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Dossier : IMM‑491‑19

Référence : 2020 CF 467

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

SEMERE TESFAYE KETO

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) rejetant l’appel du ministre contre une décision de la Section de l’immigration (la SI) qui a conclu que le défendeur, monsieur Keto, n’était pas interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en raison de son affiliation à l’organisation éthiopienne Ginbot 7 (le G7).

[2]  Après un contrôle judiciaire de la première décision défavorable de la SAI, dans laquelle la Cour a jugé que la décision de la SAI était déraisonnable puisque cette dernière avait tiré de nouvelles conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du défendeur, et ce, sans tenir d’audience, cette affaire a été renvoyée à la SAI afin de la soumettre à un nouvel examen. La deuxième décision de la SAI est à présent à nouveau devant la Cour pour une demande de contrôle judiciaire.

[3]  Pour la deuxième procédure devant la SAI, le défendeur a demandé à procéder par écrit, tandis que le demandeur a demandé qu’une audience soit tenue. La SAI a décidé de procéder au moyen d’observations écrites.

[4]  Le demandeur, au nom du ministre, soutient que la SAI a violé l’obligation d’équité procédurale en refusant de poursuivre la procédure au moyen de la tenue d’une audience et que la SAI a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en évaluant la crédibilité du défendeur.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAI n’a pas violé l’obligation d’équité procédurale et n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

A.  Le défendeur et l’historique des procédures

[6]  Monsieur Semere Tesfaye Keto (le défendeur) est un citoyen éthiopien âgé de 30 ans. Il est venu au Canada à titre de travailleur temporaire en avril 2013 et a présenté une demande d’asile en juillet 2014. Sa demande d’asile était fondée sur le fait qu’il se disait persécuté par le gouvernement éthiopien pour ses opinions politiques alléguées. Le défendeur avait travaillé pour son oncle qui était un dirigeant du G7 dans la région de Bonga en Éthiopie. Le défendeur a été mis en état d’arrestation et détenu par les autorités éthiopiennes de mai 2009 à avril 2010 en raison de ses liens avec son oncle et le G7.

[7]  En avril 2015, le défendeur a été interrogé par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) concernant son implication dans le G7. Le défendeur a déclaré qu’il avait aidé son oncle à créer des dépliants pour le G7, qu’il avait participé à la distribution de ces dépliants et qu’il avait organisé des réunions. Plus tard, alors qu’il était à l’université, le défendeur a assisté à des réunions secrètes avec des membres du G7. Au cours de l’entrevue avec l’agent de l’ASFC, le défendeur a expliqué que, son oncle étant très occupé, il lui a proposé de l’aider à son bureau – de trois à quatre heures – de juin 2008 à mai 2009.

[8]  À la lumière de cette entrevue, l’agent de l’ASFC a produit un rapport en vertu de l’article 44, indiquant qu’il était d’avis que le défendeur était interdit de territoire au Canada, puis a déféré le cas du défendeur pour enquête.

[9]  Le 24 juillet 2015, une enquête a été menée et le défendeur a témoigné au cours de celle‑ci.

[10]  Il a été allégué que le défendeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, qui dispose qu’un résident permanent ou un ressortissant étranger est interdit de territoire pour des raisons de sécurité s’il est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force. Le demandeur a allégué que le défendeur était membre du G7 et que le G7 cherche à renverser le gouvernement éthiopien.

[11]  Je souligne qu’afin de déterminer si le défendeur était « membre » au sens de la définition de l’article 34 de la LIPR, le ministre n’a pas contesté le fait que le défendeur avait subi des violences physiques lorsqu’il a été détenu pendant près d’un an pour avoir prétendument pris part aux activités du G7. Par ailleurs, le défendeur n’a jamais été accusé d’avoir pris part à des activités violentes.

[12]  Après l’enquête, le commissaire de la SI a rendu une décision favorable au défendeur (la décision de la SI). La SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[13]  Le ministre a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI. Le fondement de cet appel était que la SI n’avait pas tenu compte de diverses inquiétudes soulevées par le ministre au sujet de la crédibilité du défendeur et n’avait pas procédé à une analyse de cette dernière.

[14]  Le 20 juillet 2017, la SAI a accueilli l’appel du ministre et a déclaré le défendeur interdit de territoire au titre des alinéas 34(1)f) et b) de la LIPR (la première décision de la SAI). La SAI a tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du défendeur.

[15]  La Cour a accepté une demande de contrôle judiciaire présentée par le défendeur visant la première décision de la SAI. En février 2018, le juge Zinn a conclu que la première décision de la SAI était déraisonnable parce que le commissaire de la SAI avait tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du défendeur en s’appuyant sur les documents et les transcriptions à sa disposition, et ce, même si la SI avait conclu que le défendeur était crédible. La Cour a déclaré que la « [SAI] ne devrait s’écarter des conclusions de la [SI] quant à la crédibilité que lorsque le dossier écrit lui fournit des éléments de preuve convaincants indiquant que les conclusions de la [SI] étaient erronées » (Keto c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 119 (CanLII) [Keto] au par. 16). L’affaire a été renvoyée à la SAI en vue d’un nouvel examen.

[16]  Le 31 mai 2018, le défendeur a demandé que l’audience de la SAI se déroule en s’appuyant sur le dossier écrit. Le demandeur s’est opposé à cette demande, faisant valoir que le fait de procéder au moyen d’observations écrites empêcherait le tribunal de la SAI d’évaluer la crédibilité du défendeur.

[17]  Le 12 juillet 2018, la SAI a ordonné que la procédure d’appel aille de l’avant au moyen d’observations écrites. La SAI n’a fourni aucun motif à l’appui de cette directive.

[18]  Le 7 janvier 2019, la SAI a rejeté l’appel du demandeur (la deuxième décision de la SAI).

B.  Décision faisant l’objet d’un contrôle : la deuxième décision de la SAI

[19]  Pour rendre sa décision, la SAI a examiné les documents de la demande d’asile du défendeur, la transcription de l’entrevue de l’ASFC et le témoignage  du défendeur livré lors de l’audience de la SI. La SAI a conclu que la participation du défendeur aux activités du G7 était accessoire puisque sa tâche consistait principalement à fournir un soutien administratif à son oncle plutôt qu’au G7. La SAI a conclu que le G7 a été créé en mai 2008, que le défendeur a aidé son oncle de juin 2008 à mai 2009, et que le gouvernement éthiopien a déclaré le G7 illégal en tant qu’organisation terroriste en mai 2011. Ainsi, le défendeur a travaillé pour son oncle au moment de la création du G7, et il avait cessé de travailler pour lui depuis environ deux ans lorsque l’organisation a été déclarée illégale. Le défendeur a confirmé qu’il n’avait pas participé aux activités du G7 pendant qu’il était à l’université, mais qu’il avait assisté à des réunions du parti d’opposition.

[20]  En ce qui concerne les opinions politiques du défendeur, la SAI a souligné que le défendeur a déclaré qu’il n’est pas membre d’une organisation politique, mais qu’il écoute diverses opinions. Les sujets qui intéressent plus particulièrement le défendeur sont, notamment, l’éducation, la santé, les transports, le développement communautaire et les droits de la personne. Pendant son entrevue avec l’ASFC, le défendeur a affirmé désapprouver le fait que des partis politiques aient recours à la violence afin de prendre le pouvoir, mais il a admis que de nombreux partis politiques africains utilisent la violence pour remporter des élections. La SAI a pris note du témoignage du défendeur selon lequel il n’est jamais devenu membre du G7 ou de tout autre parti politique et qu’il croyait que le G7 était une bonne organisation qui soutenait les droits de la personne et la démocratie.

[21]  La SAI a pris note de la déclaration du défendeur selon laquelle il a assisté à diverses réunions pendant ses études universitaires parce qu’il souhaitait découvrir pourquoi le gouvernement qualifiait de violents divers partis d’opposition, et qu’il voulait partager des idées et déterminer quel parti lui convenait le mieux.

[22]  La SAI a estimé que les déclarations du défendeur « révèlent un jeune homme qui est doté d’un sens civique, qui est préoccupé par la situation politique de son pays et qui essaie de trouver sa place dans ce pays ». La SAI n’a trouvé aucune preuve indiquant que l’aide apportée par le défendeur à son oncle ou sa participation à des réunions à l’université représentait autre chose qu’un intérêt pour la politique, et que le défendeur n’avait pas un degré élevé d’engagement envers le G7 et ses objectifs.

[23]  En ce qui concerne la question de la crédibilité, la SAI a souligné que l’audience de la SI s’est déroulée à l’oral et que le commissaire de la SI avait jugé que le témoignage du défendeur était crédible. La SAI a également constaté que le témoignage du défendeur était cohérent d’une procédure à l’autre et que le commissaire de la SI avait fait des déductions et tiré des conclusions judicieuses à partir du témoignage fourni par le défendeur.

[24]  La SAI a conclu que la SI n’avait pas commis d’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve qui lui avaient été présentés et que le défendeur n’était pas membre du G7.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[25]  Les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

[26]  Avant la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les questions d’équité procédurale pouvaient être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au par. 72). La Cour suprême a écrit ce qui suit au paragraphe 23 de cet arrêt :

Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[27]  La lecture des paragraphes 76 et 77 de l’arrêt Vavilov nous apprend que la Cour suprême convient que « les exigences de l’obligation d’équité procédurale dans une affaire donnée […] auront une incidence sur l’exercice par une cour de justice du contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable ». À mon avis, la Cour suprême enjoint ainsi aux cours de révision d’établir tout d’abord s’il existe une obligation d’équité procédurale, puis d’appliquer ensuite la présomption quant à la norme de la décision raisonnable à l’ensemble de la décision, et ce, en tenant compte des exigences liées à l’équité procédurale (le cas échéant). Dans l’arrêt Vavilov, l’obligation d’équité procédurale avait trait à la question de savoir si des motifs à l’appui de la décision administrative étaient requis et auraient été fournis (Vavilov, au par. 78). Ayant conclu que des motifs étaient requis et avaient été fournis dans cette affaire, la Cour suprême s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la décision était raisonnable sur le fond. L’extrait suivant est également utile, puisqu’il établit une distinction entre l’obligation d’équité procédurale et l’analyse selon la norme du caractère raisonnable (Vavilov, au par. 81) :

[…] Notre analyse prend donc comme point de départ que, lorsque des motifs sont requis, ceux‑ci constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision. En conséquence, la communication des motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux‑ci sur le fond.

[28]  La norme de la décision correcte continue de s’appliquer à la question de l’équité procédurale en l’espèce.

[29]  En ce qui a trait à l’entrave de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, quelle que soit la norme de contrôle, si la SAI a entravé l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire, cela constituerait une erreur susceptible de contrôle selon l’un ou l’autre critère de contrôle et exigerait l’annulation de la décision (Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 (CanLII), aux par. 20 à 27; Gordon c Canada (Procureur général), 2016 CF 643 (CanLII) aux par. 25 à 28). Il en va de même après l’arrêt Vavilov.

IV.  Dispositions pertinentes

[30]  Voici le libellé des alinéas 34(1)b) et 34(1)f) de la LIPR :

Sécurité

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

[…]

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

Security

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[…]

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

[…]

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

[31]  Le paragraphe 25(1) des Règles de la section d’appel de l’immigration (DORS/2002‑230) (les Règles de la SAI) permet à la SAI de procéder par écrit, et se lit comme suit :

Procédures sur pièces

25 (1) La Section peut, au lieu de tenir une audience, exiger que les parties procèdent par écrit, à condition que cette façon de faire ne cause pas d’injustice et qu’il ne soit pas nécessaire d’entendre des témoins.

Proceeding in writing

25 (1) Instead of holding a hearing, the Division may require the parties to proceed in writing if this would not be unfair to any party and there is no need for the oral testimony of a witness.

V.  Analyse

A.  Les observations du demandeur

[32]  Le demandeur soutient que la SAI a violé l’obligation d’équité procédurale en refusant de procéder par voie d’audience. L’argument du demandeur est que le commissaire de la SI n’a pas effectué d’analyse de la crédibilité du défendeur et qu’en raison du refus de la SAI d’accorder une audience, le demandeur n’a pas pu contester les conclusions implicites de la décision de la SI au sujet de la crédibilité du défendeur. Le demandeur fait valoir que le choix de la SAI en ce qui a trait à la procédure a privé le demandeur du droit d’appel sur le fond prévu au paragraphe 63(5) de la LIPR, en vertu duquel le ministre a le droit de faire appel devant la SAI d’une décision de la SI dans le cadre d’une enquête.

[33]  Le demandeur renvoie à la décision Keto, aux paragraphes 16 et 20, où le juge Zinn souligne l’importance d’un tribunal qui entend les témoignages directement des témoins lorsqu’il rend de nouvelles conclusions défavorables au sujet de la crédibilité. Le demandeur soutient qu’en demandant une audience, il a agi en s’attendant raisonnablement à ce qu’il y ait une audience pour permettre à la SAI d’évaluer la crédibilité du défendeur au sujet d’éléments de preuve essentiels.

[34]  De plus, le demandeur maintient qu’il a le droit de présenter le témoignage du défendeur à la SAI pour contester les conclusions implicites de la SI au sujet de sa crédibilité. En particulier, le demandeur allègue que le défendeur a fourni des déclarations incohérentes antérieurement lorsqu’il a témoigné qu’il n’était pas pleinement conscient du contenu des dépliants qu’il a aidé à créer et à distribuer et qu’il y avait une contradiction entre les premières déclarations du défendeur lors de l’entrevue avec l’agent de l’ASFC concernant sa participation aux réunions secrètes du G7, et les déclarations ultérieures faites lors de l’audience devant la SI.

[35]  En procédant par écrit, le demandeur soutient que la SAI a essentiellement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en empêchant toute possibilité de tirer une autre conclusion sur la crédibilité du témoignage du défendeur.

[36]  En outre, le demandeur soutient que le fait que la SAI n’ait pas fourni de motifs pour justifier sa décision de procéder au moyen d’observations écrites était injuste et déraisonnable sur le plan de la procédure. Le demandeur soutient qu’il a été lésé par le résultat et que la décision de procéder par écrit équivalait à un déni du droit du ministre de participer au processus décisionnel de la SAI.

B.  Les observations du défendeur

[37]  Le défendeur soutient que la SAI n’a pas violé l’obligation d’équité procédurale en ne tenant pas d’audience. Le défendeur soutient que l’ensemble du dossier a été présenté à la SI, à la SAI au cours de la première audience, puis à la SAI au cours de la deuxième audience. Lors de la deuxième audience, la SAI a tiré des conclusions favorables au sujet de la crédibilité du défendeur.

[38]  À la lumière des conclusions de la SAI sur sa crédibilité, le défendeur soutient que les observations du demandeur ne sont pas fondées sur l’équité procédurale puisque le demandeur a eu la même possibilité que le défendeur de présenter des arguments qui figurent maintenant au dossier. Le demandeur a eu la possibilité de contester et de présenter ses inquiétudes au sujet de la crédibilité du défendeur dans ses observations écrites présentées à la SAI.

[39]  Le défendeur soutient que ses déclarations et son témoignage étaient bien connus et qu’ils avaient été vérifiés lors d’entrevues et de contre‑interrogatoires en plus d’être évalués par la SAI. Ainsi, la décision de la SAI de procéder au moyen d’observations écrites n’a pas empiété sur les attentes raisonnables du demandeur que la crédibilité du défendeur soit évaluée par la SAI.

[40]  Le défendeur conteste la lettre de réponse présentée par le ministre demandant une audience pour la deuxième procédure de la SAI. Le défendeur soutient qu’une grande partie de la lettre décrit mal ce qui s’est passé lors du premier contrôle judiciaire et que la lettre n’était pas précise quant aux inquiétudes particulières en matière de crédibilité que le ministre voulait contester. Il n’y avait aucune demande de fond quant à la raison pour laquelle le ministre avait demandé la tenue d’une procédure orale.

[41]  En outre, le défendeur considère que l’argument du demandeur sur l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est sans fondement, et soutient que la SAI a examiné tous les aspects des éléments de preuve du défendeur, y compris les observations du demandeur, et a néanmoins conclu que le défendeur était crédible. La SAI n’a pas entravé l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire puisqu’elle a pris une décision fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait.

C.  Analyse

[42]  À mon avis, la SAI n’a pas violé l’équité procédurale en refusant de tenir une audience et n’a pas non plus entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Selon l’alinéa 175(1)c) de la LIPR, la SAI a le droit de recevoir les éléments de preuve présentés dans le cadre de la procédure et de fonder sa décision sur ceux qu’elle juge crédibles. Sous réserve du principe de l’équité procédurale, la SAI a toute liberté pour ce qui concerne sa propre procédure (Yiu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 480 (CanLII), au par. 18).

[43]  Le demandeur allègue que le ministre s’attendait raisonnablement à ce qu’il y ait une audience après la décision Keto. Le demandeur s’appuie sur les commentaires du juge Zinn sur les circonstances requises pour écarter les conclusions de la SI au sujet de la crédibilité du défendeur pour soutenir son argument selon lequel la seule façon pour le ministre de contester la crédibilité des éléments de preuve serait de tenir une audience. Toutefois, le demandeur semble avoir mal interprété les conclusions de la décision Keto, et je ne suis pas convaincu que le demandeur ait eu des attentes raisonnables comme il l’a indiqué dans ses observations.

[44]  La conclusion dans la décision Keto est que la SAI avait commis une erreur en formulant de nouvelles conclusions défavorables au sujet de la crédibilité sans tenir d’audience – la Cour ne conclut ou n’ordonne nulle part dans la décision que les évaluations initiales de la crédibilité faites par la SI doivent être réévaluées. La Cour a simplement souligné que lorsque la SAI souhaite formuler des conclusions différentes – et surtout défavorables – au sujet de la crédibilité, il est dangereux de le faire uniquement en s’appuyant sur un dossier écrit.

[45]  Comme l’a fait remarquer le défendeur, la Cour n’a pas conclu que la SAI ne pouvait pas dévier des conclusions tirées. Cependant, la SAI doit avoir de très bonnes raisons pour tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du défendeur en ne s’appuyant que sur le dossier écrit. De plus, la Cour a souligné qu’il était déraisonnable que la SAI ait déformé les faits pour justifier des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité du défendeur.

[46]  La SAI a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en fondant sa décision sur le dossier écrit pour parvenir à des conclusions favorables au sujet de la crédibilité du défendeur, comme l’avait fait la SI.

[47]  Par ailleurs, le demandeur a déjà eu l’occasion de présenter des observations sur la crédibilité des éléments de preuve qu’il cherche à contester, lorsqu’il a interrogé le défendeur lors de l’audience devant la SI. Il convient de souligner qu’actuellement, deux tribunaux d’experts – ceux de la SI et de la SAI – ont eu l’occasion de formuler des conclusions au sujet de la crédibilité du défendeur, et je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur selon lequel le ministre est lésé puisque [traduction« le résultat lui a clairement causé un préjudice ».

[48]  En outre, je souligne que le demandeur ne s’est pas opposé à la procédure au moyen d’observations écrites lors du premier appel devant la SAI. Si le demandeur avait effectivement des problèmes avec les conclusions implicites au sujet de la crédibilité dans la décision de la SI et avait souhaité les contester au moyen d’une procédure orale, je trouve douteux que le demandeur ne se soit pas opposé à la procédure au moyen d’observations écrites à ce moment précis.

[49]  La SAI n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant de procéder au moyen d’observations écrites. Le demandeur a déjà eu la possibilité de présenter des observations orales et d’examiner la crédibilité du défendeur lors de l’audience de la SI (en plus de l’occasion offerte au ministre lors de l’audience de l’ASFC). En outre, il n’était pas nécessaire d’entendre le témoignage d’un témoin de vive voix puisque le défendeur avait déjà été interrogé oralement et qu’aucun nouveau témoin n’avait été convoqué pour la deuxième audience de la SAI. Ainsi, en vertu du paragraphe 25(1) des Règles de la SAI, la SAI n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en exigeant des parties qu’elles procèdent par écrit et en évaluant la crédibilité du défendeur.

[50]  De surcroît, les contestations de la crédibilité ne se limitent pas à la question de l’audience. En l’espèce, comme le ministre a déjà eu deux occasions d’examiner la crédibilité du défendeur, il avait la possibilité de contester la crédibilité du défendeur dans ses observations écrites également.

[51]  Enfin, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’absence de motifs soutenant la décision de la SAI de procéder au moyen d’observations écrites était proportionnelle à la demande d’audience du ministre – la demande manquait de spécificité et de substance. Qui plus est, le ministre n’a pas droit à une audience simplement parce qu’il en a présenté la demande : celle‑ci doit être justifiée. Le ministre aurait pu se prévaloir des autres occasions offertes, par exemple, il aurait pu tirer parti des entrevues supplémentaires de l’ASFC, ou même d’une conférence préparatoire à l’audience avant la deuxième audience de la SAI. Cependant, le ministre a simplement choisi de ne pas s’en prévaloir.

[52]  À mon avis, la décision de la SAI est raisonnable et il n’y a pas eu de violation de l’équité procédurale.

VI.  Question certifiée

[53]  Nous avons demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Chacun a affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, et je suis de leur avis.

VII.  Conclusion

[54]  La SAI n’a pas violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en refusant de procéder au moyen d’une audience ni n’a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans sa décision de le faire. La SAI, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, a déterminé qu’il convenait de procéder au moyen d’observations écrites. Le demandeur avait déjà eu la possibilité d’interroger le défendeur et de contester sa crédibilité, et ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’une audience soit tenue dans le cadre de la nouvelle décision de la SAI.

[55]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VIII.  Dépens

[56]  Le défendeur estime qu’il s’agit d’une demande frivole et vexatoire, et demande donc des dépens de 5 000 $ à l’encontre du demandeur.

[57]  Cependant, aucun motif particulier n’a été démontré en l’espèce pour accorder les dépens à l’encontre du demandeur.

[58]  Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.




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