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Date : 20050224

Dossier : IMM-5956-04

Référence : 2005 CF 293

Montréal (Québec), le 24 février 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                                              RAJ MENDIRATTA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et le statut de réfugié, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision de la Section d'appel de l'immigration (la Commission) de rejeter l'appel interjeté par la demanderesse en application du paragraphe 63(3) de la Loi à l'encontre d'une mesure de renvoi prise par un arbitre.

[2]                La demanderesse est une citoyenne de l'Inde âgée de 65 ans. Une mesure de renvoi a été prise contre elle le 19 août 2003.


[3]                La demanderesse habite avec sa fille, une citoyenne canadienne, et le mari et les deux enfants de celle-ci, lesquels sont âgés de 12 et de 14 ans.

[4]                La demanderesse a décidé de retourner en Inde après avoir passé huit ans au Canada. Elle a séjourné en Inde pendant plus de cinq mois, soit d'octobre 2001 à mars 2002. Pendant ce séjour, on l'a convaincue de renouer avec son mari. La demanderesse a aussi rendu visite à ses deux filles, à son fils et à leurs conjoints, ainsi qu'à ses six petits-enfants et à des membres de sa famille élargie, notamment trois neveux, leurs épouses et six enfants, qui l'ont reçue et qui ont pris soin d'elle à tour de rôle.

[5]                Selon un rapport établi en application du paragraphe 44(1) de la Loi, la demanderesse était interdite de territoire suivant l'alinéa 40(1)a) de la Loi pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la Loi.


[6]                Le rapport a été établi au moment où la demanderesse, qui avait indiqué qu'elle était veuve lorsqu'elle a demandé la résidence permanente, a voulu parrainer son mari en Inde (où vivaient également son fils et ses deux filles). Selon sa fiche d'établissement datée du 1er juin 2001, elle était veuve, et les renseignements additionnels fournis en avril 1998 pour démontrer qu'il existait des motifs d'ordre humanitaire qui lui étaient favorables indiquent :

Je suis une vieille dame qui est toute seule. Je n'ai plus de famille dans mon pays. Ma fille vit au Canada et je suis avec elle.

À mon âge, il est très difficile de vivre dans mon pays toute seule. Ici je m'occupe de mes petits-enfants et de ma fille. Je me sens heureuse et cela me procure la joie de vivre au lieu de mourir.

[7]                À l'audience de la Commission, la demanderesse n'a pas contesté la légalité de la mesure de renvoi. Elle n'a pas non plus assigné d'autres personnes à témoigner ou à produire des documents. Elle s'est plutôt appuyée seulement sur son propre témoignage et sur les facteurs qu'elle croyait lui être favorables. La Commission ne disposait en outre d'aucune preuve indiquant que la demanderesse avait éprouvé des difficultés en Inde.

[8]                Après avoir examiné tous les documents qui lui avaient été présentés, la Commission a conclu que les explications de la demanderesse concernant les fausses déclarations qu'elle avait faites aux autorités de l'immigration n'étaient ni sincères ni plausibles.


[9]                De plus, bien qu'elle ait vécu la plupart du temps au Canada au cours des dix dernières années, la demanderesse n'a pas réussi à faire la preuve d'un degré d'établissement suffisant au Canada ou de l'existence de facteurs justifiant qu'une mesure spéciale lui soit accordée en dépit de ses fausses déclarations. La demanderesse a joué un rôle important dans l'éducation de deux de ses petits-enfants au Canada, mais les enfants sont maintenant beaucoup plus vieux et on n'a produit aucune preuve permettant de conclure que le renvoi de la demanderesse les affecterait. En outre, trois enfants de la demanderesse, six de ses petits-enfants, son mari et de nombreux membres de sa famille élargie vivent en Inde; ces personnes l'ont reçue chez eux et ont pris soin d'elle pendant son séjour dans ce pays.

[10]            Finalement, aucune preuve démontrant que la demanderesse subirait un préjudice particulier si elle retournait en Inde n'a été produite, ni aucune preuve établissant que sa fille qui réside au Canada subirait un préjudice particulier si elle était renvoyée du Canada.

[11]            La demanderesse soutient que la Commission a fondé ses conclusions sur une partie seulement de la preuve. En outre, la Commission n'aurait pas tenu compte des considérations humanitaires liées à sa situation. Je ne suis pas de cet avis.

[12]            D'abord, seules les notes prises par un agent en Inde au moment où la demanderesse a présenté une demande de visa (cet élément de preuve a été produit devant la Commission et peut, en conséquence, être pris en compte par la Cour) étayent la prétention de cette dernière selon laquelle elle n'a pas délibérément fait de fausses déclarations concernant son état matrimonial aux agents d'immigration. Les autres documents qui ont été présentés à la Cour (et dont la Commission disposait) indiquent que la demanderesse a elle-même dit qu'elle était veuve.

[13]            Comme la Cour l'a dit, l'obligation de donner des renseignements exacts repose en définitive sur le demandeur : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.). Il est vrai que des problèmes de langue peuvent entraîner des erreurs dans les renseignements, mais pas dans un cas où la demanderesse a elle-même dit à plusieurs reprises qu'elle était veuve et où elle a déclaré clairement, pendant l'enquête visée à l'article 40 de la Loi, qu'elle avait fait de fausses déclarations concernant son état matrimonial et les membres de sa famille en Inde.

[14]            Ces conclusions sont essentiellement des conclusions de fait. Loin d'être manifestement déraisonnables - la norme de contrôle applicable (voir, par exemple, Varone c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1653 (C.F. 1re inst.)), les conclusions de la Commission concernant les fausses déclarations étaient fortement étayées par la preuve.

[15]            Malgré ces fausses déclarations, la demanderesse pourrait être autorisée à demeurer au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire. La Commission a toutefois conclu que de tels motifs n'avaient pas été prouvés en l'espèce et je ne suis pas disposée à modifier cette conclusion non plus.


[16]            Dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, la Cour suprême du Canada a appliqué la norme de la décision correcte à la décision de la Commission de refuser de prendre en considération, dans le cadre de l'examen de la mesure de renvoi, le préjudice susceptible d'être subi à l'étranger.

[17]            En l'espèce, cependant, rien n'indique que la Commission a limité son examen de la preuve. Au contraire, la Commission a expressément indiqué qu'elle ne disposait tout simplement d'aucune preuve de préjudice, que ce soit celui que la demanderesse subirait en retournant en Inde ou celui qui serait causé à sa fille ou à ses petits-enfants.

[18]            La conclusion concernant les motifs d'ordre humanitaire tirée par la Commission en vertu de l'alinéa 67(1)c) de la Loi doit donc faire l'objet d'une retenue beaucoup plus grande de la part de la Cour. Comme la Cour et la Cour d'appel fédérale l'ont mentionné, cette disposition confère à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire. La Cour ne devrait pas intervenir si la Commission exerce ce pouvoir de bonne foi, sans être influencée par des considérations non pertinentes. La norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable : voir, par exemple, Badhan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1279 (QL); Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 270 N.R. 293 (C.A.F.)[1].


[19]            Comme le juge Iacobucci l'a souligné dans Chieu, précité, au paragraphe 90, il incombe à la demanderesse d'expliquer pourquoi elle ne devrait pas être renvoyée du Canada dans les circonstances. Or, la demanderesse n'a produit aucune preuve qui lui était favorable, outre celle établissant ses liens avec ses petits-enfants canadiens.

[20]            En l'absence d'une preuve démontrant qu'un préjudice sera causé à la demanderesse ou aux membres de sa famille vivant au Canada, j'estime que les conclusions de la Commission concernant les motifs d'ordre humanitaire ne sont pas manifestement déraisonnables.

[21]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                 « Danièle Tremblay-Lamer »          

                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-5956-04

INTITULÉ :                                                            RAJ MENDIRATTA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 23 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                           LE 24 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Andrea C. Snizynsky                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Annie Van Der Meerschen                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrea C. Snizynsky                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)



[1] Le juge Iacobucci a évoqué cette possibilité dans Chieu, supra, au paragraphe 26.


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