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Date : 20050906

Dossier : IMM-887-05

Référence : 2005 CF 1208

Ottawa (Ontario), le 6ième jour de septembre 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                                NEPTALI ELIN PEREZ DE LEON

et

MARVIN ALFREDO PEREZ PEREZ

                                                                             

                                                                                                                                         Défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision en date du 21 janvier 2005 d'un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection) (le tribunal et la CISR), par laquelle le tribunal a accueilli la demande d'asile des défendeurs. Le demandeur recherche l'annulation de la décision du tribunal et le renvoi du dossier pour une décision à un tribunal différemment constitué, conformément au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales.


[2]                En particulier, le demandeur soumet que le tribunal aurait commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en décidant que, malgré la preuve du demandeur, le défendeur principal (Neptali Elin Perez de Leon) ne pouvait pas être exclu du Canada en vertu de l'article 1F a) et c) de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 (la Convention), Annexe de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Le demandeur s'est désisté lors de l'audience à l'égard de l'autre défendeur, le fils du défendeur principal, Marvin Alfredo Perez Perez. Toutefois, pour les fins de la décision, il y aura référence au fils dans le but de bien situer la preuve tel que présentée.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                Il y a deux questions principales en litige:

1)         Le tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant, compte tenu de la preuve dont il disposait, de qualifier le régime du président Garcia et de sa garde personnelle?

2)         Le tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant de considérer l'ensemble de la preuve relative à la complicité du défendeur?


CONCLUSION

[4]                Pour les motifs exposés ci-dessous, la réponse à la première question est affirmative, alors la demande de contrôle judiciaire est acceptée. Il n'est pas nécessaire de traiter de la deuxième question.

LES FAITS

[5]                Le défendeur principal, Neptali Elin Perez de Leon (M. Perez de Leon ou simplement le défendeur ) et son fils Marvin Alfredo Perez Perez (Marvin) sont citoyens du Guatemala. Ils allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution dans leur pays en raison de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, soit la famille. M. Perez de Leon est marié et père de deux filles et trois garçons (incluant Marvin, le plus âgé). Marvin a vingt-deux (22) ans. Les autres membres de la famille habitent toujours au Guatemala.

[6]                La Guatemala a subi une longue guerre civile de 1960 à 1996. En février 1979, M. Perez de Leon a été forcé de faire son service militaire obligatoire au sein de la garde présidentielle. Il avait 21 ans, c'est-à-dire trois ans de plus que la majorité des nouvelles recrues, puisqu'il aurait échappé aux autorités militaires pendant presque trois ans. Il n'était pas d'accord avec la guerre civile guatémaltèque, ni avec les actions des guérillas, ni avec la lutte contre la subversion menée par le gouvernement.

[7]                Après son service militaire, il est retourné dans son village de Los Cerezos et a travaillé dans l'agriculture et comme facteur. En septembre 1998, de grandes quantités d'armes, cachées par les anciens membres de la guérilla, sont tombées dans les mains de nouveaux groupes subversifs de sa région qui avaient pour but la persécution de tous ceux qui ont collaboré avec l'armée durant le conflit armé. Craignant pour la sécurité de sa famille et les autres membres du village, M. Perez de Leon a recueilli des signatures et a demandé l'intervention du maire auprès des autorités.

[8]                Il a alors reçu des menaces de mort. Il en a informé les autorités mais celles-ci ne lui ont accordé aucune protection. Un jour, un groupe d'hommes est entré chez lui à sa recherche et a blessé Marvin (tout le reste de la famille s'est sauvé). Encore une fois, M. Perez de Leon a dénoncé cette situation auprès des autorités, sans succès.

[9]                M. Perez de Leon a alors installé sa famille dans un village d'une autre région, Tejutla. Mais, en septembre 2003, les menaces ont recommencé. Après n'avoir reçu aucune aide des autorités de Tejutla, M. Perez de Leon et Marvin (contre qui des menaces ont aussi été faites) ont décidé de quitter le pays. Ils ont quitté le Guatemala le 30 octobre 2003 et après être passés par le Mexique et les États-Unis, ils sont arrivés à la frontière canadienne le 22 décembre 2003 où ils ont revendiqué l'asile.


LA DÉCISION CONTESTÉE

[10]            Lors de l'audience, le conseil du Ministre de la citoyenneté et de l'immigration (le Ministre) est intervenu pour soulever l'exclusion de M. Perez de Leon en vertu de l'article 1F a) et c) de la Convention. Le tribunal a décidé cependant que l'exclusion ne s'appliquait pas. Le tribunal s'est référé aux critères énoncés dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'immigration), [1992] 2 C.F. 306. Le tribunal a rendu les conclusions suivantes :

- le service militaire est obligatoire au Guatemala, et le demandeur [M. Perez de Leon] n'avait pas le choix de refuser de s'y soustraire sous peine de sévères sanctions;

- il n'avait pas non plus, comme dans tout service militaire obligatoire, le choix de l'unité dans laquelle il servirait;

- dans la garde présidentielle où il a servi, le demandeur n'a jamais fait usage de son arme ou de violence contre d'autres soldats ou contre des civils, ce que le conseil du Solliciteur général n'a pas contesté;

- bien que de condition très modeste, le demandeur n'a pas choisi de rester dans les forces armées ou dans la garde présidentielle à la fin de son service militaire pour gagner sa vie, il est revenu à la vie civile.

[Voir le page 3 de la décision du tribunal.]


[11]            Quant à l'inclusion, le tribunal a accepté l'histoire de M. Perez de Leon à l'effet qu'il était recherché par un groupe de subversion en raison de son appartenance à l'armée il y a plusieurs années. Son témoignage est confirmé par la preuve documentaire. Même si certaines dates et la façon dont les revendicateurs ont voyagé aux États-Unis n'étaient pas clairement établies, M. Perez de Leon « a donné beaucoup de détail et a témoigné d'une manière spontanée, avec une logique et une honnêteté qui ont impressionné le tribunal, sans jamais exagérer la situation. » Le tribunal n'a pas non plus trouvé de contradiction dans son histoire. Les deux hommes ont obtenu le statut de réfugié.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[12]            Le Ministre, dans sa capacité de demandeur dans la présente, soumet que la décision du tribunal doit être viciée pour deux raisons : premièrement, elle ne qualifie pas le régime du président Garcia et plus particulièrement, la garde présidentielle dont le demandeur principal faisait partie, et deuxièmement, elle est basée sur une analyse très sélective de la preuve.

[13]            Selon le demandeur, lorsqu'un revendicateur faisait partie d'une organisation qui exerçait des fins brutales et limitées, il y existe une présomption selon laquelle le revendicateur a participé personnellement et consciemment aux crimes internationaux. Tel était le cas en l'espèce. Par conséquent, le tribunal a erré en omettant, de prime abord, de qualifier le régime du président Garcia. Si cela avait été fait, il aurait été difficile pour le tribunal de conclure que M. Perez de Leon n'était pas complice. En omettant d'examiner la preuve sur cette question et de tirer une conclusion sur la nature du régime du président Garcia, notamment en raison des actes commis par les membres de la garde présidentielle, le tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[14]            Même en l'absence de la nécessité de faire une telle analyse, le demandeur soumet qu'il existait suffisamment de preuve pour conclure que M. Perez de Leon avait été complice à des crimes contre l'humanité. Cependant, le tribunal a évalué uniquement les éléments de preuve qui soutenaient sa décision pour conclure qu'il ne l'était pas. Il n'a pas mentionné plusieurs faits importants, notamment que la garde présidentielle était un groupe d'élite, que le défendeur avait été promu de soldat à sergent, que le demandeur avait commandé un peloton, et que l'obtention d'une promotion dans l'armée semblait être conditionnelle à la participation à des crimes. Ainsi, selon le demandeur, cette décision est susceptible de contrôle judiciaire.

Les défendeurs

[15]            Les défendeurs, premièrement, notent qu'aucun argument à l'encontre de l'inclusion n'a été fait contre le défendeur M. Perez de Leon.


[16]            Les défendeurs notent que le tribunal a conclu que M. Perez de Leon était crédible quant à tous les aspects de son histoire. Il a témoigné qu'il n'avait jamais participé au combat, qu'il n'avait jamais utilisé son arme et qu'il n'avait jamais été témoin de crimes contre l'humanité. De plus, et fait très important, M. Perez de Leon a été forcé d'accomplir son service militaire. Il n'avait pas choisi de servir avec la garde présidentielle; il ne pouvait refuser ce poste. Ses superviseurs l'ont menacé de s'en prendre à sa famille s'il désertait.

[17]            Les défendeurs sont d'avis que le tribunal est le mieux placé pour décider de la crédibilité d'un demandeur d'asile et, qu'à moins de conclusion déraisonnable, cette Cour ne devrait pas intervenir. Le tribunal a, de bon droit, fondé sa conclusion sur les critères énoncés dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'immigration), [1992] 2 C.F. 306, et il n'y a aucune raison d'accueillir ce contrôle judiciaire.

ANALYSE

La norme de contrôle

[18]            En général, les questions quant à la crédibilité d'un revendicateur sont assujetties dans le cadre d'une révision judiciaire, à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable: Dhindsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2000] A.C.F. No. 2011 (1e inst.) aux para. 41-42; voir aussi Montréal (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, [1997] 1 R.C.S. 793 à la page 844.


[19]            Cependant, la présente demande est plutôt basée sur le fait que le tribunal a déterminé que le défendeur, M. Perez de Leon, ne devait pas être exclu en vertu de l'article 1F a) et c) de la Convention. Dans l'arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2005] A.C.F. no 381 (C.A.) (Poshteh), le juge Rothstein procède à une analyse pragmatique et fonctionnelle sur la question de la retenue à accorder aux tribunaux de la CISR concernant l'analyse de la notion de « membre » d'une organisation visée par la Loi et la Convention. Le juge Rothstein est d'avis que cet exercice est une question de droit qui [TRADUCTION] « se retrouve à l'intérieur de la sphère d'expertise de la Section de l'immigration » (au para. 21), et qui doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, il me semble que la première question soulève clairement une question de droit sans la nécessité d'y faire une évaluation de faits ce qui nécessite l'implication de la norme de contrôle de "correctness". En d'autres mots, le tribunal doit-il qualifier le groupe visé en premier et par la suite se demander si le revendicateur est membre et/ou s'il y a une participation consciente et personnelle à des actes dudit groupe?

(1) Le tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant, compte tenu de la preuve dont il disposait, de qualifier le régime du président Garcia?

[20]            Dans Ramirez, précité, ainsi que dans la jurisprudence subséquente (voir, par exemple, Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 221 (C.A.F.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.)), un certain nombre de critères ont été identifiés quant à la question d'exclusion. Ces critères ont été résumés par Madame la juge Reed dans la décision Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.) aux para. 84-85 comme suit:

- la simple adhésion à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales n'implique pas normalement la complicité;

- lorsque l'organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, ses membres peuvent être considérés comme y participant personnellement et sciemment;

- la simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction en tant que spectatrice par exemple, sans lien avec le groupe persécuteur, ne fait pas d'elle une complice;

- mais sa présence, alliée à d'autres facteurs, peut impliquer sa participation personnelle et consciente.

La juge Reed conclut:

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

(Je souligne)

[21]            Ainsi, selon cette jurisprudence il est logique et nécessaire de décider la nature de l'organisation et par la suite si un revendicateur a été membre de l'organisation visée par l'exclusion et sa connaissance et son implication des actes de l'organisation. Le tribunal a noté, à au moins deux reprises, que l'armée du Guatemala perpétrait des crimes:

...la population savait que les forces armées maltraitent la population civile autochtone et répriment violemment tout soulèvement de cette dernière.

...la preuve documentaire abondante sur la répression de la population autochtone et des membres de la guérilla au Guatemala par les forces armées...

[Voir les pages 2-3 de la décision.]

Il ne semble pas avoir qualifié le régime, c'est-à-dire, le tribunal n'a pas tranché la question à savoir si l'armée guatémaltèque, y incluant la garde présidentielle, était une organisation visant « des fins limitées et brutales. » Il m'apparaît essentiel qu'une qualification explicite est essentielle pour pouvoir établir la présomption réfragable découlant de l'approche suivi par la juge Reed au paragraphe précédent. Une telle qualification à savoir, si l'organisation vise "des fins limitées et brutales" est essentielle pour ensuite procéder à l'évaluation de la participation et de la connaissance où non du demandeur principal aux activités de l'organisation (voir Penate précité au paragraphe 19 et Yogo c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (2001) F.T.R. 185, paragraphe 15).

[22]            La Cour considère que le tribunal a commis une erreur de droit justifiant l'intervention de celle-ci et que sur ce seul point, la demande doit être accordée. Ainsi, il n'est pas nécessaire de procéder à l'analyse de la deuxième question.


[23]            Les parties ont été invitées à soumettre une question pour fin de certification mais ils ont décliné.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-           La demande de désistement à l'égard du défendeur, Marvin Alfredo Perez Perez, est autorisée;

-           La demande de contrôle judiciaire est accordée et le dossier doit être soumis à un tribunal constitué différemment pour qu'il procède à l'étude du dossier selon la procédure précisée à la présente.

                       "Simon Noël"                                                                                                                              Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                IMM-887-05

INTITULÉ :              

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

Demandeur

et

NEPTALI ELIN PEREZ DE LEON

MARVIN ALFREDO PEREZ PEREZ

Défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                            31 août 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                        Monsieur le juge S. Noël

DATE DES MOTIFS :    Le 6 septembre 2005           

COMPARUTIONS :

Me Ian Demers

POUR DEMANDEUR

Me Peter Karavoulias

POUR DÉFENDERESSE      

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada                           

Ministère de la justice - Montréal

POUR DEMANDEUR          

Me Peter Karavoulias - Montréal

POUR DÉFENDERESSE


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