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Date : 20200325


Dossier : IMM-4045-18

Référence : 2020 CF 424

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

FARHAD DADASHPOURLANGEROUDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Farhad Dadashpourlangeroudi [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 8 août 2018 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté deux demandes qu’il a présentées dans le but de rétablir sa demande d’asile retirée.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Contexte factuel

A.  La demande du demandeur

[3]  Le demandeur est un citoyen iranien de 52 ans. Il prétend être un homme d’affaires prospère qui était un dissident politique en Iran. Il dit avoir financé de nombreux groupes de protestation partout au pays.

[4]  Le 20 juin 2009, le demandeur a participé à une manifestation contre le gouvernement à Téhéran, où il a été arrêté par les forces de sécurité. Il dit avoir été détenu une semaine dans un centre de détention où il a été battu et interrogé.

[5]  En avril 2017, le demandeur est venu au Canada pour rendre visite à sa petite amie avec l’intention de retourner en Iran quelques mois plus tard. Toutefois, le 5 septembre 2017, son frère l’a appelé et lui a dit que le Sepah [le Corps des Gardiens de la révolution islamique] s’était rendu chez lui pour l’arrêter. Durant la fouille, le Sepah a saisi l’ordinateur portable du demandeur ainsi que divers documents d’affaires. Son frère a été emmené au poste du Sepah où il a été interrogé. À cette occasion, on a dit au frère du demandeur que ce dernier était antirévolutionnaire.

[6]  Craignant d’être attaqué par le Sepah s’il retournait en Iran, le demandeur a demandé l’asile au Canada le 1er novembre 2017.

B.  Le retrait de la demande

[7]  Le 23 mai 2018, avant l’instruction de sa demande, le demandeur a reçu un appel téléphonique de la part de son frère et de son fils en Iran. Ils lui demandaient de rentrer au pays, faute de quoi le Sepah mettrait ses menaces à exécution et les emprisonnerait.

[8]  Le lendemain, le 24 mai 2018, le demandeur a décidé de retirer sa demande de sorte qu’il puisse retourner en Iran. Il a reçu un avis écrit confirmant son retrait le 25 mai 2018.

[9]  Toutefois, le 27 mai 2018, le demandeur a reçu un autre appel téléphonique de la part de son frère et de son fils, qui lui ont annoncé qu’ils s’étaient réfugiés dans la clandestinité. Ils ont averti le demandeur qu’il serait immédiatement arrêté et emprisonné s’il retournait en Iran.

[10]  Le demandeur a déposé deux demandes visant à rétablir sa demande d’asile retirée. Toutes deux ont été rejetées.

C.  La première demande visant à rétablir la demande d’asile

[11]  Le 28 mai 2018, le demandeur a remis une lettre manuscrite à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] dans laquelle il lui demandait de rétablir sa demande d’asile. Il a fait valoir qu’au moment de présenter sa demande de retrait, il subissait beaucoup de pression et de stress et avait des problèmes familiaux. Il a par la suite pris conscience qu’il serait arrêté à l’aéroport s’il retournait en Iran.

[12]  Quelques jours plus tard, la CISR a informé le demandeur qu’il devait remplir une demande pour rétablir sa demande d’asile conformément aux Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles], et qu’il devrait faire appel à un conseil.

[13]  Le 11 juin 2018 ou aux environs de cette date, le demandeur a retenu les services d’un conseil à cette fin.

[14]  La première demande, apparemment en bonne et due forme, a été présentée par le demandeur le 12 juin 2018.

[15]  Le 20 juin 2018, la SPR a avisé le demandeur qu’une [traduction] « preuve de respect des règles » était requise, puisque la demande ne semblait pas avoir été envoyée au ministre comme l’exige le paragraphe 60(2) des Règles. Il ressort du dossier de la SPR que le conseil a été avisé qu’il devait présenter à nouveau la demande.

[16]  Le 20 juin 2018, la demande a été renvoyée à la SPR par télécopieur. On y confirmait qu’à l’origine, celle‑ci avait par inadvertance été envoyée à la CISR par service postel et au ministre par télécopieur.

[17]  Le 10 juillet 2018, la SPR a rejeté la demande pour les quatre motifs suivants :

  1. Les coordonnées du demandeur étaient manquantes;

  2. La demande initiale n’était pas fournie;

  3. L’affidavit initial n’était pas fourni;

  4. Il n’y avait pas de déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon une copie de la demande avait été transmise au ministre.

Le formulaire contenait également la note suivante : [traduction] « Voir les Règles de la SPR, y compris l’al 50(5)b) et le para 60(2). »

D.  La seconde demande visant à rétablir la demande d’asile

[18]  Le 11 juillet 2018, le demandeur a présenté une seconde demande visant à rétablir sa demande retirée. Le dossier de la demande contenait une preuve de signification à la CISR et au ministre, un affidavit souscrit par le demandeur, ainsi que des observations en faveur du rétablissement de la demande retirée.

[19]  Une copie intégrale de la demande précédente, y compris l’affidavit du demandeur, avait également été présentée. Dans son affidavit, le conseil expliquait qu’il avait utilisé le service postel par erreur et que cette erreur n’avait causé aucun retard déraisonnable, puisque la demande précédente avait bien été reçue par la SPR.

[20]  Le demandeur a fait valoir qu’il était dans l’intérêt de la justice naturelle d’accueillir la demande et de rétablir sa demande d’asile.

[21]  La seconde demande du demandeur visant à rétablir sa demande d’asile, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, a été rejetée par la SPR le 8 août 2018.

III.  Dispositions législatives applicables

[22]  L’article 60 des Règles établit la procédure à suivre pour présenter une demande visant à rétablir une demande d’asile retirée et précise les facteurs dont la SPR doit tenir compte pour déterminer s’il convient de rétablir la demande :

Demande de rétablissement d’une demande d’asile retirée

60 (1) Toute personne peut demander à la Section de rétablir une demande d’asile qu’elle a faite et ensuite retirée.

Forme et contenu de la demande

(2) La personne fait sa demande conformément à la règle 50, elle y indique ses coordonnées et, si elle est représentée par un conseil, les coordonnées de celui-ci et toute restriction à son mandat et en transmet une copie au ministre.

Éléments à considérer

(3) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi ou qu’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire.

Éléments à considérer

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment le fait que la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard.

Demande subséquente

(5) Si la personne a déjà présenté une demande de rétablissement qui a été refusée, la Section prend en considération les motifs du refus et ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve.

 

Application to reinstate withdrawn claim

60 (1) A person may make an application to the Division to reinstate a claim that was made by the person and was withdrawn.

Form and content of application

(2) The person must make the application in accordance with rule 50, include in the application their contact information and, if represented by counsel, their counsel’s contact information and any limitations on counsel’s retainer, and provide a copy of the application to the Minister.

Factors

(3) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or it is otherwise in the interests of justice to allow the application.

Factors

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay.

Subsequent application

(5) If the person made a previous application to reinstate that was denied, the Division must consider the reasons for the denial and must not allow the subsequent application unless there are exceptional circumstances supported by new evidence.

[23]  L’article 50 des Règles, auquel renvoie le paragraphe 60(2), prévoit que toute demande doit être faite par écrit et énoncer la décision recherchée ainsi que les motifs pour lesquels celle‑ci devrait être rendue. Il dispose que tout élément de preuve qui sera soumis à l’examen de la SPR doit être énoncé dans un affidavit joint à la demande. Le paragraphe 50(5), qui est mentionné dans la décision, prévoit que la partie qui fait une demande doit transmettre à l’autre partie une copie de la demande ainsi que tout affidavit. Elle doit également fournir les documents originaux à la SPR accompagnés d’une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon la copie a été transmise à l’autre partie.

IV.  Question en litige et norme de contrôle

[24]  La seule question à trancher consiste à savoir si la SPR a commis une erreur en décidant de ne pas rétablir la demande d’asile du demandeur.

[25]  Il existe une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, puisque la SPR interprétait sa loi constitutive et que la question examinée était une question mixte de fait et de droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 54; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 10 [Vavilov].

[26]  La présomption relative à la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée à la lumière des faits.

V.  Analyse de la décision

[27]  La décision porte sur : 1) les motifs du rejet de la première demande de rétablissement et 2) les motifs pour lesquels la seconde demande de rétablissement a été rejetée.

A.  Motifs pour lesquels la première demande a été rejetée

[28]  Dans la première partie de sa décision, la SPR souligne que la première demande a été rejetée le 10 juillet 2018, car la forme et le contenu de la demande ne satisfaisaient pas aux exigences procédurales établies à l’alinéa 50(5)b) et au paragraphe 60(2) des Règles. Toutefois, après avoir tenu compte de la preuve présentée subséquemment, y compris de captures d’écran montrant que la demande avait été signifiée au défendeur, la SPR a conclu que la demande initiale avait été correctement signifiée le 12 juin 2018.

[29]  La SPR a également souligné qu’il n’y avait pas d’explication raisonnable pour justifier les erreurs initiales, l’omission de fournir une preuve de signification ainsi que le défaut de fournir les versions originales de la demande et de l’affidavit. La SPR a assimilé ces erreurs à de la négligence.

[30]  Toutefois, la SPR a tenu compte du fait que le fond de la demande de rétablissement et les motifs invoqués à l’appui de cette dernière n’avaient pas été évalués lors du premier rejet par un autre commissaire de la SPR. La SPR a reconnu que la preuve de signification constituait un nouvel élément de preuve à prendre en considération et a établi que, dans l’intérêt de la justice naturelle au sens du paragraphe 60(3) des Règles, elle examinerait le bien‑fondé des deux demandes.

[31]  Un des aspects d’une décision raisonnable est l’appréciation par le tribunal administratif de la loi applicable au moment de rendre la décision faisant l’objet du contrôle. En rejetant la première demande de rétablissement, la SPR a reconnu que les facteurs énoncés au paragraphe 60(3) des Règles s’appliquaient :

[traduction]

Compte tenu des circonstances dans lesquelles la demande d’asile a été retirée et de la raison invoquée par le demandeur pour justifier le rétablissement de sa demande, je conclus que le rejet de la demande de rétablissement n’a pas entraîné de manquement aux principes de justice naturelle. Je conclus qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice naturelle de faire droit à la demande.

[32]  Trois motifs ont été invoqués par la SPR pour expliquer le rejet de la première demande de rétablissement du demandeur.

[33]  La SPR a conclu que, malgré que le demandeur était stressé et sous pression, rien n’indiquait qu’il a été contraint de retirer sa demande. Après avoir évalué la demande et l’affidavit du demandeur, la SPR a plutôt estimé que ce dernier avait pris la décision personnelle et volontaire de retirer sa demande. La SPR a également souligné que le demandeur avait la possibilité de consulter le conseil qui l’avait précédemment représenté et d’obtenir son avis relativement au retrait de sa demande.

[34]  La SPR a souligné que dans son Formulaire de fondement de la demande d’asile du 1er novembre 2017, le demandeur affirmait qu’il était déjà recherché par la police iranienne bien avant que sa famille ne soit menacée.

[35]  La SPR a estimé qu’il n’était pas clair pourquoi le demandeur n’a pas reconnu le danger persistant auquel il s’exposerait s’il retirait sa demande d’asile, ni pourquoi il avait besoin que sa famille lui rappelle qu’il serait arrêté s’il retournait en Iran.

[36]  La SPR a exposé les critères énoncés au paragraphe 60(3) des Règles, puis a fourni des motifs clairs et convaincants pour conclure qu’ils n’avaient pas été respectés. Les faits examinés dans les motifs ne laissent aucun doute sur le raisonnement que la SPR a suivi pour rejeter la première demande de rétablissement. Le dossier original soutient cette conclusion.

[37]  Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique et ne pas contenir de faille décisive dans la logique globale. L’analyse, qui tient compte du dossier original, devrait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait : Vavilov, aux para 102‑103.

[38]  Je suis convaincue que les motifs fournis par la SPR pour rejeter la première demande de rétablissement satisfont aux critères susmentionnés établis dans l’arrêt Vavilov. À cet égard, le rejet de la première demande de rétablissement était raisonnable.

B.  Motifs pour lesquels la seconde demande a été rejetée

[39]  La SPR a souligné que, suivant le paragraphe 60(5) des Règles, une demande subséquente visant le rétablissement d’une demande retirée n’est accueillie qu’en cas de circonstances exceptionnelles.

[40]  Citant le juge Phelan dans la décision Ohanyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1078 [Ohanyan], la SPR a souligné que le rétablissement constitue l’exception, et non la norme. Il ne vise pas à protéger les demandeurs des conséquences de la conduite qu’ils ont librement choisi d’adopter.

[41]  Au moment de déterminer si le demandeur avait librement choisi de retirer sa demande, la SPR a conclu que rien n’indiquait que l’état d’esprit du demandeur l’aurait amené à prendre une décision irrationnelle.

[42]  La SPR a réitéré que le demandeur a pris la décision personnelle et volontaire de retirer sa demande d’asile et qu’il n’a pas été contraint de le faire. Il avait la possibilité de consulter son conseil. Il était pleinement et personnellement au courant de la situation qui régnait en Iran au moment où il a décidé de retirer sa demande.

[43]  Par la suite, la SPR a conclu avoir soupesé l’ensemble des circonstances en prenant la décision de rejeter la seconde demande visant à rétablir la demande d’asile retirée.

[44]  Là encore, je ne vois aucune erreur dans les motifs invoqués par la SPR pour rejeter la seconde demande. Ils sont rationnels et logiques, clairs et cohérents, et sont appuyés par le dossier original. La décision satisfait à la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[45]  Il se peut fort bien que le demandeur ait pris une décision irréfléchie qu’il a ensuite regrettée. Toutefois, tel qu’il est énoncé dans la décision Ohanyan et comme l’a conclu la SPR au regard des faits, il s’agissait des conséquences d’une conduite qu’il a librement choisi d’adopter et que les Règles ne visent pas à protéger.

VI.  Conclusion

[46]  Pour tous les motifs qui précèdent, la demande est rejetée sans frais.

[47]  Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question à certifier, et aucune n’a été proposée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4045-18

LA COUR DÉCLARE que la présente demande est rejetée sans frais. Les faits de l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4045-18

 

INTITULÉ :

FARHAD DADASHPOURLANGEROUDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Aminder K. Mangat

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AKM Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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