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                                                                Date : 20020226

                                               No du greffe : IMM-6559-00

                                       Référence neutre : 2002 CFPI 217

Ottawa (Ontario), le 26 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                             MUSTAFA KAMMOUN

                              DIANA KHAFJAH

                                                               demandeurs

                                  - et -

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA NATURE DES PROCÉDURES

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du 7 novembre 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS


[2]                 Les demandeurs, Mustafa Kammoun et son épouse Diana Khafajah, sont tous deux des citoyens du Liban. Ils ont revendiqué le statut de réfugié à leur arrivée au Canada le 10 octobre 1999. À l'appui de leur revendication, ils ont invoqué la crainte fondée de persécution au Liban pour des raisons d'opinions politiques, dans le cas du demandeur, et d'appartenance à un groupe social particulier (la famille), dans le cas de son épouse, la demanderesse.

[3]                 Mustafa est originaire du village de Jbaa, situé dans le sud du Liban. Ce village se situant hors de la zone de sécurité en mai 1997, le demandeur a été forcé de trouver du travail à Beyrouth en raison des émeutes et des bombardements dans le sud du Liban. Il a continué de vivre à Jbaa tout en travaillant à Beyrouth. Il s'est lié d'amitié avec son employeur, Akif Wehbé. M. Wehbé le visitait souvent à Jbaa la fin de semaine.

[4]                 Au début de septembre 1998, le demandeur et M. Wehbé ont été détenus, interrogés, sévèrement battus et torturés pendant une semaine par le Hezbollah, qui les a accusés de se livrer à de l'espionnage au profit d'Israël. Le demandeur prétend avoir été libéré une semaine plus tard parce que ses ravisseurs ne détenaient aucune preuve contre lui. Il déclare également que M. Wehbé n'a pas été libéré car le Hezbollah était convaincu qu'il était un espion.

[5]                 Le 21 juillet 1999, alors qu'il visitait Beyrouth, le demandeur a de nouveau été capturé par le Hezbollah, qui l'a accusé de fournir à M. Wehbé des renseignements au sujet de ses activités. Suivant sa version, il a perdu conscience après une détention de dix jours en raison des mauvais traitements qu'il a subis lors de cette détention et il a été amené à l'hôpital. Quatre jours plus tard, il a pu s'en échapper grâce à l'aide d'une infirmière, qui était une amie de son épouse.


[6]                 Après son évasion, le demandeur est resté chez son oncle pendant deux mois avant de quitter le Liban en compagnie de son épouse le 9 octobre 1999. Ceux-ci ont pris l'avion à Damas et sont arrivés au Canada le lendemain après être passés par la France.

LA DÉCISION DE LA SSR

[7]                 En concluant que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, le tribunal a déclaré ceci :

Après une analyse approfondie de toute la preuve présentée, tant testimoniale que documentaire, le tribunal est d'avis que les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau de démontrer qu'ils ont une crainte raisonnable de persécution au Liban en raison des motifs allégués. Le tribunal en est venu à cette conclusion en raison des invraisemblances et des divergences majeures relevées au cours de l'audience et qui sont restées sans explications satisfaisantes.

[...]

Le tribunal a, par ailleurs, relevé de sérieuses contradictions entre, d'une part, les notes au point d'entrée signées par les demandeurs et d'autre part, le FRP et le témoignage oral du demandeur principal :

[...]

Les éléments de preuve présentés sont insuffisants pour permettre au tribunal d'établir que les demandeurs, en cas de retour au Liban, auraient une possibilité sérieuse de persécution, selon les termes de l'arrêt Adjei.

Par conséquent, le tribunal conclut que les demandeurs, monsieur Mustafa KAMMOUN et madame Diana KHAFAJAH, ne sont pas des « réfugiés au sens de la Convention » , tel que défini à l'article 2(1) de la Loi sur l'immigration.

LES QUESTIONS EN LITIGE

            1.         La SSR a-t-elle commis une erreur en se fondant sur les notes prises au point d'entrée alors qu'aucun interprète n'était présent à ce moment-là pour aider les demandeurs?


2.         La SSR a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la vraisemblance et à la crédibilité?

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]                 Dans Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300, page 2, au paragraphe 5, le juge Pelletier de cette Cour a déclaré :

La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.

Vu la nature spécialisée de la SSR, je conviens qu'il s'agit d'un énoncé général de la norme de contrôle applicable par la Cour aux décisions de la SSR.

ANALYSE

[9]                 Les demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur en prenant en considération les notes prises au point d'entrée car aucun traducteur n'était présent à l'entrevue. En raison des contradictions entre ces notes et le témoignage des demandeurs, la SSR a tiré des conclusions défavorables quant à la vraisemblance et à la crédibilité. En outre, les demandeurs affirment qu'ils n'ont fait que signer les notes prises au point d'entrée sans les lire et qu'ils n'en connaissaient pas les détails. Ils soutiennent que la SSR n'aurait pas dû tenir compte de ces notes.


[10]            Le défendeur avance que les demandeurs n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes pour avoir décidé de signer un document sans d'abord le lire. Il affirme que ceux-ci ne sont pas en mesure de prétendre que la décision de la SSR devrait être annulée au motif que cette dernière s'est fondée sur des éléments de preuve dont ils ne disposaient d'aucune traduction, à savoir les notes prises au point d'entrée, alors que leur propre affidavit en l'espèce ne leur a pas été traduit non plus. D'après le défendeur, la SSR avait compétence pour tirer ses conclusions négatives quant à la crédibilité et à la vraisemblance et ces conclusions étaient raisonnables.

[11]            Les questions de crédibilité sont des questions de faits. Le juge Décary a conclu dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, pages 316 et 317, au paragraphe 4, que ces questions relevaient de la compétence de la SSR et que les conclusions de cette dernière ne devaient être modifiées que si elles étaient manifestement déraisonnables :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

  

[12]            En ce qui concerne la première question, le demandeur paraît plaider le manque de compréhension et le besoin d'un traducteur lorsque cela est pratique ou aide sa cause, en particulier dans le cas des parties des notes prises au point d'entrée où il y a une contradiction importante avec son témoignage. Pourtant, les autres parties de ces notes sont apparemment dénuées d'erreur.


[13]            À mon avis, la SSR a raisonnablement conclu qu'il ne fallait accorder aucun poids à l'explication du défendeur. À la lumière d'une telle conclusion, la SSR a agi de manière raisonnable en faisant ses déductions défavorables relativement aux invraisemblances et aux contradictions entre les notes prises au point d'entrée, le formulaire de renseignements personnels (le FRP) et le témoignage du demandeur.

[14]            J'estime également qu'à la lumière de la preuve dont la SSR était saisie, elle pouvait raisonnablement tirer toutes ses conclusions relatives à la vraisemblance et à la crédibilité en ce qui a trait à la détention du demandeur un an après sa libération, à sa perte de conscience lorsqu'il était retenu prisonnier, à son envoi à l'hôpital et à son évasion de celle-ci.

[15]            Après avoir entendu les parties et après avoir lu et examiné l'ensemble de la documentation, j'estime que les demandeurs n'ont pas démontré que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables de manière à justifier l'intervention de la Cour.

[16]            Je partage la même opinion concernant la conclusion de la SSR selon laquelle le comportement du demandeur ne correspondait pas à celui d'une personne qui craint pour sa vie, étant donné que celui-ci est demeuré au Liban pendant les deux mois suivant son évasion et qu'il s'est ensuite rendu en Syrie avant de venir au Canada. La SSR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

  

[17]            Je suis d'avis que les demandeurs n'ont pas démontré la justification d'une intervention de la Cour.

CONCLUSION

[18]            Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

           La certification d'une question de portée générale

[19]            Les demandeurs me soumettent les deux questions suivantes, qui, selon eux, sont à la fois graves et de portée générale :

  

1.         Quelle est l'obligation d'un agent d'immigration à un point d'entrée au Canada lorsqu'il traite avec un revendicateur du statut de réfugié qui est incapable de communiquer en anglais ou en français? A-t-il l'obligation de lui fournir un traducteur?

2.          La Commission commet-elle une erreur en tenant compte d'une déclaration faite au point d'entrée par un revendicateur du statut de réfugié à son arrivée au Canada lorsque la preuve démontre qu'au moment où il a fait cette déclaration, le revendicateur avait une connaissance limitée de la langue utilisée? La Commission commet-elle une erreur en doutant de la crédibilité d'un revendicateur en raison des contradictions contenues dans une déclaration prise dans ces circonstances?

   

[20]            Je souligne que, lors de l'audience devant la SSR,les demandeurs ne se sont pas opposés à la production de la preuve contestée. Comme je l'ai indiqué précédemment, à la lumière de la preuve, je ne considère pas déraisonnable la conclusion que la SSR a tirée relativement à son traitement des notes prises au point d'entrée. Il était loisible au tribunal de tenir compte de l'existence et de la teneur des notes prises au point d'entrée et de déterminer la valeur probante à accorder à cette preuve. Vu l'absence d'opposition à la production à l'audience des notes prises au point d'entrée, le dossier est dénué de faits permettant à la SSR ou à la Cour, en contrôle judiciaire, d'examiner pleinement la question.

[21]            Je fais donc les deux observations suivantes en ce qui a trait aux questions proposées. Premièrement, l'obligation de l'agent d'immigration n'a jamais été soulevée ou plaidée devant la SSR. Deuxièmement, j'estime de toute manière que la preuve n'appuie pas la présomption sous-jacente sur laquelle repose la deuxième question, à savoir que le revendicateur avait une connaissance limitée de la langue utilisée.

[22]            Il est établi en droit que le processus de certification est une exception à la règle générale voulant que les décisions de la Section de première instance en matière de demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues en vertu de la Loi sur l'immigration ne sont pas susceptibles d'appel. La certification est limitée aux cas où on propose une question précise qui est à la fois grave et de portée générale et qui sera déterminante pour les fins de l'appel.

[23]            Vu les circonstances de la présente affaire, j'estime que la décision du tribunal ne soulève aucune question d'équité procédurale. Cela étant, je suis d'avis que le processus de certification prévu au paragraphe 83(1) de la Loi n'envisage pas le cas où on demande à la Cour d'appel de trancher une question qui n'a pas été plaidée ni même soulevée devant un tribunal.


[24]            Après avoir examiné les observations écrites des parties au sujet des questions dont les demandeurs sollicitent la certification, je conclus que les questions ne sont ni graves ni de portée générale et qu'elles ne sont pas déterminantes pour les fins de l'appel aux termes du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.

[25]            Pour ces motifs, je ne me propose pas de certifier une question.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 novembre 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

  

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »           

                                                                                                                                                                 Juge                  

  

Traduction certifiée conforme

  

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

NO DU GREFFE :                      IMM-6559-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    MUSTAFA KAMMOUN

DIANA KHAFJAH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :         MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :       LE 7 NOVEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

EN DATE DU :                          26 FÉVRIER 2002

  

ONT COMPARU

Me STYLIANI MARKAKI                                                         POUR LES DEMANDEURS

Me GUY LAMB                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Me STYLIANI MARKAKI                                                         POUR LES DEMANDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                                                         POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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