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Date : 20190715


Dossier : T‑184‑18

Référence : 2019 CF 938

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

PETER ZHANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande d’ordonnance de mandamus visant à enjoindre au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] de se prononcer sur la demande de citoyenneté du demandeur.

II.  Le contexte

[2]   Le demandeur, Peter Zhang, est né le 3 novembre 1964 à Tianjin, en Chine. Il a obtenu le statut de résident permanent au Canada sous le nom de Fan Yong Feng. Il a légalement changé son nom pour Peter Zhang en juin 2013.

[3]  En décembre 2014, le demandeur a fait une demande de citoyenneté canadienne. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a reçu sa demande le 23 janvier 2015 et a commencé à la traiter en avril 2015.

[4]  Le 7 juillet 2015, IRCC a envoyé au demandeur un avis de convocation à l’examen écrit de citoyenneté.

[5]  Le 24 juillet 2015, l’ancien conseil du demandeur a écrit à IRCC pour demander que son client bénéficie d’une exemption d’ordre médical qui le dispenserait d’écrire l’examen de citoyenneté. En effet, le demandeur a été victime d’un accident vasculaire cérébral qui l’empêche de lire, d’écrire et de comprendre les questions de citoyenneté contenues dans cet examen. Des documents médicaux à l’appui accompagnaient cette demande. La lettre du conseil du demandeur mentionnait également que celui-ci avait été exempté de l’application des exigences linguistiques pour des raisons médicales (infarctus cérébral et séquelles d’une sclérencéphalie).

[6]  Le 6 août 2015, le demandeur a demandé à IRCC d’annuler sa demande de citoyenneté. Le 13 août 2015, il a demandé à IRCC de la rétablir et de traiter sa demande d’exemption d’ordre médical.

[7]  Le 13 janvier 2016, IRCC a demandé au demandeur de mettre à jour les renseignements sur ses antécédents de voyage, ce qu’il a fait.

[8]  Le Dr Sanjeev Goel a examiné le demandeur et, dans un rapport rédigé en avril 2016 et remis à IRCC, il a conclu que celui‑ci :

[traduction]

[…] ne peut assister à aucune rencontre en raison de ses troubles cognitifs sévères (déficits de la mémoire, de la planification et de l’attention), d’un possible trouble de l’humeur (déficit de l’attention), ainsi que de ses déficits moteurs importants (paralysie du côté gauche et aphasie expressive et réceptive)

[le rapport du Dr Goel]

[9]  Le 18 août 2016, IRCC a demandé au demandeur de fournir ses empreintes digitales et l’a convoqué à une entrevue avec un agent de citoyenneté.

[10]  Le 1er septembre 2016, le demandeur s’est présenté au rendez-vous fixé pour évaluer ses compétences linguistiques et ses connaissances. En raison de l’état de santé du demandeur, l’agent de citoyenneté était d’avis que cette évaluation ne devait pas avoir lieu. Le demandeur a été réputé avoir échoué aux deux composantes de l’évaluation. Une dispense ministérielle a été demandée au titre du paragraphe 5(3) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 [la demande de dispense].

[11]  En novembre 2016, un délégué du ministre a évalué la demande de dispense. Le délégué a relevé diverses incohérences qui remettaient en question la validité des conclusions formulées dans le rapport du Dr Goel.

[12]  En décembre 2016, IRCC a demandé des éléments de preuve supplémentaires au demandeur concernant l’obligation de résidence, un avis de cotisation de l’ARC et un affidavit portant sur la garde légale.

[13]  Le 6 janvier 2017, le demandeur a présenté un affidavit de Mme Yanling Ding, dans lequel cette dernière déclare qu’elle agira à titre de gardienne et de mandataire du demandeur.

[14]  Le 31 janvier 2017, IRCC a demandé des renseignements supplémentaires au demandeur afin d’examiner la demande de dispense. Entre autres, elle lui a demandé ses empreintes digitales une deuxième fois.

[15]  Le 2 mars 2017, IRCC a suspendu la procédure d’examen de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, en raison de la tenue d’une enquête sur la possibilité qu’il ait fait de fausses déclarations concernant ses [traduction] « longues absences non déclarées » du Canada et sur la possibilité qu’il ait des antécédents criminels en lien avec une accusation de violence familiale.

[16]  En mars 2017, le demandeur a fourni des documents de procuration, d’autres documents médicaux et une déclaration attestant qu’aucune accusation criminelle ne pesait contre lui.

[17]  Le 31 août 2017, l’ancien conseil du demandeur a demandé par écrit à IRCC d’être retiré du dossier pour ne plus faire fonction de conseil inscrit au dossier. À peu près au même moment, IRCC a pris connaissance d’allégations selon lesquelles le demandeur se serait rendu coupable de fraude et de tentative de meurtre en Chine sous son nom d’origine.

[18]  Le 30 novembre 2017, le demandeur a retenu les services d’un nouveau conseil.

[19]  Le 11 décembre 2017, le demandeur a envoyé une lettre à IRCC pour demander une mise à jour de sa demande de dispense.

[20]  Le 23 janvier 2018, le demandeur a déposé la présente demande en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus.

[21]  Le 9 février 2018, IRCC a fait savoir qu’aucune décision n’avait été prise au sujet de la demande de citoyenneté et qu’il n’y avait donc aucun motif de décision.

[22]   Le 15 février 2018, IRCC a envoyé une troisième demande d’empreintes digitales au demandeur. Le demandeur a fourni ses empreintes digitales en mars 2018, et il a réussi l’étape de la vérification des antécédents criminels.

[23]  Le 5 mars 2018, la demande de citoyenneté a été renvoyée à des fins d’évaluation en raison de la possibilité que le demandeur ait fait de fausses déclarations. Elle a ensuite été suspendue, la suspension devant être réévaluée dans 60 jours. IRCC a décidé de ne pas procéder à l’évaluation relative à la possibilité de fausses déclarations, mais elle a renvoyé la demande à l’Unité de criminalité à l’étranger [UCE] d’IRCC à Montréal afin qu’elle mène un examen sur les éventuels antécédents criminels à l’étranger du demandeur.

[24]  Le 16 avril 2018, la demande de citoyenneté du demandeur a été suspendue en vertu de l’alinéa 13.1a) de la Loi sur la citoyenneté, dans l’attente des résultats de l’enquête sur les antécédents criminels à l’étranger du demandeur.

[25]   Le 11 juin 2018, le ministère de la Sécurité publique de la Chine a informé l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] que le demandeur était recherché en Chine pour une agression ayant causé la mort survenue le 8 février 2012. Il a ajouté que le demandeur s’était enfui au Canada le 15 février 2012. Il a également fait savoir que le demandeur avait été détenu pour vol en 1997 et pour [traduction] « blessure intentionnelle à la mort de la victime » en 2003.

[26]  Le demandeur a présenté un autre affidavit à la Cour, daté du 24 avril 2019, dans lequel il nie ces allégations et montre une page de son passeport prouvant (1) qu’il a quitté la Chine pour se rendre à Macao le 8 février 2012, (2) qu’il est retourné en Chine le 13 février 2012 et (3) qu’il a quitté la Chine pour venir au Canada le 15 février 2012.

[27]  À l’heure actuelle, la demande de citoyenneté est toujours suspendue en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté en raison d’une enquête en cours de l’ASFC.

III.  Les questions en litige

[28]  Voici les questions en litige :

  • (i) Les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] sont‑elles admissibles?

  • (ii) La suspension par le ministre de la demande de citoyenneté du demandeur était‑elle raisonnable?

  • (iii) Une ordonnance de mandamus devrait‑elle être rendue?

IV.  La norme de contrôle judiciaire

[29]  La norme de contrôle applicable à la suspension d’une demande de citoyenneté par le ministre est celle de la décision raisonnable (Nada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 590, au par. 14 [Nada]).

V.  Analyse

A.  Les notes du SMGC sont‑elles admissibles?

[30]  À l’audience, le demandeur a fait valoir que les notes du SMGC sur lesquelles le défendeur s’est appuyé ne sont pas admissibles pour établir la véracité de leur contenu.

[31]  Sans commenter de façon plus générale l’admissibilité des notes du SMGC, la Cour fait remarquer que, comme l’a souligné récemment la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, aux par. 24 à 31, les notes du SMGC qui sont de nature administrative sont admissibles pour établir la véracité de leur contenu, tant à titre d’exception à la règle du ouï‑dire en ce qui concerne les documents opérationnels qu’à titre d’exception raisonnée à la règle du ouï-dire. Les notes du SMGC sur lesquelles le défendeur s’est appuyé sont de nature administrative et précisent principalement les dates d’envoi et de réception de la correspondance. J’admets donc ces éléments de preuve.

B.  La suspension par le ministre de la demande de citoyenneté du demandeur était‑elle raisonnable?

[32]  La Cour fédérale a compétence pour rendre une ordonnance de mandamus en vertu des articles 18, 18.1 et 44 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[33]  Il faut respecter huit conditions préalables pour qu’une ordonnance de mandamus puisse être rendue (Nada, précitée, au par. 12, citant Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF)) :

  • (1) il existe une obligation d’agir à caractère public;

  • (2) l’obligation existe envers le demandeur;

  • (3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

  • (4) lorsque l’obligation est discrétionnaire, le pouvoir discrétionnaire est limité et il doit être épuisé;

  • (5) le demandeur ne dispose d’aucun recours subsidiaire adéquat;

  • (6) l’ordonnance demandée aura une incidence sur le plan pratique;

  • (7) aucun obstacle n’empêche d’accorder le redressement demandé en regard de l’équité;

  • (8) la balance des inconvénients en matière de commodité est favorable au prononcé de l’ordonnance.

[34]  Enfin, l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté autorise le ministre à suspendre la procédure d’examen d’une demande de citoyenneté pendant la période nécessaire :

13.1 Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande :

a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui‑ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui‑ci;

b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui‑ci.

[35]  Lorsqu’une demande de citoyenneté est raisonnablement suspendue en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, il n’existe aucune obligation d’agir à caractère public et, par conséquent, aucune ordonnance de mandamus ne peut être rendue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2017 CAF 44, au par. 27; Nada, au par. 26).

[36]  Le demandeur soutient que le fait que sa demande de citoyenneté soit encore suspendue est déraisonnable, car IRCC ne lui a pas donné l’occasion de répondre aux allégations. De plus, d’après lui, le retard dans l’enquête de l’UCE, commencée au printemps 2018, dépasse les limites de ce qui est raisonnable au titre de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté.

[37]  En août 2017, IRCC a pris connaissance d’allégations criminelles graves à l’endroit du demandeur, puis elle a commencé à faire enquête sur ses antécédents criminels à l’étranger. En juin 2018, les autorités chinoises ont informé IRCC qu’elles recherchaient le demandeur, entre autres, pour une agression ayant causé la mort, et elles ont demandé l’aide d’IRCC pour que le demandeur soit renvoyé en Chine en vue de répondre aux accusations portées contre lui.

[38]  Il est vrai qu’il s’est écoulé un an depuis qu’IRCC a communiqué avec les autorités chinoises en juin 2018. Cela dit, ce n’est pas la Cour qui détermine la durée d’une telle enquête, dans des limites du raisonnable.

[39]  De plus, le demandeur a tenté de réfuter les allégations portées contre lui en présentant à la Cour des éléments de preuve portant sur ses déplacements en février 2012. Je souligne que les documents prouvent que le demandeur a quitté la Chine le 8 février 2012, mais ils ne semblent pas exclure la possibilité qu’il ait été impliqué dans un homicide commis le même jour.

[40]  Je suis convaincu que le ministre a raisonnablement suspendu la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté pendant la tenue d’une enquête sur ses antécédents criminels à l’étranger et que la suspension, qui est toujours en cours, ne dépasse pas les limites prévues par l’article 13.1. Par conséquent, il n’existe aucune obligation d’agir à caractère public; aucune ordonnance de mandamus ne peut donc être rendue.

[41]  De plus, une grande partie de la faute pour les retards de traitement, avant la découverte des allégations criminelles, repose sur le demandeur, notamment parce qu’il n’a pas répondu aux deux premières demandes d’empreintes digitales, parce qu’il a fait des erreurs et des omissions dans la description de ses antécédents de résidence et de voyage qui ont soulevé des préoccupations au sujet de fausses déclarations, et parce qu’il a demandé à IRCC à un moment donné d’annuler sa demande de citoyenneté.


JUGEMENT dans le dossier T‑184‑18

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’avril 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T‑184‑18

 

INTITULÉ :

PETER ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juillet 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

Pour le demandeur

 

Brad Gotkin

Marina Stefanovic

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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