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Date : 20050601

Dossier : IMM-5578-04

Référence : 2005 CF 794

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

MING GUAN YU

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 31 mai 2004, qui a statué que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance de certiorari annulant la décision de la Commission de même qu'une ordonnance de mandamus obligeant la Commission à tenir une nouvelle audience.

Contexte

[3]                Le demandeur, Ming Guan Yu ( « le demandeur » ) est un ressortissant de la Chine qui est né dans la province du Fujian.

[4]                Le demandeur s'est converti au christianisme en juillet 2002. Par la suite, il a participé périodiquement à des services religieux aux domiciles de divers coreligionnaires. Il a soutenu qu'ils devaient se réunir au domicile des fidèles parce que ces services religieux sont illégaux.

[5]                Le demandeur a prétendu que, le 8 juin 2003, le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente au cours de l'une de leurs assemblées. Le demandeur a réussi à s'enfuir et s'est caché au domicile d'un membre de sa famille. Le BSP a arrêté deux membres de la congrégation.

[6]                Le demandeur a prétendu qu'au moment où il se cachait, des membres du BSP se sont rendus à son domicile pour l'arrêter. Ils sont revenus à un certain nombre de reprises parce qu'ils étaient à sa recherche. Puisque le demandeur a craint d'être arrêté et d'être emprisonné, il a quitté la Chine. Sa revendication du statut de réfugié fondée sur sa crainte d'être persécuté du fait de sa religion a été rejetée par la Commission.

Les motifs de la Commission

[TRADUCTION] J'estime que la revendication est irrecevable parce que la preuve documentaire objective indique que les « églises clandestines » dans la province du Fujian peuvent fonctionner de façon assez ouverte.

[. . .]

Je reconnais aussi que le demandeur fréquente une église chrétienne au Canada et qu'il est chrétien. Il connaît bien le christianisme et il a pu discuter sans difficulté de divers aspects de cette religion.

Selon la preuve documentaire objective, le gouvernement chinois a augmenté la répression contre les églises clandestines ou les cellules chrétiennes de base dans de nombreuses régions. Cependant, selon la preuve documentaire, il semble que la situation soit différente dans la province du Fujian.

Selon le UK Home Office Assessment d'octobre 2003, dans la province du Fujian, on tolère les cellules chrétiennes de base.

Dans la province du Fujian, la situation n'est pas la même que dans les principaux foyers d'activité anti-chrétienne. En effet, les églises officielles et non officielles fonctionnent parallèlement et les églises non officielles ne sont pas très « clandestines » . Par exemple, deux groupes, l'église du « Vrai Jésus » (True Jesus) et l'église du « Petit Troupeau » (Little Flock) fonctionnent de façon ouverte, la dernière ayant un gros temple bien visible à Fuzhou. Les églises non officielles du Fujian auraient des contacts avec le Three Self Patriotic Movement et le CCC [Chinese Christian Council]. Il semble que l'on construise beaucoup de nouvelles églises Fuzhou en réponse à la croissance rapide des conversions.

Selon le Dr. Burton, les églises prospèrent ouvertement au Fujian.

[Les provinces du Fujian et de Guangdong] sont très ouvertes. Très libérales et très ouvertes. Il y a toutes sortes d'églises au Fujian... et c'est la même chose au Guangdong. Je pensais plus aux provinces du Nord comme Qinghai ou Gansu. Dans certains de ces endroits, il peut y avoir du harcèlement, mais dans le Sud... le gouvernement ne voit pas pour quelle raison il se mêlerait de ces choses-là sans en retirer d'avantage.

La communauté du demandeur était petite et ne comptait que neuf fidèles. Elle n'avait pas de nom et, selon le demandeur, n'était pas affiliée à d'autres religions ou congrégations. Donc, rien ne démontre que son groupe faisait partie de l'un des « cultes » visés par les persécutions. Sa congrégation religieuse ne semble pas avoir été connue dans la collectivité. C'était simplement un petit groupe de la province du Fujian qui se réunissait pour chanter, prier et discuter de religion. D'après la documentation sur le pays, j'estime, selon la prépondérance des probabilités que les autorités de la province du Fujian ne feraient pas de descente chez ces gens pour ce type d'activité religieuse et n'essaieraient pas de supprimer cette dernière. Je préfère la preuve documentaire objective sur le pays d'origine à celle du demandeur en ce qui concerne la persécution des cellules chrétiennes de base ou des églises clandestines dans la province du Fujian.

CONCLUSION

À partir des documents sur le pays d'origine, j'estime, selon la prépondérance des probabilités, que la version du demandeur selon laquelle des membres du BSP ont fait une descente au domicile utilisé par sa cellule chrétienne de base et ont cherché à l'arrêter n'est pas crédible...

[7]                La question en litige

Est-ce que la Commission a commis une erreur en statuant que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger?

Les observations du demandeur

[8]                Le demandeur a allégué que les deux brefs extraits mentionnés dans les motifs de la Commission ne donnent pas une idée juste des documents dont cette dernière était saisie. L'examen de tous les documents concernant la persécution religieuse en Chine démontre qu'il n'existe pas de politique cohérente dans l'ensemble du pays ou dans telle ou telle région. Compte tenu de l'ensemble de la preuve qui montre clairement l'existence de persécutions parrainées par le gouvernement, la Commission a clairement commis une erreur de droit en ne retenant de cette preuve documentaire que les éléments étayant son point de vue selon lequel il n'y a pas de persécution.

[9]                Le demandeur prétend que d'autres sources documentaires que celles qui ont été citées par la Commission attestent de l'importance de la persécution religieuse constante en Chine.

[10]            Voici des extraits du Department of State Report des États-Unis pour 2002 :

[TRADUCTION] Tout au long de l'année, le gouvernement a mené une dure campagne de répression de la criminalité, comprenant notamment des rafles de suspects parfois condamnés dans des stades devant des milliers de spectateurs... Des dissidents, des « séparatistes » et des membres d'églises clandestines ont été visés par ces mesures...

. . . Dans certaines régions, les autorités ont fait de grands efforts pour réduire les activités des églises catholiques et protestantes non autorisées; des célébrations religieuses ont été interrompues et des dirigeants ou fidèles de congrégations ont été harcelés et, parfois, ont été soumis à l'amende, détenus, battus et torturés. À la fin de l'année, les fidèles de certaines religions sont demeurés emprisonnés à cause de leurs activités religieuses...

Globalement, le gouvernement a très peu respecté les libertés religieuses et les descentes visant des groupes non inscrits, y compris des groupes protestants et catholiques clandestins, les Ouïgours musulmans et les Tibétains bouddhistes, se sont poursuivies...

Des cellules de base protestantes ont signalé qu'après la Conférence du Conseil d'État sur la religion de décembre 2001 [State Council Work Conference on Religion], les descentes pendant les services religieux avaient augmenté, ce qui entraînait une augmentation du nombre de détentions. Le 5 février Huang Aiping, Li Wulong, and Ji Qingjun ont été condamnés à 7 ans de prison pour « avoir utilisé une organisation vouée au culte dans le but d'enfreindre la loi » à Xiamen, province de Fujian. . .

[11]            Voici des extraits du International Religious Freedom Report du 7 octobre 2000 :

[TRADUCTION] En février 2002, Freedom House a publié des documents secrets qui auraient été rédigés par le gouvernement entre 1999 et 2001. Les documents exposaient l'intention du gouvernement de réprimer l'activité religieuse non contrôlée par l'État et d'imposer des peines criminelles sévères dans le cadre d'un effort systématique visant à éliminer les groupes religieux non inscrits.

. . . Pendant la période visée par ce rapport, le gouvernement a poursuivi sa répression généralisée des églises, temples et mosquées non inscrits. La police a fermé des mosquées, temples et séminaires clandestins de même que quelques églises catholiques et a démantelé des cellules de base protestantes...

Les agents des douanes continuent à lutter contre « l'entrée en fraude » de bibles et d'autres documents religieux dans le pays... Selon des rapports sérieux, les autorités confisquent parfois des bibles lors des descentes visant des cellules de base.

Dans certaines régions, les responsables de la sécurité utilisent la menace, la destruction de biens non inscrits, l'extorsion d' « amendes » , les interrogatoires, la détention et parfois les passages à tabac et la torture, afin de harceler les dirigeants et adeptes des religions non officielles.

Les infractions liées à l'appartenance à des groupes religieux non autorisés sont considérées comme des atteintes à l'ordre public. Selon le Law Yearbook of China, les arrestations de personnes ayant attenté à l'ordre social ont augmenté, passant de 76 500 personnes à plus de 90 000 personnes entre 1998 et 1999, soit les données les plus récentes dont nous disposons...

Les autorités locales appliquent aussi des procédures administratives pour punir les membres de groupes religieux non inscrits. En effet, les citoyens peuvent être condamnés, par un tribunal non judiciaire composé de policiers et de dirigeants locaux, à des peines pouvant atteindre trois ans dans des établissements semblables à des prisons appelés camps de rééducation par le travail. Nombre de détenus et prisonniers appartenant à des groupes religieux se trouvaient dans ce genre d'établissement pendant la période visée par le présent rapport...

[12]            Le demandeur a prétendu que même si la Commission avait la compétence voulue pour apprécier la preuve objective, étant donné que la majorité de la preuve documentaire soutient la position du demandeur, la Cour peut conclure que la Commission a, soit mal interprété, soit laissé de côté, des éléments de preuve qui lui étaient soumis et, partant, qu'elle a tiré une conclusion contraire à la preuve. (voir Perez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 1 C.F. 753).

[13]            Le demandeur a soutenu que, même si certains documents donnent à penser que la politique du gouvernement chinois dans ce domaine est très souple dans la province du Fujian, d'autres indiquent le contraire. La Commission a commis une erreur en effectuant une analyse microscopique de la preuve objective, en cherchant à trouver des cas qui contredisaient la preuve soumise par le demandeur. Le demandeur a de plus ajouté que lorsque les documents se contredisent, la Commission doit donner le bénéfice du doute au demandeur (voir Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302).

Les observations du défendeur

[14]            Selon le défendeur, l'examen des motifs de la Commission montre que l'évaluation que la Commission a faite de la preuve documentaire était équilibrée et juste. La Commission a tenu compte d'une preuve documentaire très probante et particulièrement pertinente eu égard au profil du demandeur, soit un chrétien appartenant à une congrégation religieuse clandestine de la province du Fujian.

[15]            Aucun élément de la preuve documentaire mentionnée par le demandeur ne prouvait que les chrétiens appartenant à de petites congrégations clandestines de la province du Fujian sont soumis à des violations des droits de la personne systématiques, constantes ou généralisées de la part du BSP.

[16]            Le défendeur a soutenu que le demandeur, essentiellement, affirme que la Commission aurait dû accorder plus de poids à des documents favorables à sa position. Il ne revient pas à la Cour d'imposer ses propres conclusions sur la façon dont la preuve documentaire aurait dû être évaluée (voir Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. No 457).

[17]            Le défendeur prétend que la Commission est habilitée à s'appuyer sur certains éléments de preuve et non sur d'autres, en cas de conflit. Tant que les conclusions de la Commission sont fondées rationnellement sur la preuve dont elle est saisie, comme c'est le cas en l'espèce, la Cour ne devrait pas modifier le résultat final (voir Tawfik c. Canada (1993), 26 Imm L.R. (2d) 148 (C. F., 1re inst.)). Puisque la Commission a tenu compte des circonstances particulières dans lesquelles se trouvait le demandeur et de la documentation générale sur le pays, la Commission a statué en s'inspirant raisonnablement de la preuve soumise.

[18]            Le défendeur a soutenu que la Commission est présumée avoir examiné et évalué toute la preuve soumise, à moins que le contraire soit prouvé (voir Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. No 598 (C.A.F.)). En l'espèce, où la conclusion de la Commission selon laquelle il n'existait pas de preuve objective concernant les chrétiens des églises clandestines de la province du Fujian ne contredit pas directement l'ensemble de la preuve documentaire, la Commission n'était pas tenue de discuter de l'ensemble de la preuve documentaire sur laquelle le demandeur s'est appuyé ou de la résumer.

Les dispositions législatives pertinentes

[19]            Voici la définition des termes « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » à l'article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention C le réfugié C la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes C sauf celles infligées au mépris des normes internationales C et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Analyse et décision

[20]            La norme de contrôle judiciaire s'appliquant aux conclusions sur la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) et N'Sungani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. No 2142).

[21]            La Commission a statué que, même s'il y avait une répression généralisée contre les églises en Chine, ce n'était généralement pas le cas dans la province du Fujian. La Commission s'est appuyée sur deux documents précis, dont l'un était la transcription d'une téléconférence avec Monsieur Charles Burton en avril 2003.

[22]            Le demandeur a mentionné les énoncés suivants figurant dans le Asia China Country Report du International Christian Concern, à partir de la page 233 du dossier du tribunal :

[TRADUCTION] 18 juillet 2002 - Un cours de catéchisme catholique romain dans la province du Fujian a été interrompu par une descente de police et une religieuse, 4 surveillants et 26 enfants de moins de 18 enfants ont été arrêtés et placés en détention à la prison du comté de Lianjing. Les enfants et les surveillants ont été relâchés le jour suivant, mais la soeur Chen Mei demeure emprisonnée (Fondation Cardinal Kung).

[TRADUCTION] 5 janvier 2002 - Li Guangqiang, homme d'affaires de Hong Kong, a été accusé de se servir d'un culte pour entraver l'application de la loi. En avril 2000, Monsieur Li avait livré 17 000 bibles à un groupe chrétien appelé les Shouters. Il a été arrêté le mois suivant, au moment où il tentait de livrer un autre chargement de 16 000 bibles et il a été détenu dans la province du Fujian. Deux dirigeants des Shouters ont aussi été accusés. Le groupe n'est pas inscrit auprès du gouvernement chinois et a été qualifié de culte (Washington Post).

[TRADUCTION] 30 août 2000 - Une descente de police a eu lieu dans une communauté catholique clandestine de la province du Fujian et 24 personnes ont été arrêtées. 22 d'entre elles sont encore détenues dans un endroit qui n'a pas été divulgué.

[TRADUCTION] Le 31 mai 2001, 3 hommes ont été arrêtes pour avoir transporté des bibles annotées. Yu Zhidu and Lin Xifu, tous les deux âgés de 42 ans, ont été accusés de « pratiquer un culte mauvais pour entraver l'application des lois » parce qu'ils avaient transporté 16 280 bibles à Fuqing dans la province du Fujian. Par suite de protestations énergiques des États-Unis, les accusations ont été réduites à l'exploitation d'une entreprise illégale. Le 28 janvier 2002, un tribunal de Fuqing a condamné les hommes à une peine de trois ans de prison.

[23]            Voici un extrait du International Religious Freedom Report de 2002 du Département d'État des États-Unis :

[TRADUCTION] Selon des religieux de la province de Fujian, s'il n'y avait pas eu récemment de signes d'une répression généralisée contre les catholiques clandestins, comme c'était le cas en 1999 et l'an 2000, la détention en avril 2001 de deux prêtres de l'Église clandestine a entraîné une crainte généralisée d'autres détentions. Les membres d'églises protestantes de certaines régions du pays ont déploré que l'appui du gouvernement central aux descentes des autorités locales visant les Shouters du Fujian et la South China Church du Hubei ait effrayé les membres de ces communautés...

[TRADUCTION] Quelques cellules protestantes de base ont signalé après la conférence du Conseil d'État sur la religion (State Council Work Conference on Religion) de décembre 2001 des augmentations de descentes de police pendant les célébrations religieuses, ce qui a entraîné un plus grand nombre de détentions. Le 5 février, Huang Aiping, Li Wulong et Ji Qinguin ont été condamnés à 7 ans de prison pour avoir « utilisé une organisation vouée au culte afin d'enfreindre la loi » à Xiamen, province du Fujian. Les trois étaient membres de la Blood and Water Holy Spirit Full Gospel Preaching Team, fondée à Taiwan et interdite en Chine continentale en 1996 comme « organisation infiltrée illégalement » . . .

[24]            La Commission n'a pas évoqué les incidents susmentionnés dans sa décision. Il n'est pas nécessaire que la Commission mentionne chacun des documents qui lui ont été soumis en preuve. Dans certains cas, cependant, la Commission a l'obligation d'expliquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas accepté des éléments de preuve favorables au demandeur. Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] A.C.F. No 1425 (C.F., 1re inst.) le juge Evans (à l'époque) s'exprimait en ces termes :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[25]            En l'espèce, j'estime qu'il incombait à la Commission de faire état des éléments de preuve que le demandeur avait invoqués à l'appui de sa position (paragraphe 23 des présents motifs). Or, la Commission n'en a pas fait état. Je ne peux pas dire si la Commission aurait tiré la même conclusion si elle avait tenu compte des éléments de preuve opposés à ladite conclusion. C'est à la Commission qu'il revient de statuer sur la demande, mais celle-ci aurait dû étudier les éléments de preuve qui, selon le demandeur, étayent la position de ce dernier. En omettant de le faire, la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

[26]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'une formation différemment constituée statue de nouveau à son sujet.

[27]            Aucune des parties ne m'a soumis une question grave de portée générale en vue de sa certification.

ORDONNANCE

[28]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée devant une formation différemment constituée de la Commission afin qu'elle statue de nouveau à son sujet.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er juin 2005

Traduction certifiée conforme

Julie Poirier, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5578-04

INTITULÉ :                                                    MING GUAN YU

                                                                        - ET -

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O'KEEFE

DATE DE L'ORDONNANCE :                    LE 1er JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Shelley Levine                                                   POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart-Gutherie                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Levine Associates                                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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