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Date : 20200407


Dossier : IMM‑4533‑19

Référence : 2020 CF 494

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SHINHEE CHOI

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 25 juin 2019, par laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et la demande de permis de séjour temporaire que le demandeur avait présentées sur le fondement des paragraphes 24(1) et 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

II.  Le contexte

[3]  Le demandeur, Monsieur Choi, un citoyen de la Corée du Sud, est arrivé au Canada à 30 ans, en 2007, muni d’un visa d’étudiant. Après deux ans de formation, il a obtenu un diplôme de technicien en aéronautique et s’est vu accorder un permis de travail qui a expiré en mars 2014. De mai 2011 à novembre 2013, il a travaillé comme technicien en électronique et, de janvier à février 2014, il a travaillé comme aide‑cuisinier. Depuis mars 2014 ou octobre 2015, selon les observations figurant dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et celles figurant dans sa demande de réadaptation, il travaille à titre d’entrepreneur indépendant ou d’homme à tout faire.

[4]  Le demandeur a épousé une citoyenne canadienne en 2012; elle l’a parrainé en 2014 pour qu’il obtienne la résidence permanente. La demande de parrainage a été approuvée en principe en 2015. Toutefois, le demandeur n’avait pas révélé dans ses diverses demandes pour entrer ou rester au Canada qu’il avait été déclaré coupable deux fois de conduite en état d’ivresse en Corée du Sud : une fois en 2004 et une autre fois en 2006. Ces déclarations de culpabilité ont été mises au jour à la deuxième étape du traitement de sa demande au titre de la catégorie des époux grâce à un certificat de police de la Corée du Sud. Par conséquent, le demandeur a été jugé interdit de territoire pour criminalité. Son mariage a pris fin peu de temps après, et il a été contraint de quitter la maison de son épouse et de la famille de celle‑ci.

[5]  Le 6 octobre 2016, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a rejeté la demande de parrainage. Le demandeur avait 60 jours pour quitter le Canada, mais il est demeuré au pays, contrairement à ce qu’il était tenu de faire. Il a ensuite été déclaré interdit de territoire pour manquement à la loi au titre de l’article 41 de la LIPR, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui le 29 novembre 2017. Entre‑temps, le 23 novembre 2017, le demandeur a déposé une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Un examen des risques avant renvoi a donné lieu à une décision défavorable.

[6]  Pendant le traitement de sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux, le demandeur a présenté une demande de réadaptation. Cette demande a été rejetée parce qu’il manquait des documents. Le 22 novembre 2017, le demandeur a présenté une seconde demande de réadaptation. Le 29 mai 2018, cette seconde demande a été accueillie. Par conséquent, le demandeur n’était plus interdit de territoire pour criminalité en raison des déclarations de culpabilité pour conduite en état d’ivresse. Toutefois, il est demeuré interdit de territoire pour manquement à la LIPR.

[7]  Au moment où il a présenté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur vivait au Canada depuis 12 ans. Il a de la famille tant au Canada qu’en Corée du Sud. Au Canada, le demandeur a des liens étroits avec sa sœur cadette, qui a deux enfants qui étaient respectivement âgés de 19 et 21 ans au moment où la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée. Le père de ces enfants vit en Corée du Sud, et le demandeur est une figure paternelle pour eux. Au moment où la demande a été présentée, le demandeur vivait avec sa sœur et son neveu; sa nièce étudiait aux États‑Unis.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Le 25 juin 2019, l’agent a rejeté les demandes de résidence permanente et de séjour temporaire fondées sur des considérations d’ordre humanitaire présentées par le demandeur. En examinant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a évalué la situation personnelle du demandeur et son établissement au Canada, ainsi que l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE] de sa sœur. À ce titre, l’agent a estimé que, puisque la nièce et le neveu du demandeur étaient maintenant adultes et qu’aucun lien d’interdépendance n’avait été prouvé, l’évaluation de l’ISE ne s’appliquait pas. De plus, l’agent a accordé peu de poids aux évaluations de psychologues produites pour le compte du demandeur et a conclu que ce dernier serait exposé à des difficultés limitées lors de sa réinstallation en Corée du Sud, puisqu’il avait des liens familiaux là‑bas et qu’il y avait résidé auparavant pendant longtemps (jusqu’à l’âge de 30 ans). Enfin, l’agent a tenu compte des antécédents d’immigration défavorables du demandeur. Certes, l’agent a considéré que l’établissement du demandeur au Canada était un facteur favorable, mais il a conclu que les circonstances ne justifiaient pas qu’une dispense soit accordée pour des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR. L’agent a aussi rejeté la demande de permis de séjour temporaire fondée sur l’article 24 de la LIPR.

IV.  Les questions en litige

[9]  Les parties conviennent qu’il y a trois questions litigieuses à trancher, et je suis d’accord avec elles. J’ai reformulé ces questions de la manière suivante :

  • a) L’agent a‑t‑il omis de prendre en considération l’intérêt supérieur de la nièce et du neveu adultes du demandeur?

  • b) L’agent a‑t‑il omis de prendre en considération l’incidence psychologique du renvoi du Canada?

  • c) L’agent a‑t‑il commis une erreur en estimant que les antécédents du demandeur en matière d’immigration étaient un facteur défavorable?

V.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[10]  Comme la jurisprudence l’avait établi auparavant, et comme l’a confirmé l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Aucune des situations décrites dans l’arrêt Vavilov justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce : le législateur n’a pas prescrit une norme de contrôle ni prévu un droit d’appel de la décision administrative devant une cour de justice, et la question faisant l’objet du contrôle ne tombe pas dans l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[11]  Comme la Cour suprême l’a énoncé au paragraphe 84 de l’arrêt Vavilov, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse » et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti.

B.  L’intérêt supérieur des enfants

[12]  Comme nous l’avons mentionné, la nièce et le neveu étaient âgés de 19 et 21 ans au moment où la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en concluant que l’analyse de l’ISE ne s’appliquait pas, faisant notamment observer que le site Internet du défendeur lui‑même énonçait que les considérations liées à l’ISE pouvaient s’appliquer aux enfants adultes.

[13]  En général, il convient d’analyser l’ISE lorsque les enfants ont moins de 18 ans : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Dans certaines circonstances, il peut convenir d’analyser l’ISE lorsque l’enfant est adulte, par exemple s’il a des besoins spéciaux ou dépend largement du demandeur : Chaudhary c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 128 [Chaudhary], aux par. 32‑34; Gesite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1025, aux par. 15‑19.

[14]  Dans de tels cas, il incombe au demandeur de prouver le lien de dépendance. En l’espèce, le demandeur n’a pas démontré que sa nièce et son neveu dépendaient de lui de sorte qu’ils devaient être considérés comme des enfants mineurs. Rien dans le dossier ne donne à penser qu’une telle relation de dépendance existe. La nièce et le neveu doivent être félicités pour leurs réussites scolaires, mais rien n’indique qu’ils ne seront pas en mesure de continuer dans cette voie sans la présence et le soutien du demandeur au Canada.

[15]  Il est indubitable que le demandeur a eu une relation étroite et importante avec les enfants de sa sœur, mais aucune preuve n’a été présentée pour démontrer qu’ils dépendent de lui financièrement ou de quelque autre manière que ce soit. L’agent n’a commis aucune erreur en concluant que leurs intérêts n’étaient pas des facteurs auxquels il fallait accorder un poids important.

C.  L’évaluation des rapports de psychologues

[16]  À l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur a présenté deux rapports : l’un était rédigé par un psychologue clinicien et psychanalyste, et l’autre était rédigé par un psychothérapeute agréé. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de ces rapports, car il a fait fi de la preuve établissant qu’il pourrait ressentir une profonde détresse, des affects dépressifs et de l’hypervigilance s’il était obligé de quitter le Canada. Le demandeur soutient que l’agent aurait dû tenir compte des conséquences d’un avis professionnel médical en analysant les difficultés qu’il éprouverait s’il était obligé de quitter le pays.

[17]  Je conviens avec le défendeur que l’analyse des évaluations des psychologues menée par l’agent est raisonnable, transparente, intelligible et justifiée. L’agent a raisonnablement admis que le demandeur présentait des symptômes de dépression, d’anxiété et de stress. Toutefois, l’agent a aussi raisonnablement conclu qu’il ne pouvait accorder que peu de poids aux évaluations, en raison de la méthodologie utilisée et de l’absence de diagnostic, contrairement à la situation dans l’arrêt Kanthasamy, précité.

[18]  Comme le psychologue l’a admis dans son rapport, le contexte entourant la manière dont les évaluations ont été menées et les limites quant aux renseignements fournis diminuaient leur importance. L’agent a fait observer que les deux évaluations ont été menées à la demande des avocats et étaient fondées sur une seule entrevue, et que le psychologue n’avait pas eu accès aux dossiers médical ou psychologique antérieurs du demandeur.

[19]  La Cour a exprimé des réserves quant aux rapports de psychologues qui ne précisent pas suffisamment le contexte et qui ne décrivent pas suffisamment la méthodologie utilisée, et qui servent de plaidoyer. Voir par exemple : Chehade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 293, aux par. 14‑15; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1052, au par. 34; Molefe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 317, au par. 31; Egbesola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, aux par. 12‑15.

[20]  Les observations cliniques quant aux symptômes liés à la dépression et à l’anxiété concordent avec les difficultés inévitables liées à l’obligation de quitter le Canada. En soi, cela ne sera généralement pas suffisant pour justifier l’octroi de la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Kanthasamy, aux par. 23. L’agent a raisonnablement évalué les éléments de preuve présentés, a pris en compte leur valeur et leur a accordé du poids en tenant compte de l’insuffisance de la méthodologie utilisée. Je ne vois aucune raison d’infirmer cette décision.

D.  Les antécédents d’immigration du demandeur

[21]  Le demandeur soutient que l’agent a écarté tous les facteurs qui lui étaient favorables dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, en raison de ses antécédents défavorables en matière d’immigration et de son manquement à la LIPR. Selon le demandeur, l’objectif du paragraphe 25(1) de la LIPR est de permettre à l’étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la Loi ou au Règlement de présenter une demande de résidence permanente. Le demandeur affirme qu’en tirant des inférences défavorables de ses antécédents d’immigration et de son manquement à la LIPR, l’agent a nui à cet objectif.

[22]  À mon avis, il était raisonnable que l’agent prenne en compte les antécédents défavorables du demandeur en matière d’immigration. Le demandeur a fourni des déclarations inexactes sur ses antécédents criminels dans ses nombreuses demandes de visa, et il n’a pas quitté le Canada lorsqu’on le lui a demandé. Les remords qu’il a maintes fois exprimés semblent être liés à ces antécédents criminels plutôt qu’à son manquement à la Loi et au Règlement. L’agent n’a pas écarté les facteurs favorables au demandeur, mais il est arrivé à la conclusion raisonnable que ceux‑ci ne justifiaient pas une issue favorable au demandeur.

[23]  Au paragraphe 19 de l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

[19] Bref, la Loi sur l’immigration et la politique canadienne en matière d’immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l’intention de s’y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d’immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l’application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l’existence de raisons d’ordre humanitaire, s’il est d’avis, par exemple, que les circonstances de l’entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d’encourager l’entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d’ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements.

[Soulignement et caractères gras ajoutés.]

[24]  Voir aussi les décisions Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313, aux par. 23‑25; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, aux par. 32‑33; Madera c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 108, au par. 9; Cortorreal De Leon c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1178, au par. 31.

VI.  Conclusion

[25]  L’analyse de l’agent était transparente et intelligible, et le raisonnement était justifié du début à la fin. Les antécédents défavorables du demandeur en matière d’immigration ont été pondérés à la lumière de tous les facteurs favorables. Les évaluations de psychologues et les intérêts de la nièce et du neveu du demandeur ont été adéquatement pris en considération. Compte tenu du dossier dont l’agent disposait, celui‑ci pouvait raisonnablement rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur.

[26]  Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4533 19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’avril 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4533‑19

INTITULÉ :

SHINHEE CHOI c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 février 2020

Jugement et motifs :

Le juge MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 7 avril 2020

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman

Sandra Dzever

Pour le demandeur

Bradley Bechard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Seligman Professional Corporation

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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