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Dossier : IMM‑3114‑19

Référence : 2020 CF 470

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

THINUJA SATKUNANATHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision, datée du 19 avril 2019, par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration de refuser la demande de parrainage de la demanderesse.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande.

II.  Faits

[3]  La demanderesse est une citoyenne canadienne. Elle vit en union de fait avec le père de ses deux enfants (le premier est né en 2015, le deuxième en 2017). Ils sont tous citoyens canadiens.

[4]  En 2011, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer son père qui tentait d’obtenir le statut de résident permanent du Canada. La demande de parrainage comprenait, à titre de personnes à charge, la mère de la demanderesse ainsi que ses deux frères et sa sœur. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a reçu la demande le 6 juillet 2011.

[5]  Il y a eu des retards dans le traitement de la demande de parrainage en raison de la modification des dispositions relatives au revenu vital minimum [RVM] et d’une suspension temporaire du programme de parrainage de parents. Finalement, environ cinq ans plus tard, soit en avril 2016, IRCC a demandé à la demanderesse de mettre à jour son dossier en fournissant un formulaire d’évaluation financière dûment rempli, ce qu’elle a fait plus tard ce mois‑là.

[6]  Le 21 février 2017, comme la taille de la famille de la demanderesse avait changé en raison de la naissance de son premier enfant, IRCC a envoyé à la demanderesse une lettre lui demandant de fournir des renseignements financiers à jour. Dans cette lettre, IRCC informait également la demanderesse qu’elle avait la possibilité d’ajouter un cosignataire à la demande de parrainage.

[7]  En mars 2017, la demanderesse a envoyé une demande de parrainage modifiée dont son conjoint de fait était cosignataire et elle a fourni des renseignements financiers à jour.

[8]  Le 6 avril 2017, l’agent d’immigration a rejeté la demande de parrainage au motif que le revenu de la demanderesse était inférieur au seuil du RVM (alinéa 133(1)j) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR]). En outre, l’agent a conclu que la définition de conjoint de fait ne s’appliquait pas au partenaire de la demanderesse et qu’il ne pouvait donc pas être ajouté à la demande de parrainage en tant que cosignataire.

[9]  Insatisfaite de la décision, la demanderesse a demandé l’aide d’un parajuriste autorisé en Ontario [l’ancien conseil] pour préparer une demande de réexamen.

[10]  Deux demandes de réexamen ont été présentées : la première est datée du 20 avril 2017 (à laquelle IRCC a répondu le 29 mai 2017) et la deuxième consiste en une série de lettres comprenant des documents supplémentaires qui ont été présentées en juin 2017.

[11]  Le 12 juillet 2017, après avoir mis à jour la taille de la famille de la demanderesse et réévalué son admissibilité au parrainage en fonction de cette nouvelle information, l’agent d’immigration a rejeté la demande de parrainage au motif que la demanderesse n’avait pas encore atteint le seuil du RVM. En fait, l’agent a conclu qu’elle n’avait pas respecté le seuil de faible revenu pour une famille de sept personnes, et, plus important encore, qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 133(1)j) du RIPR, au moment du dépôt de la demande, ce qui signifie qu’elle ne pouvait pas ajouter son partenaire comme cosignataire en vertu du Bulletin opérationnel 324 – le 19 juillet 2011 (Directives aux agents à propos de l’ajout d’un cosignataire sur un engagement de parrainage dans la catégorie du regroupement familial). La demanderesse ne pouvait donc pas parrainer des membres de sa famille présentant une demande de résidence permanente au Canada.

[12]  La demanderesse n’a reçu la décision d’IRCC qu’environ sept mois plus tard. Le 20 février 2018, la SAI a reçu l’avis d’appel de la demanderesse.

[13]  La demanderesse a ensuite reçu une lettre de la SAI datée du 23 mai 2018 [la lettre de la SAI du 23 mai 2018] concernant son appel. Voici un extrait de cette lettre :

[traduction]

Selon l’article 67 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), pour que votre appel soit accueilli, la SAI doit être convaincue : que la décision attaquée est erronée en droit ou en fait; qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; ou qu’il existe – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[Non souligné dans l’original; renvoi omis.]

[14]  La demanderesse a consulté son ancien conseil au sujet de cette lettre. Elle affirme qu’elle a demandé à son ancien conseil si elle pouvait expliquer sa situation personnelle aux fins de l’appel et qu’il lui aurait indiqué que la seule question en litige dans l’appel consistait à établir si son partenaire aurait dû être ajouté à sa demande en tant que cosignataire.

[15]  Par conséquent, la demanderesse n’a fourni que des documents fiscaux et financiers à jour, pour son partenaire et elle‑même, mais aucune preuve à l’appui d’une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire [demande CH] au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[16]  L’audience devant la SAI a eu lieu le 18 avril 2019. La demanderesse n’a soulevé aucun motif d’ordre humanitaire pendant l’audience et elle n’a pas non plus présenté de preuve à l’appui de tels motifs d’appel.

[17]  Au début de l’audience, le commissaire de la SAI a confirmé qu’il avait convenu avec l’ancien conseil et l’avocat du ministre qu’en ce qui concerne les questions qui doivent être soulevées devant lui, la demanderesse limiterait son argument aux questions de validité juridique, c’est‑à‑dire qu’il s’agirait de déterminer si son partenaire aurait dû être ajouté à la demande de parrainage en tant que cosignataire et s’il aurait été approprié de tenir compte des revenus de son partenaire lors de l’évaluation de ses revenus. L’ancien conseil n’a formulé aucun commentaire. Plus précisément, il n’a pas évoqué la possibilité que la demanderesse exige que sa demande soit également examinée pour des motifs d’ordre humanitaire.

[18]  Lors de l’audience, divers éléments de preuve et arguments ont été présentés concernant la relation de la demanderesse avec son partenaire, ainsi que leurs actifs financiers et leurs revenus. Vers la fin de l’audience, l’avocat du ministre a laissé entendre que, même si les revenus du partenaire de la demanderesse étaient pris en compte, la demanderesse n’atteignait pas le seuil financier minimal exigé pour une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cela a incité le commissaire de la SAI à l’interrompre et à déclarer ce qui suit :

[traduction]

Très bien. Je… je ne crois pas qu’il en a été question. Il me semble qu’aucune demande pour des motifs d’ordre humanitaire n’a été présentée au titre de l’alinéa 67(1)c) dans le cadre de cet appel. Donc, je… […] Je suis toujours d’avis — je vais tenir compte de vos observations selon lesquelles ils ne satisfont pas au critère Jagpal, mais ils n’ont présenté aucune observation […] pour des motifs d’ordre humanitaire.

[19]  L’ancien conseil a gardé le silence et il n’a pas pris la parole pour répondre, d’une façon ou d’une autre, aux commentaires du commissaire ou présenter des observations concernant des motifs d’ordre humanitaire.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[20]  En fin de compte, par une décision datée du 19 avril 2019 [la décision], la SAI a maintenu le rejet de la demande de parrainage alors qu’aucun motif d’ordre humanitaire n’a été examiné par le commissaire.

[21]  Dans cette décision, la SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que la décision de l’agent des visas n’était pas valide en droit. La SAI a conclu que la preuve testimoniale concernant la période de cohabitation de la demanderesse avec son conjoint de fait manquait de crédibilité et qu’il était raisonnable pour l’agent des visas de décider d’exclure le partenaire de la demanderesse de la catégorie du regroupement familial.

[22]  Comme le partenaire de la demanderesse n’était pas cosignataire, la SAI a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences du RVM et que la décision de l’agent était valide en droit. Par conséquent, la SAI a rejeté l’appel.

[23]  Dans sa décision, la SAI a apporté les précisions suivantes :

L’appelante n’a pas demandé la prise de mesures spéciales en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de motifs d’ordre humanitaire possibles.

[Renvoi omis.]

[24]  À la suite de l’appel, la demanderesse a consulté son conseil actuel [le conseil actuel], qui a examiné la décision et a indiqué à la demanderesse que son ancien conseil aurait pu demander une dispense spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire.

[25]  La demanderesse soutient qu’elle n’était pas au courant de cette possibilité et qu’elle aurait cherché à obtenir une dispense en évoquant de tels motifs si elle avait su qu’elle aurait pu présenter à la SAI des éléments de preuve concernant sa situation personnelle.

[26]  La demanderesse a soutenu devant moi que si elle avait eu l’occasion de le faire, elle aurait soulevé les considérations d’ordre humanitaire suivantes : l’intérêt supérieur des enfants, l’établissement au Canada, la stabilité de l’emploi et de la situation financière, les difficultés liées à la séparation familiale et les difficultés liées à la situation au Sri Lanka.

[27]  Conformément au protocole procédural de la Cour, Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger, daté du 7 mars 2014 [le protocole procédural], l’ancien conseil de la demanderesse a été informé des allégations de la demanderesse le 24 juin 2019 [la lettre de protocole procédural] et il a eu l’occasion de répondre à ces allégations.

[28]  L’ancien conseil a répondu dans une lettre datée du 4 juillet 2019 [la réponse du 4 juillet 2019]. La demanderesse a néanmoins décidé de présenter cet argument inefficace et, le 17 juillet 2019, elle a remis à son ancien conseil une copie de sa demande mise en état, comme le prévoit le protocole procédural.

[29]  L’ancien conseil a répondu de façon plus détaillée dans une lettre datée du 26 juillet 2019 [la réponse du 26 juillet 2019]. Il n’a pas présenté de demande d’autorisation pour intervenir ou participer à la présente procédure.

IV.  Question

[30]  La présente affaire soulève une question :

Lors de l’appel de la demanderesse devant la SAI, y a‑t‑il eu manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale à son endroit en raison de sa représentation négligente ou incompétente, ce qui justifierait un contrôle judiciaire de la décision de la SAI?

V.  Norme de contrôle

[31]  Les parties soutiennent, et je suis de leur avis, que cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au par. 79; Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, aux par. 37‑56; SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, au par. 100; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, au par. 27 [Galyas]; Sketchley c Canada (Procureur général), [2006] 3 RCF 392, 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au par. 53).

VI.  Analyse

[32]  La demanderesse ne conteste ni les conclusions ni le fondement de la décision en ce qui concerne la validité juridique, mais elle soutient simplement qu’il y a eu manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale à son endroit en raison de la représentation négligente ou incompétente de son ancien conseil. En particulier, la demanderesse soutient que son ancien conseil n’a pas expliqué les motifs d’appel à l’étape de la SAI et qu’il n’a pas soulevé de motifs d’ordre humanitaire devant la SAI. Pour la demanderesse, ces deux omissions ont été déterminantes et elles ont entraîné une erreur judiciaire.

[33]  Il est établi qu’un conseil inefficace ou incompétent peut être un motif suffisant pour déterminer qu’il y a eu manquement à la justice naturelle (Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, 1993 CanLII 3026 (CAF), aux par. 60‑61 [Shirwa]; Osagie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1368, aux par. 24‑27; Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au par. 64 [Memari]; Rodrigues c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 77, [2008] 4 RCF 474, au par. 39 [Rodrigues]; Mcintyre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351, aux par. 34, 39‑40 [Mcintyre]; Kavihuha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 328, aux par. 27‑28; El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234, au par. 33).

[34]  Toutefois, la Cour doit respecter une norme élevée pour établir l’incompétence d’un conseil (Huynh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 65 FTR 11 (1re inst.), au par. 23 [Huynh]; Memari, au par. 36; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au par. 38; Williams c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1994] 74 FTR 34, [1994] ACF no 258 (QL), au par. 20).

[35]  Dans le jugement Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, aux par. 36‑38, le juge en chef Crampton s’appuie sur un critère à deux volets pour démontrer l’incompétence du conseil lors de la représentation devant la Section de la protection des réfugiés (citant l’arrêt R c GDB, 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520, aux par. 26‑29 [GDB]; voir aussi Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626, aux par. 39‑43; Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850, au par. 17 [Gombos]).

[36]  Premièrement, le demandeur doit établir que les actes ou omissions de son conseil précédent relevaient de l’incompétence. Deuxièmement, les actes ou omissions doivent avoir entraîné une erreur judiciaire.

[37]  En premier lieu, le demandeur doit également aviser son ancien conseil des allégations d’incompétence afin de lui donner l’occasion de répondre (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, aux par. 10‑11; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269, aux par. 16‑17; Gombos, aux par. 17‑18; Galyas, au par. 84).

[38]  Dans le jugement Gombos, la juge Strickland fait un résumé de ce que dit la loi concernant la compétence de l’avocat et elle conclut qu’il incombe au demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve en fournissant suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les deux volets du critère sont satisfaits (au par. 17).

[39]  En outre, comme une audience devant la SAI a effectivement eu lieu, la décision qui en découle ne peut être examinée que sur la base d’un manquement aux principes de justice naturelle. Le juge Denault affirme ce qui suit dans l’arrêt Shirwa, aux pages 60‑61 :

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des "circonstances extraordinaires", lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir "l’étendue du problème" et que le contrôle judiciaire a "pour fondement des faits très précis". Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

1.  Incompétence

[40]  Tout d’abord, je conclus que la demanderesse s’est conformée aux procédures prévues dans le protocole procédural.

[41]  Ensuite, pour le premier volet du critère, je dois déterminer si le niveau de service fourni par l’ancien conseil était en deçà de ce qu’il est raisonnable d’attendre d’un avocat compétent.

[42]  La demanderesse soutient que son ancien conseil ne lui a pas indiqué qu’elle aurait pu interjeter appel pour de multiples motifs. Soit il a omis un motif d’appel possible, soit il ne savait pas qu’il était possible d’invoquer de multiples motifs d’appel, y compris des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse soutient que cette conduite était en deçà de ce qu’il est raisonnable d’attendre d’un avocat compétent.

[43]  La demanderesse soutient que l’arrêt Central Trust Co. c Rafuse, [1986] 2 RCS 147, 1986 CanLII 29 (CSC) [Central Trust] est particulièrement instructif à cet égard parce que, dans cette affaire, la Cour suprême a affirmé qu’un avocat « doit posséder une connaissance suffisante des points ou des principes de droit fondamentaux applicables au travail précis qu’il a entrepris de sorte qu’il puisse percevoir la nécessité de vérifier les règles de droit qui s’appliquent à chaque point pertinent » (p. 208).

[44]  La demanderesse soutient également qu’en omettant de l’informer qu’elle aurait pu bénéficier d’une mesure spéciale, son ancien conseil n’a pas respecté ses obligations de parajuriste prévues aux règles 3 et 4 du Code de déontologie des parajuristes et des Lignes directrices des parajuristes du Barreau de l’Ontario.

[45]  Dans l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de la présente demande, la demanderesse affirme qu’elle n’avait pas abordé de motifs d’ordre humanitaire avec son ancien conseil parce qu’il avait été déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une question en litige dans l’appel. Elle déclare ce qui suit au paragraphe 7 :

[traduction]

[Mon ancien conseil] m’a informé que mon conjoint de fait et moi‑même devions présenter des preuves de notre relation et de nos revenus pour que mon appel soit un succès. [Il] m’a expliqué qu’il s’agissait de la seule question en litige dans l’appel. Nous n’avons pas discuté de motifs d’ordre humanitaire et je ne savais pas que de tels motifs s’appliquaient à mon appel. Je ne savais pas non plus que mon appel aurait pu être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire.

[46]  Dans le même affidavit, la demanderesse se rappelle avoir discuté plus en détail de l’affaire avec son ancien conseil après avoir reçu la lettre de la SAI datée du 23 mai 2018 (dont un extrait est présenté au paragraphe 13 ci‑dessus) qui énonce les motifs d’appel possibles (y compris des [traduction« motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ») :

[traduction]

Après avoir reçu la lettre, j’ai parlé à [mon ancien conseil] au téléphone et nous avons discuté de la lettre. Je lui ai demandé si je pouvais expliquer ma situation personnelle dans mon appel, mais [il] m’a dit que la seule question à trancher était de savoir si [mon partenaire] aurait dû être ajouté à ma demande en tant que cosignataire.

[47]  La demanderesse affirme également que son ancien conseil [traduction« ne [lui a] pas demandé de lui fournir d’autres documents à l’appui de [son] appel et [elle ne savait] pas [qu’elle aurait] pu déposer des documents concernant des motifs d’ordre humanitaire dans [son] dossier ». Apparemment, son ancien conseil ne lui a pas demandé ces documents parce que [traduction« la seule question en litige dans [son] appel est [sa] relation avec [son] partenaire et [leurs] revenus ».

[48]  Par conséquent, la demanderesse n’a pas demandé à ses parents ou à ses frères et sœurs de témoigner pour appuyer son appel ni de fournir des documents supplémentaires à l’appui d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ce n’est qu’après l’appel que la demanderesse a appris de son conseil actuel qu’elle aurait pu demander la prise d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire.

[49]  Dans la réponse du 4 juillet 2019, l’ancien conseil déclare, entre autres choses, qu’en lisant la lettre de la SAI du 23 mai 2018 (dont un extrait est présenté au paragraphe 13 ci‑dessus), il avait eu l’impression que, dans l’appel interjeté par la demanderesse devant la SAI, la demanderesse devait choisir entre contester la validité juridique de la décision de l’agent d’immigration ou interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire. Il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Le 23 mai 2018, nous avons reçu la lettre de la SAI indiquant (au paragraphe 4) que pour que l’appel soit accueilli, la SAI doit être convaincue que la décision portée en appel est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait et qu’il y a eu manquement au principe de la justice naturelle ou qu’il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision. Selon ce paragraphe, nous avions la possibilité de choisir l’erreur en droit, en fait ou en droit et en fait ou les motifs d’ordre humanitaire.

[Non souligné dans l’original; caractères gras dans l’original.]

[50]  Interpréter de cette façon la lettre de la SAI du 23 mai 2018 est manifestement une erreur juridique. La demanderesse n’avait pas à faire un choix et elle aurait pu demander à la SAI une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire tout en contestant la validité juridique de la décision.

[51]  Je reconnais que l’anglais n’est manifestement pas la langue maternelle de l’ancien conseil et qu’il a peut‑être mal compris la lettre de la SAI du 23 mai 2018. Cependant, voici ce qu’a déclaré l’ancien conseil après ce malentendu :

[traduction]

Nous avons interjeté appel seulement pour les exigences relatives aux revenus et la décision de ne pas considérer le cosignataire comme appartenant à la catégorie du regroupement familial [...]

[…]

[...] après avoir soupesé les faits et les éléments de preuve que nous avons choisis de présenter pour démontrer qu’il y avait eu erreur en droit, en fait ou en droit et en fait.

[…]

Dans notre évaluation professionnelle, nous avons conclu que la validation de l’union de fait et la détermination des revenus comprenaient plus de 12 documents probants et factuels à l’appui. En ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire, nous avions beaucoup moins d’éléments de preuve.

[52]  Ce qui est étrange, c’est que lorsque le temps est venu de déposer des observations écrites auprès de la SAI avant l’audience prévue, l’ancien conseil a soulevé la possibilité d’invoquer des motifs d’ordre humanitaire. Dans sa lettre du 12 juin 2018 à la SAI [mémoire de la demanderesse], l’ancien conseil présente des observations écrites appuyant l’appel de la demanderesse. Voici ce qu’il déclare à la première page des observations :

[traduction]

Conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’appelante qui a soumis la demande de parrainage et le cosignataire satisfont aux exigences financières pour une demande de la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, l’appelante qui a soumis la demande de parrainage souhaite interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire dans l’intérêt supérieur des enfants.

[Non souligné dans l’original.]

[53]  Toutefois, même s’il est mentionné à la première page que des motifs d’ordre humanitaire pourraient être invoqués, le mémoire de la demanderesse ne contient aucune observation à l’appui d’un tel argument et aucune preuve n’a été présentée, si ce n’est des documents démontrant que le partenaire de la demanderesse appartient à la catégorie du regroupement familial et qu’il satisfait aux exigences financières du RVM.

[54]  Le mémoire d’appel de 27 paragraphes de la demanderesse, lequel comprend des références jurisprudentielles et des arguments juridiques portant exclusivement sur les questions relatives à la relation du couple – il est notamment question des enfants et de leur situation financière en ce qui concerne les exigences de la loi – se conclut comme suit :

[traduction]

D’après les conclusions portant sur les questions de fait, de droit et de droit et de fait, le cosignataire devrait être considéré comme appartenant au regroupement familial, ce qui a été accepté par CIC dans une lettre datée du 12 juillet 2017, et il convient de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants puisqu’il s’agit de leur père biologique.

[…]

Dans ces circonstances, nous demandons à la Section d’appel de l’immigration d’accueillir l’avis d’appel pour des motifs d’ordre humanitaire et d’approuver la demande de parrainage.

[Non souligné dans l’original.]

[55]  Dans sa réponse du 4 juillet 2019, l’ancien conseil reconnaît que le mémoire de la demanderesse suggère à la SAI d’examiner les motifs d’ordre humanitaire dans l’intérêt supérieur des enfants, mais il n’explique pas pourquoi aucune partie du mémoire de la demanderesse ne porte sur ces motifs ni pourquoi il n’a pas corrigé le commissaire de la SAI lorsque celui‑ci a mentionné à l’audience que, selon lui, l’appel de la demanderesse ne comprenait pas de demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[56]  L’ancien conseil a plutôt déclaré ce qui suit dans la réponse du 4 juillet 2019 :

[traduction]

D’après la jurisprudence (dossier MB16802 de la SAI, daté du 28 juillet 2015, au par. 55) : « Il est clair, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a certaines considérations d’ordre humanitaire. Néanmoins, le tribunal tient à souligner que, même si les considérations d’ordre humanitaire sont exclues, il est d’avis qu’il y a suffisamment de facteurs pour justifier cette décision, selon la prépondérance des probabilités. »

[57]  À la fin de la lettre, l’ancien conseil affirme ce qui suit : [traduction« [n]ous avons discuté des détails avec la cliente et nous avons également discuté de la façon dont nous procéderions en raison des faits et des éléments de preuve disponibles. Par conséquent, la cliente savait que nous avions décidé de présenter les arguments relatifs aux questions de fait, de droit, et de fait et de droit. ». L’ancien conseil ajoute : [traduction« [t]ous les facteurs que nous avons examinés lors de notre évaluation professionnelle nous indiquaient que les éléments de preuve relatifs aux questions de fait, de droit, et de fait et de droit étaient beaucoup plus solides que ceux qui étaient liés aux motifs d’ordre humanitaire ».

[58]  La réponse de l’ancien conseil à la lettre de protocole procédural est incompréhensible. D’une part, la réponse de l’ancien conseil laisse entendre qu’il croyait que le choix des motifs d’appel était exclusif : la demanderesse pouvait contester la validité juridique de la décision ou soumettre des facteurs d’ordre humanitaire.

[59]  D’autre part, la possibilité d’une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire est toutefois évoquée dans le mémoire de la demanderesse, en plus de la question de la validité juridique.

[60]  Je ne comprends pas pourquoi l’ancien conseil fait référence à une décision antérieure de la SAI (MB16802). Il est clair que l’ancien conseil connaît le concept d’appel pour des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, en lisant le mémoire de la demanderesse ainsi que la réponse du 4 juillet 2019 à la lettre de protocole procédural, il me semble qu’il y avait une intention initiale d’invoquer des motifs d’ordre humanitaire, mais que l’ancien conseil n’avait pas la moindre idée de la procédure à suivre pour présenter cet argument.

[61]  La référence, à la dernière page du mémoire de la demanderesse, à [traduction« l’intérêt supérieur des enfants » semble se limiter à la question de la validité juridique, c.‑à‑d. la question de savoir si le partenaire doit être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial. Cette référence est problématique.

[62]  La demanderesse laisse entendre qu’une référence aussi dénuée de sens à des motifs d’ordre humanitaire dans le mémoire de la demanderesse ne peut pas être considérée comme un deuxième motif d’appel. Je suis du même avis.

[63]  Il ne fait aucun doute qu’il incombe à la demanderesse de prouver le bien‑fondé de sa cause et, compte tenu du manque d’arguments et de la minceur de la preuve présentés à l’appui d’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire, le simple fait de mentionner les mots magiques « motifs d’ordre humanitaire » ne permet pas de considérer sérieusement qu’un appel est fondé sur ces motifs. J’estime également que le commissaire de la SAI, compte tenu des commentaires qu’il a formulés lors de l’audience sur les questions qui devaient être soulevées dans l’appel, était probablement du même avis.

[64]  Les échanges entre les deux conseils se sont poursuivis.

[65]  Le conseil actuel a écrit à l’ancien conseil le 17 juillet 2019, et l’ancien conseil a répondu (dans la réponse du 26 juillet 2019) en fournissant un extrait de ses entrées dans le dossier qui laissent entendre qu’il a discuté avec la demanderesse de la possibilité de présenter un argument fondé sur des motifs d’ordre humanitaire en tant qu’argument secondaire, mais que la demanderesse avait néanmoins choisi de ne pas invoquer ces motifs parce que les éléments de preuve ne permettaient pas d’appuyer une demande de dispense.

[66]  Je dois dire que j’accepte l’argument de l’ancien avocat selon lequel la demanderesse était au moins consciente de la possibilité d’interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse admet elle‑même dans son affidavit qu’après avoir reçu la lettre de la SAI du 23 mai 2018, elle s’est entretenue avec son ancien conseil pour [traduction« lui demander si [elle pouvait] expliquer [sa] situation personnelle dans l’appel ».

[67]  De toute évidence, la demanderesse savait qu’elle pouvait faire valoir [traduction« sa situation personnelle »; toutefois, à la lecture de son affidavit, j’ai cru comprendre que son ancien conseil lui avait dit que, compte tenu du contexte et de la conclusion de l’agent d’immigration, il n’était pas recommandé d’interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire. Quoi qu’il en soit, même si j’admets que la possibilité d’interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire a été abordée avec la demanderesse et qu’elle a convenu que ces motifs d’appel ne devaient pas être invoqués, cela n’explique ni pourquoi le mémoire de la demanderesse fait référence à des motifs d’ordre humanitaire ni pourquoi aucun élément de preuve ou observation écrite correspondant n’a été fourni à l’appui de cet argument, compte tenu de la présence de cette référence.

[68]  De plus, dans sa réponse du 26 juillet 2019, l’ancien conseil fait référence à ses entrées dans le dossier et il répond aux allégations de la demanderesse :

[traduction]

Les motifs d’ordre humanitaire sont mentionnés aux paragraphes 7, 8, 9 et 13, mais il s’agissait d’une solution de rechange, j’ai également envisagé cette stratégie d’appel, mais le critère est élevé et il comporte de nombreux éléments. Pour cette raison, je privilégie la validation de l’union de fait et les revenus du partenaire conjugal pour appuyer la demande.

Des éléments de preuve très solides ont été présentés pour valider la relation conjugale existante, notamment : soutien financier, documents de voyage, passeports, mariage culturel, photos de famille, activités sociales, responsabilités familiales, comportement sexuel et personnel, enfants des deux parents avec certificat de naissance vivante et capacité de donner son consentement, en vue de prouver qu’il y avait une relation conjugale et une union de fait à partir de 2012. D’après mon expérience et mes connaissances, ces faits étaient plus que suffisants pour démontrer et appuyer la relation existante.

[69]  Il semble que l’ancien conseil de la demanderesse ait décidé qu’une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était secondaire par rapport à la question des exigences financières. Sur le plan de la stratégie d’appel, sa décision de se concentrer sur la question du cosignataire est peut‑être effectivement le meilleur motif d’appel.

[70]  Toutefois, cette explication ne tient pas compte du fait que l’ancien conseil s’est concentré exclusivement sur la question du cosignataire, ni du fait qu’il n’a pas présenté suffisamment de preuves à l’appui d’une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après avoir soulevé cette possibilité dans le mémoire de la demanderesse.

[71]  L’ancien conseil de la demanderesse a déclaré ce qui suit :

[traduction]

J’ai aussi eu l’occasion de lui expliquer le processus d’appel lors de sa première visite à mon bureau, je lui ai également expliqué les motifs d’ordre humanitaire et il m’a semblé qu’elle comprenait les bases de la procédure.

Mme Satkunanathan a également allégué que nous n’avons jamais discuté de « l’intérêt supérieur de l’enfant touché directement », mais cela a pourtant été mentionné dans la lettre de la Section d’appel de l’immigration du 23 mai 2018, volume I de II, page 272, 4e paragraphe, qui a été envoyée à son adresse, et qui est ainsi libellée :

Selon l’article 67 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), pour que votre appel soit accueilli, la SAI doit être convaincue : que la décision attaquée est erronée en droit ou en fait; qu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; ou qu’il existe — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

La question a été examinée, expliquée et évaluée lors de notre rencontre; elle semblait avoir des doutes concernant cette question qui faisait partie des arguments présentés le 12 juin 2018. Elle a également déclaré ce qui suit dans son affidavit daté du 13 juillet 2019, volume II de II, page 525, paragraphe 9 :

Après avoir reçu la lettre, j’ai parlé à [mon ancien conseil] au téléphone et nous avons discuté de la lettre. Je lui ai demandé si je pouvais expliquer ma situation personnelle dans mon appel, mais [il] m’a dit que la seule question à trancher était de savoir si [mon partenaire] aurait dû être ajouté à ma demande en tant que cosignataire.

[72]  L’ancien conseil de la demanderesse a poursuivi son explication en déclarant ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné l’argument concernant l’intérêt supérieur de l’enfant touché directement, volume II de II, page 276, présenté dans sa demande d’appel en matière de parrainage. Je lui ai demandé de le vérifier et elle l’a approuvé, une copie de ce document a été fournie (la pièce A1) et voici ce qui est mentionné au paragraphe 4 :

Conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’appelante qui a soumis la demande de parrainage et le cosignataire satisfont aux exigences financières pour une demande de la catégorie du regroupement familial. Par conséquent, l’appelante qui a soumis la demande de parrainage souhaite interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Par conséquent, il est raisonnable de présumer que cette question a été abordée au moins deux fois au cours de nos neuf réunions. De plus, elle n’a pas fourni de renseignements probants pour étayer cet argument.

Le commissaire a conclu que la déclaration du témoin n’était pas crédible, mais il faut tenir compte du fait que les éléments de preuve suffisaient pour établir qu’il était fort probable que le couple vivait en union de fait depuis 2009 et que cette relation s’est poursuivie jusqu’en 2014, soit le dernier jour où j’ai parlé à Mme Satkunanathan.

[73]  Ces passages semblent indiquer que l’ancien conseil croyait que [traduction« l’intérêt supérieur de l’enfant » était la seule considération d’ordre humanitaire pertinente. Toutefois, la demanderesse voulait également évoquer d’autres motifs pour justifier la prise de mesures spéciales, en l’occurrence l’établissement au Canada, la stabilité de l’emploi et de la situation financière, les difficultés liées à la séparation familiale et les difficultés liées à la situation au Sri Lanka.

[74]  Dans sa réponse du 26 juillet 2019, l’ancien conseil conclut comme suit :

[traduction]

De plus, comme je l’ai mentionné, mes documents contenaient l’information nécessaire à l’appui d’une demande pour des motifs d’ordre humanitaire si cette question avait été soulevée et cette possibilité aurait pu être envisagée. En outre, pendant toute la durée du mandat de représentation, soit avant et après l’appel, les éléments relatifs au seuil du critère ont varié.

[Non souligné dans l’original.]

[75]  Il semblerait donc que l’ancien conseil s’attendait à ce qu’une autre partie, possiblement la SAI ou l’avocat du ministre, évoque la possibilité d’une contestation pour des motifs d’ordre humanitaire. Encore une fois, l’ancien conseil semble avoir mal compris le rôle que doit jouer le conseil du demandeur dans le cadre de la présente procédure et qu’il incombe au demandeur de défendre sa propre cause. Étant donné que l’ancien conseil n’a pas précisé à la SAI, lors de l’audience, que la demanderesse interjetait appel pour des motifs d’ordre humanitaire et qu’il n’a pas présenté de preuve à l’appui de tels motifs, le commissaire de la SAI a eu raison de conclure que la validité juridique était la seule question en litige dans l’appel.

[76]  Je dois admettre que les explications données par l’ancien conseil pour décrire le raisonnement qu’il a suivi afin d’établir la stratégie d’appel sont incompréhensibles. Je crois que cela lui aurait été utile s’il avait demandé l’autorisation d’intervenir dans la présente procédure afin d’expliquer correctement le produit de son travail et sa stratégie.

[77]  Le défendeur soutient que la demanderesse, par l’entremise de son ancien conseil, a choisi de ne pas demander la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire dans sa stratégie d’appel, et qu’elle prétend que son ancien conseil a fait preuve de négligence ou d’incompétence uniquement parce qu’il a décidé de poursuivre cette stratégie. Le défendeur soutient également que l’ancien conseil de la demanderesse a présenté l’argument le plus solide de la demanderesse lors de l’appel, à savoir que la décision de l’agent était erronée en fait, en droit, ou en fait et en droit. Le défendeur affirme que le fait que l’ancien conseil de la demanderesse aurait pu employer une stratégie d’appel différente n’est pas une preuve d’incompétence.

[78]  J’aurais tendance à être du même avis que l’avocat du défendeur si la preuve laissait entendre que l’ancien conseil avait choisi, dans sa stratégie d’appel, de se concentrer entièrement sur la validité juridique du refus de l’agent d’immigration; toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[79]  Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur lorsqu’il affirme que la décision rendue en l’espèce aurait pu être différente si la preuve avait laissé entendre que l’ancien conseil avait soulevé des motifs d’ordre humanitaire dans l’appel (ce qu’il a fait dans le mémoire de la demanderesse) et qu’il avait également présenté des preuves pertinentes et convaincantes à l’appui de cet argument. Toutefois, il ne l’a pas fait, ce qui, en soi, constitue un motif qui permet de conclure à une conduite inefficace ayant entraîné un manquement aux principes de la justice naturelle (Rodrigues, au par. 39; Mcintyre, aux par. 34 et 40).

[80]  Une réponse pourrait être qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à présenter à la SAI pour appuyer un argument fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, si tel était le cas, pour quelle raison la demanderesse mentionne‑t‑elle expressément dans ses arguments écrits concernant l’appel devant la SAI que la demande était soumise pour des motifs d’ordre humanitaire? Je m’attendais à ce que l’ancien conseil soit clair sur ce point dans sa réponse, ou du moins lorsqu’il a répondu aux commentaires du commissaire de la SAI lors de l’audience.

[81]  J’aurais pu comprendre que l’ancien conseil ait, d’une façon ou d’une autre, minimisé les arguments relatifs aux motifs d’ordre humanitaire s’il y avait eu un avantage stratégique à se concentrer uniquement sur la question de la validité juridique. Au cours de l’audience, j’ai demandé à l’avocat du défendeur s’il y avait un avantage quelconque à ne pas invoquer un argument d’ordre humanitaire devant la SAI. Il n’a pas été en mesure de trouver un quelconque avantage dans ce contexte, et j’en suis également incapable.

[82]  Le fait que l’ancien conseil n’ait pas répondu au commissaire de la SAI lorsque celui‑ci a dit comprendre qu’aucun argument fondé sur des motifs d’ordre humanitaire n’était invoqué ajoute à la confusion. Lorsque le temps est venu pour le commissaire de la SAI d’exposer sa compréhension de la cause de la demanderesse, l’ancien conseil n’a pas corrigé le commissaire de la SAI lorsqu’il a affirmé qu’aucun argument d’ordre humanitaire n’était présenté. En raison de cette interprétation, le commissaire de la SAI n’a pas examiné l’affaire sous l’angle de motifs d’ordre humanitaire et il n’a pas tenu compte de tels motifs, même s’il y avait une référence plutôt obscure aux motifs d’ordre humanitaire enfouie dans les observations écrites de l’ancien conseil.

[83]  Encore une fois, la réponse est peut‑être qu’il n’existait aucune preuve pertinente ou convaincante pour appuyer un tel argument. Toutefois, si tel était le cas, cela aurait dû être précisé étant donné que des motifs d’ordre humanitaire étaient mentionnés dans le mémoire de la demanderesse.

[84]  La situation n’est pas aussi simple que l’affirme le défendeur. Il ne s’agit pas uniquement d’un choix professionnel du conseil pour sa stratégie d’appel. Un choix juridique suppose que l’avocat comprenne suffisamment bien le cadre juridique pour faire un tel choix. En l’espèce, je ne crois pas que l’ancien conseil avait cette compréhension.

[85]  Quoi qu’il en soit, puisque ni l’avocat du défendeur ni moi ne pouvons trouver un avantage stratégique à ne pas présenter d’argument d’ordre humanitaire parallèle dans l’appel interjeté par la demanderesse devant la SAI, je ne peux être du même avis que le défendeur. Il faut également garder à l’esprit que le choix d’une stratégie, déterminée par l’incompétence de l’avocat, peut donner lieu à un déni de justice dans certaines circonstances (Corpuz Ledda c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 811, au par. 17 [Ledda]).

[86]  Je crois plutôt qu’une meilleure explication est que soit l’ancien conseil ignorait simplement que la demanderesse pouvait interjeter appel pour des motifs d’ordre humanitaire et l’invalidité juridique de la décision, soit il a d’une certaine façon mal compris comment et dans quel contexte les motifs d’ordre humanitaire peuvent constituer le fondement d’un appel devant la SAI. Quoi qu’il en soit, la conduite professionnelle de l’ancien conseil pose un grave problème.

[87]  Pour paraphraser le juge Denault dans l’arrêt Shirwa, un contrôle judiciaire doit avoir pour fondement des faits très précis et il doit y avoir suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’étendue du problème, ce qui est le cas en l’espèce. Je conviens que l’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable et qu’il existe une forte présomption que la conduite de l’ancien conseil se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au par. 27). Toutefois, je ne vois pas en quoi la réponse confuse de l’ancien conseil à la lettre de protocole procédural permet de déterminer si, d’une manière ou d’une autre, il comprenait bien le concept de demande pour considérations d’ordre humanitaire et le cadre à utiliser pour plaider devant la SAI.

[88]  Je conviens qu’un demandeur est généralement lié à son avocat (Jouzichin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1886 (QL), 1994 CarswellNat 1592, au par. 2; Huynh). Toutefois, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le conseil a simplement commis une erreur.

[89]  Après avoir examiné la preuve, il me semble que l’ancien conseil ne possédait tout simplement pas une connaissance suffisante des principes fondamentaux ou des principes de droit applicables au travail précis qu’il a entrepris, de sorte qu’il puisse percevoir la nécessité de vérifier les règles de droit qui s’appliquent à chaque point pertinent (Central Trust, aux par. 58 et 59). En outre, c’est en raison de tels manquements de la part de l’ancien conseil que la demanderesse a été privée de son droit à une audience en bonne et due forme devant la SAI (Mathon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 707 (QL)).

[90]  Par conséquent, en ce qui concerne strictement l’appel interjeté par la demanderesse devant la SAI, je conclus que la conduite de l’ancien conseil a été en deçà de la norme à laquelle on peut raisonnablement s’attendre de la part d’un avocat compétent et qu’elle ne correspond pas à ce qui constitue un jugement professionnel normal.

[91]  Comme je n’ai pas besoin de le faire, je ne tire aucune conclusion quant à l’application en l’espèce du Code de déontologie des parajuristes et des Lignes directrices des parajuristes du Barreau de l’Ontario, et je remets la question de la conformité à ceux‑ci et de leur application à un autre jour.

2.  Préjudice et déni de justice

[92]  La demanderesse soutient que la conduite de son ancien conseil a entraîné une erreur judiciaire parce qu’elle n’a pas eu la possibilité d’invoquer tous les motifs d’appel applicables et de présenter des éléments de preuve à l’appui des motifs d’ordre humanitaire en l’espèce, et elle affirme que si elle en avait eu l’occasion, elle aurait invoqué de nombreux facteurs d’ordre humanitaire.

[93]  Le défendeur soutient que l’ancien conseil de la demanderesse n’a pas omis de présenter ou de déposer un document au tribunal, et que rien dans son comportement lors de l’audience n’indiquait de quelque façon que ce soit qu’il y avait des préoccupations quant à savoir si l’équité procédurale était respectée ou s’il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle.

[94]  Je ne suis pas de cet avis. La demanderesse a subi un préjudice en raison de l’omission de l’ancien conseil de la demanderesse d’expliquer le recours aux motifs d’ordre humanitaire, de son insistance à éviter de rendre compte de la situation personnelle de la demanderesse, de son omission de présenter des éléments de preuve ou des observations concernant les motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse et du fait qu’il a laissé la commissaire de la SAI rendre une décision en partant du principe qu’aucune demande n’a été soumise pour que l’affaire soit examinée pour des motifs d’ordre humanitaire.

[95]  La dernière question à trancher consiste à déterminer s’il existe des éléments de preuve qui permettent de croire qu’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire, si cet argument avait été présenté, avait une chance raisonnable d’être accueilli.

[96]  La demanderesse doit démontrer qu’il y a une probabilité raisonnable que, n’eût été la conduite non professionnelle de son ancien conseil, le résultat de son appel aurait été différent; une probabilité raisonnable est une probabilité qui « suffit à enlever confiance dans l’issue de l’action » et [traduction« se situe entre une simple possibilité et une probabilité » (Olia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 315, au par. 6; R c Dunbar, Pollard, Leiding et Kravit, 2003 BCCA 667, au par. 26).

[97]  Dans le jugement Ledda, la Cour a renvoyé l’affaire devant la SAI pour un nouvel examen alors que la SAI avait conclu précédemment qu’aucune erreur judiciaire n’avait été commise, et ce, malgré le fait que l’incompétence de l’avocat avait été établie. Le juge Mosley affirme ce qui suit au paragraphe 16 :

Le demandeur n’a pas été informé qu’il avait le droit de recourir contre la conclusion qu’il était interdit de territoire. Étant donné la longue durée de sa résidence au Canada, ses liens familiaux avec notre pays et la nature de sa condamnation au criminel, son appel, s’il en avait formé un, aurait pu être accueilli.

[Non souligné dans l’original.]

[98]  La demanderesse indique, dans les documents qui m’ont été présentés, la preuve qu’elle a l’intention de déposer auprès de la SAI si la présente demande est accueillie. Le défendeur n’a pas contesté ces éléments de preuve, excepté lorsqu’il affirme que les commentaires du commissaire de la SAI que j’ai cités au par. 18 ci‑dessus, donnent à penser que même si d’autres éléments de preuve avaient été fournis, l’appel aurait néanmoins été rejeté.

[99]  Je ne souscris pas à cette interprétation des commentaires du commissaire de la SAI. Il est évidemment impossible de déterminer si les éléments de preuve et les observations supplémentaires du conseil actuel permettraient à la demanderesse d’obtenir le résultat escompté. Cependant, il semble y avoir au moins une probabilité raisonnable qu’elle obtienne un tel résultat.

[100]  Bref, en raison des manquements de son ancien conseil, la demanderesse, pour reprendre les mots du juge Denault dans Shirwa, « n’a pu établir pleinement, devant le tribunal, le bien‑fondé de sa demande » (au par. 3). Elle ne s’est pas vu offrir la possibilité de recourir à tous les motifs d’appel ni de présenter des preuves documentaires et testimoniales à l’appui des motifs d’ordre humanitaire.

[101]  Enfin, le défendeur soutient que le recours approprié pour la demanderesse, qui a été représentée par un conseil incompétent, consiste à déposer une plainte auprès du Barreau, puisqu’il s’agit de l’organisme qui réglemente la conduite des parajuristes. J’estime qu’il s’agit d’une mince consolation pour la demanderesse qui a perdu sa chance de faire venir sa famille au Canada.

[102]  Dans les circonstances, je conclus que la demanderesse a perdu plus qu’une simple possibilité de réussite. Le préjudice subi justifie un réexamen de l’appel en matière de parrainage (voir aussi Medica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 927, aux par. 41‑42).

VII.  Conclusion

[103]  Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire à un autre commissaire de la SAI aux fins de réexamen. Toutefois, étant donné que la demanderesse ne conteste pas la validité juridique des conclusions de la SAI (le bien‑fondé de la décision concernant l’inclusion de son partenaire comme cosignataire et le non‑respect des exigences du RVM), le réexamen de la demande doit se limiter uniquement aux motifs d’ordre humanitaire (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 8).

[104]  Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où un manquement de la part de l’ancien conseil a eu une incidence sur la décision que la SAI a rendue sur les questions pour lesquelles elle a tiré ses conclusions. Par conséquent, la décision rendue par la SAI concernant le non‑respect des exigences du RVM par la demanderesse doit être maintenue.




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