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Date : 20200401


Dossier : IMM‑4214‑18

Référence : 2020 CF 469

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

DARIOUSH YAVARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Darioush Yavari (le demandeur) sollicite l’annulation de trois décisions connexes par suite desquelles il a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Ces décisions découlent d’un incident survenu en février 2017, où il a été arrêté après avoir essayé d’entrer dans une boîte de nuit en possession d’un pistolet chargé, d’une somme d’environ 12 000 $ en espèces et de 8,4 grammes de marijuana. En août 2017, le demandeur a plaidé coupable à plusieurs infractions relatives aux armes à feu ainsi qu’à une infraction de possession de marijuana. Il a alors été condamné à 326 jours d’emprisonnement, en plus de 282 jours de détention provisoire.

[2]  Ces événements ont eu de sérieuses conséquences sur le statut d’immigration du demandeur. Il conteste trois décisions qui ont résulté de sa déclaration de culpabilité au criminel. Dans la première de ces décisions, en date du 6 août 2018 – sur laquelle portent principalement ses arguments – il a fait l’objet d’un rapport, en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), dans lequel il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité sur le fondement de l’alinéa 36(1)a) de la même loi. La deuxième décision, en date du 9 août 2018, déférait l’affaire pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR. La troisième décision, rendue le 18 octobre 2018 par la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, déclarait le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[3]  Le demandeur a introduit trois demandes de contrôle judiciaire contestant chacune de ces décisions. Par ordonnance de notre Cour en date du 23 octobre 2018, les trois instances ont été jointes, et le dossier IMM‑4214‑18 a été désigné dossier principal. Un exemplaire du présent jugement et des motifs sera versé à chacun des trois dossiers.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la Cour accueille les présentes demandes de contrôle judiciaire.

I.  Contexte

[5]  Le demandeur, un citoyen iranien, s’est établi au Canada avec sa famille alors qu’il était encore enfant dans le cadre du programme de réinstallation des réfugiés. Il est devenu résident permanent du Canada en 2004. Tous les membres de sa famille immédiate ont acquis la citoyenneté canadienne, sauf lui-même et l’un de ses frères.

[6]  Le 4 février 2017, le demandeur a essayé d’entrer avec un ami dans une boîte de nuit de Gatineau (Québec). Un agent de sécurité a alors découvert que le demandeur était en possession d’un pistolet et il a appelé la police. Celle‑ci a arrêté le demandeur et constaté qu’il avait sur lui un pistolet chargé de calibre .380, une somme d’environ 12 000 $ en espèces et 8,4 grammes de marijuana.

[7]  Le 14 août 2017, le demandeur a plaidé coupable aux infractions suivantes :

  • possession non autorisée d’une arme à feu : infraction délibérée, en contravention de l’alinéa 92(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (le Code criminel);

  • possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions, en contravention de l’alinéa 95(2)a) du Code criminel;

  • port d’une arme dissimulée, en contravention de l’alinéa 90(2)a) du Code criminel;

  • possession de marijuana, en contravention du paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19.

[8]  Le 20 août 2017, le demandeur a été condamné à 326 jours d’emprisonnement, en plus de 282 jours de détention provisoire. Il a fini de purger sa peine le 19 mars 2018.

[9]  Ces événements ont entraîné une série de décisions relatives au statut d’immigration du demandeur. La chronologie en est compliquée par le fait que, après les deux premières décisions, on a découvert des erreurs dans la première version du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1). On a alors rédigé de nouveaux rapports, et les décisions ont été rendues à nouveau. Seul le second ensemble de décisions est contesté dans la présente instance. Les antécédents procéduraux de l’affaire se présentent comme suit.

[10]  En novembre 2017, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a établi, en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, un rapport déclarant le demandeur interdit de territoire au Canada pour grande criminalité sur le fondement de l’alinéa 36(1)a) de la même loi. Le demandeur a eu la possibilité de présenter des observations écrites exposant les motifs pour lesquels une mesure de renvoi ne devrait pas être demandée contre lui. L’avocate du demandeur a présenté en décembre 2017 des observations dans lesquelles elle demandait que l’affaire ne soit pas déférée à la SI, et auxquelles elle a joint des affidavits du demandeur et de son frère ainsi que d’autres documents concernant les difficultés et les risques afférents à un renvoi en Iran. En février 2018, un autre agent de l’ASFC a analysé le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) et les observations du demandeur, et il a rédigé un document recommandant la tenue d’une enquête.

[11]  Un délégué du ministre a examiné le rapport et le document de recommandation en avril 2018, et il a décidé de déférer l’affaire à la SI pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR. Cette décision était fondée sur l’ensemble des pièces versées au dossier, y compris les observations de l’avocate du demandeur.

[12]  Des erreurs ont alors été relevées dans la première version du rapport établi en vertu du paragraphe 44(1). Il y était indiqué que la sentence du demandeur avait été prononcée le 14 juillet 2017 plutôt que le 10 août de la même année, et qu’il avait été condamné à 608 jours d’emprisonnement, alors qu’il aurait fallu préciser que la peine consistait en 326 jours d’emprisonnement et 282 jours de détention provisoire. Après la constatation de ces erreurs, les mêmes agents ont établi des versions révisées de leurs rapports.

[13]  Le 6 août 2018, une version corrigée du rapport visé au paragraphe 44(1) a été établie; elle recommandait encore que l’affaire soit déférée pour enquête. Il s’agit de la première décision faisant l’objet du présent contrôle.

[14]  Le 9 août 2018, le délégué du ministre, sur la base de ce rapport, a déféré l’affaire à la SI pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR. Il s’agit de la deuxième décision faisant l’objet du présent contrôle.

[15]  Le 17 octobre 2018, la SI a tenu l’enquête demandée. Le lendemain, elle a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité sur le fondement de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, et elle a pris une mesure d’expulsion en application de l’alinéa 45d) de la même loi. Il s’agit de la troisième décision faisant l’objet du présent contrôle.

II.  Les décisions faisant l’objet du présent contrôle

A.  Le rapport d’interdiction de territoire établi par l’agent de l’ASFC en vertu du paragraphe 44(1)

[16]  Lorsque l’agent compétent a établi la nouvelle version du rapport visé au paragraphe 44(1), l’analyse exposée à l’origine dans le document de recommandation de l’autre agent et les observations du demandeur avaient déjà été versées au dossier. Ces éléments, combinés au nouveau rapport, constituent les motifs sur lesquels repose la recommandation formulée par l’agent sous le régime du paragraphe 44(1).

[17]  L’agent, après avoir passé en revue les antécédents du demandeur en matière d’immigration, a examiné un certain nombre de facteurs, notamment son âge au moment de son établissement, la durée de sa résidence et le temps passé au Canada avant les accusations au criminel, ses rapports avec sa famille, la question de savoir s’il assumait à l’égard de celle‑ci des responsabilités particulières, son degré d’établissement au Canada, ainsi que les difficultés qu’il subirait s’il était renvoyé en Iran. L’agent a pris acte des affirmations du demandeur portant qu’il serait exposé à des risques en Iran en tant que membre de la minorité kurde, qu’il n’y avait pas vécu depuis son enfance, qu’il ne parlait pas le persan et qu’il y serait assujetti au service militaire.

[18]  L’agent a ensuite examiné les antécédents criminels du demandeur, prenant acte de son assertion selon laquelle il n’était lié à aucune organisation criminelle et n’appartenait à aucun gang. L’agent a tenu compte des affirmations du demandeur expliquant qu’il avait consommé des drogues et abusé de l’alcool durant environ deux ans avant sa déclaration de culpabilité, et que ces problèmes avaient empiré lorsque son père a reçu un diagnostic de cancer du sang. Il a également pris en considération la déclaration du demandeur selon laquelle il se rendait compte que son alcoolisme et sa toxicomanie l’avaient [traduction] « conduit sur la mauvaise voie », en plus de tenir compte de ses projets d’avenir, notamment de son intention de suivre un traitement pour ses dépendances, d’achever ses études secondaires et de s’inscrire à un programme collégial de formation en arts culinaires.

[19]  Dans son analyse, l’agent a examiné les observations du demandeur exposant les raisons pour lesquelles son cas ne devrait pas être déféré pour enquête, y compris sa situation personnelle et les considérations d’ordre humanitaire. Il a pris acte des éléments suivants : toute la famille immédiate du demandeur se trouve au Canada, il ne parle pas le persan, il serait exposé à des risques en Iran, il luttait contre l’alcoolisme et la toxicomanie, et il avait l’intention de suivre un traitement. La situation familiale du demandeur est également examinée, notamment le diagnostic de cancer du père et les ennuis de santé de la mère qui font en sorte qu’ils sont tous les deux incapables de travailler. L’agent a soupesé ces facteurs positifs et la gravité des infractions criminelles, et a conclu que le demandeur devrait faire l’objet d’une enquête afin que l’on établisse s’il est interdit de territoire pour grande criminalité.

B.  La décision rendue par le délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2)

[20]  La décision du délégué du ministre est brève. Il y affirme que le rapport établi par l’agent en vertu du paragraphe 44(1) est [traduction] « fondé sur les faits et le droit », et poursuit en ces termes :

[traduction]

J’ai pris en considération la totalité des pièces versées au dossier, les notes de l’agent, les circonstances des infractions criminelles, ainsi que les facteurs humanitaires tels que la situation familiale de l’intéressé. J’ai également pris en compte les observations écrites présentées au nom de ce dernier par son avocate. Je ne pense pas qu’il existe suffisamment d’éléments pour justifier une lettre d’avertissement.

En conséquence, je souscris à la recommandation de l’agent de déférer l’affaire pour enquête.

C.  La décision de la Section de l’immigration

[21]  La décision de la SI est brève elle aussi. Après avoir rappelé les antécédents du demandeur en matière d’immigration, ses déclarations de culpabilité au criminel et la peine prononcée contre lui, la SI constate que cette peine était d’une durée supérieure à six mois, de sorte que le demandeur entrait dans la définition de la « grande criminalité » sous le régime de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Elle a conclu sa décision en ces termes : [traduction] « Je n’ai pas d’autre possibilité que de prendre contre vous une mesure d’expulsion. »

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[22]  La seule question en litige dans ces trois affaires est celle de savoir si les décisions sont déraisonnables.

[23]  La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Lorsque cette affaire a été plaidée, l’arrêt de principe concernant le contrôle judiciaire selon cette norme était l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 SCC 9 (Dunsmuir) et la jurisprudence qui en a découlé. Depuis, la Cour suprême du Canada a mis à jour et précisé le cadre d’analyse du contrôle judiciaire dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), qu’elle a appliqué dans les arrêts Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 (Postes Canada). La norme de contrôle applicable à la présente instance reste, selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, celle de la décision raisonnable.

[24]  Compte tenu du paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, je ne vois aucune raison, au vu des faits de l’espèce, d’exiger des parties des observations additionnelles concernant la norme de contrôle à retenir ou son application. La présente affaire est semblable à celle qui a donné lieu à l’arrêt Postes Canada, au paragraphe 24 duquel la Cour suprême a fait observer qu’il n’était pas injuste de trancher selon le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov une affaire plaidée selon le cadre d’analyse de l’arrêt Dunsmuir, parce que le résultat aurait été le même suivant cette dernière approche. Le même raisonnement s’applique à la présente instance.

[25]  Au moment d’évaluer le caractère raisonnable, la Cour se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au paragraphe 99). Pour être dite raisonnable, la décision doit se fonder sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au paragraphe 85).

[26]  Ainsi, la décision sera déraisonnable si les motifs, lus en corrélation avec le dossier, ne permettent pas à la Cour de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, au paragraphe 103). Le cadre d’analyse établi par l’arrêt Vavilov met l’accent « sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif », en avalisant une approche du contrôle judiciaire à la fois respectueuse et rigoureuse (Vavilov, aux paragraphes 2, 12 et 13).

IV.  Analyse

A.  La position du demandeur

[27]  Le principal argument du demandeur vise la première décision, celle qu’a rendue l’agent de l’ASFC en vertu du paragraphe 44(1). Le demandeur soutient que, comme les deux décisions qui l’ont suivie – soit celles du délégué du ministre et de la SI – se fondaient sur le rapport établi par l’agent de l’ASFC en vertu du paragraphe 44(1), ces deux décisions doivent aussi être annulées si la Cour conclut au caractère déraisonnable de la première.

[28]  Le demandeur avance que la décision de l’agent de l’ASFC est déraisonnable pour trois raisons : i) l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire et le raisonnement suivi sont déraisonnables au regard de la preuve; ii) l’agent, dans son examen des antécédents criminels du demandeur, a omis de prendre en considération ses possibilités de réinsertion sociale; et iii) cet examen de ses antécédents criminels est fondé sur un raisonnement hautement préjudiciable que n’étaye pas la preuve.

[29]  Le demandeur fait valoir que, dans son appréciation des facteurs d’ordre humanitaire, l’agent a omis d’accorder le poids voulu aux considérations favorables, soit les faits suivants : il avait été résident permanent du Canada durant 13 ans avant son seul contact avec l’appareil de justice pénale; tous les membres de sa famille immédiate vivent au Canada; il est financièrement indépendant et travaille dans le restaurant de son frère pour soutenir sa famille; enfin, il risquerait, s’il était forcé de retourner en Iran, d’y être persécuté en tant que membre de la minorité kurde et parce que son père y a été actif en politique. En outre, l’agent a omis de tenir compte de ses projets, notamment de son intention d’achever ses études et de trouver un emploi de sorte à pouvoir contribuer au soutien de sa famille. L’agent a soustrait tous ces facteurs positifs à la prise en considération qu’ils méritaient.

[30]  Pour ce qui concerne les antécédents criminels, le demandeur soutient que l’analyse comporte plusieurs défauts. L’observation de l’agent portant que [traduction] « les antécédents criminels de l’intéressé sont d’une importance considérable et que sa criminalité semble avoir explosé au cours de l’année écoulée » n’a pas de fondement dans la preuve. Le demandeur n’a été en contact qu’une seule fois avec le système pénal : il n’est donc pas conforme aux faits de parler d’une [traduction] « criminalité » qui aurait [traduction] « explosé au cours de l’année écoulée ».

[31]  L’agent, poursuit le demandeur, a aussi omis de prendre valablement en considération ses possibilités de réinsertion sociale, comme l’exige le chapitre ENF 6, intitulé « L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) », du Guide d’exécution de la loi. En l’espèce, l’agent n’a pas accordé un poids suffisant aux efforts de réadaptation du demandeur. Ce dernier a reconnu sa culpabilité, a exprimé du remords, a suivi une cure de désintoxication en prison et n’a pas récidivé. De plus, il a bénéficié du soutien de sa famille immédiate dans ces efforts, comme l’atteste l’affidavit de son frère. Conformément aux lignes directrices du chapitre ENF 6, l’agent était tenu de prendre ces facteurs en considération, mais il n’a pas expliqué comment il les avait évalués.

[32]  Le demandeur soutient en outre que l’agent a commis une erreur en évoquant ses possibles liens avec une organisation criminelle et en avançant qu’il n’aurait pas assumé la responsabilité de ses actes. L’agent a formulé à cet égard des observations problématiques et préjudiciables que la preuve n’étaye pas.

[33]  Ayant rappelé que le demandeur portait sur lui une somme considérable en espèces lors de son arrestation, l’agent écrit que cela [traduction] « pourrait inciter à lui supposer des liens avec une organisation criminelle ou un gang, quoiqu’il n’y ait aucune preuve de ces suppositions. » Plus loin dans ses motifs, l’agent reprend ce thème : [traduction] « On ne sait pas si [l’intéressé] fait partie d’une organisation criminelle ou d’un gang de rue, mais il est anormal pour tout citoyen de porter une arme quelconque dans la vie quotidienne, en particulier une arme prohibée telle qu’un pistolet. »

[34]  En outre, l’agent conclut que le demandeur n’a pas assumé [traduction] « pleinement la responsabilité de ses actes – comme le montre sa déclaration expliquant qu’il était extrêmement ivre lorsque, la nuit de son arrestation, il est entré dans une boîte avec un de ses amis, et que de nombreux détails de cette nuit échappent malheureusement à sa mémoire ». Selon l’agent, [traduction] « cela prouve que [le demandeur] minimise la situation dans laquelle il s’est mis ». Le demandeur soutient que ce raisonnement ne rend pas compte des faits et constitue une fausse interprétation de sa déclaration. Le fait est, tout simplement, qu’il était ivre la nuit de son arrestation et qu’il ne se rappelle pas grand-chose de ces événements. Cela ne veut pas dire qu’il refuse d’assumer la responsabilité de ses actes. Le demandeur déclare dans son affidavit avoir [traduction] « grandement honte de ce [qu’il a] fait la nuit de l’infraction et des erreurs du passé qui [l’]ont conduit à [sa] situation actuelle », et se rendre compte qu’il aurait dû suivre un traitement pour l’aider dans sa lutte contre l’alcool. [traduction] « Je regrette profondément, ajoute‑t‑il, d’avoir permis à ces circonstances de me mener sur une mauvaise voie. » Selon le demandeur, la conclusion de l’agent selon laquelle il n’aurait pas assumé la responsabilité de ses actes contredit manifestement la preuve.

[35]  Le demandeur fait enfin valoir que l’agent a commis une erreur en écrivant que, [traduction] « même s’il perd sa résidence permanente au Canada, l’intéressé ne sera pas condamné à quitter le pays puisqu’il y a été admis en tant que membre de la catégorie de réfugiés parrainés par un groupe de cinq (G5) et serait donc autorisé à rester ici en tant que personne protégée ». Cette constatation est inexacte, avance le demandeur, puisqu’il serait susceptible de renvoi dans le cas où le ministre émettait un avis de danger sous le régime de l’article 115 de la LIPR.

[36]  Pour ces motifs, soutient le demandeur, la décision rendue par l’agent en vertu du paragraphe 44(1) est déraisonnable.

[37]  Concernant la deuxième décision, soit le rapport établi par le délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2), le demandeur soutient qu’elle se fonde entièrement sur l’analyse déraisonnable exposée dans le rapport visé au paragraphe 44(1) et que ce seul motif suffirait à justifier son annulation. En outre, le demandeur met en doute que le délégué du ministre ait été habilité à rendre cette décision, vu les lignes directrices du chapitre ENF 6 qui régissent les décisions concernant les résidents permanents de longue date.

[38]  Le demandeur soutient enfin que la décision de la SI se trouve semblablement viciée par le fondement qu’elle croit trouver dans l’analyse déraisonnable de l’agent de l’ASFC, et qu’elle devrait par conséquent être annulée.

B.  La position du défendeur

[39]  Le défendeur soutient que le demandeur invite tout simplement la Cour à apprécier de nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire. L’agent de l’ASFC a apprécié la preuve et a appliqué les critères voulus. Ses conclusions sont raisonnables, de sorte que les décisions du délégué du ministre et de la SI sont raisonnables elles aussi.

[40]  Le défendeur fait observer que le paragraphe 44(1) de la LIPR met en jeu un processus à deux étapes. Premièrement, l’agent doit se faire une opinion sur la question de l’interdiction de territoire. Deuxièmement, il doit décider s’il y a lieu d’établir un rapport circonstancié. Or c’est bien ce que l’agent a fait dans la présente espèce. À la première étape, il a examiné tous les facteurs pertinents, notamment les faits que le demandeur n’était pas citoyen canadien, qu’il a été déclaré coupable d’une infraction criminelle punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, et qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 326 jours, s’ajoutant à 282 jours de détention provisoire. Considérés ensemble, ces faits non contestés établissent que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité sous le régime de l’alinéa 36(1)a).

[41]  À la deuxième étape, l’agent a raisonnablement décidé d’établir un rapport d’interdiction de territoire. Le défendeur relève l’existence, dans la jurisprudence de notre Cour, d’opinions divergentes sur la question de savoir si l’agent est investi du pouvoir discrétionnaire de ne pas établir de rapport circonstancié après s’être fait l’opinion que l’étranger en question est interdit de territoire, et s’il peut prendre en considération des facteurs personnels en plus de la déclaration de culpabilité et de la durée de la peine (voir Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, aux paragraphes 44 et 48; Richter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 806, aux paragraphes 12 et 13 (conf. par 2009 CAF 73); et Correia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 782, aux paragraphes 22, 23, 27 et 28). Il est cependant de jurisprudence constante que l’agent n’est pas tenu de prendre en considération les facteurs d’ordre humanitaire (Melendez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1131, au paragraphe 31 [Melendez]; et McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422, au paragraphe 70 [McAlpin]).

[42]  Dans la présente espèce, la décision de l’agent se fondait sur tous les facteurs pertinents, qui établissaient de façon concluante que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité. L’agent n’était pas tenu de prendre d’autres éléments en considération, et ses motifs expliquent et justifient pleinement sa décision d’établir un rapport en vertu du paragraphe 44(1).

[43]  Le défendeur soutient que la décision du délégué du ministre de déférer l’affaire à la SI pour enquête est raisonnable et se fondait sur la prise en considération de tous les facteurs pertinents. La preuve, fait observer le défendeur, montre que le délégué du ministre disposait bien des pouvoirs nécessaires pour rendre cette décision. En outre, il n’est pas nécessaire ici de répondre à la question de savoir si le délégué du ministre dispose du pouvoir discrétionnaire de ne pas déférer une affaire pour enquête en raison de facteurs personnels et d’ordre humanitaire; l’opinion dominante est que ce pouvoir discrétionnaire est limité (Melendez, au paragraphe 27; et Balan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 691, aux paragraphes 25 et 26).

[44]  Dans la présente espèce, le délégué du ministre a effectivement pris en considération les observations du demandeur concernant sa situation personnelle, ainsi que les facteurs d’ordre humanitaire. La décision du délégué de déférer l’affaire pour enquête est fondée sur la prise en compte de ces facteurs, de même que sur un examen du document de recommandation dans lequel l’agent de l’ASFC analysait tous les facteurs pertinents. Cette décision est raisonnable, et il n’appartient pas à la cour siégeant en contrôle judiciaire d’apprécier à nouveau la preuve.

[45]  Le défendeur soutient que les critiques du demandeur visant le libellé de certains passages de la décision ne rendent pas celle‑ci déraisonnable et que ce genre d’analyse grammaticale à la loupe d’une décision administrative n’a pas sa place dans un contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 18 [Newfoundland Nurses]). Dans la présente espèce, le demandeur a bel et bien plaidé coupable à des infractions très graves, de sorte que l’observation selon laquelle elles étaient [traduction] « d’une importance considérable » n’est pas inexacte. Est de même exacte l’observation selon laquelle le demandeur [traduction] « ne serait pas condamné à quitter le Canada » même s’il était déclaré interdit de territoire, puisque son renvoi nécessiterait une mesure supplémentaire, soit l’émission d’un avis de danger par le ministre, et qu’aucun élément de preuve ne donne à penser qu’un tel avis ait été établi. Qui plus est, le demandeur pourrait aussi solliciter une dispense pour motifs d’ordre humanitaire sous le régime de l’article 25 de la LIPR, ou encore un examen des risques avant renvoi.

[46]  Enfin, le défendeur fait valoir que la décision de la SI de prendre une mesure d’expulsion est raisonnable au motif qu’elle était le seul résultat possible de l’enquête, étant donné la nature des déclarations de culpabilité du demandeur. Il s’agissait là d’un de ces cas bien clairs où « les faits rendent tout simplement incontournable la prise de cette mesure » (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Cha, 2006 CAF 126, au paragraphe 38).

C.  Analyse

[47]  Le point de départ de l’analyse est le cadre défini dans l’arrêt Vavilov, qui exige un examen à la fois rigoureux et respectueux de la décision attaquée et du résultat. Cet examen met en jeu deux considérations distinctes, mais apparentées. Premièrement, la décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, aux paragraphes 86 et 90). Deuxièmement, une décision raisonnable doit se fonder sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, qui pouvait raisonnablement conduire le décideur de la preuve à la conclusion retenue, étant donné le cadre juridique (Vavilov, au paragraphe 104). Pour dire les choses simplement, « la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur "se tient" » (Vavilov, au paragraphe 104).

[48]  Il ne sera pas nécessaire d’examiner tous les arguments avancés par le demandeur dans la présente instance, puisque je constate que l’analyse est comprend une faille décisive, suffisamment grave pour rendre déraisonnables les décisions attaquées.

[49]  Je pense comme le défendeur qu’un bon nombre des arguments du demandeur tendent en fait à obtenir de la Cour une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au paragraphe 125). D’autres arguments du demandeur soulèvent des questions sur le libellé de tel ou tel passage de la décision; or les erreurs de cette nature ne suffisent pas non plus à rendre une décision déraisonnable. Le cadre d’analyse défini dans l’arrêt Vavilov n’exige pas la perfection dans la formulation d’une décision, et la Cour suprême a explicitement confirmé les lignes directrices de l’arrêt Newfoundland Nurses selon lesquelles le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer cette décision (Vavilov, au paragraphe 91, où l’on cite le paragraphe 16 de l’arrêt Newfoundland Nurses).

[50]  Cependant, les observations de l’agent sur de possibles liens du demandeur avec une organisation criminelle et sur son défaut présumé d’assumer la responsabilité de ses actes sont hautement préjudiciables et ne sont pas étayées par la preuve. L’agent n’a pas formulé ces observations en passant, pour ensuite les écarter ou les rejeter sans ambigüité, de sorte qu’il est impossible de savoir si elles ont influé, ou comment elles auraient influé, sur son analyse et sur les décisions postérieures déterminées par celle‑ci. Cela va à l’encontre de la raisonnabilité.

[51]  Le passage problématique de la section « Recommandation de l’agent » du document de recommandation est rédigé comme suit :

[traduction]

On remarquera que les antécédents criminels de l’intéressé sont d’une importance considérable et que sa criminalité semble avoir explosé au cours de l’année écoulée. Bien que nos dossiers ne révèlent pas d’activités criminelles antérieures, la voie sur laquelle l’intéressé paraît actuellement s’être engagé l’a mené à la possession de drogue (cannabis) et d’une arme à feu prohibée. En outre, l’intéressé porte beaucoup d’argent de poche : au moment de son arrestation, il avait plus de 12 000 $ en espèces sur lui, ce qui pourrait inciter à lui supposer des liens avec une organisation criminelle ou un gang, quoiqu’il n’y ait aucune preuve de ces suppositions.

Le fait que l’intéressé n’assume pas pleinement la responsabilité de ses actes – comme le montre sa déclaration expliquant qu’il était extrêmement ivre lorsque, la nuit de son arrestation, il est entré dans une boîte avec un de ses amis, et que de nombreux détails de cette nuit échappent malheureusement à sa mémoire – prouve qu’il minimise la situation dans laquelle il s’est mis. Bien qu’il prétende regretter ses actes et en avoir honte, et qu’il reconnaisse avoir commis une erreur, il attribue toutes les circonstances de l’incident à sa lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie. Ce dont il faut vraiment s’inquiéter dans cette affaire est le fait que l’intéressé était en possession d’une arme à feu prohibée au Canada. On ne sait pas s’il fait partie d’une organisation criminelle ou d’un gang de rue, mais il est anormal pour tout citoyen de porter une arme quelconque dans la vie quotidienne, en particulier une arme prohibée telle qu’un pistolet.

[52]  Je pense comme le demandeur qu’il s’agit là d’un [traduction] « raisonnement hautement préjudiciable, problématique et déraisonnable ». Le cadre d’analyse défini dans l’arrêt Vavilov met l’accent « sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » (Vavilov, au paragraphe 2), et cet arrêt précise en outre que « les cours de révision doivent garder à l’esprit le principe suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au paragraphe 95).

[53]  Afin de donner effet à ces principes, la décision raisonnable doit être justifiée au regard des faits, qui sont quant à eux définis par le cadre juridique applicable. On peut lire au paragraphe 100 de l’arrêt Vavilov qu’il incombe à la partie contestant la décision de convaincre la cour de révision que cette décision :

[…] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision […] La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[54]  Dans la présente espèce, je suis convaincu que la conjecture de l’agent touchant la possible appartenance du demandeur à une organisation criminelle ou à un gang de rue et sa conclusion voulant que ledit demandeur n’ait pas assumé la responsabilité de ses actes sont suffisamment importantes et sérieuses pour rendre sa décision déraisonnable.

[55]  Comme le défendeur l’a fait observer, l’analyse à mener sous le régime du paragraphe 44(1) comporte deux étapes. À la première étape, l’agent devait établir si les déclarations de culpabilité et la peine du demandeur le faisaient entrer dans la définition de la « grande criminalité » pour l’application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. La réponse allait de soi dans la présente espèce, étant donné la nature des infractions du demandeur et la peine prononcée contre lui. Cependant, à la deuxième étape, l’agent devait se demander s’il y avait lieu d’établir un rapport d’interdiction de territoire. Il n’était peut-être pas tenu de prendre en considération la situation personnelle du demandeur ou les facteurs d’ordre humanitaire, mais il a manifestement décidé de le faire. Or, comme l’enseigne le paragraphe 70 de la décision McAlpin, « dans les cas où les motifs d’ordre humanitaire sont pris en compte par un agent ou un délégué du ministre pour expliquer le raisonnement d’une décision qui est prise en vertu des paragraphes 44(1) ou (2), l’évaluation de ces facteurs devrait être raisonnable, compte tenu des circonstances de l’affaire » (souligné dans l’original).

[56]  Dans la présente espèce, le dossier ne comportait tout simplement aucun élément de preuve tendant à établir que le demandeur est lié à une organisation criminelle ou à un gang de rue. L’agent ne peut se targuer d’aucune compétence spéciale dans ce domaine, et compte tenu de l’absence d’accusations au criminel ou de mentions précises dans les rapports de police qui auraient étayé cette conjecture, on ne voit pas très bien sur quoi il fondait celle‑ci. De même, en concluant que le demandeur n’a pas assumé pleinement la responsabilité de ses actes, l’agent semble oublier qu’il a plaidé coupable aux infractions dont il était accusé, qu’il en a exprimé du remords et qu’il avait demandé, pendant son incarcération, à suivre un traitement pour régler son problème sous-jacent d’alcoolisme et de toxicomanie. On voit mal de quelle autre manière le demandeur pourrait avoir démontré qu’il assumait pleinement la responsabilité de ses actes. Lorsqu’il a expliqué qu’il était extrêmement ivre la nuit en question et ne se rappelait pas grand‑chose de ce qui s’était alors passé, il ne faisait que relater les faits plutôt que d’essayer de justifier ses actes.

[57]  La décision McAlpin donne à ce propos d’utiles lignes directrices. Le juge en chef y estime la décision attaquée déraisonnable au motif que l’agent s’est « fondé sur les nombreuses accusations retirées pour conclure que M. McAlpin [TRADUCTION] "a d’importants antécédents criminels qui s’étendent sur les trente-cinq dernières années avec peu d’écart" » (McAlpin, au paragraphe 4). Ayant constaté la présence, pendant cette période, d’écarts importants entre les déclarations de culpabilité au criminel, le juge en chef conclut au caractère déraisonnable de cette analyse :

[101]  Vu ce qui précède, il est raisonnable de déduire que l’agent s’est fondé de manière inacceptable sur les accusations retirées de M. McAlpin pour conclure qu’il « a des antécédents criminels importants qui s’étendent sur les trente-cinq dernières années avec peu d’écarts ». Dans la mesure où l’agent et le délégué ont ensuite accordé beaucoup d’importance à cette conclusion pour prendre leurs décisions, ces décisions étaient déraisonnables.

[58]  Un raisonnement semblable s’applique à la présente espèce. À partir de ses observations touchant les liens possibles du demandeur avec une organisation criminelle ou un gang et le fait qu’il n’aurait pas assumé la responsabilité de ses actes, il est raisonnable de déduire que l’agent s’est fondé de manière inacceptable sur ces facteurs et qu’il a attribué un poids important à ces conclusions dans le raisonnement qui l’a conduit à sa décision. Cette façon de procéder est déraisonnable.

[59]  Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel les décisions attaquées dans la présente instance se fondaient toutes les trois sur l’analyse exposée dans le document de recommandation de l’agent. La décision rendue par l’agent en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR adopte intégralement cette analyse, tout comme le fait la décision rendue par le délégué du ministre en vertu du paragraphe 44(2). Étant donné ces rapports, la décision de la SI était connue d’avance. Comme j’ai conclu au caractère déraisonnable du premier rapport, je dois aussi, dans les circonstances de l’espèce, annuler les deux décisions postérieures. L’affaire est renvoyée devant l’ASFC pour réexamen par un autre agent sous le régime du paragraphe 44(1).

V.  Conclusion

[60]  Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire des trois décisions sont accueillies.

[61]  La décision rendue par l’agent de l’ASFC de déférer l’affaire du demandeur pour enquête en vertu du paragraphe 44(1) est annulée, et l’affaire est renvoyée devant l’ASFC pour réexamen par un autre agent.

[62]  La décision rendue par le délégué du ministre de déférer l’affaire du demandeur pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) est annulée.

[63]  La décision de la Section de l’immigration concluant à l’interdiction de territoire du demandeur sous le régime de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR est annulée, de même que la mesure d’expulsion prise en application de son alinéa 45d).

[64]  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4214‑18

LA COUR STATUE comme suit :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire des trois décisions sont accueillies.

  2. La décision rendue par l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada de déférer l’affaire du demandeur pour enquête en vertu du paragraphe 44(1) est annulée, et l’affaire est renvoyée devant l’Agence pour réexamen par un autre agent.

  3. La décision rendue par le délégué du ministre de déférer l’affaire du demandeur pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) est annulée.

  4. La décision de la Section de l’immigration concluant à l’interdiction de territoire du demandeur sous le régime de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR est annulée, de même que la mesure d’expulsion prise en application de son alinéa 45d).

  5. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

  6. Une copie du présent jugement et des motifs sera versée à chacun des dossiers IMM‑4213‑18 et IMM‑5117‑18.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de mai 2020

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM‑4214‑18

INTITULÉ :

DARIOUSH YAVARI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JUIN 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER AVRIL 2020

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

POUR LE DEMANDEUR

Taylor Andreas

Adrian Johnston

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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