogatoire, transcription, à la page 511.

     [9]Déposition écrite de M. Konrad Kwiet en date du 14 mars 1998, à la page 37.

     [10]Commission rogatoire, transcription, à la page 198.

     [11]Commission rogatoire, transcription, à la page 428.

     [12]Commission rogatoire, transcription, à la page 205.

     [13]Commission rogatoire, transcription, à la page 433.

     [14]Commission rogatoire, transcription, à la page 413.

     [15]Commission rogatoire, transcription, à la page 536.

     [16]Commission rogatoire, transcription, à la page 526.

     [17]Commission rogatoire, transcription, à la page 531.

     [18]Transcription, à la page 1794.

     [19]Transcription, à la page 1807.

     [20]Transcription, à la page 1853.

     [21]Commission rogatoire, transcription, à la page 247.

     [22]Transcription, à la page 1821.

     [23]Commission rogatoire, transcription, à la page 213.

     [24]Transcription, à la page 1817.

     [25]Transcription, à la page 1809.

     [26]Voici le texte du paragraphe 13(3) du Règlement :

(3) Lorsqu'une personne mentionnée au paragraphe (1) [un sujet britannique] présente une demande de certificat de citoyenneté au Registraire en conformité de ce paragraphe et lorsque le Ministre, en conformité du paragraphe (2) de l'article 10 de la loi, renvoie la demande à un tribunal, les articles 10 à 12 des présents règlements s'appliquent à cette demande.

     [27]C.P. 695, 21 mars 1931.

     [28]Idem.

     [29]Hansard, Débats de la Chambre des communes, 1er mai 1947, à la page 2630.

     [30]Idem.

     [31]Ibidem.

     [32][TRADUCTION] « Mémoire au Cabinet : Personnes déplacées - politique concernant leur acceptation immédiate » , C.D. Howe, ministre par intérim des Mines et des Ressources et président du Comité du Cabinet sur la politique en matière d'immigration, Bureau du Conseil privé, 2 juin 1947.

     [33][TRADUCTION] « Mémoire au Cabinet : Rapport du Comité du Cabinet sur la politique d'immigration - Troisième rapport du Comité interministériel sur le travail et l'immigration » , J.A. MacKinnon, ministre des Mines et Ressources, Président du Bureau du Conseil privé, 15 septembre 1948.

     [34]Note d'Evan Gill à J.A. Glen en date du 23 août 1946.

     [35]A.D.P. H[eeney] à [Norman] Robertson (Sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures), 20 septembre 1946.

     [36]Evan Gill à J.A. Glen, 23 août 1946.

     [37] « Conclusions du Cabinet » , rencontre du 29 janvier 1947, à la page 5.

     [38][TRADUCTION] « Mémoire au Cabinet : Contrôle sécuritaire des candidats à l'immigration » , E.W.T. Gill, vice-président du Conseil de sécurité, Bureau du Conseil privé, 4 février 1947.

     [39]A.D.P. Heeney à J.A. Glen, lettre-décision du Cabinet, 7 février 1947.

     [40][TRADUCTION] « Projet de note de service au Premier ministre : Refoulement de candidats à l'immigration pour des raisons de sécurité » N.A.R[obertson], Bureau du Conseil privé, 16 septembre 1949.

     [41]Idem.

     [42][TRADUCTION] « Contrôle des personnes demandant l'admission au Canada » , A.C., dossier no C. 311-42-2-3 (vol. 2), 20 novembre 1948.

     [43]Commissaire adjoint Laval Fortier au commissaire Jolliffe, ministère des Mines et des Ressources, 7 février 1949.

     [44][TRADUCTION] « Directive du Cabinet : Circulaire no 14 : Refoulement des immigrants pour raisons de sécurité » . N.A. Robertson, secrétaire du Cabinet, Bureau du Conseil privé, 28 octobre 1949.

     [45]Procès-verbal de la 31e réunion du Conseil de sécurité en date du 27 octobre 1950, E.F. Gaskell, secrétaire, à la page 7.

     [46]S.T. Wood au major J.A. Wright, Ottawa, 30 novembre 1950.

     [47]Conseil de sécurité, procès-verbal de la 42e réunion, 15 mai 1952, P.M. Dwyer, secrétaire, aux pages 3 et 4.

     [48]Sous-comité du Conseil de sécurité, procès-verbal de la 13e réunion tenue le 18 octobre 1955, à la page 5.

     [49][TRADUCTION] « Politique en matière de contrôles de sécurité » annexée à la note adressée par Burns et d'autres au président du Comité de réexamen des politiques et procédures en matière d'immigration, 28 juin 1957, à la pahe 2.

     [50][TRADUCTION] « Réexamen des motifs actuels de refoulement des candidats à l'immigration » , 2 avril 1959, à la page 1.

     [51]Idem.

     [52]Directeur, S.C.S.C., R.-U., Londres au chef de la Division des opérations, à Ottawa.

     [53]Transcription, à la page 983.

     [54]Supra, note 44.

     [55]Supra, note 47.

     [56]Sous-secrétaire d'État aux affaires extérieures, à l'intention des chefs de bureaux canadiens à l'étranger et aux délégués commerciaux ne travaillant pas dans des bureaux du ministère des Affaires extérieures.

     [57]Supra, note 52.

     [58]Transcription, à la page 1329.

     [59]Transcription, à la page 1382.

     [60]Transcription, à la page 1391.

     [61]Transcription, aux pages 1407 et 1408.

     [62]Transcription, à la page 1388.

     [63]Transcription, à la page 584.

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