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Date : 20010525

Dossier : IMM-3839-00

Référence neutre: 2001 CFPI 525

ENTRE:

                                                 KUGATHAS KANDASAMY

                                                                                                                         Demandeur

                                                                    - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                            Défendeur

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié (ci-après le "tribunal") rendue le 15 juin 2000 selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


FAITS

[2]                Le demandeur, un Tamoul Hindou, est un citoyen Sri Lankais, âgé de 27 ans.

[3]                En 1992, le demandeur a reçu la visite des Tigres. Ceux-ci lui ont demandé de joindre les rangs des Tigres. Afin d'échapper à leur demande, le père du demandeur leur a payé un pot-de-vin.

[4]                En 1993, alors qu'il résidait à Killinochchi, le demandeur fut enlevé par les Tigres. Il a alors dû fournir des services de premiers soins et servir la nourriture.

[5]                En mai 1998, le demandeur fut arrêté a Jaffna par l'armée après l'assassinat du maire de Jaffna, Sarojini Yogeswaran. Le demandeur fut relâché après une semaine de détention. Son frère, Mohanachevem fut arrêté en octobre 1998 et depuis, personne ne sait où il se trouve.


[6]                En février 1999, l'armée a effectué un raid à l'imprimerie où le demandeur travaillait. Le demandeur ainsi que deux autres employés furent alors arrêtés par l'armée et amenés à un camp. Le demandeur fut détenu pendant un mois. Une fois relâché, on lui ordonna de se rapporter au camp quotidiennement.

[7]                En raison de sa peur, le demandeur a quitté Jaffna pour Colombo. À Colombo, il fut arrêté par la police parce qu'il est un jeune Tamoul. Le demandeur fut relâché après avoir été détenu pour la nuit.

QUESTION EN LITIGE

[8]                Le tribunal a-t-il erré en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

ANALYSE

[9]                Dans l'affaire Aguebor c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a indiqué les circonstances justifiant l'intervention de la Cour relativement aux conclusions d'un tribunal au sujet de la crédibilité d'un demandeur:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


[10]            Dans Razm c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 373 (C.F. 1ère Inst.), il fut indiqué:

Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Étant donné que les motifs de la décision qu'elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites, cette cour n'interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.

(notes de bas de pages omises)

[11]            Finalement, dans Wen c. M.E.I., [1994] F.C.J. No. 907 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a précisé:

The Refugee Division's decision turned wholly on an adverse finding of the appellant's credibility. That finding was founded in part on a number of perceived internal contradictions and inconsistencies in the appellant's story. While it may be possible to view the bases of this perception differently, we must resist the temptation of doing so when it has not been shown that it was not reasonably open to the Refugee Division.

That apart, we also observe that the adverse finding was based as well on the appellant's answers being "confusing" and "evasive". This assessment of personal demeanour ought not to be interfered with by this Court which lacks the advantages available to the triers of fact. (See Clarke v. Edinburgh Tramways Co. [1919] S.C. 35 (H.L.) quoted in Fletcher v. Manitoba Public Insurance Company (1990) 116 N.R. 1 (S.C.C.), at pages 12-13.

[12]            Le demandeur soutient que la conclusion suivante du tribunal est déraisonnable. À la page 2 de la décision, le tribunal indique:

In explaining his detention on this occasion, the claimant gave some information which is not mentioned in his PIF. The claimant, for example, said that the army came back after one week with photos for the claimant to comment while he was in the camp. After that he was put in a dark room with no windows or light. He sais there was a small hole in the wall. The panel believes that the claimant is again adding information to inflate his claim. Therefore, he is not credible as the omission from his PIF of photos shown by the army during his detention for his comments was an important information which should have been stated there.


[13]            Selon le demandeur, il est ahurissant de lui reprocher de ne pas avoir écrit dans son récit qu'il y avait un petit trou dans le mur de sa cellule.

[14]            Je ne peux accepter la prétention du demandeur. Tout d'abord, je ne retiens pas de la décision du tribunal que le tribunal a conclu que le demandeur devait indiquer dans son FRP qu'il y avait un trou dans le mur de sa cellule. Le tribunal reproche plutôt au demandeur d'avoir omis un fait important dans son FRP, soit qu'il n'avait pas indiqué dans son FRP que l'armée, lorsqu'il était détenu, lui avait montré des photos afin qu'il les commente.

[15]            En fait, dans son FRP, le demandeur mentionne sans plus de détails qu'il a été arrêté et emmené au camp où il fut alors torturé.

[16]            De plus, tel qu'il fut précisé par le juge Teitelbaum dans l'affaire Basseghi c. M.E.I., [1994] A.C.F. no 1867 (C.F. 1ère Inst.):

Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.

[17]            Je ne peux conclure que la conclusion du tribunal est manifestement déraisonnable.


[18]            Le demandeur questionne également la conclusion du tribunal relativement à l'obtention du laissez-passer. Le demandeur est d'avis qu'il a bien expliqué que le laissez-passer a été obtenu en n'empruntant pas le chemin régulier soit par le truchement du chef de village qui est une personne d'influence. C'est une manière très courante d'obtenir ce type de document au Sri Lanka et le demandeur ne croit pas que le tribunal est mieux placé pour juger du déroulement de certains événements.

[19]            À la page 3 de sa décision, le tribunal explique:

The claimant testified that the village headman had to speak to the army to get the pass for him. The claimant had earlier said that the village headman knew about the claimant's detention by the army for a month. if this testimony is to be believed, then the panel fails to understand how he could obtain a pass from the army through the village headman in a day after his release by the army. Particularly, when it is considered that the army asked him to report daily to their camp as a condition of his release. The claimant is not credible.

[20]            Contrairement à ce qui est allégué par le demandeur, le tribunal ne conteste pas le fait qu'une personne puisse recevoir un laissez-passer avec l'aide du chef du village. Ce que le tribunal ne peut trouver crédible c'est l'explication du demandeur quant au fait que l'armée lui a donné un laissez-passer, une journée seulement après sa libération, alors que l'armée lui avait demandé de se rendre au camp à chaque jour. C'est cette incohérence que le tribunal ne peut accepter.


[21]            Il fut précisé dans l'affaire Tong v. Secrétaire d'État du Canada [1994], F.C.J. No. 479 (C.F. 1ère Inst.):

A claimant's demeanour, consistency, ability to present specific facts, and concordance with objective evidence in the record may be thought of as internal credibility, viz, the apparent veracity (or lack thereof) of a witness' testimony, taken within itself and within the record, that is, in the light of demeanour, frankness, readiness to answer, coherence and consistency - what I might call the heartland of credibility. Confusion, failure to respond, evasions, inconsistencies and contradictions will create a perception of lack of credibility.

[Je souligne.]

[22]            À mon avis, le tribunal était en droit de conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve déposée. Je ne peux conclure que le tribunal a erré en interprétant la preuve et en concluant comme il l'a fait.

[23]            Le demandeur soutient également qu'il était tout à fait déraisonnable que le tribunal ait conclu que le demandeur n'était pas crédible lorsqu'il a expliqué qu'il a voyagé avec un homme américain blanc qui passait pour son père lors du voyage. Selon le demandeur, des enfants noirs ou blancs peuvent naître d'une union de parents mixtes et l'adoption est également possible. Le tribunal s'est fondé sur des préjugés pour rejeter les explications du demandeur.


[24]            Il est vrai qu'à première vue, on peut se demander si le tribunal a conclu qu'il était impossible qu'un américain blanc puisse se faire passer pour le père du demandeur. Si tel était le cas, je serais d'avis que la conclusion du tribunal est manifestement déraisonnable.

[25]            Cependant, il appert des motifs du tribunal que ce dernier n'acceptait pas l'explication du demandeur quant à savoir comment il allait répondre aux autorités s'il se faisait questionner sur son père, que ce soit en général ou parce qu'il ne ressemblait pas à son père. Le demandeur a expliqué au tribunal qu'il ne connaissait pas le nom de son prétendu père et que son prétendu père, malgré le fait qu'il avait la peau blanche, avait les cheveux et yeux noirs et était par conséquent d'origine raciale mixte.

[26]            Le tribunal indique à la page 3 de sa décision:

The claimant testified that he travelled with a white person (An American) from Hong Kong. His agent arranged this. He was told that he was travelling with this white man as his father. The claimant said he did not remember the white man's name. When asked what name was used on his fake USA passport, he said that it was Michael St. John. The panel fails to understand that if he was travelling with this gentleman as his son, he would remember his name but not of his supposed father. The panel finds that the claimant is not truthful, hence not credible.

The panel also finds that the claimant was making up explanations when questioned how he passes as son, being a dark skin individual, of a white American man. He said that this gentleman had black eyes and white body, therefore, of a mixed racial origin. He pointed to the counsel after, stating that he looked like him (white man as well). These are not credible explanations, thus rendering him not to be credible.


[27]            On comprend que le tribunal cherchait à savoir si le demandeur s'était préparé à l'éventualité que les autorités lui demandent des précisions sur son père et sur leur différence d'apparence.

[28]            À mon avis, il était raisonnable que le tribunal cherche à savoir comment le demandeur s'était préparé à l'éventualité qu'il se fasse demander des précisions sur son père. La conclusion de manque de crédibilité du demandeur à ce sujet est étayée par la preuve et à mon avis, la conclusion du tribunal n'est pas déraisonnable.

[29]            Le demandeur soutient que le tribunal ne peut rejeter l'ensemble du témoignage si les incohérences, même significatives, ne portent pas sur un élément central de la revendication.

[30]            Je ne peux accepter cet argument. J'ai regardé attentivement la preuve devant le tribunal ainsi que la décision du tribunal. Les conclusions du tribunal quant au manque de crédibilité du demandeur touchent à des éléments importants de la revendication.


[31]            Le demandeur n'a pas réussi à convaincre la Cour que les conclusions du tribunal avaient été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[32]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33]            Aucun des procureurs n'a suggéré de question pour certification.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 25 mai 2001

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