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Date : 20200326


Dossier : IMM-1260-19

Référence : 2020 CF 431

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

LAJOS TOTH

LAJOSNE TOTH

LAJOSJR TOTH

SZABOLCS TOTH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) le 29 janvier 2019. Dans cette décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) rendue le 10 janvier 2018 et a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger et, par conséquent, a rejeté leur demande d’asile.

[2]  Les demandeurs, qui forment une famille de quatre personnes, sont des citoyens hongrois d’origine rom. Ils ont demandé l’asile au Canada par crainte d’être persécutés en raison de leur appartenance ethnique. Plus particulièrement, les demandeurs ont fourni des détails sur les mauvais traitements qu’ils auraient subis dans les domaines du logement, de l’éducation et de l’emploi. Les demandeurs ont été victimes d’actes de violence et de profilage racial ainsi que de harcèlement et de mauvais traitements de la part de la police.

[3]  Lors de la première audience relative à la demande d’asile, la SPR a estimé que les demandeurs manquaient de crédibilité. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve crédible de leur éviction. Par ailleurs, la SPR a tiré des conclusions défavorables à l’égard de la crédibilité des demandeurs puisqu’elle croyait que des détails importants relatifs à leur demande d’asile n’étaient pas mentionnés dans les notes prises au point d’entrée (le PDE) lors d’une première entrevue avec les demandeurs et qu’il manquait de preuves documentaires corroborantes. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

[4]  Lors de l’appel devant la SAR, la décision de la SPR a été confirmée. La SAR a procédé à sa propre évaluation des preuves et a confirmé les conclusions de la SPR.

[5]  Dans leur demande de contrôle judiciaire devant la Cour, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur lors de son évaluation de la crédibilité des demandeurs et n’a pas analysé correctement les preuves documentaires. Les demandeurs soutiennent également que la SAR a commis une erreur dans le cadre de son évaluation de la protection de l’État.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR était déraisonnable. Pour cette raison, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Faits

A.  Les demandeurs

[7]  Monsieur Lajos Toth (le demandeur principal), Mme Lajosne Toth (la demanderesse associée) et leurs deux fils, Szabolcs Toth (le second demandeur associé) et Lajosjr Toth (également connu sous le nom de Lajos Toth Jr, le demandeur mineur) (collectivement, les « demandeurs ») sont une famille rom de Hongrie. Ils sont âgés respectivement de 41, 44, 23 et 16 ans.

[8]  En septembre 2016, les demandeurs sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile puisqu’ils craignaient d’être persécutés en Hongrie en raison de leur appartenance ethnique rom. Dans le cadre de leur demande d’asile, ils ont expliqué avoir été victimes de mauvais traitements et de discrimination dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et du logement, en plus d’avoir été harcelé et agressé par la police. Les demandeurs ont exposé les détails de leur demande dans l’affidavit du demandeur principal que celui-ci a joint à son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA). Les autres membres de la famille se sont appuyés sur l’affidavit du demandeur principal.

[9]  Avant leur départ pour le Canada, les demandeurs résidaient à Forro, dans le comté de Borsod, en Hongrie, un petit village d’environ 3 000 habitants. Le village est situé dans la grande région d’Encs à environ 35 kilomètres de Miskolc. Le demandeur principal et la demanderesse associée ont grandi dans le comté de Borsod. Ils n’ont fréquenté que l’école primaire, car il n’y avait pas d’école secondaire dans leur région. Le demandeur principal a grandi sous le même toit que ses parents et ses grands‑parents. Ses parents payaient un loyer au conseil local et leur contrat de location de logement a été transféré au demandeur principal après leur décès.

[10]  Le second demandeur associé et le demandeur mineur ont été placés dans une classe de Roms lorsqu’ils fréquentaient l’école primaire. Le demandeur principal a fait remarquer que l’enfant le plus âgé, Szabolcs, n’a pu fréquenter l’école que jusqu’à sa 8année et qu’il était au chômage.

[11]  Les demandeurs ont affirmé que, de 2006 à 2015, des groupes d’extrême droite ont fréquemment proféré des menaces de mort à l’endroit des habitants de leur région; lesdits groupes armés de torches et de bâtons de baseball ont lancé des pierres à travers les fenêtres de la résidence des demandeurs. Les demandeurs ont affirmé qu’il n’y avait pas de police à Forro pour les protéger de ces attaques et que, lorsqu’ils ont appelé la ligne d’urgence, les policiers ont refusé d’intervenir. Le demandeur principal s’est souvenu que lui et son fils aîné, Szabolcs, avaient été interceptés et contrôlés par la police à plusieurs reprises, qu’ils avaient été traités de [traduction« voleurs gitans », qu’ils avaient dû se soumettre à une fouille corporelle complète au milieu de la rue et qu’ils avaient été détenus pendant 12 heures sans qu’aucune accusation ne soit déposée contre eux.

[12]  Dans l’affidavit joint à son formulaire FDA, le demandeur principal a déclaré que son fils cadet, Lajos Jr, avait été intercepté par la police dans la rue à de nombreuses reprises sur la foi d’accusations sans fondement et que son fils risquait d’être mis en état d’arrestation et incarcéré. Inquiète pour la sécurité du fils, la famille a décidé de déménager à Miskolc aux alentours de juin ou de juillet 2015. Les demandeurs ont loué la maison d’un ami dans un ghetto à rues numérotées.

[13]  En août 2015, le demandeur principal a été agressé par les membres d’un groupe paramilitaire alors qu’il rentrait chez lui après le travail. Cinq personnes revêtant des uniformes noirs lui ont donné des coups de pied et l’ont battu; une ou deux personnes lui ont également entaillé le bras et la cheville avec des couteaux. Le demandeur principal a aussi subi d’autres blessures, notamment une fracture du nez et une dent cassée. Il s’est rendu à l’hôpital et a payé pour recevoir des soins ainsi qu’un rapport médical. Lors de l’audience devant la SPR, le demandeur principal a déclaré qu’il n’avait pas porté plainte à la police parce qu’il craignait que le dépôt d’une plainte n’expose sa famille à de nouvelles agressions et que la police ne lui offre pas de protection, en raison du fait qu’il avait été harcelé par la police de façon continue et persistante dans le passé.

[14]  En août 2016, les demandeurs ont été évincés de leur maison par la police et un groupe paramilitaire, parce que ceux‑ci avaient découvert que les demandeurs n’avaient pas de contrat de location. Les demandeurs ont été mis à la rue et leurs biens ont été détruits. Deux policiers ont menotté la demanderesse associée et le fils aîné, Szabolcs, et les ont emmenés dans un fourgon de police. Les demandeurs ont été informés qu’ils seraient incarcérés en raison de leur itinérance.

[15]  La police souhaitait placer en détention leur fils, Lajos Jr, alors âgé de 13 ans, et l’emmener à la société d’aide à l’enfance. Lorsque Lajos Jr a tenté d’échapper aux policiers, ces derniers ont agressé physiquement l’enfant et lui ont donné des coups de pied dans les côtes alors qu’il était allongé au sol. Le travailleur de la société d’aide à l’enfance a regardé la scène sans rien faire et n’a pas essayé de mettre fin à l’agression. Finalement, des militants pour la défense des droits des Roms sont intervenus et ont fourni un refuge temporaire à la famille afin qu’elle ne soit pas mise en état d’arrestation en raison de son itinérance.

[16]  En raison de cette agression policière, le corps de Lajos Jr était couvert d’ecchymoses. En conséquence, Lajos Jr a été emmené à la clinique la plus proche. Le demandeur principal a affirmé que la famille n’a pas emmené Lajos Jr à l’hôpital parce qu’elle savait que les médecins de l’hôpital appelleraient la société d’aide à l’enfance et que la garde de leur jeune fils leur serait retirée puisque les parents de la famille seraient faussement accusés d’avoir maltraité leur enfant. Par la suite, les demandeurs se sont adressés au conseil de la minorité rom (Roma Minority Council) qui, pour leur sécurité, leur a conseillé de partir de la Hongrie. En septembre 2016, les demandeurs ont fui la Hongrie et ont fait une demande d’asile au Canada dès leur arrivée au PDE.

B.  L’audience devant la SPR

[17]  Le 8 janvier 2018, l’audience devant la SPR a eu lieu. Par décision datée du 10 janvier 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs et a conclu que ceux‑ci n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les questions déterminantes consistaient à savoir si les demandeurs avaient été évincés en août 2016 et si les demandeurs seraient en mesure de recevoir une protection de l’État adéquate en Hongrie lorsqu’ils seraient évalués de manière prospective.

[18]  Lors de l’audience devant la SPR, les demandeurs ont allégué des détails sur les mauvais traitements qu’ils ont subis, notamment des actes de discrimination et du harcèlement policier. Les demandeurs ont été interrogés au sujet des circonstances entourant leur éviction de leur résidence à Miskolc, notamment afin de savoir si les demandeurs pouvaient produire des preuves documentaires pour démontrer qu’ils avaient bel et bien été évincés de leur résidence.

[19]  Dans son témoignage, le demandeur principal a indiqué qu’il n’avait pas reçu de lettre d’éviction avant d’être évincé par la police; que les demandeurs n’avaient pas de bail parce qu’ils louaient le logement d’un ami et n’étaient pas sûrs si l’ami lui‑même avait un bail; que le demandeur principal ne savait pas avec certitude si l’ami avait reçu une lettre d’éviction, mais il a supposé que ce n’était pas le cas, partant de l’hypothèse que son ami en aurait informé la famille; que le demandeur principal n’avait pas demandé à son ami s’il avait effectivement reçu une lettre d’éviction.

[20]  La SPR a estimé que les demandeurs n’étaient pas crédibles ou fiables en ce qui concerne l’éviction. Les demandeurs avaient fourni une lettre du gouvernement autonome rom indiquant qu’ils avaient été évincés de leur résidence à Miskolc, mais la SPR a critiqué le fait que la lettre n’était pas datée. Les demandeurs ont expliqué que le gouvernement autonome rom savait que les familles avaient été évincées, mais la SPR n’a pas trouvé cette explication crédible et a estimé que la lettre avait probablement été rédigée en se fondant sur l’auto‑identification des demandeurs. La SPR a souligné que les documents n’indiquaient pas comment le signataire avait confirmé l’origine ethnique des demandeurs, et bien que les demandeurs aient affirmé que le signataire connaissait leurs mères, les certificats étaient muets à ce sujet.

[21]  Par ailleurs, comme le demandeur principal ne se rendait pas très souvent aux bureaux du gouvernement autonome rom et qu’il a approché ce dernier pour la première fois à Miskolc après l’éviction de la famille, la SPR a estimé qu’elle ne pouvait pas croire sur parole les demandeurs et accepter les lettres et les certificats d’identité présentés.

[22]  La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles pour les motifs suivants :

[23]  Finalement, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas [traduction« suffisamment d’éléments de preuve crédibles » pour établir que les demandeurs avaient loué une résidence en juin 2015, qu’ils en avaient été évincés ou que Lajos Jr avait été agressé par des agents de police lors de l’éviction. Par conséquent, la SPR a estimé qu’aucun de ces événements n’avait eu lieu.

[24]  La SPR a constaté qu’il y avait eu un délai avant le départ des demandeurs de Hongrie puisque la mère de la demanderesse associée avait déjà demandé l’asile au Canada en 2011 et que l’agression du demandeur principal s’était produite en 2015, mais les demandeurs n’ont pas quitté la Hongrie avant 2017 (je note que les demandeurs sont en fait partis pour le Canada en septembre 2016).

[25]  La SPR n’a pas cru les témoignages des demandeurs selon lesquels ils n’avaient jamais demandé la protection de la police en raison de leurs expériences de discrimination et de harcèlement. La SPR a contesté le fait que le demandeur principal a allégué que lui et ses fils avaient été harcelés par la police, alors que la demanderesse associée – durant son interrogatoire au PDE – a indiqué que seul son mari avait été victime de mauvais traitements. En outre, la SPR n’a pas jugé crédible le fait que le second demandeur associé n’ait mentionné aucun incident de violence policière au PDE et qu’il ait seulement mentionné sa crainte des skinheads lorsqu’on lui a demandé ce qu’il craignait. Interrogé au PDE à savoir s’il avait eu affaire à la police dans un pays quelconque, le second demandeur associé a déclaré « non ». Le second demandeur associé a expliqué plus tard qu’il pensait que la question portait sur ses antécédents criminels et qu’il craignait les personnes en uniforme (c.‑à‑d. les agents du PDE), mais la SPR a estimé que cette explication manquait de crédibilité, car [traduction« c’était l’une des principales raisons pour lesquelles il venait au Canada ».

[26]  La SPR a estimé que le demandeur principal manquait de crédibilité, car, bien qu’il ait obtenu un certificat médical en 2015, au cas où il devrait prouver ce qui s’était passé, le demandeur principal a également déclaré qu’il craignait que la police ne l’aide pas et qu’elle l’avait harcelé pendant des années. La SPR a conclu que les policiers n’étaient pas des agents de persécution parce que les demandeurs manquaient de crédibilité et parce que la demanderesse associée et le second demandeur associé n’avaient pas mentionné les mauvais traitements dans les notes initiales prises au PDE.

[27]  La SPR a conclu que la Hongrie n’était pas un État en déliquescence et que le fait que le demandeur principal n’avait pas demandé la protection de la police minait sa crédibilité générale.

C.  La décision de la SAR

[28]  À titre préliminaire, je souligne que le commissaire de la SAR a commis plusieurs erreurs dans la décision, ce qui témoigne d’un manque d’attention aux détails et rend parfois son raisonnement difficile à suivre :

[29]  La SAR a conclu que les demandeurs avaient des problèmes de crédibilité. La SAR a souligné que les demandeurs avaient connaissance de l’information lorsqu’ils étaient au PDE avant l’audience de la SPR et que la demanderesse associée n’avait pas mentionné l’éviction lors de son entrevue au PDE. Sur ce point, la SAR a estimé que les demandeurs avaient eu suffisamment de temps avant l’audience de la SPR pour produire des preuves qui auraient permis d’expliquer pourquoi ils avaient omis cette information durant l’entrevue au PDE.

[30]  En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur principal savait (ou non) si son ami avait reçu une lettre d’éviction, la SAR a convenu avec la SPR que le demandeur principal avait en fait « changé sa réponse » au cours de son témoignage. La SAR a en outre déclaré : « [i]l est raisonnable de s’attendre à ce que la coappelante soit constante dans son témoignage de vive voix concernant le fait qu’il savait ou non que le propriétaire avait reçu un avis d’éviction de la ville ». Comme je l’ai souligné ci‑dessus, il ressort du contexte que la SAR fait référence à Lajos Toth, le demandeur principal, et non à son épouse.

[31]  La SAR n’a pas jugé crédible le fait que les documents d’identité des demandeurs obtenus auprès du gouvernement autonome rom soient datés d’avant leur prétendue éviction, alors que les demandeurs ont indiqué durant leur témoignage qu’ils s’étaient rendus aux bureaux du gouvernement autonome rom pour la première fois après leur éviction. La SAR a également contesté la lettre du gouvernement autonome rom, car elle n’était pas datée et ne contenait pas de détails sur la prétendue éviction. La SAR déclare : « [la lettre] ne précise pas quand l’éviction a eu lieu, quels recours juridiques ont été offerts aux appelants concernant l’éviction. Compte tenu de toutes ces préoccupations quant à la crédibilité, je n’accorde aucune valeur probante à cette lettre ».

[32]  En fin de compte, la SAR a conclu qu’il y avait des problèmes de crédibilité et a confirmé les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’ont pas été évincés de leur résidence et que le demandeur mineur n’a pas été agressé par la police au cours de l’éviction.

[33]  Sur la question de la protection de l’État, la SAR a conclu que le demandeur principal n’avait pas signalé les incidents d’agression aux autorités et qu’il n’avait fourni « aucune justification solide pour son défaut de signaler ces incidents ». La SAR a également estimé que le demandeur principal « a négligé de mentionner qu’ils ont été harcelés par la police », et a donc conclu que le demandeur principal et son fils n’avaient pas été harcelés par la police.

[34]  Par ailleurs, la SAR a examiné les expériences personnelles des demandeurs et a convenu avec la SPR que « ce qu’ont vécu les appelants sur le plan de l’éducation, du logement et de l’emploi n’équivaut pas à de la persécution ». En outre, la SAR a estimé que « [l]a SPR a effectué une analyse complète et approfondie de la preuve documentaire » de la communauté rom en Hongrie, et a conclu que « [la SPR] a tiré ses conclusions relatives à la protection de l’État à la suite d’une analyse approfondie et juste de tous les éléments de preuve documentaire ». La SAR a souscrit à la conclusion que la SPR a tirée au sujet de la protection de l’État.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[35]  La question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable, et plus particulièrement :

[36]  À mon avis, l’évaluation de la crédibilité faite par la SAR est l’enjeu clé de l’espèce.

[37]  Jusqu’à récemment, avant que la Cour suprême ne rende sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la norme de la décision correcte s’appliquait généralement à l’examen des décisions de la SAR et aux conclusions de la SAR concernant la crédibilité, comme c’est le cas en l’espèce : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 (CanLII), aux par. 30 et 34‑35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 44 et 59; Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 661 (CanLII), au par. 30; Walite c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 49 (CanLII), au par. 30; Deng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 887 (CanLII), aux par. 6 et 7. Il n’y a pas lieu de déroger à la norme de contrôle suivie dans la jurisprudence, étant donné que l’application du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov commande l’application de la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[38]  Comme l’a souligné la majorité dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [...] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Par ailleurs, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

IV.  Question préliminaire : l’audience

[39]  Comme le manque de crédibilité était au cœur des conclusions tirées par la SPR concernant l’allégation de persécution du demandeur, les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû tenir une audience pour aborder les questions importantes relatives à la crédibilité qui étaient au cœur de la décision de la SPR.

[40]  Le défendeur soutient que l’affirmation selon laquelle la SAR aurait dû tenir une audience est sans fondement. Certaines circonstances doivent être réunies pour que la SAR tienne une audience, par exemple, l’admission de nouvelles preuves. En l’espèce, ces circonstances n’ont pas été réunies.

[41]  Je suis du même avis que le défendeur. Les demandeurs n’ont présenté aucune nouvelle preuve et les circonstances n’ont pas précipité le besoin de tenir une audience. En fait, les demandeurs ont eux‑mêmes soumis pour l’appel devant la SAR une déclaration indiquant : [traduction« [é]tant donné que les demandeurs n’ont pas de nouvelles preuves pour l’instant, ils ne demandent pas la tenue d’une audience ».

V.  Analyse

A.  Crédibilité et appréciation de la preuve

[42]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur lors de l’évaluation de la crédibilité et n’a pas adéquatement tenu compte de la preuve documentaire. Les demandeurs soutiennent que la SAR s’est livrée à une évaluation microscopique des éléments de preuve, comme l’avait fait la SPR avant elle. Les demandeurs estiment que leurs témoignages n’ont pas donné lieu à des contradictions lors de l’audience devant la SPR et que la SAR a accordé une trop grande attention à des incohérences mineures.

[43]  Les demandeurs soutiennent également que la SAR s’est abusivement fiée aux notes prises au PDE, un élément qui était clairement au cœur des conclusions tirées concernant la crédibilité des demandeurs. Les demandeurs affirment que l’affaire en l’espèce se distingue des autres affaires dans lesquelles la Commission a traité une combinaison de facteurs ayant conduit à des conclusions défavorables en matière de crédibilité, et pas simplement d’une omission dans les notes prises au PDE (Kroka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 728 (CanLII), au par. 13; Drevenak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1320 (CanLII), au par. 15).

[44]  Les demandeurs s’appuient sur la décision Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 694 (CanLII), aux par. 4 à 7, citant la décision Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 587 (CAF), au par. 33, pour affirmer que les contradictions ou les incohérences entre les notes prises au PDE et le témoignage d’un demandeur peuvent aboutir à des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité lorsque les notes prises au PDE sont exhaustives et très différentes des preuves présentées ultérieurement par un demandeur. Les demandeurs affirment que ce n’est pas le cas en l’espèce.

[45]  Les demandeurs font également valoir que la SAR n’a pas adéquatement tenu compte des preuves documentaires relatives à la situation prévalant dans le pays en ce qui a trait à l’absence de bail et à l’éviction, et ce, malgré les explications des demandeurs sur les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas produire le document de bail ou la lettre d’éviction. Les demandeurs soutiennent que, en raison d’évaluations inappropriées de leur crédibilité, la SPR et la SAR ont commis une erreur en concluant que les demandeurs n’ont pas été évincés et que leur fils, Lajos Jr, n’a pas été harcelé par la police – par conséquent, les incidents de persécution les plus graves n’ont pas été pris en compte.

[46]  Le défendeur soutient que, à la suite de l’examen de l’ensemble de la preuve, la SAR a tiré une conclusion raisonnable selon laquelle les preuves présentées par les demandeurs étaient insuffisantes et manquaient de crédibilité pour établir que ces derniers avaient été évincés de leur résidence. La SAR a estimé que la décision de la SPR devait être confirmée, ce qui était raisonnablement fondé sur les conclusions de la SAR et sa propre évaluation de l’ensemble de la preuve.

[47]  Par ailleurs, le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la crédibilité en ce qui concerne les notes prises au PDE et l’absence de preuves corroborantes de l’éviction. Le défendeur fait valoir que la SAR a formulé des conclusions raisonnables au sujet de la crédibilité en se fondant sur des [traduction« omissions importantes lors de l’entrevue au PDE, l’absence d’explication raisonnable de ces omissions, des témoignages incohérents et l’absence de preuves fiables et corroborantes ». Le défendeur s’appuie sur les décisions Seenivasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1410 (CanLII) [la décision Seenivasan], aux par. 17 à 26, et Gaprindashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 583 (CanLII) [la décision Gaprindashvili], aux par. 24 à 27, pour affirmer que la SAR était justifiée de conclure que l’omission d’un événement important lors de l’entrevue au PDE constituait une base solide pour mettre en doute la crédibilité des demandeurs.

[48]  À mon avis, les conclusions de la SAR et de la SPR sont déraisonnables pour les motifs suivants.

[49]  Avant d’examiner les questions en litige en détail, je souligne que le commissaire de la SAR écrit dans sa décision : « j’ai eu l’occasion d’écouter l’enregistrement... ». Cependant, après avoir lu la totalité de la transcription de l’audience de la SPR, je ne suis pas certain de comprendre de quel enregistrement la SAR s’est servie. Bien qu’il soit compréhensible que nous puissions tous commettre des erreurs – comme le fait d’insérer par inadvertance les noms d’un autre dossier –, en l’espèce, depuis les notes prises au PDE jusqu’à l’appel devant la SAR, ces erreurs donnent vraiment au mot « déraisonnable » un nouveau sens.

(1)  L’omission dans les notes prises au PDE

[50]  Pour la SPR et la SAR, le nœud du problème semble être les notes prises au PDE. Le défendeur note à tort que la SAR a estimé que [traduction« les demandeurs adultes n’ont pas mentionné l’allégation centrale dans leur demande d’asile – leur éviction de leur domicile – lorsqu’ils se trouvaient au point d’entrée ». La SAR n’a pas conclu que tous les demandeurs adultes avaient omis de mentionner l’éviction de leur résidence : la SAR a seulement noté que la SPR a souligné que la demanderesse associée n’avait pas mentionné l’éviction. En fait, le second demandeur associé a bien déclaré lors de son entrevue au PDE que lui et sa famille avaient été évincés. Au cours de l’audience, la Cour a porté ce fait à l’attention du défendeur. Cependant, le défendeur n’a pas reconnu les inexactitudes que contenaient ses propres observations écrites.

[51]  Quoi qu’il en soit, la SAR s’est appuyée sur la décision de la Cour dans l’affaire Seenivasan pour affirmer que la Commission peut tirer une conclusion défavorable des omissions au PDE qui sont au cœur de l’allégation du demandeur (Seenivasan, au par. 24), et a déclaré que la demanderesse associée « a négligé de mentionner qu’ils ont été évincés », alors qu’il s’agissait de « la principale raison » de sa demande d’asile. La SAR a ensuite tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité des demandeurs du fait que ces derniers n’avaient apparemment pas produit de preuves lors de l’audience de la SPR pour expliquer cette omission au PDE.

[52]  À mon avis, la SAR a utilisé un raisonnement trompeur et injustifié, et l’espèce se distingue facilement de la décision Seenivasan sur la foi des faits. Dans la décision Seenivasan, le demandeur a omis des parties importantes de son récit lors de son entrevue au PDE et dans son Formulaire de renseignements personnels, qui correspond à ce qui est désormais appelé le formulaire FDA. De plus, le demandeur a donné des réponses contradictoires et a contredit des réponses précises qu’il avait données au cours de son entrevue au PDE. Par ailleurs, dans l’affaire Seenivasan, le commissaire de la Commission avait donné au demandeur la possibilité de fournir des éclaircissements et des explications à ce sujet.

[53]  En revanche, en l’espèce, après l’entrevue au PDE, les demandeurs ont présenté un formulaire FDA ainsi qu’un affidavit du demandeur principal attestant des détails de leur demande d’asile, y compris l’éviction de leur résidence et l’agression policière subie par le demandeur mineur. Contrairement aux affirmations de la SAR selon lesquelles les demandeurs n’avaient pas [traduction« expliqué l’omission », les demandeurs n’avaient pas besoin de produire de preuves à l’audience de la SPR pour expliquer cette omission, car les détails plus complets de la demande avaient déjà été mis en lumière dans le formulaire FDA. Il ne s’agit certainement pas d’un cas où des événements majeurs ont été omis à la fois lors de l’entrevue au PDE et dans le formulaire FDA.

[54]  Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas fourni de réponses contradictoires lors de l’audience devant la SPR par rapport à celles qu’ils avaient fournies lors de leur entrevue au PDE. En fait, la seule question posée par le commissaire de la SPR à la demanderesse associée à propos de l’éviction et de l’agression policière du demandeur mineur visait à déterminer pourquoi la demanderesse associée n’avait pas mentionné ces éléments au PDE. Voici ce que contient la transcription :

[traduction]


C (commissaire du tribunal) : ...vous souvenez‑vous d’avoir été interrogée au point d’entrée?

L (Lajosne) : Oui.

C : Dans cette entrevue, vous parlez de votre mari, vous dites qu’il a eu des problèmes avec des hommes en uniformes noirs, vous les décrivez comme étant habillés en noir et vous ne saviez pas qui ils étaient, leurs têtes étaient rasées et vous dites que votre mari a été agressé à plusieurs reprises et que lors de l’une de ces attaques, on lui a cassé des dents. Et puis, passez à la page suivante, page suivante, en haut, merci, et vous, vous dites que seul votre mari a été attaqué, et que les agressions ont commencé en 2015, lorsque vous viviez à Miskolc. Alors, comment se fait‑il que vous n’ayez pas mentionné que votre fils avait été agressé physiquement par un agent de police et que vous et votre famille aviez été évincés de votre résidence?

L : Je ne m’en souviens pas.

C : D’accord, cela met fin à mon contre‑interrogatoire.

[55]  À la lecture de la transcription, il est clair que la question posée par la SPR visait à savoir pourquoi l’éviction de la résidence et l’agression policière n’avaient pas été mentionnées. La demanderesse associée a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas (pourquoi elle n’avait pas mentionné les événements). Ensuite, plutôt que de donner l’occasion à la demanderesse associée d’expliquer plus en détail les événements entourant l’éviction, la SPR a simplement mis fin à son contre‑interrogatoire et a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse associée pour [traduction« n’avoir pas fourni de détails lorsqu’on le lui a demandé ». La SAR a souscrit aux conclusions de la SPR. Néanmoins, à mon avis, il était déraisonnable pour la SAR, et la SPR avant elle, de tirer cette conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse associée.

[56]  L’espèce se distingue également de l’affaire Gaprindashvili. Dans l’affaire Gaprindashvili, le demandeur avait fondé sa demande d’asile sur l’article 96 puisqu’il était persécuté par sa belle‑famille, mais il n’avait pas indiqué que son christianisme et son refus de se convertir à l’islam entraient en ligne de compte dans sa demande d’asile (Gaprindashvili, au par. 25). L’information omise était essentielle à sa demande d’asile et était à l’origine des difficultés qu’il a rencontrées par la suite, notamment les pressions religieuses, les enlèvements et les sévices. En outre, le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas évoqué la persécution religieuse lors de son entrevue au PDE parce qu’il croyait pouvoir fournir des précisions concernant les détails de sa demande d’asile lors de son audience devant la SPR.

[57]  Cependant, en l’espèce, la lecture des notes prises au PDE révèle un très court compte rendu d’entrevue de deux pages qui est en fait très peu détaillé. Peu de renseignements peuvent être tirés de cette entrevue au PDE qui semble avoir été très brève. Par ailleurs, contrairement au demandeur dans l’affaire Gaprindashvili qui a attendu l’audience devant la SPR pour donner des détails sur sa demande d’asile, en l’espèce, les demandeurs ont présenté par la suite un formulaire FDA avec un affidavit contenant des détails et les motifs de leur demande d’asile.

[58]  De plus, la décision de la SAR ne fournit pas de justification claire quant à son rejet de l’explication de la demanderesse associée expliquant pourquoi peu de détails avaient été donnés lors de son entrevue au PDE. Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse associée a attesté avoir été effrayée par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada à la frontière, puisqu’ils ressemblaient fortement à des policiers – c.‑à‑d. les mêmes personnes qui ont discriminé et persécuté de façon continue les demandeurs. Ainsi, une déclaration de la demanderesse associée aurait fourni une explication raisonnable du motif pour lequel elle n’aurait pas pu divulguer les détails des agressions policières survenues pendant l’éviction.

[59]  Toutefois, la SPR a rejeté catégoriquement cette explication (tout comme la SAR) parce que la demanderesse associée avait [traduction« mentionnée [que] la seule personne qui avait été blessée en Hongrie était son époux » et parce que [traduction« cela contredisait le récit de son mari qui affirmait que le demandeur mineur avait été maltraité en juin 2015 et en août 2016 ». Je souligne que la déclaration de la demanderesse associée selon laquelle son époux avait été la seule personne blessée a été faite durant l’entrevue initiale au PDE. Cependant, le récit du demandeur principal comprenait de plus amples détails sur la demande d’asile dans le formulaire FDA présenté ultérieurement et sur lequel toute la famille s’est appuyée. La SPR a même pris note du fait que [traduction« les autres demandeurs s’appuient sur l’affidavit du demandeur ». Néanmoins, sans souligner que le récit du demandeur principal est tiré du formulaire FDA, la SPR a donné l’impression que les deux déclarations avaient été faites en même temps – une approche totalement trompeuse, puisque tous les demandeurs s’appuyaient sur l’affidavit du demandeur principal afin de fournir une base factuelle plus complète pour leur demande d’asile. La SAR a commis une erreur en ne tenant pas adéquatement compte des preuves ainsi qu’en acceptant le raisonnement et la justification erronés des conclusions de la SPR.

(2)  Lettre d’éviction

[60]  La SAR a remis en doute la crédibilité du demandeur principal en affirmant que ce dernier avait « changé » sa réponse lors de l’audience de la SPR quant à savoir si son ami avait reçu une lettre d’éviction de la part de la Ville. Au départ, à la question de savoir si son ami avait reçu une lettre d’éviction, le demandeur principal avait répondu : [traduction« je ne sais pas ». Puis, plus loin, la transcription se lit comme suit :

[traduction]


C (commissaire du tribunal) : Oui, je suis conscient de cela. Je sais aussi qu’ils envoyaient des lettres d’éviction à des personnes qui avaient des arriérés de loyer ou dont le bail était expiré, d’accord
...

T (M. Toth) : Je ne suis pas au courant de cela, nous n’avons pas reçu, nous n’avons pas reçu d’avis nous informant que nous devions quitter la maison et mon ami non plus.

C : Mais tout à l’heure, vous avez dit que vous ne saviez pas si votre ami avait reçu un tel avis.

T : Que voulez‑vous dire par « mon ami a reçu un avis »? Il n’a pas reçu d’avis.

C : Je vous l’ai demandé plus tôt et vous avez dit que vous ne le saviez pas. Alors, a‑t‑il reçu un avis ou non?

T : Je ne pense pas qu’il en ait reçu un, car il nous aurait probablement fait savoir que nous devions quitter la maison.

[61]  Il était déraisonnable pour la SAR de tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du demandeur en s’appuyant sur cet échange concernant la lettre d’éviction. À mon avis, c’était une erreur d’affirmer que le demandeur principal avait « changé » sa réponse. Il est évident que le demandeur principal n’était pas certain que son ami avait reçu une lettre d’éviction. Cependant, il était raisonnable que le demandeur principal déclare – même s’il était incertain – que son ami n’a pas reçu de lettre d’éviction, car il aurait probablement informé les demandeurs s’il avait reçu un tel avis.

(3)  Agressions et harcèlement policiers

[62]  Les conclusions de la SAR figurant aux paragraphes 43 et 44 sont erronées et mettent en évidence l’examen effectué par le commissaire de la SAR des faits en l’espèce et les conclusions de la SPR. J’ai reproduit les deux paragraphes ci‑dessous :

[43] L’appelant principal a également déclaré que lui et le coappelant ont été harcelés par la police à plusieurs occasions. La SPR lui a souligné qu’il n’a pas mentionné que la police les a maltraités, lui et son fils, dans les notes prises au PDE. Au départ, il a répondu qu’il pensait qu’il devait seulement mentionner les incidents criminels, mais lorsqu’il a été questionné par sa conseil sur cette question, il a changé son histoire et a dit qu’il avait peur pendant l’entrevue. La SPR n’a pas accepté cette explication.

[44] L’allégation de harcèlement policier n’est pas une allégation mineure, mais une allégation très sérieuse. Il est raisonnable de s’attendre à ce que l’appelant principal, lorsqu’il lui a été expressément demandé pendant son entrevue s’il avait déjà eu des interactions avec la police dans son pays d’origine, il n’a pas déclaré que lui et son fils ont été harcelés par la police. Comme je l’ai dit précédemment, le problème n’est pas que l’appelant principal a omis de fournir des détails concernant cette allégation en particulier dans les notes prises au PDE. Le problème est qu’il a négligé de mentionner qu’ils ont été harcelés par la police. Je m’appuie sur mes analyses présentées ci-dessus concernant les omissions dans les notes prises au PDE.

[63]  S’il est vrai que le demandeur principal a déclaré que lui et ses fils ont été maltraités par la police à plusieurs reprises, le reste de ce que la SAR a relaté comme étant [traduction« les conclusions de la SPR » est inexact. La SAR a interprété à tort que le [traduction« demandeur de sexe masculin » mentionné dans la décision de la SPR renvoyait au demandeur principal. Cependant, ce n’est pas le cas. La SPR faisait référence au second demandeur associé, Szabolcs, qui est le fils aîné du demandeur principal. La SPR a même fait référence aux [traduction« notes du point d’entrée de Szabolcs » dans une note de bas de page.

[64]  En s’appuyant sur ce malentendu concernant les faits, la SAR a ensuite déduit qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur principal mentionne le harcèlement policier lorsqu’il a été spécifiquement interrogé à ce sujet au cours de l’entrevue au PDE. La SAR a déclaré que le demandeur principal « a négligé de mentionner qu’ils ont été harcelés par la police » et a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur principal pour déterminer que ce dernier et son fils n’avaient pas été harcelés par la police.

[65]  Étant donné que cette situation et cet interrogatoire n’impliquaient pas le demandeur principal, le raisonnement de la SAR ne peut que s’effondrer. L’analyse erronée de la SAR constitue une erreur susceptible de révision et est déraisonnable.

[66]  En ce qui concerne les éléments de preuve corroborants recherchés par la SAR et la SPR, je souligne que si les demandeurs n’ont pas pu produire un rapport de police pour l’agression du demandeur principal en 2015 ou un rapport médical pour les agressions subies par le demandeur mineur en 2016, il existait d’autres preuves corroborantes pour étayer les allégations des demandeurs concernant le harcèlement et les abus dont ils avaient été victimes. Ces preuves comprennent, notamment un rapport médical détaillant les blessures subies par le demandeur principal en 2015, des photos des blessures du demandeur principal et d’autres photos de contusions sur le dos et les côtes de son fils de 13 ans, causées par les coups de pied et les coups de poing donnés par les agents de police. Ainsi, la SAR et la SPR n’ont pas suffisamment tenu compte des preuves corroborantes existantes.

B.  Protection de l’État

[67]  Dans la décision, le commissaire de la SAR a estimé que le demandeur principal n’avait pas justifié de façon valable pourquoi il n’avait pas signalé à la police l’agression perpétrée en 2015 par les membres d’un groupe paramilitaire. Après avoir examiné les preuves orales et documentaires en vertu desquelles la décision de la SPR a été prise, la SAR a convenu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[68]  Cependant, les conclusions de la SAR sont déraisonnables et injustifiées. Premièrement, le demandeur principal a déclaré dans son formulaire FDA qu’il avait déjà été harcelé et maltraité par la police à plusieurs reprises. Deuxièmement, le demandeur principal a également déclaré lors de l’audience devant la SPR qu’il n’avait pas porté plainte parce qu’il ne pouvait pas se plaindre auprès de la police qui était l’agent de persécution, parce que le gouvernement autonome rom était intimidé par la police et serait [traduction« trop effrayé pour aller de l’avant » et porter plainte contre la police, parce que le gouvernement autonome rom avait dit au demandeur principal qu’il [traduction« ne pouvait rien faire parce qu’il aurait également des ennuis », parce que l’ombudsman n’apporterait aucune aide tangible parce qu’il rédige un rapport d’évaluation annuel déclarant que [traduction« tout va bien ».

[69]  Bien que le demandeur principal ait fourni les raisons pour lesquelles il n’a pas déposé de plainte, puisque la SAR (et la SPR) avait déjà déterminé dans son esprit que le demandeur principal n’était pas crédible, la SAR semble avoir accordé peu ou pas de poids aux explications fournies par le demandeur principal. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la SAR a conclu à tort que le demandeur principal et le second demandeur associé n’ont pas été harcelés par la police en se fondant sur des conclusions défavorables concernant leur crédibilité.

[70]  Par conséquent, étant donné que l’analyse de la protection de l’État par la SAR était étroitement liée à ses conclusions défavorables au sujet de la crédibilité des demandeurs, son analyse a été entachée par les évaluations portant sur la crédibilité. Voilà pourquoi l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SAR est totalement déraisonnable.

VI.  Question certifiée

[71]  Il a été demandé aux avocats de chacune des parties si des questions devaient être certifiées. Chacun a affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, et je suis de leur avis.

VII.  Conclusion

[72]  Le commissaire de la SAR n’a pas évalué adéquatement la crédibilité des demandeurs, notamment en ce qui concerne les notes prises au PDE, la lettre d’éviction et l’agression policière. Par ailleurs, la SAR n’a pas correctement évalué la protection de l’État parce que son analyse a été entachée par les conclusions tirées au sujet de la crédibilité des demandeurs.

[73]  Pour les raisons qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.




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