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Date : 20200319


Dossier : T‑342‑19

Référence : 2020 CF 378

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2020

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

VISIONWERX INVESTMENT

PROPERTIES, INC.

demanderesse/requérante

et

STRONG INDUSTRIES, INC.

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.

défenderesses/intimées

ET ENTRE :

STRONG INDUSTRIES, INC.

demanderesse reconventionnelle

et

VISIONWERX INVESTMENT

PROPERTIES, INC.

défenderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête en injonction interlocutoire présentée par la demanderesse VisionWerx Investment Properties Inc. [la demanderesse/VisionWerx] dans le cadre d’une action en contrefaçon d’un signe distinctif en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13. VisionWerx tente d’empêcher la défenderesse Strong Industries Inc. [Strong Industries] de fabriquer, de commercialiser et de vendre, et la défenderesse Costco Wholesale Canada Ltd [Costco Canada] [ensemble, les défenderesses] de commercialiser et de vendre le modèle de spa Solstice pour deux personnes qui, selon VisionWerx, ressemble à son spa Spaberry 5.0 pour deux personnes.

[2]  Plus particulièrement, VisionWerx demande une injonction interlocutoire empêchant les défenderesses (et leurs représentants, titulaires de licence, successeurs et autres) de commercialiser, de vendre, de fabriquer, d’annoncer ou d’offrir à la vente le modèle Solstice ou tout produit dont la conception est similaire au signe distinctif de Spaberry au point de créer de la confusion. VisionWerx demande également une injonction interlocutoire pour : empêcher notamment les défenderesses (et leurs représentants, titulaires de licence, successeurs et autres) d’utiliser, d’offrir à la vente, de vendre et de fabriquer des marchandises portant le signe distinctif de Spaberry, d’appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services et son entreprise de manière à créer de la confusion avec les marchandises, les services et l’entreprise de VisionWerx en utilisant le signe distinctif de Spaberry et de faire passer ses marchandises et services pour les marchandises et services de VisionWerx en utilisant le signe distinctif de Spaberry.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la requête est rejetée. La demanderesse n’a pas établi qu’elle répondait au critère à trois volets pour se voir octroyer une injonction, critère établi dans l’arrêt RJR‑Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 46 ACWS (3d) 40 [RJR]. Contrairement à ce que les défenderesses ont fait valoir, la demanderesse n’avait qu’à établir l’existence d’une question sérieuse qui n’est ni futile ni vexatoire. La demanderesse a établi l’existence d’une ou plusieurs questions sérieuses, notamment celle de savoir si son signe distinctif peut être protégé en vertu de la Loi sur les marques de commerce et s’il y a confusion avec le produit des défenderesses. Cependant, la demanderesse n’a pas établi au moyen d’une preuve claire et convaincante qu’elle subirait un préjudice irréparable entre maintenant et le moment où une décision sera rendue à l’égard de son action qui ne pourra être quantifié et indemnisé par des dommages‑intérêts pécuniaires si elle obtient gain de cause. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de se prononcer sur la question de la prépondérance des inconvénients puisqu’aucun préjudice irréparable n’a été établi, la défenderesse subira inévitablement des conséquences si l’injonction est accordée et, de même, la demanderesse subira des conséquences si elle est rejetée. Les inconvénients seront donc partagés.

I.  Contexte

[4]  VisionWerx conçoit, fabrique et vend les spas Spaberry au Canada et aux États‑Unis [É.‑U.]. La majorité de ses produits sont vendus dans des salons professionnels et par l’intermédiaire de son site Web ainsi que de promotions auprès de tiers. Le modèle Spaberry 5.0 est le spa pour deux personnes en litige qui fait partie de la gamme de produits de VisionWerx.

[5]  Strong Industries est une entreprise américaine qui conçoit, fabrique et vend les spas de marque Evolution aux É.‑U., dont le modèle pour deux personnes est commercialisé sous le nom de spa « Solstice » au Canada. Costco Canada est le seul distributeur du spa Solstice au Canada.

[6]  Le différend sous‑jacent entre la demanderesse et les défenderesses porte sur la question de savoir si les défenderesses commercialisent de façon trompeuse leur spa en le faisant passer pour le spa pour deux personnes de la demanderesse, le Spaberry 5.0, ou si le spa des défenderesses est une « imitation bon marché », à moindre coût. Les parties ont des points de vues très différents de tous les faits pertinents et des questions connexes, y compris ceux de savoir si la demanderesse a des droits de propriété intellectuelle admissibles à une protection, si les deux spas sont similaires d’un point de vue visuel, s’il y a eu confusion dans l’esprit des consommateurs et s’il y a eu un préjudice causé à l’achalandage de la demanderesse. La seule question qui se pose dans la présente requête est celle de savoir s’il faudrait interdire aux défenderesses de continuer à fabriquer, à commercialiser et à vendre leur spa pour deux personnes jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue à l’égard de l’action de la demanderesse qui invoque une commercialisation trompeuse et demande une injonction permanente et d’autres mesures correctives.

[7]  La demanderesse raconte qu’en novembre 2017, elle a appris que Strong Industries vendait un spa nommé « Ellipse » sur le marché américain dont les caractéristiques de conception, selon la demanderesse, étaient indifférenciables de celles du Spaberry 5.0. La demanderesse affirme qu’elle a envoyé une lettre de mise en demeure, par l’intermédiaire de son avocat américain, à Strong Industries, l’informant que l’Ellipse violait les droits de propriété intellectuelle de VisionWerx et exigeant que Strong Industries cesse de vendre l’Ellipse. La demanderesse prétend que Strong Industries a alors cessé de distribuer, de commercialiser ou d’offrir à la vente l’Ellipse aux É.‑U.

[8]  Les défenderesses contestent ces événements. Elles déclarent que la demanderesse a envoyé sa lettre de mise en demeure, par l’intermédiaire de son avocat canadien, à Mattress Firm Inc., un détaillant américain de Strong Industries. Mattress Firm a répondu qu’elle ne cesserait pas de vendre l’Ellipse, en relevant que l’action de la demanderesse en propriété intellectuelle ne reposait sur aucune assise factuelle. Les défenderesses affirment que l’Ellipse est toujours offert à la vente aux États‑Unis.

[9]  La demanderesse raconte qu’en janvier 2019, elle a appris que Strong Industries vendait le spa Ellipse au Canada par l’entremise de Costco Canada sous le nom de « Solstice ». Mme Sylvie Duplessis, une représentante de Costco Canada, a confirmé en contre‑interrogatoire que Costco Canada avait commencé à offrir le Solstice sur son site Web le 23 novembre 2018.

[10]  La demanderesse allègue qu’au cours du mois de janvier 2019, deux de ses représentants, M. Jeff Knight et M. Al McNeil, ont été abordés dans des salons par plusieurs clients potentiels qui avaient confondu le Spaberry 5.0 avec le Solstice. La demanderesse ajoute qu’un de ses distributeurs a signalé que des clients potentiels avaient confondu les produits et annulé des commandes du Spaberry 5.0, car ils croyaient pouvoir acheter le même spa chez Costco Canada à un prix inférieur.

[11]  Le 17 janvier 2019, la demanderesse a envoyé à Costco Canada une lettre de mise en demeure, exigeant qu’elle retire le Solstice de son site Web et de ses magasins. Costco Canada a continué d’offrir le Solstice à la vente.

[12]  Le 21 février 2019, la demanderesse a signifié aux défenderesses une déclaration, dans laquelle elle allègue la violation du signe distinctif du Spaberry, contrairement à l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce (de l’époque), et demande une injonction permanente pour empêcher les défenderesses de commercialiser et de vendre le spa Solstice.

[13]  La demanderesse a également déposé cette requête en injonction interlocutoire le 21 février 2019.

[14]  Les 16 et 17 avril 2019, des contre‑interrogatoires ont été menés par vidéoconférence.

[15]  La demanderesse a déposé une déclaration modifiée à la fin octobre 2019. La défenderesse a par la suite déposé une défense modifiée et une demande reconventionnelle en novembre. La demanderesse a déposé une réponse modifiée à la demande reconventionnelle en décembre 2019.

II.  La position générale de la demanderesse

[16]  La demanderesse soutient qu’elle satisfait au critère de l’arrêt RJR pour obtenir une injonction interlocutoire. Elle fait valoir que, bien qu’il s’agisse d’un critère à trois volets, la force d’un des volets du critère peut compenser une faiblesse dans les autres (invoquant Corus Radio Inc. c Harvard Broadcasting Inc., 2019 ABQB 880, au par. 21, 312 ACWS (3d) 620 [Corus]).

[17]  La demanderesse soutient que l’injonction interlocutoire est nécessaire pour préserver son entreprise jusqu’à l’instruction de son action. Elle soutient que le seuil du volet relatif à la question sérieuse du critère n’est pas élevé et qu’elle a soulevé plusieurs questions sérieuses. La demanderesse soutient également qu’elle subira un préjudice irréparable qui ne peut être quantifié en raison de l’impossibilité de départager ses pertes des autres forces du marché en raison des agissements des défenderesses.

[18]  La demanderesse reconnaît qu’elle n’a pas enregistré son signe distinctif, mais soutient que l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce s’applique autant aux marques de commerce déposées que non déposées. Elle fait valoir que son signe distinctif n’est pas simplement fonctionnel, mais qu’il est bel et bien distinctif.

[19]  La demanderesse soutient que le Spaberry 5.0 possède plusieurs caractéristiques uniques et distinctives, qui ne sont pas purement fonctionnelles, en particulier : un panneau d’accès frontal au centre du spa d’une forme hémisphérique avec un motif de têtes de boulons, des lignes courbes dynamiques en retrait sur la surface du spa et une configuration de nodules surélevés à l’intérieur de la baignoire.

[20]  La demanderesse déclare qu’elle a fait la promotion et l’annonce du signe distinctif de Spaberry par l’entremise de médias interactifs et de matériel promotionnel en ligne, ainsi que lors de congrès et d’expositions partout au Canada depuis 2014. Elle affirme que ses spas sont largement reconnus par les consommateurs de produits liés aux spas.

[21]  La demanderesse fait valoir que son signe distinctif n’est pas simplement fonctionnel et qu’elle a satisfait aux trois composantes d’une action en commercialisation trompeuse : l’achalandage rattaché au signe distinctif du produit, les fausses déclarations au public par les défenderesses et les dommages causés à la demanderesse (Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, aux par. 67 et 68, [2005] 3 RCS 302 [Kirkbi]).

[22]  La demanderesse allègue que la commercialisation et la vente par les défenderesses de leur spa Solstice lui causent un préjudice irréparable en raison de la confusion entre les deux produits et de la perte de ventes du Spaberry 5.0 qui en découle, en raison du prix moins élevé du Solstice, ainsi que de la dépréciation de l’achalandage du Spaberry 5.0.

[23]  La demanderesse s’appuie sur le témoignage de M. Knight, qui raconte son expérience avec des clients et des clients potentiels qui ont confondu le Solstice et la Spaberry 5.0, et prétend que cela a entraîné une perte du caractère distinctif du signe distinctif du Spaberry, en plus d’une perte de ventes.

[24]  La demanderesse fait valoir qu’une fois qu’un consommateur pense qu’il a été arnaqué, il n’est pas possible pour la demanderesse de se remettre des dommages causés à son achalandage ou à sa réputation. La demanderesse soutient aussi qu’une fois le caractère distinctif perdu, les dommages à l’achalandage s’ensuivent et les dommages‑intérêts ne constituent pas une réparation adéquate – seule une injonction interlocutoire empêchera de nouvelles pertes.

III.  La position générale des défenderesses

[25]  Les défenderesses soutiennent que la Cour ne devrait pas examiner la requête en injonction interlocutoire de la demanderesse, parce que le signe distinctif de cette dernière n’est pas une marque de commerce déposée. Les défenderesses soutiennent qu’il ne peut y avoir de confusion ni aucune action pour commercialisation trompeuse en l’absence d’une marque de commerce valide.

[26]  Les défenderesses soutiennent également que le prétendu signe distinctif de la demanderesse ne pouvait pas être une marque de commerce déposée, parce que la majorité des caractéristiques sont fonctionnelles, tandis que d’autres sont purement ornementales (Kirkbi, aux par. 43, 60; Remington Rand Corp. c Philips Electronics N.V., [1995] ACF no 1660 (CA), au par. 14, 104 FTR 160).

[27]  Les défenderesses soutiennent que la requête en injonction de la demanderesse est vexatoire. Elles font valoir que l’action de la demanderesse et la présente requête ne peuvent être accueillies, parce que la demanderesse n’a aucun droit de propriété intellectuelle et qu’elle donne suite à ces actes de procédure uniquement pour maintenir une part de marché.

[28]  Les défenderesses allèguent que la demanderesse a défini le signe distinctif du Spaberry après coup, après l’avoir comparé au Solstice, et qu’elle a adapté le signe, en relevant uniquement les caractéristiques communes au Solstice et au Spaberry 5.0.

[29]  Les défenderesses soutiennent que, si la Cour entend la requête de la demanderesse, cette dernière devrait être assujettie à la norme exceptionnelle plus élevée qui consiste à établir l’existence d’une question sérieuse, soit démontrer l’existence d’une forte apparence de droit. Selon les défenderesses, la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une forte apparence de droit et n’a pas non plus établi qu’elle subirait un préjudice irréparable.

[30]  Les défenderesses soutiennent également que la demanderesse n’a pas réussi à établir l’existence d’une question sérieuse, même en fonction d’un seuil peu élevé. Les défenderesses ont fait valoir à plusieurs reprises que l’action de la demanderesse est vexatoire, en se fondant sur leur position selon laquelle la demanderesse n’a aucun droit de propriété intellectuelle à l’égard du Spaberry et qu’elle a utilisé des lettres de mise en demeure, son action et la présente injonction pour faire échec aux activités des défenderesses.

[31]  Les défenderesses soutiennent que la demanderesse n’a pas satisfait au critère d’une action en commercialisation trompeuse : la demanderesse n’a pas établi qu’elle avait un achalandage dans la marque de commerce alléguée; les défenderesses n’ont pas trompé le public par de fausses déclarations, et la demanderesse n’a subi aucun dommage réel ou potentiel du fait des agissements des défenderesses (Kirkbi, aux par. 67 et 68).

[32]  Les défenderesses soutiennent que la demanderesse ne se fonde que sur du ouï‑dire pour étayer son argument selon lequel le signe distinctif revendiqué est distinctif et qu’il existe un achalandage relativement au produit et à la marque.

[33]  Les défenderesses soutiennent en outre que rien dans la preuve n’indique qu’elles ont fait de fausses déclarations au sujet de leur propre produit au public. Elles font valoir que leur spa Solstice est uniquement annoncé et commercialisé en tant que spa Solstice, de marque Evolution.

[34]  Les défenderesses contestent également le fait que la demanderesse possède des éléments de preuve de dommages réels ou potentiels découlant de leurs ventes de leurs propres spas. Les défenderesses soutiennent une fois de plus que la demanderesse s’appuie sur une preuve par ouï‑dire de confusion relatée par M. Knight. De plus, les défenderesses précisent que rien dans la preuve n’indique que quiconque a commandé un spa Solstice croyant qu’il s’agissait d’un spa Spaberry.

IV.  Les dispositions législatives

[35]  La demanderesse a intenté son action en février 2019 conformément à la Loi sur les marques de commerce alors en vigueur. La Loi a été modifiée par la suite. Les parties n’ont pas fait valoir que l’ancienne Loi sur les marques de commerce ne s’applique pas à la présente instance. Les dispositions pertinentes de l’ancienne loi sont exposées ci‑dessous.

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

[…]

[…]

signe distinctif Selon le cas :

distinguishing guise means

a) façonnement de produits ou de leurs contenants;

(a) a shaping of goods or their containers, or

b) mode d’envelopper ou empaqueter des produits,

(b) a mode of wrapping or packaging goods

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou les services loués ou exécutés, par elle, des produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou des services loués ou exécutés, par d’autres. (distinguishing guise)

the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish goods or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others; (signe distinctif)

[…]

[…]

marque de commerce Selon le cas :

trade-mark means

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou les services loués ou exécutés, par elle, des produits fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish goods or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

b) marque de certification;

(b) a certification mark,

c) signe distinctif;

(c) a distinguishing guise, or

d) marque de commerce projetée. (trade-mark)

(d) a proposed trade-mark; (marque de commerce)

[…]

[…]

7 Nul ne peut : […]

7 No person shall […]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods,

[…]

[…]

13(2)

13(2)

(2) Aucun enregistrement d’un signe distinctif ne gêne l’emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise.

V.  Le critère applicable pour obtenir une injonction

[36]  Le critère à trois volets pour obtenir une injonction établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR - l’existence d’une question sérieuse à juger, la partie qui demande l’injonction subirait un préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients favorise la partie qui demande l’injonction - a été appliqué de manière uniforme. Dans l’arrêt RJR, la Cour suprême du Canada a réitéré le critère établi dans Metropolitan Stores (MTS) Ltd. c Manitoba Food and Commercial Workers, section locale 832, [1987] 1 RCS 110, 3 ACWS (3d) 390 [Metropolitan Stores], et a fourni des balises supplémentaires concernant chaque volet du critère. Elle a énoncé ce qui suit au par. 48 :

L’arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. Il peut être utile d’examiner chaque aspect du critère et de l’appliquer ensuite aux faits en l’espèce.

[37]  Pour ce qui est de l’établissement de l’existence d’une question sérieuse, la Cour a jugé qu’« [i]l n’existe pas d’exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l’affaire ». La Cour a ajouté qu’une fois que le tribunal ayant examiné la requête conclut que la demande n’est ni futile ni vexatoire, même s’il estime que le demandeur n’aura pas gain de cause au procès, il devrait examiner la question de savoir si le demandeur a établi l’existence d’un préjudice irréparable et si la prépondérance des inconvénients le favorise. La Cour a souligné que, lors de l’évaluation du volet de la question sérieuse « [i]l n’est en général ni nécessaire ou souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire ».

[38]  Dans RJR, la Cour a relevé deux exceptions à l’exigence généralement peu élevée pour établir l’existence d’une question sérieuse : lorsque l’octroi ou le refus de l’injonction équivaudra au règlement final de l’action (ce qui est une exception rare) et lorsqu’une question de constitutionnalité est soulevée comme une question de droit. Lorsque le règlement de la requête en injonction équivaudra effectivement à un règlement final, la Cour doit procéder à un examen plus exhaustif de l’affaire sur le fond. Dans de tels cas, la partie qui demande l’injonction doit établir qu’il existe une forte apparence de droit.

[39]  Dans Jamieson Laboratories Ltd. c Reckitt Benckiser LLC, 2015 CAF 104, 253 ACWS (3d) 191 [Reckitt], aux par. 23 à 25, la Cour d’appel fédérale a réitéré le critère de RJR et a souligné que l’exigence pour démontrer l’existence d’une question sérieuse n’est pas élevée. La Cour a noté que le fait de trancher la question de savoir si une question sérieuse avait été soulevée devait se fonder sur un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire.

[40]  En ce qui concerne l’établissement d’un préjudice irréparable, dans RJR, la Cour suprême du Canada a expliqué que ce n’est que le préjudice causé à la partie qui demande l’injonction qui devrait être pris en considération à ce stade et qu’il faut établir si le préjudice pourrait faire l’objet d’une réparation dans le cadre de la décision sur le fond.

[41]  La Cour a précisé la nature du préjudice irréparable et a donné quelques exemples au par. 64 :

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre. Des exemples du premier type sont le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise (R.L. Crain Inc. c. Hendry, (1988), 48 D.L.R. (4th) 228 (B.R. Sask)); le cas où une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale (American Cyanamid, précité); ou encore le cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelles lorsque l’activité contestée n’est pas interdite (MacMillan Bloedel Ltd. c. Mullin, [1985] 3 W.W.R. 577 (C.A.C.‑B.)). Le fait qu’une partie soit impécunieuse n’entraîne pas automatiquement l’acceptation de la requête de l’autre partie qui ne sera pas en mesure de percevoir ultérieurement des dommages‑intérêts, mais ce peut être une considération pertinente (Hubbard c. Pitt, [1976] Q.B. 142 (C.A.)).

[42]  En ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, dans RJR, la Cour suprême du Canada a adopté la description de Metropolitan Stores (à la p. 129), selon laquelle ce volet consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond ». La CSC a précisé que les facteurs à considérer varieront d’un cas à l’autre.

VI.  La question préliminaire – La demanderesse peut‑elle demander une injonction?

[43]  Les défenderesses soutiennent que la Cour ne peut pas accueillir la requête en injonction de la demanderesse, parce que cette dernière n’a pas enregistré ou cherché à enregistrer une marque de commerce ou un dessin industriel relativement au signe distinctif allégué du Spaberry.

[44]  Les défenderesses soutiennent que la demanderesse ne peut pas recourir à l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce pour son action en commercialisation trompeuse. Elles font valoir que la marque de commerce non déposée du Spaberry, composée de son signe distinctif évolutif, ne peut pas être la base d’une marque de commerce déposée, parce que les caractéristiques invoquées par la demanderesse sont fonctionnelles.

[45]  Les défenderesses s’appuient sur des éléments de preuve au dossier, y compris des photos et des captures d’écran des deux produits, pour prétendre que les caractéristiques du Spaberry que la demanderesse invoque en raison de leur nature distinctive sont fonctionnelles ou ont un caractère ornemental. Les défenderesses soutiennent que d’autres caractéristiques du Spaberry, qui diffèrent du Solstice, n’ont pas été indiquées comme faisant partie du signe distinctif allégué. Les défenderesses soutiennent que la demanderesse a changé la description de son signe distinctif, y compris après le dépôt de sa déclaration, en indiquant les caractéristiques qui étaient similaires à celles du Solstice et non celles qui sont différentes.

[46]  Les défenderesses soutiennent également que, bien que les signes distinctifs n’évoluent pas, la demanderesse a ajouté une caractéristique au signe distinctif allégué de Spaberry lorsqu’elle a modifié sa déclaration en octobre 2019.

[47]  Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, la demanderesse reconnaît que le nom Spaberry n’est pas une marque de commerce déposée, mais soutient que la Loi sur les marques de commerce protège à la fois les marques de commerce déposées et non déposées. La demanderesse s’oppose à l’affirmation selon laquelle son signe distinctif est fonctionnel.

[48]  Dans l’arrêt Kirkbi, la Cour suprême du Canada a confirmé que la common law reconnaît les marques de commerce non déposées (y compris les signes distinctifs), qu’elles sont protégées contre le délit de commercialisation trompeuse en common law et que l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce codifie ce délit. Cependant, la Cour a également confirmé qu’une marque de commerce ne peut pas comporter des particularités utilitaires – c’est‑à‑dire, qu’elle ne peut pas être protégée (Kirkbi, aux par. 23, 25, 30, 56 à 58). La Cour a confirmé la conclusion de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale selon lesquelles la doctrine de la fonctionnalité excluait la prétention de commercialisation trompeuse en vertu de l’alinéa 7b).

[49]  Dans l’arrêt Kirkbi, la Cour suprême du Canada a également confirmé que la doctrine de la fonctionnalité s’applique aux marques de commerce déposées et non déposées, en mentionnant ce qui suit au par. 58 :

58  Comme le juge Sexton l’a conclu au nom des juges majoritaires de la Cour d’appel, cet argument n’est pas fondé en droit. L’enregistrement d’une marque n’en change pas la nature; il confère des droits plus efficaces contre les tiers. Qu’elles soient déposées ou non, les marques conservent toutefois certains attributs juridiques communs. Elles accordent le droit exclusif d’utiliser un nom ou un signe distinctif (Ciba‑Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, p. 134; Gill et Jolliffe, p. 4‑13 et 4‑14). En fait, en autorisant la cession de marques non déposées, la Loi sur les marques de commerce reconnaît l’existence de l’achalandage qui résulte de ces marques ainsi que les droits de propriété qui s’y rattachent. L’enregistrement ne fait que faciliter la preuve du titre de propriété (par. 76, 77 et 81 des motifs du juge Sexton). Le juge Sexton a souligné, à juste titre, que l’argument de Kirkbi semble reposer sur une mauvaise interprétation d’un arrêt rendu par la Chambre des Lords au XIXe siècle, à savoir Singer Manufacturing Co. c. Loog (1882), 8 App. Cas. 15, conf. (1880), 18 Ch. D. 395 (C.A.). Cet arrêt décide seulement que des concurrents pouvaient mentionner une marque de commerce non déposée dans une publicité comparative, et non qu’une telle marque ne conférait aucun droit exclusif d’utiliser le nom pour distinguer les produits. Le principe de la fonctionnalité demeure pertinent puisque la nature juridique des marques reste la même.

[50]  Au par. 60, la Cour suprême a souscrit aux motifs donnés par le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale, notamment :

[…] Par conséquent, un signe distinctif qui est principalement fonctionnel ne confère aucun droit à un emploi exclusif et il n’accorde donc pas la protection qu’offre une marque de commerce. En d’autres termes, le fait que le signe distinctif est principalement fonctionnel veut dire qu’il ne peut pas constituer une marque de commerce.

[51]  La Cour suprême du Canada a également énoncé les éléments constitutifs du délit de commercialisation trompeuse tel qu’il s’est développé en droit canadien, en précisant ce qui suit au par. 66 :

Notre Cour paraît avoir adopté la classification tripartite dans l’arrêt Ciba‑Geigy. Dans cette affaire, notre Cour a accueilli une action pour commercialisation trompeuse relativement à la présentation d’un médicament délivré sur ordonnance. Le juge Gonthier a passé en revue certaines décisions antérieures et a affirmé qu’un demandeur devait établir l’existence de trois éléments pour obtenir gain de cause dans une telle action :

Les trois éléments nécessaires à une action en passing‑off sont donc : l’existence d’un achalandage, la déception du public due à la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur. [p. 132]

[52]  Dans Nissan Canada Inc. c BMW Canada Inc., 2007 CAF 255, 159 ACWS (3d) 275, la Cour d’appel fédérale a décrit l’alinéa 7b) en citant Kirkbi, au par. 14 :

L’alinéa 7b) de la Loi prévoit que nul ne peut appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion, lorsqu’il commence l’activité en cause, avec ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre. Comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2004] 2 R.C.F. 241, à la page 245, 2003 CAF 297, confirmé par 2005 CSC 65 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 302, l’alinéa 7b) est l’expression légale correspondant au délit de commercialisation trompeuse existant en common law à une exception près : pour se prévaloir de cet alinéa, un plaignant doit prouver qu’il possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non.

[Non souligné dans l’original.]

[53]  La doctrine de la fonctionnalité n’est pas contestée. La demanderesse peut intenter une action en commercialisation trompeuse de sa marque de commerce non déposée – c’est‑à‑dire le signe distinctif du Spaberry 5.0, mais uniquement si le signe distinctif est effectivement distinctif et qu’il n’est pas purement fonctionnel.

[54]  Bien que les défenderesses soutiennent que l’action et la requête de la demanderesse sont vexatoires, en s’appuyant sur leur argument selon lequel le signe distinctif de la demanderesse ne peut pas être une marque de commerce valide, je ne suis pas disposée à tirer une telle conclusion sur une requête en injonction interlocutoire. La question de savoir si le signe distinctif est fonctionnel sera tranchée au procès. Il n’appartient pas à la Cour d’examiner le bien‑fondé de l’affaire ainsi que tous les éléments de preuve à cette étape‑ci.

[55]  Dans Google Inc. c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, [2017] 1 RCS 824 [Equustek], la Cour suprême du Canada a précisé que les injonctions sont des réparations en equity et que les pouvoirs des tribunaux ayant compétence en equity sont, sous réserve de toute restriction législative pertinente, illimités (au par. 23). Au par. 24, la Cour suprême indique ce qui suit :

Une injonction interlocutoire est normalement exécutoire jusqu’au procès ou jusqu’à tout autre règlement de l’action. De telles injonctions visent à « préserver » l’objet du litige, de sorte qu’une réparation efficace sera possible lorsque l’affaire sera finalement jugée au fond (Jeffrey Berryman, The Law of Equitable Remedies (2e éd. 2013), p. 24‑25).

[56]  Dans Equustek, la Cour suprême a fait référence au critère de RJR, en faisant remarquer au par. 25 qu’« [i]l s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. La réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte. »

[57]  En l’espèce, la question de savoir si l’injonction est juste et équitable doit être évaluée conformément au critère en trois volets de RJR. Les arguments des défenderesses concernant la question de savoir si une injonction peut être envisagée en ce qui concerne la marque de commerce non déposée de la demanderesse seront examinés dans le cadre du volet du critère portant sur la question sérieuse.

VII.  La demanderesse a‑t‑elle établi l’existence d’une question sérieuse?

A.  L’exigence générale peu élevée s’applique

[58]  Les défenderesses soutiennent que l’exception à l’exigence peu élevée pour établir l’existence d’une question sérieuse s’applique. Les défenderesses affirment que le fait d’accueillir la requête de la demanderesse équivaudra au règlement final de l’action principale et, par conséquent, la Cour doit entreprendre un examen plus exhaustif sur le fond pour établir s’il est vraisemblable que l’action de la demanderesse soit accueillie. Les défenderesses ont fourni à la Cour des éléments de preuve à l’appui de leur position selon laquelle la demanderesse n’obtiendrait pas gain de cause dans son action.

[59]  Les défenderesses soutiennent que, si la Cour accorde l’injonction, Strong Industries et Costco Canada ne continueront pas d’offrir le Solstice à la vente au Canada. Les défenderesses soulignent les déclarations faites par M. Wade Spicer (président de Strong Industries) et Mme Sylvie Duplessis (acheteuse pour Costco Canada), qui attestent que, si l’injonction est accordée, Costco Canada n’offrira [traduction« plus jamais » le spa Solstice à la vente. Les défenderesses déclarent qu’elles ne participeront pas à un procès coûteux qui détournerait leur attention de leur entreprise. Selon elles, comme elles ne poursuivront pas ce litige après l’injonction, la demanderesse obtiendra en fait l’injonction permanente qu’elle sollicite.

[60]  Je ne souscris pas à l’affirmation selon laquelle l’exigence élevée doit être appliquée.

[61]  Les défenderesses ne peuvent pas invoquer leurs propres intentions et choix commerciaux pour invoquer le fardeau juridique de l’octroi d’une injonction interlocutoire sur la base des déclarations de deux de leurs propres représentants selon lesquelles Costco Canada cessera de vendre le Solstice si la présente injonction est accordée. C’est leur choix, un choix qu’elles auraient pu faire plus tôt ou à l’avenir, peu importe l’issue de la présente requête.

[62]  La demanderesse demande une réparation plus large dans le cadre de l’action principale en plus de l’injonction permanente, y compris une déclaration selon laquelle les défenderesses ont fait passer leur produit pour un Spaberry et ont violé le signe distinctif de Spaberry. Elle réclame aussi des dommages‑intérêts.

[63]  De plus, les déclarations de M. Spicer et de Mme Duplessis au sujet de leur intention de ne pas vendre le Solstice si la présente injonction est accordée portaient uniquement sur un modèle de spa parmi de nombreux modèles que Strong Industries fabrique, commercialise et vend, et que Costco Canada commercialise et vend.

[64]  La position des défenderesses quant à la présente requête et leurs efforts pour que la Cour se concentre sur les éléments de preuve sont difficiles à concilier avec leur argument selon lequel elles ne se défendront pas contre l’action si l’injonction est accordée. Il s’agira, cependant, du choix des défenderesses, pas d’un résultat forcé.

[65]  Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans RJR, l’exception à l’application de l’exigence peu élevée pour établir l’existence d’une question sérieuse est rare. L’exception ne prévoit pas de scénario dans lequel la partie qui s’oppose à l’injonction peut faire des affirmations pour se mettre dans une situation où l’exception s’applique, et soumettre la partie requérante à la norme plus élevée pour établir l’existence d’une forte apparence de droit.

[66]  Dans les circonstances actuelles, la demanderesse doit seulement satisfaire à l’exigence générale peu élevée pour établir l’existence d’une question sérieuse; c’est‑à‑dire une question défendable qui n’est ni futile ni vexatoire. La Cour n’examinera pas le bien‑fondé de l’affaire, malgré le dossier volumineux soumis à la Cour dans le cadre de la présente requête, ni les arguments avancés tant par la demanderesse que par les défenderesses concernant le fond.

[67]  Les défenderesses ont fait valoir que l’enseignement formulé par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 23 de l’arrêt Reckitt, selon lequel le juge ne devrait pas se pencher sur le bien‑fondé de l’action principale pour établir s’il existe une question sérieuse, ne s’applique pas en l’espèce, car dans cette affaire, l’existence de la question sérieuse était admise. Je ne suis pas d’accord. Dans Reckitt, la question dont était saisie la Cour d’appel était de savoir si l’évaluation du bien‑fondé par le juge, lorsqu’il a jugé qu’une question sérieuse avait été soulevée, avait influencé son appréciation des autres volets du critère de RJR.

[68]  La Cour d’appel a fait observer ce qui suit, au par. 25 :

[25]  Je conviens que le juge de la Cour fédérale est allé trop loin dans son analyse des arguments de fond de Reckitt. En principe, il doit déterminer s’il existe une question sérieuse à trancher en se fondant tout au plus sur un « examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑McDonald, au paragraphe 55). Dans le cadre d’une requête interlocutoire telle que la présente, l’examen du litige principal est reporté et en règle générale, le juge appelé à statuer sur la requête doit éviter de s’engager dans un examen du fond de l’affaire qui irait au‑delà de ce qui lui est strictement nécessaire pour rendre sa décision. En l’occurrence, bien qu’il ait conclu que « Jamieson a probablement contrefait une marque de commerce et a commercialisé un produit qui crée probablement de la confusion » seulement à l’étape de l’analyse de la prépondérance des inconvénients, cette conclusion était superflue (motifs, au paragraphe 67).

[Non souligné dans l’original.]

[69]  Les directives de la Cour d’appel fédérale sont claires. Étant donné que l’exigence peu élevée s’applique en l’espèce, la Cour commettrait une erreur si elle effectuait plus qu’un « examen extrêmement restreint » du bien‑fondé de l’affaire.

B.  Une question sérieuse a été soulevée

[70]  Comme je l’ai mentionné, la Cour suprême du Canada a expliqué dans l’arrêt RJR, au par. 55, que, pour juger si une question sérieuse avait été soulevée, la Cour doit seulement être convaincue que la demande n’est ni futile ni vexatoire. Même si la Cour estime qu’il est peu probable que la demanderesse obtienne gain de cause au procès, elle devrait examiner les deux autres volets du critère.

[71]  La question de savoir si la demanderesse a un signe distinctif qui est plus que fonctionnel ou utilitaire doit être tranchée par le juge de première instance, avec les autres questions pertinentes concernant l’évolution des caractéristiques de ce signe distinctif et celles de savoir si celui‑ci peut faire l’objet d’une action pour commercialisation trompeuse et si l’existence des éléments de la commercialisation trompeuse a été établie.

[72]  Comme je l’ai mentionné, lors de l’examen de la question préliminaire, le fait d’avoir une marque de commerce non déposée n’est pas en soi un obstacle à l’introduction d’une action en commercialisation trompeuse fondée sur l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce.

[73]  La demanderesse soutient qu’elle a un signe distinctif non déposé, avec des caractéristiques particulières qui semblent à tout le moins similaires aux caractéristiques du produit de Strong Industries. La demanderesse a renvoyé à des éléments de preuve visant à étayer ses arguments concernant les trois éléments du critère définissant la commercialisation trompeuse. Ces questions ne sont ni futiles ni vexatoires. La Cour ne se penchera pas davantage sur le bien‑fondé du recours à cette étape‑ci (RJR, au par. 55; Reckitt, aux par. 23 à 25).

VIII.  La demanderesse a‑t‑elle établi l’existence d’un préjudice irréparable?

A.  Les observations de la demanderesse

[74]  La demanderesse soutient que, si l’injonction interlocutoire n’est pas accordée, elle subirait un préjudice irréparable en raison de la dépréciation de l’achalandage, de la perte de caractère distinctif résultant de la confusion entre le Spaberry 5.0 et le Solstice et des pertes de ventes. La demanderesse fait valoir qu’il serait impossible de [traduction« départager » ses pertes commerciales liées à la confusion avec le Solstice d’autres facteurs. La demanderesse ajoute que l’incapacité de quantifier le préjudice occasionné à son achalandage et la valeur de sa marque de commerce ont pour effet de rendre ces dommages irréparables (en se fondant sur Sleep Country Canada Inc. c Sears Canada Inc., 2017 CF 148, aux par. 112 à 115, 121, 279, ACWS. (3d) 821 [Sleep Country]; Reckitt, aux par. 53 et 54).

[75]  La demanderesse soutient que la similitude entre le Spaberry et le Solstice satisfait au critère relatif à la confusion établi dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au par. 20, [2006] 1 RCS 824; c’est‑à‑dire, qu’un [traduction« consommateur ordinaire, plutôt pressé, ayant un vague souvenir du Spaberry 5.0 » le confondrait avec le Solstice. La demanderesse renvoie au témoignage de M. Knight, qui a raconté que les consommateurs ont confondu le Solstice avec le Spaberry 5.0. La demanderesse valoir que cela ne représente qu’un petit échantillon de clients potentiels de spas. La demanderesse ajoute que, même si Costco Canada a révélé que quatre spas Solstice ont été vendus entre novembre 2018 et avril 2019, elle n’a pas divulgué les ventes depuis cette période.

[76]  La demanderesse mentionne également le témoignage de M. Knight, qui raconte que certains clients se sont abstenus d’acheter le Spaberry 5.0, pensant qu’ils pourraient acheter le même spa chez Costco Canada à un prix inférieur. Elle soutient que cette confusion a entraîné une perte du caractère distinctif du Spaberry, de l’achalandage qui y est lié et de la confiance envers la marque.

[77]  La demanderesse fait valoir que ses pertes seront impossibles à quantifier et que l’injonction est donc essentielle.

[78]  La demanderesse soutient également que le préjudice qu’elle subira est irréparable, car elle ne pourra pas réclamer de dommages‑intérêts à Strong Industries, une société américaine établie en Pennsylvanie qui n’a pas d’actifs au Canada. La demanderesse mentionne que l’impossibilité de percevoir des dommages‑intérêts a été expressément mentionnée dans l’arrêt RJR comme fondement possible pour établir l’existence d’un préjudice irréparable.

B.  Les observations des défenderesses

[79]  Les défenderesses contestent le fait qu’un achalandage soit lié au Spaberry 5.0. Subsidiairement, elles soutiennent que, s’il y a de l’achalandage, ce dernier n’a subi aucune dépréciation et qu’il n’y a pas eu de perte de ventes du Spaberry 5.0. Les défenderesses ajoutent que, s’il y a eu des ventes perdues, celles‑ci pourraient être facilement quantifiées. Les défenderesses précisent que, si la demanderesse a raison de dire que l’achat du Solstice par un client confus représente une perte commerciale correspondante pour la demanderesse, cette perte peut certainement être quantifiée, étant donné que Strong Industries et Costco Canada consignent leurs ventes.

[80]  La qualifiant de ridicule, les défenderesses rejettent la préoccupation de la demanderesse selon laquelle, si la demanderesse obtenait gain de cause, elle ne serait pas en mesure de réclamer des dommages‑intérêts à la défenderesse, Strong Industries.

C.  Il n’y a pas de preuve claire et convaincante de l’existence d’un préjudice irréparable

[81]  Dans RJR, au par. 64, la Cour suprême du Canada a décrit le préjudice irréparable comme un préjudice « qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre ».

[82]  Dans l’arrêt Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, au par. 31, [2012] ACF no 1661 [Glooscap], la Cour d’appel fédérale a souligné la nécessité de produire des éléments de preuves clairs et convaincants de l’existence d’un préjudice inévitable, précisant que des conjectures et affirmations ne suffisent pas. Ces directives reflètent la déclaration antérieure de la Cour d’appel dans Centre Ice Ltd. c Ligue nationale de hockey, [1994] ACF no 68, 46 ACWS (3d) 519 [Centre Ice].

[83]  Dans Centre Ice, au par. 7, la Cour d’appel a jugé que la preuve d’un préjudice irréparable doit être « claire et ne pas tenir de la conjecture ». En ce qui concerne l’établissement d’un préjudice irréparable résultant d’une prétendue confusion avec une marque de commerce, la Cour a expliqué au par. 9 :

Dans le même ordre d’idées, j’estime que le juge des requêtes a commis une erreur dans le passage précité lorsqu’il s’est en fait fondé sur le fait que l’existence d’une confusion avait été établie pour inférer que l’intimée avait subi une perte d’achalandage pour laquelle elle ne pouvait être indemnisée par des dommages‑intérêts. Cette façon d’envisager la question va à l’encontre de la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle la confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d’achalandage et qu’une perte d’achalandage n’établit pas, en soi, que quelqu’un a subi un préjudice irréparable pour lequel il ne peut être indemnisé par des dommages‑intérêts. La perte d’achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des « éléments de preuve clairs ». Or, il manque de toute évidence de tels « éléments de preuve clairs » dans le présent dossier.

[En italiques dans l’original.]

[84]  Dans le cas présent, s’il y a confusion entre le Solstice et le Spaberry, ce seul fait n’établira pas la perte du caractère distinctif ou la perte d’achalandage que la demanderesse pourrait subir.

[85]  Contrairement à ce qu’a fait valoir la demanderesse, une conclusion de confusion n’entraîne pas nécessairement une perte d’achalandage pour laquelle la demanderesse ne peut être indemnisée. Il doit y avoir une preuve de perte d’achalandage et de préjudice irréparable. Dans Centre Ice, la Cour a précisé que, dans le dossier dont elle était saisie, elle ne disposait que de la déclaration du déposant selon laquelle il croyait qu’un préjudice irréparable se produirait si l’injonction n’était pas accordée, sans aucune preuve à l’appui de cette affirmation. Comme c’est le cas dans Centre Ice, la demanderesse se fonde principalement sur les déclarations de M. Knight et sur d’autres hypothèses selon lesquelles un préjudice irréparable surviendra entre maintenant et le règlement final de l’action. Les éléments de preuve établissant la perte de caractère distinctif et la perte de clientèle sont absents.

[86]  Je conviens avec les défenderesses que la demanderesse ne peut pas invoquer Sleep Country ou Reckitt à l’appui de son argument selon lequel la confusion entraîne une perte de caractère distinctif et d’achalandage entraînant des dommages qui ne peuvent être quantifiés, du fait qu’ils ne peuvent pas être [traduction] « départagés ». Tant dans Sleep Country que dans Reckitt, les éléments de preuve étaient suffisants et les faits plutôt différents.

[87]  Dans Reckitt, le propriétaire de la marque de commerce, ou licencié, a commencé à commercialiser les capsules d’huile de krill MEGARED au Canada à compter de décembre 2013 et de janvier 2014. Jamieson avait précédemment lancé OMEGARED en juin 2013. Reckitt n’a eu aucune possibilité d’établir des ventes ou des bénéfices avant que le produit OMEGARED de Jamieson n’entre sur le marché. Il s’agissait là d’un élément clé que la Cour a pris en considération pour conclure que les pertes subies par Reckitt en raison du comportement illicite allégué n’étaient pas quantifiables.

[88]  La Cour fédérale a déclaré ce qui suit au par. 55 (Reckitt Benckiser LLC c Jamieson Laboratories Ltd, 2015 CF 215, 253 ACWS (3d) 692) :

À mon avis, lorsque l’emploi d’une marque créant de la confusion fera perdre son caractère distinctif à la marque des demanderesses, c’est‑à‑dire sa capacité d’agir comme un signe distinctif et unique des marchandises ou de l’entreprise des demanderesses, il sera impossible de calculer en argent le dommage causé à l’achalandage et à la valeur de la marque. Les tribunaux ont estimé qu’il y a perte du caractère distinctif d’une marque lorsque le contrefacteur se livre à une campagne de marketing nationale qui met l’accent de façon répétée sur la marque créant de la confusion au public canadien. À mon avis, la preuve relative à la confusion et les conclusions que j’ai tirées au sujet de cette confusion sont claires et suffisantes pour conclure qu’une perte irréparable sera causée à l’achalandage et à la réputation du « nom » MEGARED si la conduite de Jamieson n’est pas interdite.

[Non souligné dans l’original.]

[89]  La Cour fédérale n’a pas conclu que la confusion entraînerait automatiquement la perte du caractère distinctif. Elle était plutôt d’avis que s’il existe des éléments de preuve que la confusion entraînera une perte du caractère distinctif, le préjudice causé à l’achalandage est impossible à calculer.

[90]  La Cour fédérale a examiné la jurisprudence, y compris Centre Ice, et a conclu que, d’après les éléments de preuve au dossier, il n’était pas possible de quantifier les dommages de Reckitt et que le préjudice serait donc irréparable. La Cour d’appel fédérale a souscrit à la conclusion de la Cour fédérale (Reckitt, au par. 2).

[91]  L’affaire Sleep Country portait sur un slogan utilisé comme un thème musical jouissant d’une grande familiarité auprès du public depuis de nombreuses années et associé aux produits de la demanderesse. Il y avait une preuve évidente de confusion et de perte du caractère distinctif. J’ai fait remarquer ce qui suit au par. 114 :

Comme je l’ai conclu, Sleep Country a établi la confusion et la perte du caractère distinctif, selon la prépondérance des probabilités. Sleep Country ne se fonde pas sur des conclusions tirées à partir de la confusion, mais plutôt sur la preuve de la diminution de la valeur de l’achalandage et de la perte du caractère distinctif.

[92]  En l’espèce, la preuve de la perte d’achalandage de la demanderesse se fonde uniquement sur les récits de confusion des clients de M. Knight. La demanderesse n’a pas fourni de preuve claire et non conjecturale de perte d’achalandage. L’argument de la demanderesse selon lequel les clients pensaient que le Solstice était un Spaberry produit pour Costco Canada ou qu’ils pouvaient acheter le même spa à un prix moins élevé chez Costco Canada est également fondé sur le récit de M. Knight. Ce n’est pas une preuve suffisante de perte d’achalandage.

[93]  Il n’y a aucune preuve directe provenant d’un client potentiel ou d’un client qui a effectivement acheté un Spaberry. Rien n’indique qu’une personne ait acheté un Solstice, pensant qu’il s’agissait d’un Spaberry, et qu’elle ait été insatisfaite.

[94]  Bien que certains clients aient pu acheter le Solstice, pensant qu’il s’agissait d’une imitation bon marché (comme le prétend la demanderesse), rien ne prouve que cela a nui à la demanderesse, hormis la possible perte d’une vente.

[95]  En s’appuyant sur Sleep Country pour faire valoir que ses pertes dues au produit des défenderesses ne peuvent être départagées d’autres sources possibles, la demanderesse fait abstraction du contexte factuel unique de Sleep Country, qui, comme je l’ai indiqué, avait trait à la confusion liée à un slogan utilisé comme thème musical et non à un produit en particulier. En ce qui concerne la question de savoir si les ventes perdues pouvaient être quantifiées, dans Sleep Country, j’ai noté ce qui suit au par. 119 :

En bonne partie, la jurisprudence dans laquelle il a été conclu que le préjudice découlant de la violation est quantifiable, s’il est établi, concerne des produits contrefaits et la vente de ces produits. Cette situation diffère de celle de la présente affaire, dans laquelle le comportement illicite consiste en l’utilisation d’un slogan, qui s’entend au sens d’une « proposition de valeur » et n’est qu’un des éléments d’une stratégie de marketing à multiples facettes. Le professeur Wong a décrit le slogan comme étant une idée qui comporte des éléments subjectifs et qualitatifs.

[96]  Dans Sleep Country, il y avait une preuve abondante portant sur les méthodologies différentes et compliquées qui pouvaient être utilisées – et les nombreuses hypothèses invoquées – pour établir si le préjudice découlant de la perte de ventes et d’autres dommages attribuables à la confusion probable entre les deux slogans pouvaient être quantifiés. J’ai conclu au par. 156 que ce serait difficile, au point de l’impossibilité, de quantifier les pertes pour Sleep Country.

[97]  Une telle conclusion ne peut être tirée en l’espèce. Rien ne prouve qu’il serait impossible de déterminer les ventes perdues en raison d’une éventuelle confusion entre le Spaberry 5.0 et le Solstice.

[98]  Le différend entre la demanderesse et les défenderesses concerne des spas, soit la vente de produits potentiellement contrefaits. Ce type de préjudice possible est généralement quantifiable.

[99]  Je conviens avec les défenderesses qu’il serait possible de déterminer toute perte de ventes subie par la demanderesse et de quantifier ces pertes en termes pécuniaires. Les défenderesses ont des registres de leurs ventes qui pourraient servir de point de départ pour établir si les ventes du Solstice des défenderesses ont cannibalisé une part des ventes du Spaberry 5.0 de la demanderesse.

[100]  Rien dans la preuve n’indique que la demanderesse coure un risque de ne pas recouvrer les dommages‑intérêts qui pourraient lui être accordés si elle obtenait gain de cause dans son action en raison de l’absence d’actifs de Strong Industries au Canada. De plus, Costco Canada est une entreprise canadienne bien connue qui possède des actifs au Canada.

IX.  Il n’est pas nécessaire d’établir la prépondérance des inconvénients

[101]  Étant donné que la demanderesse n’a pas établi au moyen d’une preuve claire et convaincante qu’elle subirait un préjudice irréparable entre maintenant et le moment où une décision finale sera rendue dans l’action de la demanderesse, l’injonction ne peut être accordée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de déterminer laquelle des deux parties subirait un préjudice plus important en fonction du résultat. Cependant, la Cour prend acte des observations des parties, et en retient certaines.

[102]  Tant la demanderesse que les défenderesses soutiennent que la prépondérance des inconvénients les favorise. Les deux parties invoquent également la mauvaise foi de l’autre pour appuyer leur argument à cet égard. Ces allégations témoignent de la relation très acrimonieuse entre les parties. Il n’y a pas lieu d’examiner les allégations de mauvaise foi et elles ne seront pas abordées.

[103]  La demanderesse soutient qu’il s’agit d’une bataille « David contre Goliath ». La demanderesse fait valoir que les répercussions sur VisionWerx seront beaucoup plus importantes que les répercussions sur Strong Industries et Costco Canada, étant donné qu’elle ne fabrique et vend qu’un éventail limité de spas, alors que Strong Industries fabrique de nombreux spas aux États‑Unis et au Canada et que Costco Canada ne fait que vendre les spas Solstice, sur la base de commandes en ligne, sans tenir d’inventaire.

[104]  La demanderesse fait valoir que les ventes et le signe distinctif du Spaberry 5.0 sont beaucoup plus importants pour elle que ceux du Solstice pour les défenderesses, étant donné que Costco Canada continuerait de vendre tous les autres spas fabriqués par Strong Industries.

[105]  Les défenderesses soutiennent également qu’elles subiront un plus grand préjudice si l’injonction est accordée, parce que Strong Industries perdra toutes les ventes futures du Solstice à Costco Canada et que leur relation d’affaires en souffrira. Les défenderesses précisent également que la stigmatisation liée au fait d’être visées par une injonction qui ferait en sorte qu’elles seraient perçues comme ayant agi illégalement, aurait pour effet de ternir ternirait la réputation de chacune d’entre elles.

[106]  Les défenderesses ajoutent que la demanderesse a tardé pendant plus d’un an à introduire sa requête en injonction, ce qui met en doute la nécessité d’une injonction. Les défenderesses contestent le fait que les contre‑interrogatoires et les modifications des actes de procédure aient contribué au retard, précisant que la demanderesse a modifié ses actes de procédure pour tenir compte des caractéristiques évolutives du signe distinctif et que le contre‑interrogatoire de M. Banga était inutile.

[107]  Bien sûr, le refus d’accorder l’injonction aura des répercussions sur la demanderesse. Les défenderesses en subiraient également si l’injonction était accordée.

[108]  Je conviens que la demanderesse se considère comme le [traduction] « petit détaillant » face à un plus grand fabricant et détaillant. Cependant, la demanderesse a également laissé entendre qu’elle avait des ventes élevées de sa gamme de spas, qui ne se limitaient pas au Spaberry 5.0. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse sur le fait qu’il existe des considérations d’intérêt public en faveur de l’octroi de l’injonction.

[109]  Je ne souscris pas non plus à l’affirmation des défenderesses selon laquelle leur relation d’affaires sera mise à rude épreuve si une injonction est accordée, affirmation qui appuierait la conclusion selon laquelle la prépondérance des inconvénients les favorise.

[110]  Je ne suis pas non plus d’accord avec les défenderesses pour dire que la stigmatisation de se voir interdire de vendre le spa Solstice pour deux personnes ternirait leur réputation. Cet argument pourrait être invoqué par toute entreprise ou personne faisant l’objet d’une injonction. Les éléments de preuve sur lesquels s’appuient les défenderesses démontrent que Strong Industries a une importante gamme de produits et des ventes considérables. Les ventes par Costco Canada de seulement quatre spas Solstice au cours d’une période de quatre mois donnent à penser qu’il ne s’agit pas du meilleur vendeur de Strong Industries. En outre, la propre affirmation des défenderesses selon laquelle elles ne poursuivront pas le litige si la présente injonction est accordée suggère que la vente de ce produit n’est pas leur priorité absolue.

X.  Conclusion

[111]  La demanderesse s’appuie sur Corus pour affirmer que le critère de RJR devrait être considéré dans son ensemble et que le respect d’un volet du critère pourrait compenser le non‑respect des autres volets du critère, car la question principale est celle de savoir si l’injonction est équitable dans toutes les circonstances. Dans Corus, au par. 21, la Cour s’est exprimée ainsi :

[traduction

Malgré le fait qu’une analyse de la demande de Corus passe par l’application du critère à trois volets comme s’il s’agissait d’une série d’étapes, je conviens que les trois conditions d’une injonction doivent être considérées dans leur ensemble lors de l’évaluation de leur incidence globale. La force ou la faiblesse relative d’un volet du critère peut être compensée par la faiblesse ou la force relative d’un autre volet.

[112]  Je ne considère pas ce passage comme laissant entendre que les trois volets du critère n’ont pas à être établis; au contraire, lorsqu’il applique le critère, le tribunal ne devrait pas négliger la question de savoir si l’injonction est équitable.

[113]  Je considère que le critère de RJR nécessite que les trois volets du critère soient établis. Étant donné que l’exigence pour établir l’existence d’une question sérieuse est généralement peu élevée, toute autre interprétation réduirait le critère à trois volets en un critère à deux volets. La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale a adopté l’approche selon laquelle tous les volets du critère doivent être établis (par exemple, Glooscap, aux par. 4, 24).

[114]  Bien que la demanderesse ait satisfait à l’exigence peu élevée en ce qui a trait à l’établissement d’une question sérieuse, elle n’a pas fourni de preuve claire, convaincante et non conjecturale qu’un préjudice irréparable se produira entre maintenant et le règlement définitif de son action.

[115]  Les parties devraient accélérer la réalisation des prochaines étapes de ce litige, pour qu’une décision soit rendue relativement à l’action de la demanderesse.

XI.  Dépens

[116]  Dans l’éventualité où les parties parviennent à un accord sur les dépens, cet accord doit être communiqué à la Cour dans les dix jours suivant la date de la présente ordonnance. Si aucun accord n’a été conclu, la demanderesse et les défenderesses peuvent chacune présenter des observations d’au plus cinq pages concernant les dépens raisonnables, qui doivent être fournies à la Cour également dans les dix jours suivant la date de la présente ordonnance. La Cour rendra une ordonnance distincte concernant les dépens.




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