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Date : 20200323


Dossier : IMM-1626-20

Référence : 2020 CF 405

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

DAWEI SHEN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 février 2020 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La Section de l’immigration a ordonné la mise en liberté du défendeur, Dawei Shen, détenu par les autorités de l’immigration, sous réserve de deux cautions et de 22 conditions.

[2]  Du 3 septembre 2019 au 27 janvier 2020, le défendeur a fait l’objet de sept contrôles des motifs de détention. Lors de chaque contrôle, la Section de l’immigration a ordonné le maintien en détention du défendeur.

[3]  Le 24 février 2020, la Section de l’immigration a ordonné la mise en liberté du défendeur parce qu’elle était convaincue que les nouvelles conditions proposées constituaient une solution de rechange raisonnable au maintien en détention.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Faits

[5]  Le défendeur est entré au Canada à l’aéroport international de Vancouver le 31 août 2019. Il voyageait muni d’un passeport mexicain au nom de Dawei Shen Guillen et a déclaré qu’il voulait étudier les possibilités d’investissement dans l’industrie de la marijuana au Canada. Il voyageait avec sept téléphones portables et plus de 10 000 $ en espèces non déclarées.

[6]  L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a conclu que le passeport mexicain était frauduleux. Le défendeur a été détenu au motif que son identité ne pouvait être établie. Il a alors admis qu’il était citoyen de la Chine et a fourni à l’ASFC des pièces d’identité chinoises. L’ASFC a conclu que les documents semblaient avoir été falsifiés ou ne comportaient aucune caractéristique de sécurité.

[7]  Le 3 septembre 2019, le défendeur a présenté une demande d’asile, dans laquelle il alléguait craindre d’être persécuté s’il retournait en Chine.

[8]  Du 31 août au 1er octobre 2019, l’ASFC a mené plusieurs entrevues avec le défendeur. Le 26 septembre 2019, le défendeur a déclaré à l’ASFC qu’il était accusé en Chine d’avoir obtenu un financement illégal pour son entreprise. Le 31 octobre 2019, le défendeur a déclaré que, s’il était libéré, il appellerait un ami pour réclamer la dette que celui-ci lui devait et utiliserait cet argent pour subvenir à ses besoins au Canada.

[9]  Le 14 novembre 2019, l’ASFC a confirmé que le défendeur était recherché en Chine pour [traduction« collecte illégale de fonds publics ». L’ASFC a consulté un expert en droit chinois, qui a déclaré que l’infraction équivalente au Canada serait probablement une fraude de plus de 5 000 $, en violation de l’article 380 du Code criminel, LRC 1985, c C-46.

[10]  Le défendeur est demeuré détenu par les autorités de l’immigration du 1er septembre 2019 au 24 février 2020, et des contrôles périodiques des motifs de détention ont été effectués. Lors du contrôle des motifs de détention du 27 janvier 2020, le défendeur a proposé une solution de rechange à la détention, qui comportait notamment une caution et une surveillance électronique. La commissaire Ko a initialement ordonné que la détention soit maintenue, puisque cette solution ne tenait pas dûment compte du fait qu’il risquait de s’enfuir.

[11]  Lors du contrôle des motifs de détention du 24 février 2020, le défendeur et les deux cautions proposées ont témoigné devant la commissaire Osborne. À l’issue de l’audience, le défendeur a été libéré sous certaines conditions, lesquelles comportaient la surveillance électronique, l’assignation à résidence et un cautionnement de 108 000 $ de la part des deux cautions. La commissaire Osborne a exposé ses motifs oralement.

[12]  Le 6 mars 2020, sur consentement des parties, le juge Gascon a suspendu l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté du 24 février 2020 jusqu’à ce qu’une décision définitive dans le cadre du présent contrôle judiciaire soit rendue ou jusqu’à l’issue du prochain contrôle des motifs de détention du défendeur prévu le 25 mars 2020.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[13]  La question à trancher est celle de savoir si la décision est raisonnable.

[14]  Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable pour deux motifs : (1) la commissaire Osborne n’a pas expliqué de quelle façon les cautions rempliraient leur rôle de veiller à ce que le défendeur respecte les conditions; et (2) elle n’a pas fourni de motifs clairs et convaincants justifiant pourquoi elle s’est écartée des décisions antérieures selon lesquelles la surveillance électronique et le cautionnement déposé ne convenaient pas comme solutions de rechange à la détention.

[15]  Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le point de départ pour établir la norme applicable au contrôle d’une décision d’un tribunal administratif est la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Bien que cette présomption soit réfutable, la présente affaire ne correspond à aucune des situations qui justifient l’application d’une norme différente : Vavilov, aux par. 16 et 17.

[16]  Une décision est raisonnable lorsqu’elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au par. 85.

[17]  Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Les lacunes ou les insuffisances dans la décision ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Elles doivent être suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au par. 100.

IV.  Loi

[18]  En ce qui concerne la question de savoir si une personne détenue par les autorités de l’immigration devrait être libérée ou maintenue en détention, le paragraphe 58(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], exige que la Section de l’immigration libère le détenu, sauf s’il est peu probable qu’il comparaisse pour certaines affaires, y compris son renvoi du Canada ou une procédure pouvant mener à un tel renvoi.

[19]  Les facteurs à prendre en compte pour déterminer si une personne détenue doit être libérée ou maintenue en détention sont énoncés à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Six facteurs sont énumérés, notamment le motif et la durée de la détention, la durée probable de la détention, si elle peut être évaluée, les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part de l’ASFC ou du détenu, les solutions de rechange à la détention et l’intérêt supérieur de tout enfant de moins de 18 ans directement touché.

[20]  Le seul facteur en cause en l’espèce est l’alinéa 248e), soit « l’existence de solutions de rechange à la détention ». Tous les autres facteurs ont été examinés et n’ont pas été contestés.

V.  Décision de la commissaire Ko

[21]  La commissaire Ko a d’abord fait remarquer que le demandeur sollicitait le maintien en détention au motif qu’il est peu probable que le défendeur comparaisse en vue de son renvoi, plutôt que pour le motif de l’identité soulevé antérieurement. Elle a également conclu que l’examen d’autres facteurs justifiait son maintien en détention.

[22]  La commissaire Ko a décrit le contexte de l’entrée du défendeur au Canada muni d’un passeport mexicain frauduleux, ses diverses déclarations contradictoires concernant ce passeport et le fait qu’il avait un peu plus de 10 000 $, qu’il n’avait pas entièrement déclarés. Elle a fait remarquer que l’ASFC soupçonnait que les fonds étaient un produit de la criminalité.

[23]  Après avoir cité d’autres faits, la commissaire Ko a fait remarquer que le demandeur était toujours préoccupé par l’identité du défendeur, car il avait été conclu que certains des documents justificatifs fournis avaient été altérés. Elle a réitéré que le motif de sa détention était qu’il était peu probable qu’il comparaisse en vue de son renvoi.

[24]  La commissaire Ko a examiné les facteurs énoncés à l’article 248 du Règlement. La présente demande porte sur l’obligation prévue à l’alinéa 248e), qui exige de prendre en compte l’existence de solutions de rechange à la détention avant de décider de maintenir le défendeur en détention ou d’approuver sa mise en liberté.

[25]  La commissaire Ko a conclu qu’il était peu probable que la solution de rechange proposée soit efficace pour veiller à ce que le défendeur demeure en contact avec l’ASFC et comparaisse en vue de son renvoi, si cela s’avérait nécessaire. Ce faisant, la commissaire Ko s’est demandé si le défendeur demeurerait en contact avec l’ASFC tout au long du traitement de sa demande d’immigration.

[26]  La commissaire Ko a conclu que, étant donné qu’il avait présenté un faux passeport et avait maintenu cette fausse déclaration pendant un certain temps, il se pouvait que le défendeur n’ait pas la volonté de mener à bien sa demande d’immigration au Canada. Elle a ensuite expliqué pourquoi elle considérait que la situation du défendeur était différente de celle d’autres personnes qui avaient été libérées. Elle a conclu que la différence était [traduction] « dans les détails du plan de libération proposé et son efficacité probable ».

[27]  Ces détails sont examinés ci‑après dans la partie portant sur l’analyse de la décision. En fait, ils ont servi de feuille de route pour le défendeur en vue d’améliorer son plan de libération.

VI.  L’audience devant la commissaire Osborne et la décision

[28]  La décision a été rendue oralement à l’issue de l’audience le 24 février 2020.

[29]  La transcription de l’audience montre que la commissaire Osborne a commencé par indiquer qu’elle était tenue d’ordonner la mise en liberté du défendeur, à moins d’être convaincue qu’il était peu probable qu’il comparaisse en vue de son renvoi. Elle a ajouté que, même si des motifs militaient en faveur de son maintien en détention, divers autres facteurs, qu’elle a énumérés, devaient être pris en compte en vertu de la loi.

[30]  Le demandeur a indiqué qu’il s’appuierait sur les observations et les décisions qui avaient été prises dans le cadre des contrôles des motifs de détention antérieurs. La commissaire Osborne, qui avait effectué l’un de ces contrôles, a indiqué qu’elle connaissait bien la transcription et les observations antérieures, de sorte que le demandeur devait se concentrer sur les faits nouveaux et sur tout ce qui pouvait compléter les observations précédentes.

[31]  Le demandeur a maintenu sa position selon laquelle, dans le cadre de l’audience antérieure, il a été établi qu’il était peu probable que le défendeur comparaisse en vue de son renvoi. Il a ensuite discuté des facteurs énoncés à l’article 248 du Règlement.

[32]  En réponse à une question de la commissaire Osborne, le demandeur a indiqué qu’il ne reconnaissait toujours pas totalement l’identité du défendeur, mais acceptait qu’il était connu des autorités chinoises.

[33]  Après ces brèves observations du demandeur, le défendeur a témoigné brièvement et a été contre‑interrogé au sujet de ses ressources financières, de sa possibilité d’obtenir de l’argent auprès de ses amis ou de sa famille et de ses dépenses mensuelles prévues au Canada.

[34]  La caution, Simon Liao, a ensuite témoigné. Il a fait état de la nature de son revenu d’emploi et de ses dépenses et a confirmé qu’il ne connaissait pas le défendeur. La relation entre M. Liao et le défendeur tient au fait qu’un ami de M. Liao était le cousin du défendeur et qu’on lui avait demandé s’il pouvait l’aider. Il a confirmé qu’il était disposé à vivre dans une maison avec le défendeur, qui devait rester à l’intérieur de la maison en raison des exigences des autorités de l’immigration. Il a déclaré qu’il ne comprenait pas la nature ou les détails de ces exigences.

[35]  M. Liao a indiqué qu’il pourrait quitter le travail et répondre à un appel de l’entreprise de sécurité, au besoin. Il savait aussi qu’aucun objet pointu ou coupant ne serait autorisé dans la résidence en raison des conditions concernant la surveillance électronique et que l’ASFC aurait accès à la résidence pour rechercher de tels outils.

[36]  La commissaire Osborne a demandé à M. Liao ce qui avait changé depuis l’audience précédente pour qu’il soit maintenant apte et disposé à vivre avec le défendeur et à répondre au téléphone si l’entreprise de sécurité appelait. Il a répondu que, à l’audience précédente, il n’avait pas réfléchi à la question et croyait que le défendeur louerait un logement, vivrait seul et serait surveillé par l’entreprise de sécurité. Maintenant qu’il avait bien compris, il ne voyait pas d’objection à vivre avec le défendeur, car ils étaient tous les deux célibataires et parlaient la même langue.

[37]  Les parties ont ensuite présenté leurs observations, puisqu’aucun autre témoin n’a été appelé.

[38]  Le défendeur a déclaré que, même s’il n’avait aucun lien personnel avec M. Liao, ce dernier représentait sa meilleure option parce qu’il n’avait aucun ami ni parent au Canada.

[39]  Comme personne ayant un lien personnel avec lui ne pouvait servir de caution et que la détention ne doit être imposée qu’en dernier recours, le défendeur a soutenu que, afin de remédier aux lacunes de son plan de libération, les conditions qui y étaient proposées étaient très strictes. Les entreprises de surveillance et de sécurité travaillaient déjà avec un détenu qui avait été libéré dans le secteur, ce qui signifiait que l’ASFC avait déjà des relations avec elles.

[40]  La commissaire Osborne a précisément interrogé le défendeur au sujet de deux questions qui avaient été soulevées à l’audience devant la commissaire Ko.

[41]  L’une de ces questions était que la commissaire Osborne voulait savoir pourquoi M. Liao, qui n’avait pas témoigné auparavant, était désormais en mesure d’offrir un meilleur soutien au défendeur. La réponse était que, depuis l’audience précédente, des ententes avaient été convenues avec l’employeur de M. Liao. En outre, compte tenu de l’incertitude qui prévalait précédemment, une deuxième caution a été prévue pour remplacer M. Liao au besoin.

[42]  L’autre question de la commissaire Osborne concernait une préoccupation que la commissaire Ko avait soulevée au sujet du degré de tromperie dont le défendeur avait fait preuve dans ses rapports avec l’ASFC pendant l’enquête sur l’identité. La commissaire Osborne a demandé comment la solution de rechange à la détention répondait à ces problèmes de crédibilité. Le défendeur a répondu que, en novembre, il a commencé à coopérer et à se montrer très ouvert et franc quant à sa situation en Chine. Pendant de nombreux mois, il a collaboré de toutes les façons possibles avec l’ASFC, et cela devrait jouer en sa faveur pour rectifier une partie de son comportement du début.

[43]  Dans ses observations, le demandeur a affirmé que la commissaire Ko avait conclu que la surveillance électronique n’était pas une bonne solution de rechange dans le cas où le détenu risque de s’enfuir. Il a également mis l’accent sur l’inaptitude de M. Liao à se porter caution, en raison de son absence de lien personnel avec le défendeur et du fait que le montant de son cautionnement n’était que de 8 000 $, ce qui, comme il l’a indiqué, n’aurait aucune conséquence pour lui s’il le perdait.

[44]  Le demandeur a déclaré que, dans l’ensemble, les parties du plan précédemment proposé devant la commissaire Ko qui s’étaient avérées insuffisantes n’ont pas été rectifiées par les conditions proposées devant la commissaire Osborne.

[45]  La commissaire Osborne a conclu que, lors de l’audience précédente, un certain nombre de lacunes avaient été relevées concernant la solution de rechange à la détention qui avait alors été proposée. Elle a conclu ce qui suit :

[traduction]

Un certain nombre de changements ou de modifications ont été proposés aujourd’hui pour remédier à ces lacunes, et je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que ces changements sont susceptibles d’être efficaces pour atténuer le risque que vous vous enfuyiez, et j’ordonnerai votre mise en liberté aujourd’hui, sous réserve de conditions strictes et conformément à ce qui a été proposé en grande partie par votre avocat à la pièce P‑8; et après avoir examiné ces conditions, je donnerai également au ministre la possibilité de contribuer ou de faire des suggestions concernant les conditions.

VII.  Analyse

[46]  L’un des nombreux points qui ont été confirmés dans l’arrêt Vavilov est qu’une cour de révision doit « interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus », car cela peut expliquer un aspect du raisonnement qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux-mêmes : Vavilov, au par. 94.

[47]  Le demandeur a fait valoir que la commissaire Osborne [traduction] « n’a pas fourni de motifs clairs et convaincants justifiant pourquoi elle s’est écartée des décisions antérieures selon lesquelles la surveillance électronique et le cautionnement déposé ne convenaient pas comme solutions de rechange à la détention ».

[48]  Cet argument ne me convainc pas, et ce, pour deux motifs.

[49]  Premièrement, la commissaire Osborne a fourni des motifs explicites, clairs et convaincants pour s’écarter de la conclusion de la commissaire Ko. La commissaire Ko n’a pas simplement conclu que la surveillance électronique et le cautionnement déposé ne convenaient pas comme solutions de rechange à la détention. Elle a fait remarquer que les autres décisions où des personnes avaient été libérées se distinguaient de l’espèce en ce qui concerne les détails du plan de libération proposé et son efficacité probable. À titre d’exemple, la commissaire Ko a mentionné que dans certaines décisions, d’autres personnes s’étaient portées caution et faisaient également partie du plan de surveillance et avaient utilisé leur propre argent et accepté de jouer un rôle actif. À ce moment‑là, la commissaire Ko avait fait remarquer que M. Liao ne s’attendait pas à jouer un rôle actif dans la surveillance et que son emploi ne lui permettrait probablement pas de faire partie d’un plan d’intervention.

[50]  Ces obstacles ont tous été éliminés dans le plan de libération présenté à la commissaire Osborne. Après avoir examiné les conditions proposées, celle‑ci a fait remarquer que la deuxième caution proposée était également une autre personne‑ressource en cas d’alarme. Il a témoigné qu’il était disposé à se rendre à la résidence s’il était appelé par l’entreprise de sécurité. La commissaire Osborne a conclu que le fait d’avoir deux cautions prêtes à répondre, à utiliser leur propre argent et à accepter de jouer un rôle actif dans la surveillance du défendeur, ainsi que l’assignation à résidence proposée, suffisaient, selon la prépondérance des probabilités, à atténuer le risque que le défendeur s’enfuie. Il était loisible à la commissaire Osborne de tirer cette conclusion et elle a clairement répondu aux préoccupations précises soulevées par la commissaire Ko.

[51]  Deuxièmement, en raison de l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Chhina, 2019 CSC 29 [Chhina], rendu récemment par la Cour suprême du Canada, le rôle que doivent jouer les décisions antérieures de la Section de l’immigration a été examiné de près, particulièrement à la lumière des résultats d’une vérification externe ordonnée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui portait sur la façon dont la loi était appliquée en matière de détention à long terme.

[52]  En examinant une demande de sursis à la mise en liberté, le juge Grammond de notre Cour a eu l’occasion de formuler les commentaires suivants concernant l’effet de l’arrêt Chhina sur le contrôle judiciaire des décisions en matière de détention aux fins de l’immigration :

[20]  Le ministre affirme, en se fondant sur certains passages de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 RCF 572, que la SI commet une erreur si elle n’explique pas clairement pourquoi elle s’écarte de ses décisions précédentes. Or, comme je l’ai mentionné plus tôt, la Cour suprême, dans l’affaire Chhina, a critiqué cette manière de faire et a noté que cela pouvait donner lieu à un « raisonnement autoréférentiel » (paragraphe 62). La juge Abella, à cet égard, a affirmé que : « [l]e ministre ne peut pas se contenter d’invoquer les décisions antérieures de la Section de l’immigration pour convaincre celle‑ci de l’existence des critères exigés dans le cadre du contrôle effectué en application des art. 58 et 248 » (paragraphe 127). On ne saurait donc reprocher à la SI, dans sa décision du 13 mai, de s’être écartée de ses décisions précédentes.

(Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Baniashkar, 2019 CF 729, au par. 20.)

[53]  Cet avertissement de la juge Abella a amené le juge Diner à résumer l’état actuel du droit de la façon suivante dans la décision Canada (Sécurité Publique et Protection Civile) c Arook, 2019 CF 1130 :

[25]  Le cadre d’évaluation du caractère raisonnable d’une décision de la SI rendue à l’égard de la détention qui va à l’encontre des décisions rendues dans le cadre de contrôles antérieurs des motifs de détention, a été établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 [Thanabalasingham]. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que même si un commissaire n’est pas lié par les décisions antérieures, il doit énoncer des motifs « clairs et convaincants » pour aller à l’encontre de ces décisions (au par. 10).

[26]  La Cour fédérale a depuis précisé que l’absence de motifs « clairs et convaincants » pour aller à l’encontre de décisions antérieures ne devrait pas être considérée comme un motif distinct de contrôle judiciaire, mais plutôt comme une application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Mohammed, 2019 CF 451, au par. 23). En outre, à la suite de l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Chhina, 2019 CSC 29 [Chhina], où la Cour suprême a fait remarquer que le processus actuel de contrôle des motifs de détention de la LIPR – ou le « régime » comme elle l’a désigné – est susceptible de faire l’objet d’un « raisonnement autoréférentiel » (par 62), la Cour fédérale a mis en garde contre le fait de reprocher à [la] SI de s’être écartée de ses décisions antérieures (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Baniashkar, 2019 CF 729, au par. 20).

[54]  Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la commissaire Osborne n’a pas fourni de motifs clairs et convaincants. Au contraire, ses motifs étaient précis et détaillés. Ils abordaient directement les faiblesses de la preuve que la commissaire Ko avait déjà relevées. En outre, la jurisprudence actuelle de notre Cour et de la Cour suprême indique que les « motifs “clairs et convaincants” » évitent le risque de « raisonnement autoréférentiel » puisque le décideur procède à un nouvel examen de la détention, ainsi qu’à un examen approfondi de la légitimité de la détention, à chaque contrôle. Au vu du dossier, je suis convaincue que la commissaire Osborne a procédé à un tel examen.

[55]  La commissaire Osborne a reconnu que le fait qu’il soit peu probable que le défendeur comparaisse en vue de son renvoi est un motif sérieux. Elle l’a qualifié de motif le plus sérieux qui pouvait être allégué et a conclu qu’il ne militait pas en faveur du défendeur, mais elle a aussi conclu que les solutions de rechange à la détention étaient suffisantes pour justifier sa mise en liberté. Il était certainement loisible à la commissaire Osborne de tirer cette conclusion au vu de la preuve. Je devrais examiner la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion contraire, et ce n’est pas le rôle de notre Cour en tant que cour de révision.

[56]  La commissaire Osborne a fait remarquer que la commissaire Ko était préoccupée par le fait que, dans le cadre de ses rapports avec l’ASFC, le défendeur avait fait preuve de malhonnêteté et avait fourni de faux documents. La commissaire Osborne a accordé au défendeur le mérite de s’être entretenu avec l’ASFC et a conclu que sa volonté de demeurer assigné à résidence serait un effort de bonne foi pour coopérer et participer au processus d’immigration.

[57]  Pour situer la décision dans son contexte, il est important de souligner que la commissaire Osborne disposait d’éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à la commissaire Ko au moment où elle a ordonné le maintien en détention du défendeur. Chacune des deux cautions proposées a témoigné devant la commissaire Osborne, mais aucune n’a témoigné devant la commissaire Ko, à qui on n’avait présenté que M. Liao à titre de caution.

[58]  De nombreuses nouvelles conditions ont aussi été proposées par le défendeur afin de les ajouter aux conditions précédemment proposées à la commissaire Ko ou de les remplacer. Ces conditions additionnelles répondaient directement aux préoccupations soulevées par la commissaire Ko dans ses motifs rendus oralement.

[59]  En plus des conditions habituelles applicables aux réfugiés, le plan de libération présenté à la commissaire Ko comprenait sept conditions proposées et deux conditions bonifiées.

[60]  Le plan de libération adopté par la commissaire Osborne contenait les conditions proposées par le défendeur, ainsi que d’autres conditions ajoutées lors de l’audience, dont certaines ont été améliorées après une discussion avec le demandeur. En conséquence, les conditions suivantes, en plus de celles proposées à la commissaire Ko, ont été imposées au défendeur :

  i.  une personne supplémentaire doit servir de caution et déposer un cautionnement de 100 000 $;

  ii.  une balise fonctionnant sur des radiofréquences doit être installée dans la résidence;

  iii.  une assignation à résidence a été ajoutée à la zone d’inclusion, y compris la zone extérieure, laquelle devra être définie avec la participation de l’ASFC, pour remplacer le couvre‑feu de 21 h à 7 h et la zone d’inclusion comprenant diverses municipalités locales;

  iv.  un protocole d’alerte énonçant qui sera avisé en cas d’alerte ou de violation du système ou de la zone de surveillance électronique doit être établi avec la participation de l’ASFC et prévoir que les deux cautions doivent être avisées;

  v.  l’ASFC doit avoir la possibilité de revoir le contrat de surveillance et de tester l’équipement de surveillance dans la résidence; toute préoccupation de l’ASFC doit être portée à l’attention de l’avocat du défendeur et de la partie contractante. S’il n’est pas possible de dissiper les préoccupations de l’ASFC, le défendeur pourra être renvoyé devant la Section de l’immigration pour qu’elle statue de nouveau;

  vi.  les deux bracelets de surveillance électronique doivent être fixés sur le défendeur, et l’équipement de surveillance dans la résidence doit être activé en présence de l’ASFC;

  vii.  avant sa mise en liberté, le défendeur doit conclure un contrat écrit avec l’entreprise de sécurité pour répondre immédiatement à toute alarme ou violation, ainsi que pour accompagner le défendeur lorsqu’il devra se rendre à l’extérieur de sa résidence, conformément aux conditions;

  viii.  une fois remis en liberté, le défendeur doit demeurer en tout temps à l’intérieur de sa résidence, dont l’adresse doit être préalablement communiquée à l’ASFC et approuvée par elle avant sa mise en liberté, et le défendeur doit aviser l’ASFC de tout changement d’adresse ou de toute modification à la zone d’inclusion, que l’ASFC doit approuver à l’avance;

  ix.  le défendeur est autorisé à quitter la zone d’inclusion pour divers rendez-vous personnels, comme des rendez-vous médicaux, des rencontres avec ses avocats et les agents de l’ASFC ou la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais un préavis de 48 heures doit être donné à l’ASFC et à l’entreprise de surveillance, et tout changement aux zones d’inclusion doit être approuvé et mis en place par l’ASFC avant la sortie;

  x.  lors de sorties approuvées, le défendeur doit être accompagné par l’une ou l’autre des cautions ou un employé de l’entreprise de sécurité. En cas de besoin médical, l’entreprise de surveillance doit en être avisée et demander à un accompagnateur de l’ASFC, à un employé de l’entreprise de sécurité ou à une caution d’accompagner le défendeur. En cas d’urgence médicale, il faut prendre des dispositions pour s’assurer que l’une des parties rencontre le défendeur dans l’établissement médical;

  xi.  le défendeur doit consentir à ce que l’ASFC perquisitionne la résidence à tout moment avant ou après la mise en liberté afin de vérifier le respect de l’interdiction de posséder des outils ou des objets qui peuvent être utilisés pour couper ou enlever les bracelets de surveillance électronique;

  xii.  Simon Liao et le défendeur doivent consentir à une perquisition de l’ASFC dans les zones auxquelles le défendeur a accès dans la résidence et aux alentours de la résidence;

  xiii.  tout visiteur à la résidence doit être préalablement approuvé par l’ASFC, et la demande de visiteurs doit être présentée à l’ASFC au moins 48 heures avant la visite prévue;

  xiv.  un téléphone fixe doit être installé dans la résidence avant la mise en liberté du défendeur, s’il n’y en a pas déjà un, et le défendeur doit fournir, sur demande, le relevé des appels à l’ASFC;

  xv.  le défendeur doit répondre au téléphone fixe entre 8 h et 16 h, plutôt que fournir, chaque semaine, une déclaration vocale biométrique à l’ASFC;

  xvi.  le défendeur ne doit pas acquérir ou posséder de pièces d’identité ou de documents de voyage, à moins que l’ASFC le lui demande; lorsque l’ASFC lui fait la demande, le défendeur doit coopérer pleinement pour obtenir des pièces d’identité ou des documents de voyage. Les avocats sont exclus de cette condition.

[61]  L’autre préoccupation soulevée par le demandeur en l’espèce est le fait que la commissaire Osborne n’a pas expliqué de quelle façon les cautions rempliraient leur rôle de veiller à ce que le défendeur respecte les conditions. Le demandeur a fait remarquer que la commissaire Ko avait indiqué que le défendeur n’avait pas de famille au Canada pour l’obliger à mener à bien sa demande d’immigration.

[62]  La commissaire Osborne a eu l’avantage qu’une deuxième personne s’est portée caution. Elle a également reconnu que le défendeur n’avait pas de famille au Canada, mais a conclu que les deux cautions étaient suffisantes pour atténuer ou combler l’absence de famille du défendeur au Canada. Chaque caution utilisait son propre argent et avait accepté de jouer un rôle actif dans la surveillance du défendeur.

[63]  La commissaire Osborne a également conclu que le risque que le défendeur ne comparaisse pas a été atténué par l’ajout de l’assignation à résidence, qui n’avait pas été proposée à la commissaire Ko. En combinant cet ajout aux autres nouvelles précautions et conditions, elle était convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, le risque que le défendeur ne comparaisse pas était géré.

[64]  Compte tenu des nouvelles conditions exhaustives et détaillées, des conclusions claires de la commissaire Osborne, qui ont répondu aux préoccupations exprimées par la commissaire Ko, et de l’issue selon laquelle la mise en liberté du défendeur dépend de sa capacité à répondre, et à continuer de répondre, à toutes les conditions imposées, je conclus que la décision dans son ensemble, telle qu’elle est énoncée dans les motifs, est transparente, intelligible et justifiée à l’égard des parties concernées : Vavilov, aux par. 15 et 95.

[65]  Pour tous les motifs susmentionnés, la décision est raisonnable et la demande est rejetée.

[66]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et les faits de la présente affaire n’en soulèvent aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1626-20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de mai 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1626-20

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c DAWEI SHEN

 

CONTRÔLE JUDICIAIRE PAR TÉLÉCONFÉRENCE TENUE LE 19 MARS 2020 À OTTAWA (ONTARIO) ET À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Matt Huculak

POUR LE DEMANDEUR

 

Erin C. Roth

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edelmann & Co.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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