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Date : 20060608

Dossier : IMM-6562-05

Référence : 2006 CF 716

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

 

HAITHAM ALABADLEH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 6 septembre 2005 par une agente d’examen des risques avant renvoi qui a jugé que M. Alabadleh, un Palestinien apatride, ne serait pas exposé à un danger s’il retournait à Gaza. Mes motifs pour conclure que la demande doit être rejetée sont les suivants.

 

[2]               M. Alabadleh est né aux Émirats arabes unis, mais il n’en a ni la citoyenneté ni le statut de résident permanent. Son épouse et son enfant sont des citoyens canadiens. La famille est entrée au Canada en octobre 2004, M. Alabadleh étant muni d’un visa de visiteur. Le 18 janvier 2005, une mesure d’exclusion a été prononcée contre M. Alabadleh en application de l’article 41 et de l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), pour omission de se conformer à la Loi.  

 

[3]               En février 2005, M. Alabadleh a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) essentiellement pour les motifs que, s’il retournait à Gaza, il risquerait d’être persécuté en raison de son opinion politique en faveur de la paix dans la région, il serait exposé à une menace à sa vie en raison des hostilités entre Palestiniens et Israéliens et il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque d’être soumis à la torture en raison de son idéologie pacifique. 

 

[4]               Sur le vu des documents qui lui ont été soumis, l’agente d’ERAR a jugé que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objective montrant qu’il serait personnellement en danger et, précisément, elle a jugé que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à Gaza.

 

OBJECTION PRÉLIMINAIRE

 

[5]               Le 29 novembre 2005, le demandeur a déposé une demande de contrôle de l’ERAR fondée sur des éléments de preuve supplémentaires. Ces éléments de preuve ont également été déposés à l’appui de la présente demande. Le défendeur s’oppose à la tentative par le demandeur d’introduire des éléments de preuve qui n’étaient pas devant le décideur et de s’appuyer sur ces éléments de preuve dans ses observations écrites et orales. En particulier, les documents déposés en tant que pièce F à l’affidavit du demandeur n’avaient pas été soumis à l’agente d’ERAR quand elle rendu sa décision. Le défendeur soutient que ces documents ainsi que les paragraphes 21 à 29 de l’affidavit du demandeur devraient être radiés du dossier.

 

[6]               Il est bien établi que le contrôle judiciaire d’une décision administrative doit se faire à partir des mêmes éléments de preuve que ceux dont disposait le décideur. Des éléments de preuve supplémentaires ne sont admissibles que dans des circonstances très précises, lorsqu’ils peuvent être nécessaires pour régler des questions d’équité procédurale ou de compétence : Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331, 2002 CAF 218, au paragraphe 30; Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 48 Imm. L.R. (3d) 186, 2005 CF 1193, aux paragraphes 13, 17 à 19; Asafov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 1 et 2.

 

[7]               Il n’est pas allégué qu’il y a eu défaut de compétence ou manquement à l’équité procédurale de la part de l’agente d’ERAR dans la procédure. Selon le demandeur, la Cour aurait convenu qu’une gamme plus vaste d’exceptions devait être acceptée relativement à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve et il se fonde sur deux décisions pour appuyer sa proposition : Omar c. Canada (Solliciteur général) (2004), 23 Admin. L.R. (4th) 56, 2004 CF 1740, (Omar); Salem c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (11 octobre 2005), Ottawa IMM-2494-05 (C.F.) (Salem).

[8]               Dans Omar, la Cour avait accueilli le contrôle judiciaire visant la décision relative à l’ERAR, car elle avait été convaincue par de nouveaux éléments de preuve que des « circonstances très exceptionnelles » exigeaient que l’affaire soit renvoyée pour être examinée de nouveau. Dans Salem, la Cour, en octroyant un sursis à la mesure de renvoi, avait jugé qu’il y avait une question sérieuse à trancher et que l’existence d’un risque de préjudice irréparable avait été établie par de nouveaux éléments de preuve démontrant qu’était survenu un évènement important analogue à la situation dans Omar.   

 

[9]               Ces deux décisions diffèrent par leurs faits et aucune, à mon avis, n’avait pour but d’étendre la catégorie des exceptions au principe général selon lequel de nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[10]           Je conviens qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’intérêt de la justice nécessite que des éléments de preuve n’ayant pas été soumis au décideur soient admis et pris en compte, mais je ne crois pas que ce soit le cas en l’espèce. Après avoir examiné soigneusement les éléments de preuve contestés ainsi que le reste du dossier, je suis convaincu que les évènements qu’ils décrivent étaient connus du demandeur avant qu’il ne dépose sa demande d’ERAR en février 2005 et qu’ils ne reflètent pas un changement de circonstances justifiant de les admettre à titre d’exception au principe général. En conséquence, ces éléments de preuve ainsi que les paragraphes de l’affidavit du demandeur qui y correspondent seront radiés du dossier.   

 

QUESTIONS

 

[11]           Le dossier et les observations du demandeur soulèvent deux questions de fond :

1.                          L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en ne prenant pas en compte l’intérêt de l’enfant du demandeur dans le cadre de l’examen des risques?

2.                          L’agente d’ERAR a-t-elle commis une erreur en n’évaluant pas adéquatement la demande fondée sur l’article 97 de la LIPR?

ANALYSE

 

Norme de contrôle

 

[12]           La norme de contrôle applicable aux décisions suivant un ERAR a fait l’objet d’une analyse pragmatique et fonctionnelle dans un certain nombre de décisions. Pour les besoins des présents motifs, j’adopte les conclusions tirées dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 272 F.T.R. 62, 2005 CF 437 (Kim), selon lesquelles la norme de contrôle applicable aux questions de fait est la décision manifestement déraisonnable, celle applicable aux questions mixtes de faits et de droit est la décision raisonnable et celle applicable aux questions de droit est la décision correcte. Quand la décision suivant l’ERAR est examinée « dans sa totalité », la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable : Figurado c. Canada (Solliciteur général du Canada), [2005] 4 R.C.F. 387, 2005 CF 347.

 

 

[13]           Savoir si l’agent d’ERAR a le pouvoir de prendre en considération des facteurs d’ordre humanitaire, comme l’intérêt supérieur d’un enfant, dans le contexte d’une demande d’ERAR est une question de droit ou de compétence dont la norme de contrôle est la décision correcte : Kim, précitée, au paragraphe 62.

 

Intérêt supérieur de l’enfant

 

[14]           L’agente a mentionné l’enfant du demandeur dans deux phrases : l’une soulignant que l’épouse et l’enfant du demandeur sont des citoyens canadiens et l’autre affirmant que le demandeur était entré au Canada en compagnie de sa femme et de sa fille. Le demandeur soutient que l’agente d’ERAR était tenue de prendre en compte les besoins de son enfant en évaluant les risques et qu’elle a commis une erreur en n’appliquant pas les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193.

 

[15]            Le demandeur invoque Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1280, [2005] A.C.F. no 1570 (QL) (Varga), à l’appui de sa proposition selon laquelle les agents d’ERAR doivent prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants canadiens dont les parents font l’objet d’une mesure de renvoi. Dans Varga, la Cour a conclu que ne pas le faire constituait une erreur susceptible de contrôle. Pour arriver à cette décision, la Cour s’est appuyée sur des précédents statuant qu’un agent de renvoi, quand il exerce son pouvoir discrétionnaire pour appliquer une mesure de renvoi conformément à l’article 48 de la LIPR, doit être sensible à l’intérêt supérieur des enfants canadiens, même s’il n’est pas tenu de procéder à un examen complet des motifs d’ordre humanitaire.    

 

[16]            À mon sens, le cadre approprié pour examiner l’intérêt supérieur d’un enfant est une demande fondée sur l’article 25 de la Loi sollicitant une exemption pour circonstances d’ordre humanitaire : El Ouardi c. Canada (Solliciteur général) (2005), 48 Imm. L.R. (3d) 157, 2005 CAF 42, au paragraphe 10. Voir également Kim, précitée, et Redhead c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 517, [2006] A.C.F. no 669 (QL).

 

[17]           Comme l’a affirmé le juge Michel M.J. Shore dans Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 273 F.T.R. 11, 2005 CF 516, au paragraphe 15, rien dans le libellé de la Loi ou du règlement connexe ne permet de penser qu’un agent d’ERAR est censé examiner les facteurs d’ordre humanitaire dans le cadre d’un examen des risques. Le risque visé par la Loi est celui auquel serait exposé personnellement l’intéressé.

 

[18]           Même si je convenais que l’agente avait le pouvoir d’examiner l’intérêt de l’enfant, le demandeur n’a pas tenté d’établir qu’il avait produit des éléments de preuve ou formulé des observations concernant l’enfant dans sa demande d’ERAR autrement que par la simple énonciation de renseignements de base. Le demandeur soutient que cela suffisait à avertir l’agente qu’elle devait se renseigner sur le bien-être de l’enfant. Je ne suis pas d’accord. On ne peut s’attendre à ce que l’agente traite de questions concernant l’enfant qui n’ont pas été soulevées par le demandeur : Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1660,  [2005] A.C.F. n2066 (QL), aux paragraphes 8 et 12.  

 

[19]           En conséquence, je conclus que l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ne traitant pas de l’intérêt supérieur de l’enfant canadien du demandeur.

 

Omission d’évaluer adéquatement le risque visé à l’article 97

 

[20]           L’observation du demandeur à ce sujet veut essentiellement que l’agente, dans ses motifs, n’ait pas traité adéquatement tous les risques auxquels il serait exposé s’il retournait à Gaza. Cependant, son argument à l’appui de cette observation est fondé en grande partie sur des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à l’agente, sur des éléments de preuve qui, comme je l’ai conclu, doivent être radiés du dossier dans la présente procédure. En conséquence, je n’y ai accordé aucune valeur en examinant la décision de l’agente.

 

[21]           À mon avis, l’agente d’ERAR a correctement évalué la demande fondée sur l’article 97 du demandeur. Une analyse relative à l’article 97 nécessite que le décideur juge si le renvoi d’un demandeur exposerait celui-ci personnellement aux risques énoncés dans cette disposition. Bien que le décideur doive évaluer la demande de manière objective, en tenant compte des antécédents du pays concerné en matière de respect des droits de la personne, l’analyse doit demeurer individualisée : Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. n1540 (QL), au paragraphe 41; Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 245 F.T.R. 52, 2004 CF 84, aux paragraphes 21 à 29.

 

[22]           En l’espèce, après avoir examiné attentivement la preuve concernant les conditions dans le pays, l’agente d’ERAR a jugé raisonnablement que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque personnel d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait à Gaza. L’agente d’ERAR a fourni des motifs clairs et détaillés à l’appui de sa décision.

 

[23]           Le demandeur n’a pu relever d’élément de preuve que l’agente aurait pu avoir négligé en jugeant qu’il ne serait pas en danger. En l’absence de tel élément de preuve, et étant donné les motifs complets de l’agente, je conclus que la décision, considérée dans sa totalité, est raisonnable. La demande est rejetée. 

 

Question certifiée

 

[24]           Le demandeur a demandé que la Cour certifie à titre de question grave de portée générale la question certifiée dans Varga, précitée : « Le cas échéant, quelle est l'obligation de l'agent d'ERAR de tenir compte de l'intérêt supérieur d'un enfant né au Canada lorsqu'il évalue les risques auxquels serait exposé au moins l'un des parents de cet enfant? » Un appel portant sur cette question est en instance. Le défendeur s’oppose à ce que cette question ou toute autre question soit certifiée, car, à son avis, la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres. 

 

[25]           Je suis d’accord avec le défendeur. Pour certifier une question, la Cour doit être convaincue que la question trancherait l’appel : Bath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] A.C.F. n1207 (C.F. 1re inst.) (QL). Même si la Cour d’appel devait juger qu’un agent d’ERAR a une certaine obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant canadien, cette réponse ne trancherait pas un appel en l’espèce. Comme je l’ai souligné plus haut, aucune preuve ou observation concernant l’enfant n’a été soumise à l’agente. En conséquence, je choisis de ne pas certifier la question proposée.    

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Les paragraphes 21 à 29 de l’affidavit du demandeur et les documents joints à l’affidavit en tant que pièce F sont radiés du dossier. Aucune question n’est certifiée. 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6562-05

 

INTITULÉ :                                                   HAITHAM ALABADLEH

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 24 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Felix Weekes

 

POUR LE DEMANDEUR

Jennifer Francis

Ramona Rothschild

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Felix Weekes

Weekes Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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