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Date : 20050415

Dossier : IMM-1142-04

Référence : 2005 CF 518

ENTRE :

RODOLFO BARRANTES BARRANTES

ENELIA LEDEZMA JIMENEZ

ERIKA ROXANA BARRANTES LEDEZMA

ANDERSON BARRANTES LEDEZMA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON


[1]                Si ce n'était d'un guide jurisprudentiel publié par le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié relativement à la protection de l'État offerte au Costa Rica, je n'hésiterais pas à rejeter la demande de contrôle judiciaire de Rodolfo Barrantes, de son épouse et de ses enfants, qui est fondée sur le fait qu'il est un chauffeur de taxi ayant vécu des expériences terribles avec des criminels au Costa Rica. Ces derniers croient qu'il est un informateur de police.

[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié affirme que, suivant la jurisprudence de notre Cour, la crainte de persécution en tant que victime du crime organisé ainsi que la crainte de vengeance personnelle ne constituent pas une crainte de persécution aux termes de la Convention des Nations unies. C'est exact.

[3]                La Commission s'est ensuite penchée sur l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui assure la protection internationale aux personnes exposées à une menace contre leur vie et au risque de peines ou traitements cruels et inusités dans leur pays d'origine. La Commission soutient, non sans raison, qu'il existe une présomption selon laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens et cette présomption peut être réfutée par une « preuve claire et convaincante » . La Commission est convaincue que la protection est adéquate au Costa Rica, bien qu'elle ne soit pas nécessairement parfaite, et note que lorsque l'État en question est un État démocratique, comme c'est le cas au Costa Rica, il ne suffit pas au demandeur de se rendre à la police, il doit déployer un peu plus d'efforts. Plus l'État est démocratique, plus on s'attend à ce que le demandeur ait épuisé les recours qui lui sont offerts, ce qui en l'espèce comprendrait l'institution de procédures judiciaires ou le dépôt d'une plainte auprès de l'ombudsman. Des plaintes ont effectivement été déposées à la police, qui a affirmé que la preuve était insuffisante pour amorcer une enquête. Elle avait probablement raison.


[4]                Penchons-nous maintenant sur les directives. Le paragraphe 159(1) de la LIPR autorise le président à préciser les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel « en vue d'aider les commissaires dans l'exécution de leurs fonctions » .

[5]                Le président a publié un tel guide jurisprudentiel, à savoir la décision TA2-14980, qui traitait de la protection de l'État offerte à un témoin d'activités criminelles au Costa Rica.

[6]                Les demandeurs ne contestent pas le droit qu'a le président de publier des guides jurisprudentiels. Ils soutiennent plutôt que les documents qui accompagnent les guides, comme celui qui porte sur l'objet des guides jurisprudentiels ainsi que la politique sur l'utilisation de ces guides, exercent une pression institutionnelle exagérée sur les membres du tribunal qui doivent rendre des décisions et leur donnent l'impression que l'audition n'était pas entièrement impartiale. Le guide ne devrait pas, disent-ils, s'appliquer en l'espèce car il ne porte pas exclusivement sur la situation des chauffeurs de taxi au Costa Rica et ne mentionne pas qu'il y a plus qu'une école de pensée au sein de la présente Cour quant à savoir si une personne doit porter plainte devant d'autres instances étatiques si la police refuse d'agir.

[7]                J'aurais certes préféré que l'objet et la politique publiés en appui des guides jurisprudentiels soient un peu moins stricts, je suis convaincu qu'ils n'ont pas eu pour effet d'exercer ou de paraître exercer une pression exagérée de nature à influencer les membres de la Commission dans leur processus décisionnel.


[8]                J'aurais préféré ne pas y lire que « la Commission s'attend à ce que ses commissaires suivent le raisonnement exposé dans les guides jurisprudentiels » sans quoi ils « doivent donner les raisons dans leurs motifs de décision... » .

[9]                Cependant, l'objet déclaré des guides est d'aider les commissaires et l'on reconnaît que « les décisions rendues par une section de la CISR ne lient pas les commissaires de cette même section saisis d'affaires ultérieures » .

[10]            On a mentionné un cas type qui visait à déterminer des paramètres d'appréciation des demandes de statut de réfugié des Roms hongrois. Les demandeurs ont affirmé que le cas type était véritablement un guide en ce sens que la documentation à l'appui n'était pas conçue pour inciter les commissaires à déclarer les demandes irrecevables. Cependant, on avait fait valoir à l'époque que le cas type visait exactement cet objectif, ce qui créait une apparence de partialité. L'affaire a été examinée en profondeur par le juge Campbell dans Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 C.F. 1039, [2004] A.C.F. no 1401 (QL). En l'espèce, on avait même produit certaines preuves pour étayer la proposition selon laquelle la baisse du taux d'acceptation des Roms hongrois découlait directement de la décision de principe rendue dans le cas type. Le juge Campbell a dit ceci :

46.       À mon avis, la preuve ne démontre pas que la baisse perçue dans les taux d'acceptation des Roms hongrois était un résultat direct de la décision de principe rendue dans la cause type. Toutefois, même si ce résultat direct peut être établi, il ne peut servir à appuyer l'allégation d'une crainte de partialité. Si les membres de la CISR citent à bon droit la preuve et les conclusions auxquelles on est parvenu dans la cause type pour décider du bien-fondé d'une revendication du statut de réfugié particulière, on ne peut s'en plaindre. Toutefois, si les membres de la CISR choisissent d'appliquer la décision de principe sans passer par les étapes cruciales qui supposent une analyse indépendante de la preuve et du droit dans une revendication particulière d'une façon appropriée, cela ne peut nous amener à conclure qu'il y a crainte de partialité; il s'agit d'une décision erronée qui peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.


[11]               Je suis convaincu qu'il n'y a rien dans le libellé de l'objet des guides jurisprudentiels ni dans la « politique sur l'utilisation des guides jurisprudentiels » qui me conduirait à conclure différemment en l'espèce. Je suis convaincu que la Commission a consenti les efforts nécessaires pour procéder à une analyse indépendante de la preuve.

[12]            La Commission est spécialisée et, contrairement à notre Cour, on s'attend à ce qu'elle connaisse la situation qui règne dans le pays et qu'elle en tienne compte. Les efforts raisonnablement déployés pour arriver à une certaine cohérence doivent être reconnus et non minimisés. Par exemple, il ne serait pas acceptable qu'une organisation qualifiée de terroriste par un membre du tribunal soit considérée par un autre membre comme un organisme non gouvernemental de bienfaisance.

[13]               Néanmoins, il ne faut pas croire que les membres du tribunal manquent à ce point de bon sens et de volonté qu'ils suivront aveuglément un guide.


[14]               Le même ministre doit traiter des exigences en matière de résidence en vertu de la Loi sur la citoyenneté. Il existe trois courants jurisprudentiels au sein de notre Cour. Toutefois, la version papier sur laquelle les recommandations sont indiquées n'en mentionne qu'un seul. Il serait quelque peu présomptueux de la part de Citoyenneté et Immigration Canada de suggérer au juge de la citoyenneté de suivre une décision plutôt que les deux autres. En effet, dans les exigences en matière de résidence pour la citoyenneté, on présume que le juge aura suivi une décision, à moins qu'il n'ait éliminé des parties du formulaire imprimé qui lui a été fournie, ou qu'il ait utilisé une feuille vierge. Néanmoins, la distribution de cette version, ou en l'espèce d'un guide, ne va pas à l'encontre de l'indépendance du décideur (Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) c. Wall, 2005 CF 110, [2005] A.C.F. no 146 (QL)).

[15]            Rien n'empêche la Commission d'adopter une approche différente quant à la protection de l'État au Costa Rica. Le raisonnement de la Commission est juste. Le fait que la Commission ait accepté le raisonnement et l'existence de la protection de l'État, tel qu'indiqué dans le guide (décision TA2-14980), n'enlève rien à sa décision. On a également fait référence au US Department of State Country Report.

[16]               Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Toutefois, le demandeur a jusqu'au 22 avril 2005 pour soumettre une ou des questions de nature générale aux fins de certification, et le défendeur aura jusqu'au 27 avril 2005 pour y répondre.

«    Sean Harrington    »    

______________________

Juge                    

Ottawa (Ontario)

15 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       IMM-1142-04

INTITULÉ:                                       RODOLFO BARRANTES BARRANTES,

ENELIA LEDEZMA JIMENEZ,

ERIKA ROXANA BARRANTES,

LEDEZMA ANDERSON BARRANTES LEDEZMA

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 13 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                     15 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Nancy Miles Elliott                              POUR LES DEMANDEURS

Martin Anderson                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Myles Elliott                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Markham (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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