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Date : 20200331


Dossier : IMM-2201-19

Référence : 2020 CF 465

Ottawa, Ontario, le 31 mars 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

OTHMAN HUSHAM QASIM QASIM

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Le demandeur réclame le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas de l’ambassade du Canada en Turquie rendue le 7 février 2019 concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pour être considéré comme étant un réfugié.

[2]  Le demandeur allègue que l’agent n’a pas tenu compte de tous les risques advenant son retour en Irak. Or, une lecture des motifs de la décision révèle que l’agent a été attentif aux préoccupations soulevées par le demandeur.

[3]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[4]  Le demandeur est citoyen d’Irak. Le demandeur et sa famille ont résidé à Bagdad, en Irak, jusqu’en 2005. Cette année-là, ils ont quitté l’Irak après que le père du demandeur a reçu un appel de menaces qui lui sommait de payer de l’argent à défaut de quoi il serait tué par des milices. Cependant, le demandeur a admis qu’il ne sait pas qui était à l’autre bout du fil ni les raisons pour lesquelles son père a reçu l’appel.

[5]  À la suite de l’appel, la famille s’est relocalisée en Irak, de Bagdad à Anbar. Le demandeur affirme que le système d’éducation n’était pas d’un niveau suffisant et qu’en conséquence, la famille a quitté l’Irak en 2006 pour la Syrie. La famille est demeurée en Syrie jusqu’en 2010.

[6]  En octobre 2010, le demandeur a quitté la Syrie pour le Liban afin de poursuivre ses études postsecondaires. Sa famille est retournée en Irak en raison de l’emploi du père du demandeur. Son père est avocat dans un cabinet de Bagdad. Le demandeur est resté au Liban jusqu’en mai 2016.

[7]  En mai 2016, le demandeur est retourné en Irak en raison de problèmes de visa. Le demandeur prétend avoir dû, pendant qu’il était en Irak, payer un pot-de-vin pour franchir un poste de contrôle.

[8]  En décembre 2016, le demandeur a quitté l’Irak pour la Turquie. Il prétend que son départ de l’Irak était motivé par l’enlèvement du fils d’un voisin, qui aurait été libéré après le paiement d’une somme d’argent (environ 60 000 $ en devises américaines). De plus, le demandeur a témoigné qu’il avait aussi peur de retourner en Irak en raison d’une collision qu’il a eue sur la route avec une voiture contenant plusieurs passagers habillés comme des miliciens. Même s’il n’était pas responsable de la collision, le demandeur a dédommagé les passagers de l’autre voiture.

[9]  Le 13 septembre 2017, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou dans la catégorie de personnes de pays d’accueil. Dans sa demande d’asile, le demandeur a indiqué qu’il était un réfugié depuis 2004 (soit un an avant l’appel de menaces de 2005) en raison de l’instabilité civile et de la violence en Irak.

[10]  Selon ma lecture du dossier, le demandeur n’a pas déposé de preuve documentaire ni d’autres éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile.

[11]  En mars 2018, le demandeur est retourné à Bagdad pour une période de 10 jours parce que son père éprouvait des problèmes de santé. Le demandeur n’a pas indiqué qu’il avait rencontré des problèmes lors de sa visite à Bagdad. D’après ce que je comprends du reste du texte, ils vivent encore à Bagdad.

[12]  Le 14 janvier 2019, le demandeur a été rencontré en entrevue par un agent des visas, en présence d’un interprète. Lors de l’entrevue, le demandeur a témoigné que les milices n’aimaient pas son nom, car son nom est d’origine sunnite. En même temps, le demandeur a admis ne pas avoir personnellement subi de difficultés en Irak puisqu’avant son départ, il était prudent et habitait dans le petit village d’Anbar.

III.  Décision

[13]  Comme le demandeur n’était pas au Canada au moment où il a présenté sa demande de visa de résident permanent, sa demande a été examinée dans la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, ainsi que dans celle des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. Dans une décision rendue le 7 février 2019, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’était pas admissible à l’immigration au Canada.

[14]  Dans une lettre adressée au demandeur, l’agent indique qu’il croit que les allégations du demandeur (c.-à-d. l’incident au poste de contrôle, l’enlèvement et l’accident de voiture) ne démontrent pas une persécution, mais sont plutôt le fait de la criminalité généralisée en Irak. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas gravement touché par la situation périlleuse en Irak, à l’exception de l’appel téléphonique de menaces reçu par son père en 2005. Pour ces raisons, l’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée à titre humanitaire outre-frontières.

[15]  L’agent a exposé son raisonnement dans des notes inscrites dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC]. Dans ses notes, l’agent a résumé les événements relatés par le demandeur et a conclu simplement qu’ils étaient le fait de la criminalité généralisée en Irak. L’agent a noté que le demandeur avait eu l’occasion de répondre à ses doutes concernant sa crainte.

IV.  Question en litige

[16]  Le présent litige soulève une question : la décision de l’agent est-elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[17]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême a établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Dans ce cadre d’analyse, le point de départ est la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov au para 17). En l’espèce, aucune des situations justifiant que l’on déroge à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. La décision de l’agent des visas est assujettie à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov aux paras 73-142).

VI.  Analyse

A.  Catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières

[18]  Le demandeur tient à rappeler à la Cour que, bien que la tendance d’un tribunal de révision soit de faire preuve de déférence envers le tribunal administratif, « [t]outefois, il ne s’agit pas d’une “simple formalité” ni d’un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes. Ce type de contrôle demeure rigoureux » (Vavilov au para 13).

[19]  De manière générale, le demandeur allègue que la décision de l’agent des visas est entachée par l’omission de trois détails importants liés à sa situation.

1)  Le temps en Irak

[20]  Le demandeur prétend que l’agent des visas a commis une erreur révisable lorsqu’il n’a pas pris en compte le fait que le demandeur avait passé très peu de temps en Irak et que ce pays présentait plusieurs dangers pour lui. En particulier, l’agent ne semble pas avoir considéré la possibilité que le demandeur soit capturé par une milice chiite rebelle ni le caractère suffisant de la protection étatique en Irak.

[21]  Le défendeur soutient que l’agent des visas a tenu compte du fait que le demandeur avait passé la majeure partie du temps depuis 2006 à l’extérieur de l’Irak. Le défendeur estime qu’il est révélateur que le demandeur n’ait pu faire état d’aucun problème vécu par sa famille en Irak.

[22]  Dans les notes du SMGC, l’agent fait mention des déménagements du demandeur :

[traduction]

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait quitté l’Irak, le DP [demandeur principal] a expliqué qu’il était parti pour la première fois en 2005 parce que son père avait reçu un appel de menaces cette année-là. Son père s’était fait demander de payer de l’argent, sinon il allait être tué. Le DP a affirmé que la raison pour laquelle son père avait reçu cet appel n’était pas claire, mais que les milices n’avaient pas besoin de raison précise pour menacer les gens. Après ces menaces, le DP a quitté Bagdad pour Anbar avec sa famille, mais le système d’éducation là-bas n’était pas d’un assez bon niveau, donc ils ont déménagé en Syrie en 2006. Le DP y est resté jusqu’en 2010. Le DP et sa famille habitaient à Homs. Son père se déplaçait entre la Syrie et l’Irak pour son travail d’avocat [certains de ces renseignements ont été discutés plus tôt dans l’entrevue]. De 2010 à 2016, le DP a vécu au Liban et y a fréquenté l’université. En mai 2016, le DP est retourné à Bagdad, parce qu’il ne pouvait plus rester au Liban pour des raisons de visa.

Lorsqu’on a demandé au DP si un problème ou un incident particulier l’avait incité à quitter l’Irak en 2016, il a répondu qu’il y avait des problèmes en général et il a mentionné l’enlèvement du fils de son voisin, pour lequel les ravisseurs avaient exigé une rançon de 60 000 $ US. Lorsque la famille a payé, il a été libéré. Après s’être fait demander s’il savait pourquoi le fils de son voisin avait été enlevé, le DP a répondu que, dans 90 % des cas de personnes se faisant tuer ou enlever, c’était pour une raison d’argent. Il a affirmé qu’il ne croyait pas que l’enlèvement était dû à une question de religion. Le DP a ensuite parlé d’un incident : il était au volant lorsqu’il a eu un accident avec une voiture pleine de gens qui, d’après lui, appartenaient à une milice, en raison de la façon dont ils étaient habillés. Parce qu’il avait peur des miliciens, il a versé un dédommagement pour l’accident même si l’accident n’était pas sa faute.

Lorsqu’on lui a demandé si sa famille avait eu des problèmes avec les milices depuis que son père avait reçu des menaces en 2005, le DP a répondu que plusieurs membres de sa famille habitaient à l’extérieur de Bagdad, certains en Irak, en Jordanie, en Syrie, aux Émirats arabes unis ou au Canada, et que ceux qui habitaient à Bagdad habitaient dans certains quartiers, comme la zone verte, et n’en sortaient pas.

Le DP a quitté l’Irak pour se réfugier en Turquie le 14 décembre 2016. Cependant, le DP est retourné en Irak où il est resté du 6 mars au 16 mars 2018, quand son père a souffert de problèmes d’estomac et d’hypertension artérielle. Il a déclaré ne pas avoir eu de problèmes lorsqu’il a rendu visite à son père en mars 2018. Sa famille habite dans le quartier Adamiyah de Bagdad.

Le DP a affirmé que certaines milices n’aimaient pas son nom [il a mentionné que certaines milices n’aiment pas la ville où il est enregistré et qui figure sur sa carte d’identité irakienne], mais il a dit ne pas avoir eu de problèmes aux postes de contrôle parce qu’il a été prudent. De plus, personnellement, il ne connaît personne portant le même nom que lui qui aurait eu des problèmes à cause de ce nom. Le DP a donné des exemples de ce qu’il a vécu, comme le fait de passer par des postes de contrôle ou l’accident de voiture avec des membres d’une milice, mais il ne semble pas que ces incidents constituent de la persécution. Le DP a lui-même admis à l’entrevue que « n’importe qui aurait pu se trouver dans la même situation ».

En outre, je vois que les parents du DP vivent à Bagdad et y vivent depuis plusieurs années. Le DP est allé rendre visite à son père en 2018 (je note que c’est en raison des problèmes d’hypertension artérielle et d’estomac de son père), mais il n’a subi aucune difficulté durant son séjour de 10 jours.

Étant donné la déclaration du DP selon laquelle il n’avait eu aucun problème durant ce séjour, il ne semble pas que le DP ait eu des problèmes aux postes de contrôle sur le chemin entre l’aéroport et le domicile de sa famille à Bagdad lors de son séjour.

[…]

En ce qui concerne l’équité procédurale, ces doutes ont été communiqués au demandeur en même temps qu’il a été avisé que sa demande pourrait être rejetée. Le DP affirme qu’il n’a pas été ciblé parce que ça fait 14 ans qu’il n’habite plus en Irak, donc personne ne le connaît. Le DP a aussi affirmé qu’il n’affiche rien sur Facebook, mais qu’il ne peut pas non plus s’adapter à la mentalité de sa société, qui est sous l’influence des milices et où on ne peut exprimer librement son opinion. Le DP a également déclaré que son père ne quittait pas le pays à cause de son travail d’avocat, qui est en Irak. Il a aussi répété qu’il y du danger à quitter son quartier en raison des différents postes de contrôle qu’il pourrait avoir à traverser. Il affirme qu’il pourrait avoir des problèmes s’il quittait son quartier et qu’il a laissé passer des occasions d’emploi en raison des postes de contrôle qu’il pourrait avoir à traverser pour se rendre au travail.

[Je souligne.]

[23]  À la lecture de ces notes, il semble que l’agent a effectué une analyse guidée par le fait que le demandeur a passé peu de temps en Irak après 2006.

[24]  Je note que l’agent a fait mention de tous les déménagements du demandeur (à Anbar en 2005, en Syrie en 2006, au Liban en 2010, à Bagdad en mai 2016, en Turquie en décembre 2016), ainsi que de son bref séjour en Irak en mars 2018. De plus, l’agent a noté que les parents du demandeur vivent à Bagdad depuis plusieurs années.

[25]  Par souci d’équité procédurale, l’agent a communiqué ses doutes sur les craintes soulevées par le demandeur lors de l’entrevue. Le demandeur a répondu qu’il n’était pas ciblé par les milices parce qu’il avait été absent du pays pendant 14 ans.

[26]  De plus, le demandeur a dit qu’il ne pourrait pas sortir de son quartier à Bagdad parce qu’il serait exposé aux risques associés aux postes de contrôle. Le demandeur n’a pas mentionné d’incident qui le concerne personnellement afin d’étayer cette crainte spéculative.

[27]  Force est de constater que l’agent était conscient du fait que le demandeur avait peu vécu en Irak et qu’il a laissé au demandeur la chance de donner des précisions sur la nature de ses craintes par rapport à l’Irak.

[28]  Alors, j’estime que l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée parce que l’agent a pris en considération les faits et les préoccupations soulevés par le demandeur (Vavilov aux paras 125-128).

2)  Son nom sunnite

[29]  Le demandeur prétend que l’agent des visas a commis une erreur révisable lorsqu’il n’a pas pris en compte les risques associés à son nom sunnite dans l’analyse des risques de persécution en Irak. Selon le demandeur, son nom d’origine sunnite (Othman) le rend particulièrement à risque d’être ciblé par des milices chiites en Irak et surtout aux postes de contrôle.

[30]  Le défendeur soutient que l’agent n’a pas ignoré la situation des sunnites puisqu’il a abordé cette question lors de l’entrevue. Selon le défendeur, le demandeur n’a fourni aucun détail pour étayer son allégation selon laquelle il était exposé à un risque en raison de son nom.

[31]  Dans ses notes du SMGC, l’agent a noté la crainte du demandeur par rapport à son nom :

[traduction]

Plus tôt dans l’entrevue, le DP a dit en passant que les milices n’aimaient pas son nom, Othman. Le DP s’est fait demander des précisions à ce sujet, et il a affirmé que les milices chiites n’aimaient pas son nom, car c’était un nom sunnite, et que ça « pouvait causer des problèmes ». Lorsqu’on lui a demandé s’il avait eu de la difficulté à passer les postes de contrôle, le DP a affirmé qu’il n’avait pas eu de difficulté à passer les postes de contrôle parce qu’il évitait de conduire à l’extérieur de son quartier, qui est sunnite. Lorsqu’on lui a demandé s’il connaissait ou avait entendu parler de personnes ayant eu des problèmes parce qu’elles portaient le nom Othman, le DP a affirmé qu’en 2005 et en 2006, de nombreux sunnites ont été tués en raison de leur nom et des renseignements figurant sur leurs pièces d’identité, mais que, personnellement, il ne connaissait personne qui avait été visé et qu’il avait peu d’amis.

[…]

Le DP a affirmé que certaines milices n’aimaient pas son nom [il a mentionné que certaines milices n’aiment pas la ville où il est enregistré et qui figure sur sa carte d’identité irakienne], mais il a dit ne pas avoir eu de problèmes aux postes de contrôle parce qu’il a été prudent. De plus, personnellement, il ne connaît personne portant le même nom que lui qui aurait eu des problèmes à cause de ce nom. Le DP a donné des exemples de ce qu’il a vécu, comme le fait de passer par des postes de contrôle ou l’accident de voiture avec des membres d’une milice, mais il ne semble pas que ces incidents constituent de la persécution. Le DP a lui-même admis à l’entrevue que « n’importe qui aurait pu se trouver dans la même situation ».

[32]  Contrairement aux allégations du demandeur, j’estime que l’agent a pris en compte son nom d’origine sunnite comme motif de risque. L’agent a mentionné ce risque à deux reprises, mais il a conclu que ce risque ne constituait pas de la persécution parce que le demandeur a indiqué que ni lui ni son entourage n’avait éprouvé de difficulté en traversant les postes de contrôle.

[33]  Encore une fois, je trouve que l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée parce que l’agent a pris en considération les faits et les préoccupations soulevés par le demandeur (Vavilov aux paras 125-128).

3)  Notes d’entrevue incomplètes

[34]  Le demandeur prétend que l’agent des visas a commis une erreur révisable en omettant de mentionner le fait qu’une voiture l’avait suivi pendant plusieurs minutes avant de percuter sa voiture délibérément. Selon le demandeur, cet incident démontre qu’il a été personnellement ciblé par des milices en Irak.

[35]  Le défendeur soutient qu’une lecture attentive des notes et des motifs démontre que tous les éléments pertinents ont été considérés par l’agent.

[36]  Dans deux affidavits (dont la date est postérieure à la décision contestée), le demandeur affirme qu’il a expliqué à l’agent avoir été ciblé par des milices qui l’ont identifié comme sunnite et avoir été pourchassé pendant quelques minutes avant l’accident de voiture. Cependant, aucun des affidavits ne mentionne les motivations précises des personnes impliquées dans l’accident ni les questions précises posées par l’agent lors de l’entrevue.

[37]  Selon les notes sommaires de l’entrevue, le demandeur a témoigné qu’il avait peur de retourner en Irak après une collision avec une voiture contenant plusieurs passagers habillés comme des miliciens, malgré le fait qu’il ait concédé que la voiture ne l’avait pas percuté intentionnellement :

[traduction]

Q. : Pensez-vous que c’était un problème de religion? R. : Dans ce cas, précisément, je ne sais pas. Mais je ne crois pas que c’était à propos d’un problème d’impiété dans ce cas. Mais pour d’autres qui ont été tués ou enlevés, peut-être, oui. Pour les personnes qui n’ont pas la milice derrière eux, ils pensent que c’est une personne qui est facile à tuer ou à enlever. Aussi, il y a quelque chose qui est arrivé […] ma mère et moi étions en voiture. Quelqu’un m’a percuté à l’arrière. À le regarder, je pouvais voir qu’il était un milicien. Même si l’accident n’était pas notre faute, j’ai dû le payer. J’avais peur qu’il me fasse mal. Ils étaient cinq dans la voiture, et ma mère était avec moi. Il y avait un policier tout proche. Il voyait ce qui se passait, mais il ne s’est pas approché parce qu’il voyait que c’était des gens de la milice.

Q. : Est-ce qu’il vous a percuté délibérément? R. : Non.

[Je souligne.]

[38]  Dans les notes du SMGC justifiant la décision, l’agent a noté à deux reprises l’accident de voiture et la crainte du demandeur par rapport à son nom :

[traduction]

Le DP a ensuite parlé d’un incident : il était au volant lorsqu’il a eu un accident avec une voiture pleine de gens qui, d’après lui, appartenaient à une milice, en raison de la façon dont ils étaient habillés. Parce qu’il avait peur des miliciens, il a versé un dédommagement pour l’accident même si l’accident n’était pas sa faute.

Le DP a donné des exemples de ce qu’il a vécu, comme le fait de passer par des postes de contrôle ou l’accident de voiture avec des membres d’une milice, mais il ne semble pas que ces incidents constituent de la persécution. Le DP a lui-même admis à l’entrevue que « n’importe qui aurait pu se trouver dans la même situation ».

[39]  La lettre de décision fait également mention de l’accident de voiture :

[traduction]

Vous avez donné quelques exemples de ce que vous avez vécu, comme le passage à des postes de contrôle, l’accident de voiture avec des membres d’une milice et l’enlèvement du fils de votre voisin, entre autres choses dont il a été discuté à l’entrevue. Cependant, il ne semble pas que ces incidents constituent de la persécution. Je vous ai parlé de mes doutes à l’entrevue et vous ai donné l’occasion d’y répondre, mais votre réponse ne les a pas dissipés.

[40]  Bien que l’agent n’ait pas mentionné tous les détails liés à l’accident de voiture, je crois qu’une lecture des motifs démontre qu’il a répondu aux préoccupations du demandeur. Je constate, à la lecture de ces extraits, que l’agent a minimisé la valeur probante de l’accident de voiture parce que le demandeur avait admis que [traduction] « n’importe qui pourrait se trouver dans une situation semblable ».

[41]  J’ai également lu l’affidavit supplémentaire du demandeur, mais je dois admettre que la transcription se comprend très clairement, et le demandeur n’a pas soutenu que cet échange n’avait pas eu lieu et n’a pas contesté la description de son aveu.

[42]  Je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse de l’agent. Dans ce contexte, le décideur administratif n’est pas obligé de cataloguer tous les détails associés à chaque allégation (Vavilov au para 128). En l’espèce, l’agent a pris en considération la preuve testimoniale du demandeur et les préoccupations soulevées par ce dernier. Même si on acceptait les détails soulevés par le demandeur par affidavit, il ne serait pas déraisonnable de conclure que les faits allégués par le demandeur ne constituent pas de la persécution.

[43]  En fin de compte, l’agent a déterminé que les craintes du demandeur concernant un retour en Irak étaient fondées sur la situation peu sécuritaire généralisée dans le pays, et non sur une crainte de persécution pour l’un des motifs énoncés dans la Convention.

[44]  Je ne vois rien de déraisonnable dans cette décision.

B.  Catégorie de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières - catégorie de personnes de pays d’accueil

[45]  L’article 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], prévoit les critères concernant la catégorie de « personnes de pays d’accueil » :

Catégorie de personnes de pays d’accueil

Member of country of asylum class

 

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

 

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

 

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

[46]  En ce qui concerne les critères d’admissibilité de la catégorie de personnes de pays d’accueil, à part l’incident impliquant son père en 2005, l’agent a estimé que le demandeur n’avait pas subi de conséquences graves et personnelles causées par une guerre civile, un conflit armé ou des violations massives des droits de la personne dans le pays dont il a la citoyenneté.

[47]  Les notes de l’agent des visas comprennent ce qui suit :

[traduction]

Ai informé le DP [demandeur principal] que j’examinais sa demande strictement dans le cadre d’une évaluation du statut de réfugié et, étant donné son niveau d’études, qu’il pourrait penser à faire une demande au titre des programmes en immigration économique.

[48]  Le demandeur cite la décision Saifee c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 589, pour soutenir que les personnes qui présentent une demande au titre de la catégorie de personnes de pays d’accueil ne doivent pas nécessairement répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention. Ainsi, le juge Mainville déclare au paragraphe 39 :

Les membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil n’ont pas à remplir les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention, ni donc à prouver qu’ils craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. Ils doivent en revanche prouver qu’ils ont été déplacés hors du pays dont ils ont la nationalité et dans lequel ils avaient leur résidence habituelle, qu’une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour eux et qu’aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à leur égard, réalisable ailleurs dans un délai raisonnable.

[49]  Le demandeur soutient que c’était une erreur de la part de l’agent des visas de limiter son évaluation à la question de savoir si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention.

[50]  Le défendeur s’oppose à ce que la Cour se penche sur cet argument, car le demandeur l’a présenté pour la première fois devant moi et ne l’a pas invoqué dans son mémoire, ni dans son mémoire en réplique, ni dans son mémoire supplémentaire. Dans ses observations écrites, le demandeur s’est limité à la question de l’article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Par conséquent, cet argument ne devrait pas être examiné par notre Cour.

[51]  Je reconnais qu’il s’agit d’une nouvelle question qui n’a pas été soulevée dans les observations écrites du demandeur, mais je pense pouvoir en disposer très rapidement.

[52]  Je reconnais qu’il existe un « devoir des agents à l’étranger d’examiner tous les motifs juridiques d’une demande d’asile en fonction des éléments de preuve[, qui] découle d’un cas d’espèce canadien touchant le droit des réfugiés » (Barak c Canada (Citoyenneté et de l’immigration), 2017 CF 648 au para 11; citant Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689). Cependant, il est évident que c’est précisément ce qu’a fait l’agent des visas.

[53]  Selon les notes sommaires de l’entrevue, l’agent des visas s’est occupé de cette question. Dans sa décision écrite, l’agent des visas a indiqué :

[traduction]

En ce qui concerne le critère d’admissibilité dans la catégorie de personnes du pays d’accueil, vous avez affirmé que votre père a reçu un appel de menaces en 2005. Cependant, hormis cet incident, vous ne semblez pas avoir subi de conséquences graves et personnelles en raison d’une guerre civile, d’un conflit armé ou d’une violation massive des droits de la personne dans le pays dont vous avez la nationalité.

[54]  De plus, le demandeur est retourné en Irak en 2016 et en 2018, un fait qui n’est pas passé inaperçu.

[55]  Ceci n’est pas une situation où « [o]n ne voit aucune analyse dans la décision de l’agent des exigences » de l’article 147 du RIPR (Taman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 17 au para 13), et je ne pense pas que l’agent des visas ait été obligé de répéter ses conclusions concernant les autres éléments pertinents de la demande du demandeur qu’il avait examinés dans le cadre de l’analyse au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières :

La cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus. Elle peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question. Cela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‑mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence. Ainsi, les parties adverses ont pu faire des concessions pour éviter que le décideur n’ait à trancher une question. De même, un décideur a pu suivre une jurisprudence administrative bien établie sur une question qu’aucune partie n’a contestée au cours de l’instance. Ou encore, un décideur a pu adopter une interprétation énoncée dans une politique d’interprétation publiée par l’organisme administratif dont il fait partie.

(Vavilov au para 94.)

[56]  Finalement, je ne pense pas que le fait que l’agent des visas ait affirmé n’avoir examiné la demande que [traduction] « dans le cadre d’une évaluation du statut de réfugié » signifie qu’il n’a pas tenu compte de la question de la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’agent des visas essayait simplement de faire une distinction entre son rôle à l’époque et la possibilité pour le demandeur de demander un visa dans la catégorie de l’immigration économique.

[57]  D’après moi, la décision de l’agent des visas « se justifie au regard des faits » (Vavilov au para 126) et je n’y trouve rien de déraisonnable.

[58]  En conséquence, l’intervention de notre Cour n’est pas justifiée.

VII.  Conclusion

[59]  Quelle que soit la rigueur de l’analyse, la décision de l’agent n’est pas déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas soumis de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2201-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2201-19

 

INTITULÉ :

OTHMAN HUSHAM QASIM QASIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Danny Ablacatoff

Pour le demandeur

Me Suzanne Trudel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vanna Vong Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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