Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050510

Dossier : T-1365-01

Référence : 2005 CF 656

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

DONALD ERIC SANDBERG

demandeur

- et -

CONSEIL DE BANDE DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         Le demandeur, M. Donald Eric Sandberg, affirme avoir obtenu le statut de membre de l'effectif de la Nation crie de Norway House (NCNH) en 1988 et avoir bénéficié à ce titre de certains avantages depuis cette date. Lorsqu'il a été informé qu'il ne faisait pas partie de l'effectif de la NCNH, M. Sandberg a présenté, sous toute réserve, une demande d'appartenance à la bande en 1998. Aucune décision finale n'a été rendue sur sa demande. Le défendeur, le conseil de bande de la NCNH, soutient que M. Sandberg n'est pas devenu membre de la bande en 1988, qu'il n'a jamais présenté de demande d'appartenance avant 1998 et que sa demande est en suspens, dans l'attente de nouveaux renseignements.

[2]         M. Sandberg demande :

1.       une ordonnance déclaratoire confirmant qu'il est membre de la NCNH;

2.       une ordonnance de certiorari annulant la décision du défendeur de mettre fin à son appartenance à la NCNH;

3.       subsidiairement, une ordonnance de mandamus obligeant le conseil de bande de la NCNH à rendre une décision sur la demande d'appartenance qu'il a déposée en 1998.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]         Les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

1.       M. Sandberg est-il membre de la NCNH depuis 1988, compte tenu de la manière dont il a été traité par la NCNH?

2.       Si la réponse est négative, la Cour devrait-elle accorder une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision sur la demande d'appartenance déposée par M. Sandberg en 1998?


ANALYSE

Question no 1 : M. Sandberg est-il membre de la NCNH depuis 1988?

[4]         Le 24 juillet 1987, M. Sandberg a déposé une demande d'inscription au registre en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, telle que modifiée (la Loi). Le 9 août 1988, M. Sandberg a reçu une lettre du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministère) confirmant qu'il était inscrit au registre des Indiens, conformément au paragraphe 6(2) de la Loi. La lettre contenait deux directives importantes :

·            comme le prévoit l'article 10 de la Loi, la NCNH assumait désormais le contrôle de l'appartenance à ses effectifs et, par conséquent, sa demande d'appartenance à la bande devait être envoyée au gestionnaire de la bande;

·      pour obtenir un certificat de statut d'Indien, le demandeur devait remplir la demande jointe et la transmettre, accompagnée d'une photographie, au gestionnaire de la bande.


[5]         Il n'est pas contesté que M. Sandberg a suivi la deuxième directive. Il a soumis la demande accompagnée d'une photographie, conformément à la directive, et quelque temps plus tard, il a reçu un certificat de statut d'Indien. Le certificat contient la photo de M. Sandberg et un numéro d'identification. Les trois premiers chiffres du numéro d'inscription (278) désignent la NCNH; les quatre chiffres suivants (3626) désignent M. Sandberg; les deux derniers chiffres (01) indiquent qu'il est la première personne à se voir attribuer ce numéro. Le dos de la carte porte la signature de Mme Scribe, qui était gestionnaire de la bande à l'époque où la carte a été délivrée.

[6]         Les parties ne sont toutefois pas d'accord quant à savoir si M. Sandberg a rempli une demande distincte d'appartenance à l'effectif de la NCNH; M. Sandberg affirme avoir effectivement déposé une telle demande, mais le défendeur soutient qu'il ne l'a pas fait.

[7]         Qu'il ait rempli cette demande ou non, M. Sandberg reconnaît que la NCNH n'a jamais mis en oeuvre le processus prévu dans le Membership Code and Rules of Norway House Indian Band (le Code d'appartenance), adopté par la NCNH le 24 juin 1987 et subséquemment approuvé par le ministre responsable, comme l'exige le paragraphe 10(7) de la Loi. Même si cette procédure officielle n'a pas été suivie, M. Sandberg affirme être membre de la bande depuis 1988, époque à laquelle il s'est vu délivrer un certificat d'Indien visé par un traité.

[8]         Depuis 1988, M. Sandberg a tiré certains avantages de son appartenance à la NCNH. Il y a suffisamment d'éléments de preuve au dossier pour établir que la NCNH a pris les mesures suivantes qui, selon M. Sandberg, justifient sa demande d'appartenance :

·            Il a présenté une demande d'inscription sur la liste d'attente des personnes pouvant obtenir un logement dans la réserve, un privilège réservé aux membres, et il a effectivement été inscrit sur cette liste.

·      Il a voté dans le cadre de six référendums organisés par la NCNH.


·      Il a reçu, de la part de la NCNH en décembre 2000, au moins une indemnité per capita, indemnité versée aux membres de la NCNH.

·      À compter de 1997, il a occupé pendant un an environ le poste d'agent de développement économique pour la NCNH, période pendant laquelle il a été décrit comme un [traduction] « membre de la bande de notre Nation crie » dans le bulletin d'information de la NCNH.

[9]         Il s'agit de déterminer si ces « signes » d'appartenance sont suffisants pour établir l'appartenance du demandeur. Autrement dit, M. Sandberg peut-il obtenir son statut de membre du fait de l'acquiescement tacite de la NCNH ou doit-il être admis conformément au processus prévu dans le Code d'appartenance?

[10]       L'expression « membre d'une bande » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi : « Personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure » . Soulignons qu'une personne peut être un Indien inscrit en vertu de la Loi sans être membre d'une bande.


[11]       Une liste de bande est une liste de personnes qui doit être tenue conformément à l'article 8 de la Loi. Cette disposition précise qu'une liste de bande « [e]st tenue [...] où est consigné le nom de chaque personne qui en est membre » . La tenue de la liste de bande peut s'effectuer de deux manières. Par défaut, la Loi prévoit que la liste de bande doit être tenue au Ministère (art. 9). Toutefois, une bande peut décider de l'appartenance à ses effectifs en fixant les règles par écrit et en se conformant aux exigences énoncées au paragraphe 10(1) de la Loi. À compter du moment où une bande décide de l'appartenance à ses effectifs, elle peut comme le prévoit le paragraphe 10(10) de la Loi, « ajouter à la liste de bande [...] ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes des règles d'appartenance de la bande, a ou n'a pas droit, selon le cas, à l'inclusion de son nom dans la liste » .

[12]       Ainsi, la Loi n'autorise pas la bande à s'écarter de ses propres règles d'appartenance. C'est compréhensible. L'appartenance à une bande, comme la citoyenneté, est un honneur et un privilège auxquels sont rattachés des droits et des obligations. Les personnes qui aspirent à devenir membre ou celles qui ne respectent pas les obligations liées à leur citoyenneté devraient connaître les exigences relatives à leur appartenance à ce groupe exclusif. Le statut de membre ne devrait pas être accordé ou supprimé selon le bon vouloir de quelques-uns; il devrait au contraire faire l'objet d'une évaluation systématique et équitable. La Loi de même que les règles d'appartenance de chacune des bandes qui choisissent de décider de l'appartenance à leurs effectifs assurent l'intégrité du processus qui permet de devenir et de rester membre d'une bande.

[13]       Il s'ensuit que, peu importe la manière dont une personne est traitée par la bande, elle ne devient membre de cette bande qu'à partir du moment où les règles d'appartenance ont été appliquées et respectées.


[14]       La NCNH décide de l'appartenance à ses effectifs depuis 1988, quand elle a donné au ministre l'avis prévu au paragraphe 10(7) de la Loi. Son Code d'appartenance confirme l'importance de la liste de bande lorsqu'il précise que la liste de bande [traduction] « est, en tout temps et à toutes fins, la liste officielle attestant l'appartenance à la bande indienne de Norway House » .

[15]       Je ne dispose d'aucun élément de preuve établissant que M. Sandberg a été ajouté à la liste de bande conformément aux règles d'appartenance de la NCNH. En réalité, il semble qu'il n'existait aucun comité d'appartenance officiel, comme l'exige le Code d'appartenance, pour traiter la demande d'appartenance que le demandeur aurait présentée en 1988. En l'absence d'un comité d'appartenance, il était impossible que M. Sandberg ait été ajouté sur la liste de bande. Même si son nom avait été ajouté sur la liste de bande de la NCNH, cette inscription n'aurait pas été conforme au Code d'appartenance et aurait probablement été faite par erreur. Même si le demandeur a profité de certains avantages habituellement réservés aux membres de la NCNH, ces avantages lui ont été conférés sans justification ou à la suite d'une erreur commise par la bande. Ces erreurs ne peuvent servir à justifier le statut de membre sans que la procédure pertinente établie dans le Code d'appartenance n'ait été respectée.


[16]       Aucune liste de bande n'a été présentée en preuve pour démontrer que M. Sandberg a possédé le statut de membre à un moment ou à un autre. M. Sandberg affirme que, s'il a été autorisé à voter sur certaines questions, c'est qu'il doit avoir été inclus dans la liste de bande. Toutefois, la preuve indique qu'il a voté seulement dans le cadre de référendums de la NCNH, mais non pour l'élection du chef et du conseil. Comme l'explique le défendeur, les questions soulevées lors des référendums pouvaient avoir une incidence sur les membres et les non-membres; il n'est pas déraisonnable de permettre à des non-membres ayant des liens avec la NCNH de voter sur ces questions. En conséquence, le fait que le demandeur ait voté lors de plusieurs référendums organisés par la NCNH ne signifie pas nécessairement qu'il a été inclus dans la liste de bande.

[17]       Pour résumer cette question, M. Sandberg ne peut pas être membre de la NCNH, à moins que son nom soit inscrit sur la liste de bande de la NCNH ou qu'il ait droit à ce que son nom y soit inscrit. Son nom ne peut être ajouté sur la liste de bande de la NCNH que suivant les exigences du Code d'appartenance de la NCNH. Puisque ce n'est pas le cas, je conclus qu'il n'était pas membre de la NCNH en 1988 ni à aucun autre moment par la suite.

Question no 2 : La Cour devrait-elle accorder une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision sur la demande d'appartenance déposée par M. Sandberg en 1998?


[18]       Comme cela a été mentionné plus haut, lorsqu'il a reçu un avis l'informant qu'il n'était pas membre de la NCNH, M. Sandberg a présenté une demande d'appartenance à la NCNH. Le processus de traitement d'une demande d'appartenance est prévu dans le Code d'appartenance. Le Code prévoit la constitution d'un comité d'appartenance, chargé d'agir à titre de conseiller et de formuler des recommandations au chef et au conseil, lesquels ne sont pas liés par ses recommandations. Le Code énumère en outre un certain nombre de facteurs dont doit tenir compte le comité d'appartenance, notamment les liens de sang du demandeur avec la bande, la période pendant laquelle le demandeur a vécu parmi la NCNH et la question de savoir si [traduction] « le demandeur est de bonnes moeurs et est citoyen du Canada » .

[19]       La liste recommandée des nouveaux membres est ensuite examinée par le chef et le conseil, qui :

[Traduction] ... décident d'accepter ou de rejeter la demande d'appartenance après une audience publique au cours de laquelle une preuve orale ou écrite peut être présentée. Le chef et le conseil décident d'accepter ou de rejeter la demande d'appartenance; cette décision est prise par vote majoritaire à huis clos, après l'audience. Si la demande est rejetée, le chef et le conseil doivent fournir des motifs écrits justifiant leur décision et envoyer par la poste au demandeur, dans les sept jours de la décision, une copie de leur décision et de leurs motifs [...].

[20]       Le Code d'appartenance prévoit en outre que toute personne se voyant refuser le statut de membre ou tout autre membre de la NCNH peut déposer une demande de contrôle de cette décision.

[21]       La demande de M. Sandberg a été examinée, conformément au Code d'appartenance, par le comité d'appartenance qui a recommandé que l'inclusion du demandeur ainsi que de plusieurs autres personnes soit approuvée. Lors d'une réunion spéciale du conseil, le 24 février 1998, le chef et le conseil ont pris connaissance des recommandations du comitéd'appartenance. En ce qui concerne la recommandation d'approuver l'inclusion de M. Sandberg, l'un des conseillers a présenté une motion, laquelle a été appuyée et adoptée :

[Traduction] ... que le chef et le conseil approuvent la recommandation du comité d'appartenance d'accepter parmi les membres de la bande les personnes figurant sur la liste dressée par le comité d'appartenance lors d'une réunion du 16 février, à l'exception de M. Don Sandberg, dans l'attente de renseignements additionnels. [Non souligné dans l'original.]


[22]       Apparemment, M. Sandberg a été mis au courant du résultat de sa demande lors dchanges verbaux qu'il a eus avec différents employés de la NCNH. Toutefois, le seul avis officiel qu'il a reçu du défendeur était une lettre du 4 octobre 1999 - environ 19 mois après la réunion - signée par le comité d'appartenance et l'informant que sa demande était actuellement en suspens, dans l'attente de renseignements additionnels sur des accusations déposées contre lui. La lettre précise en outre ce qui suit :

[Traduction] Pour notre information et nos dossiers, nous aimerions connaître votre version des faits concernant les accusations ou les incidents allégués qui se seraient produits à votre ancien domicile. Veuillez nous faire parvenir un compte rendu par écrit [...].

M. Sandberg n'a jamais répondu àcette demande estimant que ce serait une perte de temps.


[23]       M. Sandberg demande une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à rendre une décision sur sa demande d'appartenance. Il soutient que le chef et le conseil ntaient pas habilités à suspendre sa demande et que leur pouvoir se limitait plutôt à approuver ou àrejeter celle-ci. Je ne suis pas d'accord avec lui. Le pouvoir d'examiner une demande et de tenir une audience dans une affaire comporte inévitablement le pouvoir de demander des renseignements additionnels. Je rappelle en outre que la Cour doit faire preuve d'une grande déférence à lgard des procédures et des décisions d'un conseil de bande (News c. Wahta Mohawks, [2000] A.C.F. no 637 (C.F. 1re inst.)). Néanmoins, « cela ne signifie pas que le Conseil a carte blanche pour prendre des décisions sans tenir aucunement compte de l'équité en matière de procédure ni appliquer les règles et procédures qu'il a lui-même établies » (Ermineskin c. Conseil de la bande d'Ermineskin, [1995] A.C.F. no 821, au paragraphe 11 (C.F. 1re inst.)). Dans certaines circonstances, il pourrait être appropriéde rendre une ordonnance de mandamus pour remédier à l'omission du défendeur de parvenir à une conclusion qui permettrait à M. Sandberg d'obtenir les motifs du rejet de sa demande d'appartenance et de se prévaloir de la procédure de contrôle prévue dans le Code d'appartenance. Àmon avis, cette situation n'est pas encore produite. La raison réside dans les agissements de M. Sandberg.

[24]       En l'espèce, je conviens avec M. Sandberg que le défendeur ne s'est pas particulièrement bien comporté. Le délai de 19 mois qui s'est écoulé avant que M. Sandberg ne soit avisé par écrit de ce que le défendeur exigeait de lui est trop long. En outre, le défendeur ne semble pas stre strictement conformé à la procédure établie dans le Code d'appartenance.

[25]       Malgré cette réserve au sujet du comportement du défendeur à lgard de M. Sandberg, je rappelle que l'ordonnance de mandamus est une mesure extraordinaire. Plusieurs conditions doivent être respectées avant qu'un mandamus puisse être accordé(Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.F.), au par. 45). Au nombre de celles-ci, la personne qui demande le mandamus doit avoir rempli toutes les conditions préalables ayant donné naissance à l'obligation en cause. En l'espèce, M. Sandberg a refusé de fournir le compte rendu écrit demandé. Tant qu'il n'a pas satisfait à cette demande, je ne peux pas conclure que M. Sandberg a le droit incontestable d'obliger le défendeur à approuver ou à rejeter sa demande.

[26]       Si M. Sandberg fournit tous les renseignements exigés et si le défendeur continue de bloquer sa demande, il sera alors sans doute temps d'accorder une ordonnance de mandamus, en particulier à cause du long délai qui s'est écoulé avant que la demande de M. Sandberg soit traitée. À cette étape des procédures, la demande de mandamus est prématurée.


CONCLUSION

[27]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, qui m'est conféré je refuse de rendre une ordonnance quant aux dépens.

ORDONNANCE

La Cour ordonne :

1.       La demande est rejetée.

« Judith A. Snider »

______________________________

                Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                                       

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-1365-01

INTITULÉ:                                          DONALD ERIC SANDBERG c.

         CONSEIL DE BANDE DE LA NATION CRIE

         DE NORWAY HOUSE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 26 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                        LE 10 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Michael Paluk                                     POUR LE DEMANDEUR

J.R. Norman Boudreau                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Aboriginal Law Centre                      POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

Booth Dennehy LLP                          POUR LE DÉFENDEUR

Winnipeg (Manitoba)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.