Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200402


Dossier : IMM‑3813‑18

Référence : 2020 CF 479

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

ANIQA SHOAIB

HIBA SHOAIB

ALISHA SHOAIB

UMME UMEEMA

ABDUL HASEEB

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La demanderesse principale, Aniqa Shoaib, est une citoyenne du Pakistan. Les quatre codemandeurs sont ses enfants, qui ont aujourd’hui entre 10 et 20 ans. En mai 2018, les cinq demandeurs ont présenté des demandes de visas de résidents temporaires afin de pouvoir visiter le Canada durant leurs vacances à la fin de juin et au début de juillet 2018. Shoaib Abdul Sattar, l’époux de la demanderesse principale et le père des codemandeurs, ne devait pas les accompagner lors de ce voyage et, par conséquent, n’a pas présenté de demande de visa.

[2]  Les demandes ont été refusées par un agent des visas de l’ambassade du Canada à Abou Dhabi le 4 juillet 2018.

[3]  Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Ils soutiennent que la décision est déraisonnable et qu’elle n’est pas conforme aux exigences de l’équité procédurale.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je ne partage pas ce point de vue. En conséquence, la demande doit être rejetée.

II.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]  Les demandes de visas ont été présentées par une avocate canadienne, Mme Mithoowani (qui continue de représenter les demandeurs). Les demandes étaient appuyées par des observations écrites de Mme Mithoowani, datées du 2 mai 2018, qui expliquaient, entre autres, les raisons pour lesquelles les demandeurs souhaitaient venir au Canada. Mme Mithoowani a écrit que [TRADUCTION] « Mme Shoaib et ses enfants ont déjà obtenu des visas américains et prévoient passer du temps aux États‑Unis cet été, lorsque les enfants seront en vacances scolaires. Comme ils parcourent déjà une longue distance pour se rendre aux États‑Unis, ils souhaitent aussi visiter le Canada pendant leurs vacances ». Mme Mithoowani a également décrit les activités prévues des demandeurs pendant leur séjour au Canada et a joint une preuve de réservations d’hôtel et de visites guidées.

[6]  Mme Mithoowani a souligné que les demandeurs avaient déjà visité le Canada à plusieurs reprises sans incident (bien qu’ils se soient également vu refuser des visas de visiteurs canadiens en 2006, en 2007, en 2008 et en 2017). Elle a également souligné que les demandeurs avaient des antécédents importants de voyages à l’étranger dans d’autres pays que le Canada (encore une fois sans incident) et fourni des éléments de preuve à l’appui. Les demandes de visas étaient appuyées par des documents prouvant, entre autres, que les codemandeurs étaient des élèves ou des étudiants au Pakistan et que les demandeurs avaient amplement les moyens financiers d’effectuer le voyage proposé au Canada.

[7]  La lettre de Mme Mithoowani comprenait également les réservations de vols des demandeurs. Ces réservations indiquaient que les demandeurs devaient quitter Karachi à destination de Toronto le 28 juin 2018, et repartir de Toronto pour Karachi le 8 juillet 2018.

[8]  Les refus des demandes de visas ont été communiqués aux demandeurs dans des lettres de la section des visas de l’ambassade du Canada à Abou Dhabi. Les cinq lettres sont identiques. Elles énoncent que la demande a été refusée parce que l’agent des visas n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour en tant que résidents temporaires. Les facteurs particuliers dont l’agent des visas a tenu compte pour prendre cette décision (comme l’indiquent les cases cochées) étaient les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence, l’objet de la visite, les perspectives d’emploi dans le pays de résidence et la situation d’emploi actuelle.

[9]  Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) apportent des éclaircissements supplémentaires quant aux raisons pour lesquelles l’agent a rejeté les demandes de visas. Ces notes énoncent ce qui suit :

[Traduction] La chef de famille et ses enfants souhaitent voyager à des fins touristiques. La représentante déclare que les demandeurs se rendent aux États‑Unis et qu’ils aimeraient visiter le Canada pendant quelques jours. Il a toutefois été noté que le vol aller‑retour avait été réservé directement à destination et en provenance du Canada. Preuve insuffisante fournie à l’appui de l’emploi et du revenu de la famille, historique de compte irrégulier. Tous les membres de la famille ont présenté des demandes de visas de résidents temporaires (VRT) en octobre 2017. Le conjoint s’est vu refuser le visa pour déclarations inexactes [****]. J’ai tenu compte des antécédents de voyage, mais, compte tenu des renseignements susmentionnés et du fait que la personne voyage avec tous ses enfants, je ne suis pas convaincu de l’authenticité du statut de visiteur des demandeurs ou du fait qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La demande est rejetée.

[10]  Je m’arrête ici pour souligner que les étoiles (« **** ») désignent des renseignements que le défendeur a expurgés du dossier certifié du tribunal en vertu de l’article 87 de la LIPR. J’ai confirmé cette expurgation dans une ordonnance rendue le 24 septembre 2019. Le défendeur a expressément écarté tout recours aux renseignements expurgés et ces renseignements n’ont joué aucun rôle dans la décision relative à la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  NORME DE CONTRÔLE

[11]  Les parties soutiennent — et je suis d’accord avec elles — que le fond de la décision portant sur une demande de visa de résident temporaire devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Talpur c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2012 CF 25, par. 19). Il y a lieu de faire preuve de retenue envers l’agent des visas en raison de son expertise présumée à l’égard des critères applicables et de la nature essentiellement factuelle de ce genre de décision discrétionnaire.

[12]  Peu après l’audience relative à la présente demande, la Cour suprême du Canada a établi une approche révisée pour déterminer la norme de contrôle à l’égard du bien‑fondé d’une décision administrative, dans son arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est maintenant la norme présumée, sauf dans les cas d’exceptions précises « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (Vavilov, par. 10). À mon avis, rien ne justifie de déroger à la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique en l’espèce.

[13]  Dans l’arrêt Vavilov, la majorité des juges a également tenu à préciser les modalités d’application de la norme du caractère raisonnable (au paragraphe 143). Les principes soulignés par la majorité des juges proviennent dans une large mesure de la jurisprudence, en particulier de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Bien que, comme je l’ai déjà mentionné, le débat relatif à la présente demande a eu lieu avant l’arrêt Vavilov, le fondement juridique sur lequel les parties ont fait valoir leurs points de vue respectifs quant au caractère raisonnable de la décision de l’agent est conforme au cadre de l’arrêt Vavilov. C’est aussi ce cadre que j’ai appliqué pour arriver à la conclusion que la décision de l’agent est raisonnable. Je précise cependant que l’issue aurait été la même en suivant le cadre de l’arrêt Dunsmuir.

[14]  L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, par. 12 et 13). Lors d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, par. 83). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). L’exercice de tout pouvoir public « doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, par. 95). Lorsqu’un décideur a fourni des motifs, les motifs doivent être lus à la lumière de l’ensemble du dossier en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils ont été rendus (Vavilov, par. 91 à 94). La cour de révision doit « s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable » (Vavilov, par. 99).

[15]  En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, les parties soutiennent qu’elles doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte. La question de savoir s’il est logique de parler d’une norme de contrôle dans le présent contexte soulève certains doutes, mais, essentiellement, je suis également d’accord avec les parties à ce sujet. D’un point de vue pratique, la norme de la décision correcte signifie qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard du décideur sur cette question. Il me faut moi‑même déterminer si le processus que le décideur a suivi satisfaisait au degré d’équité requis compte tenu de toutes les circonstances (Canada [Citoyenneté et Immigration] c Khosa, 2009 CSC 12, par. 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada [Procureur général], 2018 CAF 69, par. 33 à 56; Elson c Canada [Procureur général], 2019 CAF 27, par. 31).

IV.  ANALYSE

[16]  Les ressortissants étrangers qui cherchent à entrer au Canada doivent réfuter la présomption selon laquelle ils sont des immigrants (Danioko c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2006 CF 479, par. 15; Ngalamulume c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2009 CF 1268, par. 25). Les demandeurs de visas de résidents temporaires sont donc tenus de prouver, entre autres, qu’ils quitteront le Canada à la fin du séjour visé par la demande, conformément aux paragraphes 20(1) et 29(2) de la LIPR et à l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

[17]  En l’espèce, les demandes de visas des demandeurs ont été rejetées parce que ceux‑ci n’ont pas réussi à convaincre l’agent qu’ils quitteraient le Canada à la fin de leur séjour à titre de résidents temporaires. L’agent a tenu compte de plusieurs facteurs pour prendre cette décision, mais à mon avis, un seul est nécessaire pour appuyer le caractère raisonnable de la décision, à savoir l’objet du voyage.

[18]  Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable et qu’elle a été rendue d’une manière injuste sur le plan de la procédure parce que l’agent a effectivement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs sans leur donner d’abord l’occasion de répondre à ses préoccupations. Je ne suis pas de cet avis.

[19]  Les documents fournis à l’appui des demandes de visas contenaient une incohérence évidente. D’une part, la conseil des demandeurs a déclaré dans ses observations écrites que les demandeurs voulaient visiter le Canada à l’été 2018 parce qu’ils prévoyaient déjà être aux États‑Unis à ce moment‑là. D’autre part, les vols des demandeurs étaient en provenance du Pakistan et à destination du Canada, et vice‑versa. De plus, d’autres documents présentés par les demandeurs indiquent qu’ils prévoyaient consacrer tout le temps écoulé entre leur arrivée à Toronto en provenance du Pakistan le 28 juin 2018 et leur départ de Toronto à destination du Pakistan le 8 juillet 2018 à des activités au Canada. Par exemple, ils ont fourni des preuves de leurs réservations d’hôtel à Toronto pour trois nuits, à Vancouver pour trois nuits et à Calgary pour quatre nuits. Non seulement les demandeurs n’ont pas fourni la moindre indication qu’ils se trouveraient aux États‑Unis comme ils l’ont affirmé, mais leur itinéraire de voyage laissait entendre le contraire, c.‑à‑d. qu’ils ne feraient que visiter le Canada au cours de ce voyage.

[20]  Selon le dossier, l’agent des visas pouvait raisonnablement conclure, sans évaluer la crédibilité des demandeurs, que ceux‑ci ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait. Les documents mêmes des demandeurs fournissaient un fondement objectif justifiant la remise en question par l’agent de l’authenticité de la demande (Kindie c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2011 CF 850, par. 13 et 14). Au vu de ces documents, la conclusion tirée par l’agent est tout à fait transparente, intelligible et justifiée. L’agent n’était pas tenu de porter à l’attention des demandeurs un problème aussi évident dans leur demande.

[21]  Quoi qu’il en soit, les demandeurs n’auraient pas été en meilleure position si l’agent leur avait signalé le problème. Le 12 décembre 2018, la demanderesse principale a souscrit un affidavit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire. Cet affidavit n’est pas admissible comme élément de preuve à l’appui de l’affirmation des demandeurs selon laquelle la décision de l’agent est déraisonnable, mais j’en ai tenu compte dans mon évaluation de leur affirmation selon laquelle les exigences d’équité procédurale n’ont pas été respectées (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency [Access Copyright], 2012 CAF 22, par. 19 et 20; Bernard c Canada [Agence du revenu], 2015 CAF 263, par. 13 à 28). Selon la demanderesse principale, les réservations de vols incluses dans les demandes de visas étaient erronées et ne correspondaient pas à ses instructions finales à l’agent de voyage. La demanderesse principale affirme dans son affidavit qu’elle avait initialement demandé à l’agent de voyage de réserver des vols de retour de Karachi à Toronto, mais qu’elle a plus tard informé l’agent que les demandeurs avaient apporté des changements à leur plan parce qu’ils avaient décidé de visiter les États‑Unis également. L’agent de voyage a fait de nouvelles réservations pour le voyage des demandeurs, mais les réservations originales ont été présentées par erreur à l’appui des demandes de visas. Même si c’est ce qui s’est produit, cela ne concorde pas avec la déclaration de la conseil des demandeurs selon laquelle ceux‑ci voulaient visiter le Canada à l’été 2018 parce qu’ils avaient déjà l’intention de visiter les États‑Unis à ce moment‑là.

[22]  En résumé, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision a été rendue d’une manière injuste sur le plan de la procédure, ou que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, par. 100). Je n’ai aucune raison de modifier la décision de l’agent.

V.  CONCLUSION

[23]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3813‑18

LA COUR SATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’avril 2020.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3813‑18

 

INTITULÉ :

ANIQA SHOAIB ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 avril 2020

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.