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Date : 20200402


Dossier : IMM‑1270‑19

Référence : 2020 CF 477

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

XIAOCHEN SUN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de confirmer la mesure d’exclusion prise contre le demandeur. La SAI a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour l’emporter sur la fausse déclaration du demandeur.

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il est entré au Canada en 2002 muni d’un permis d’études, puis il a présenté une demande de résidence permanente. Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur n’a pas inscrit le nom de sa petite amie (maintenant son épouse) à titre de conjointe de fait, même s’ils vivaient en union de fait. On croit que l’omission visait à soustraire l’épouse du demandeur à l’attention des autorités de l’immigration, puisqu’elle n’avait pas de statut juridique au Canada. Cette fausse déclaration a été découverte lorsque le demandeur a présenté une demande de parrainage de son épouse au titre de la catégorie du regroupement familial.

[3]  Bien que le demandeur ait déclaré qu’il ne connaissait pas le concept de l’union de fait, celui-ci n’existant pas dans sa culture, la SAI n’a pas jugé le témoignage du demandeur crédible, étant donné qu’il vivait au Canada depuis 16 ans. Dans l’ensemble, la SAI a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

A.  Le demandeur

[5]  M. Xiaochen Sun (le demandeur) est citoyen de la Chine. En 2002, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa d’étudiant. Il est resté au pays grâce à divers visas. Il a obtenu un diplôme universitaire et commencé à travailler au Canada. La profession actuelle du demandeur consiste à donner des conseils en matière d’immigration à des clients au sujet des visas chinois, puis à les aider à remplir les formulaires nécessaires.

[6]  En 2002, le demandeur a rencontré son épouse actuelle, Mme Xing Wan, citoyenne de la Chine. À l’époque, Mme Wan se trouvait également au Canada, munie d’un visa d’étudiant. Cependant, après l’expiration du permis d’études de Mme Wan en 2004, elle est demeurée au Canada sans statut.

[7]  En 2004, le demandeur et Mme Wan ont commencé à vivre ensemble. Selon un témoin, ils n’ont pas partagé de chambre à coucher pendant toute cette période. Cependant, en 2012, le demandeur et Mme Wan ont commencé à vivre seuls.

[8]  Le 19 juin 2013, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne. Dans sa demande, il a déclaré être célibataire et n’avoir aucune personne à charge. Le demandeur n’a pas déclaré son union de fait avec Mme Wan ni dans la demande ni durant son entrevue relative à l’établissement. Le 2 avril 2014, le demandeur a obtenu la résidence permanente.

[9]  Le 7 avril 2014, cinq jours après que le demandeur est devenu résident permanent, le demandeur et Mme Wan se sont mariés. Peu de temps après, en juin 2014, le demandeur a présenté une demande en vue de parrainer son épouse pour qu’elle obtienne la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial.

[10]  Cependant, le 20 avril 2016, la demande de parrainage du demandeur à l’égard de son épouse a été jugée irrecevable en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR).

[11]  Le 27 octobre 2016, on a conclu que le demandeur avait fait une fausse déclaration en omettant de déclarer son union de fait. Un rapport a donc été établi à l’égard du demandeur en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le rapport a ensuite été déféré à la Section de l’immigration (la SI) pour enquête.

[12]  Le 1er décembre 2017, le demandeur a comparu à une audience devant la SI. Il a admis avoir fait une fausse déclaration en ne divulguant pas son union de fait au moment de sa demande et lorsqu’il a obtenu le droit d’établissement à titre de résident permanent. La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, et elle a pris une mesure d’exclusion contre lui en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[13]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI. L’audience de la SAI s’est déroulée le 17 janvier 2019.

B.  La décision de la SAI

[14]  Dans une décision datée du 14 février 2019, la SAI a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales et que la mesure d’exclusion prise contre le demandeur était valide.

[15]  En ce qui concerne le défaut du demandeur de divulguer son union de fait, la SAI a conclu que le degré de gravité de la fausse déclaration était élevé. La SAI n’a pas accepté qu’une personne ayant le niveau de scolarité et les antécédents professionnels de l’appelant ne soit pas au courant de la nécessité de remplir avec précision sa demande de résidence permanente.

[16]  Bien que la SAI ait reconnu que le demandeur a exprimé des remords et qu’il a affirmé qu’il ne comprenait pas le concept de l’union de fait, étant donné que celui-ci n’existe pas dans la culture chinoise, elle a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve objectif à l’appui de ses allégations. Compte tenu surtout du fait que le demandeur vivait au Canada depuis 16 ans, la SAI n’a pas trouvé son témoignage crédible, le qualifiant de « fallacieux » et jugeant qu’il n’était « pas convaincan[t] ». La SAI a également fait remarquer que le demandeur aurait eu la capacité de mener les recherches nécessaires sur le terme « union de fait » et de déterminer si celui-ci décrivait sa relation avec Mme Wan.

[17]  La SAI a également souligné que Mme Wan n’avait pas de statut juridique, ce qui explique pourquoi le demandeur ne l’a pas mentionnée dans les formulaires d’impôt, les documents d’assurance ou les comptes bancaires. La SAI a jugé qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait ignoré jusqu’en 2014 que Mme Wan n’avait pas de statut au Canada, étant donné qu’ils étaient ensemble depuis plus de dix ans. La SAI a conclu qu’il était déraisonnable que, dans une relation authentique, le statut d’immigration du couple n’ait pas été abordé. La SAI a conclu que le manque de crédibilité, qui constituait un « facteur défavorable important », atténuait le poids des remords du demandeur.

[18]  Reconnaissant le degré élevé d’établissement du demandeur au Canada, la SAI a accordé « un poids favorable considérable » à ce facteur.

[19]  La SAI a pris note que le demandeur avait de la famille, des amis et des animaux de compagnie au Canada, mais elle a conclu que les difficultés causées par la réinstallation ne dépasseraient probablement pas les difficultés normales liées au renvoi. La SAI a également souligné que Mme Wan était une citoyenne chinoise qui pouvait résider avec lui en Chine et que le demandeur connaissait la culture chinoise.

[20]  Dans son examen des éléments de preuve concernant l’état de santé du demandeur, la SAI a pris note du fait que le demandeur avait subi une intervention chirurgicale pour un mélanome (cancer de la peau) en juillet 2017, après avoir reçu un diagnostic en juin 2017. Le demandeur et la tante de son épouse ont témoigné au sujet de leurs préoccupations quant à la capacité du demandeur d’obtenir une assurance-maladie en Chine et au niveau de soins qu’il recevrait en Chine, mais la SAI a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve documentaire à l’appui de ces allégations. La SAI a également constaté que le demandeur n’a plus de cancer et qu’il ne recevait plus de traitement, hormis des rendez‑vous de suivi. En outre, la SAI a trouvé peu d’éléments de preuve montrant l’existence d’un risque soutenu pour la santé du demandeur une fois que le demandeur aura établi son soutien médical en Chine. Dans l’ensemble, la SAI a conclu que la santé du demandeur au Canada constituait un facteur neutre.

[21]  Enfin, la SAI a souligné qu’il existait peu d’éléments de preuve établissant qu’un enfant serait directement touché par la mesure d’exclusion prise contre le demandeur. Ultimement, la SAI a rejeté l’appel, ayant conclu que les facteurs défavorables, à savoir la gravité de la fausse déclaration et l’absence de remords crédibles, l’emportaient sur le degré d’établissement du demandeur au Canada.

III.  Les dispositions législatives applicables

[22]  L’alinéa 40(1)a) de la LIPR est ainsi libellé :

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

Misrepresentation

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[23]  L’alinéa 67(1)c) de la LIPR est ainsi libellé :

Fondement de l’appel

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[…]

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[24]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La SAI a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

  2. La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité?

  3. La SAI a‑t‑elle minimisé de façon déraisonnable les remords du demandeur?

  4. La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse du critère énoncé dans les arrêts Ribic et Chieu?

[25]  Avant le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les tribunaux appliquaient la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au par. 72). Voici ce que la Cour suprême a déclaré au paragraphe 23 de l’arrêt Vavilov :

Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[26]  Une lecture des paragraphes 76 et 77 de l’arrêt Vavilov révèle que la Cour suprême reconnaît que « les exigences de l’obligation d’équité procédurale dans une affaire donnée […] auront une incidence sur l’exercice par une cour de justice du contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable ». À mon avis, la Cour suprême enjoint ainsi aux cours de révision d’établir tout d’abord s’il existe une obligation d’équité procédurale, puis d’appliquer ensuite la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable à l’ensemble de la décision, en tenant compte des exigences liées à l’équité procédurale (le cas échéant). Dans l’arrêt Vavilov, l’obligation d’équité procédurale consistait à savoir si la décision administrative devait être motivée et si ces motifs avaient été fournis (Vavilov, au par. 78). Ayant répondu à ces deux questions par l’affirmative, la Cour suprême s’est ensuite employée à trancher la question de savoir si la décision était raisonnable sur le fond. L’extrait suivant est également utile, puisqu’il établit une distinction entre l’obligation d’équité procédurale et l’analyse selon la norme du caractère raisonnable (Vavilov, au par. 81).

[…] Notre analyse prend donc comme point de départ que, lorsque des motifs sont requis, ceux‑ci constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision. En conséquence, la communication des motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux‑ci sur le fond.

[27]  À mon avis, la norme de la décision correcte continue de s’appliquer à la question de l’équité procédurale dans la présente affaire.

[28]  Avant l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable s’appliquait au contrôle judiciaire de la décision de la SAI de ne pas prendre de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire : Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 184 (CanLII), au par. 19; Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 939 (CanLII), au par. 20; Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1235 (CanLII), au par. 14. Il n’y a pas lieu de déroger à la norme de contrôle suivie dans la jurisprudence, étant donné que l’application du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov aboutit à la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[29]  Comme l’a fait remarquer la majorité des juges dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). De plus, « la cour de révision doit être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

V.  Analyse

A.  L’équité procédurale

[30]  Le demandeur soutient que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ses préoccupations relatives à la crédibilité. Le demandeur s’appuie sur la décision Toki c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 606 (CanLII), au par. 17, où la Cour a conclu que le contenu de l’obligation d’équité procédurale est « plus élevé lorsque la conséquence découlant d’un rejet est une conclusion de fausse représentation ».

[31]  Le défendeur soutient que la SAI n’était pas tenue d’accorder au demandeur une autre occasion de répondre aux préoccupations relatives à la crédibilité, parce que le demandeur avait eu l’occasion de remédier à ces préoccupations à l’audience. Le défendeur soutient que, bien que des questions de crédibilité aient été soulevées dans les observations écrites et durant l’audience, le représentant du demandeur a choisi de ne pas présenter d’éléments de preuve pour dissiper les préoccupations lors de l’audience.

[32]  À mon avis, la SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. À l’audience, la SAI a soulevé ses préoccupations concernant l’affirmation du demandeur selon laquelle il ignorait que son épouse n’avait aucun statut juridique au Canada. Elle s’est également dite préoccupée par l’allégation selon laquelle le demandeur ne connaissait pas le concept de l’union de fait. Par conséquent, le demandeur a clairement eu l’occasion, à l’audience, de dissiper les préoccupations de la SAI concernant sa crédibilité.

B.  Les conclusions en matière de crédibilité

[33]  Le demandeur soutient que la SAI a commis des erreurs dans ses conclusions en matière de crédibilité et que sa conclusion d’invraisemblance ne reposait pas sur des éléments de preuve clairs. Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il était invraisemblable qu’une personne qui vivait au Canada depuis 16 ans ne soit pas au courant du concept de l’union de fait. Le demandeur s’appuie sur la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302, [1979] ACF nº 248 (CA) [Maldonado], au par. 5, pour affirmer que les déclarations faites sous serment sont présumées être vraies, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. Le demandeur s’appuie également sur la décision Ansar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1152, au par. 17, citant Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au par. 15, où la Cour a déclaré que « les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions ».

[34]  Le demandeur soutient qu’il n’était pas nécessaire que son témoignage soit étayé par des éléments de preuve objectifs et fait valoir [traduction] « [qu’]une chose aussi inhérente et personnelle que la culture devrait faire partie de l’éventail des éléments de preuve jugés crédibles sans qu’il soit nécessaire d’obtenir d’autres documents objectifs ». Le demandeur soutient que son témoignage était corroboré par une lettre de la tante de son épouse et par le témoignage de son épouse à l’audience.

[35]  De plus, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le demandeur aurait dû avoir connaissance du concept de l’union de fait puisqu’il qu’il résidait et avait étudié au Canada. Le demandeur cite la décision Bains c Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 63 FTR 312 (CFPI), où la Cour a souligné que la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (CISR) doit faire preuve de prudence lorsqu’elle impose des paradigmes occidentaux ou canadiens à une culture non occidentale. En outre, le demandeur soutient que la SAI aurait dû se reporter à un document publié par la CISR, selon lequel les unions de fait sont inacceptables du point de vue culturel et illégales en Chine.

[36]  Le défendeur soutient que la SAI, en tirant des conclusions sur la vraisemblance, a raisonnablement tenu compte des explications du demandeur contenues dans l’ensemble de la preuve, et qu’elle n’a pas rejeté le témoignage du demandeur simplement parce qu’il manquait d’éléments de preuve objectifs. Le défendeur fait valoir que, compte tenu de la preuve établissant que le demandeur a fait des études secondaires et universitaires au Canada, qu’il réside au Canada depuis 16 ans et qu’il a fourni des conseils professionnels à ses clients au sujet des exigences relatives aux visas chinois, la SAI a fourni des motifs convaincants pour justifier sa conclusion selon laquelle les explications du demandeur n’étaient pas crédibles.

[37]  De plus, le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve. Le défendeur fait valoir que la SAI n’était pas tenue d’aller au‑delà des éléments de preuve et des observations du demandeur pour chercher des éléments de preuve documentaire sur les unions de fait en Chine (Jean‑Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285 (CanLII), au par. 19; Mahmood c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1332 (CanLII), au par. 20).

[38]  Je crois que la SAR n’a pas commis d’erreur dans les conclusions qu’elle a tirées en matière de crédibilité. Malgré la présomption de véracité énoncée dans la décision Maldonado, la jurisprudence établit que [traduction] « l’existence de divergences ou de contradictions dans la preuve peut justifier une conclusion de manque de crédibilité » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Dan‑Ash, [1988] ACF no 571, 93 NR 33 (CAF)). Étant donné que le demandeur est bien établi au Canada depuis 16 ans et qu’il a terminé ses études secondaires et ses études de premier cycle au Canada, il était invraisemblable qu’il n’ait jamais entendu parler du concept de l’union de fait à l’école, au travail ou dans sa collectivité. La SAI a raisonnablement tenu compte des explications du demandeur, compte tenu de l’ensemble de la preuve. Elle n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions sur la vraisemblance et elle n’a pas non plus commis d’erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur.

[39]  De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI n’était pas tenue d’aller au‑delà des éléments de preuve et des observations du demandeur pour chercher des éléments de preuve documentaire concernant les unions de fait en Chine. De plus, même si le demandeur a soutenu que les unions de fait étaient inacceptables sur le plan culturel et illégales en Chine, j’estime qu’il n’y a pas de lien logique clair entre l’ignorance d’un certain concept et son illégalité, c’est‑à‑dire que le fait que les unions de fait sont illégales en Chine ne signifie pas nécessairement que le demandeur ignorait le concept.

[40]  À l’audience, la Cour a attiré l’attention de l’avocat du demandeur sur le fait que l’expression [traduction] « époux ou conjoint de fait » figure précisément dans la liste de vérification des documents. Compte tenu du niveau d’instruction du demandeur au Canada et de la période qu’il a passée au Canada depuis son jeune âge, il était certainement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur sache ce que signifiait ce terme, ou du moins qu’il ait la capacité de trouver ce qu’il voulait dire, puisqu’il remplissait une demande pour laquelle le terme figurait explicitement dans la liste de vérification des documents qu’il devait examiner. De plus, le demandeur a bénéficié de l’aide d’un consultant en immigration, à qui il aurait pu demander des éclaircissements en cas d’incertitude par rapport à la demande. Toutefois, comme le défendeur l’a fait remarquer, les éléments de preuve présentés à la SAI montraient que le demandeur ne s’est pas renseigné à ce sujet. À la lumière du dossier, il était raisonnable pour la SAI de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur.

C.  Les remords

[41]  Le demandeur soutient que la SAI a déraisonnablement [traduction] « teinté sa perception » des remords du demandeur compte tenu des conclusions défavorables en matière de crédibilité. Le demandeur affirme que les conclusions défavorables en matière de crédibilité ne mènent pas nécessairement à la conclusion que ses remords ne sont pas sincères.

[42]  Le défendeur soutient que l’argument du demandeur est sans fondement, parce qu’il est loisible à la SAI d’écarter les remords exprimés si elle les juge non crédibles, lorsque les remords exprimés par un demandeur reposent sur une explication discréditée. Le défendeur cite la décision Abiobun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 299 (CanLII), aux par. 17‑19. Le défendeur soutient également que l’absence de remords sincères est un facteur aggravant pertinent dans l’examen mené par la SAI (Chung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 68 (CanLII), au par. 22). Le défendeur soutient que la SAI a formulé des réserves au sujet de la crédibilité avant de douter des remords du demandeur (Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451 (CanLII), au par. 32).

[43]  Je ne suis pas convaincu que la décision Abiobun soit utile en l’espèce. Dans cette décision, la Cour a jugé que l’évaluation des remords du demandeur menée par la SAI était raisonnable, car même si le demandeur avait initialement exprimé des remords, il n’a finalement admis aucune erreur de sa part. Or, en l’espèce, le demandeur reconnaît avoir commis une erreur.

[44]  Néanmoins, il était raisonnable pour la SAI de ne pas tenir compte des remords du demandeur, car elle a conclu que les explications du demandeur concernant son erreur manquaient de crédibilité.

[45]  La SAI n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des remords. Dans la présente affaire, comme les remords étaient directement liés aux explications du demandeur concernant sa fausse déclaration, la SAI n’a pas commis d’erreur en tenant compte des préoccupations relatives à la crédibilité au moment d’évaluer l’authenticité des remords. Il est évident que les conclusions défavorables en matière de crédibilité ont servi de fondement à la conclusion de la SAI quant à l’absence de remords sincères de la part du demandeur.

D.  La gravité de la fausse déclaration

[46]  Le demandeur soutient que les conclusions de la SAI concernant la fausse déclaration sont déraisonnables, puisque la SAI a mal apprécié la nature de la fausse déclaration. Le demandeur affirme que la SAI s’est montrée déraisonnable en concluant que la fausse déclaration du demandeur était grave, parce qu’il s’agissait d’une fausse déclaration faite de bonne foi et qu’il n’en a tiré aucun avantage. Le demandeur soutient que la SAI aurait dû conclure que la fausse déclaration n’était pas très grave, puisqu’elle était fondée sur son ignorance du concept de l’union de fait. Le demandeur soutient également qu’il n’avait pas à soulever autant de motifs d’ordre humanitaire.

[47]  Le défendeur soutient que l’affirmation du demandeur selon laquelle sa fausse déclaration avait été faite de bonne foi dépend entièrement de l’explication qu’il a donnée pour ne pas avoir déclaré sa conjointe de fait. Le défendeur affirme que la SAI a conclu que cette explication n’était pas crédible. De plus, le défendeur fait valoir que le demandeur a bel et bien tiré un avantage de la fausse déclaration, parce qu’il a soustrait son épouse à l’attention des autorités de l’immigration en ne divulguant pas sa relation dans la demande de résidence permanente.

[48]  De plus, le défendeur soutient que la fausse déclaration est importante et grave si elle empêche qu’une enquête plus poussée soit menée à l’égard d’un demandeur (Thavarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 625 (CanLII), aux par. 18 à 22; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Li, 2017 CF 805 (CanLII) aux par. 31 et 32). Le défendeur soutient que les responsables de l’immigration auraient pu avoir d’autres questions à poser au demandeur au moment où il est devenu résident permanent, s’il avait divulgué comme il se devait son union de fait avec une ressortissante étrangère vivant au Canada sans statut.

[49]  À mon avis, la SAI n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la gravité de la fausse déclaration. Comme le défendeur le souligne à juste titre, la SAI a raisonnablement conclu que l’explication du demandeur, à savoir qu’il ne connaissait pas le concept de l’union de fait, manquait de crédibilité. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la SAI a raisonnablement conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait ignoré le statut d’immigration de son épouse pendant leur longue relation de dix ans. Ainsi, le demandeur aurait tiré un avantage de la fausse déclaration : celle-ci lui a permis de soustraire Mme Wan à l’attention des autorités de l’immigration.

VI.  Question à certifier

[50]  Les avocats des deux parties ont été appelés à dire s’il y avait des questions à certifier. Tous deux ont répondu qu’il n’y en avait pas, et je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[51]  La SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale, et la décision de la SAI est raisonnable.

[52]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1270‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1270‑19

 

INTITULÉ :

XIAOCHEN SUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

Pour le demandeur

 

David Shiroky

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER­ :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

Pour le défendeur

 

 

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