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Date : 20010613

Dossier : IMM-530-00

                                                                                                  Référence neutre : 2001 CFPI 649

ENTRE :                                                                                                   

                RUDOLF SARKOZI, RUSOLFNE SARKOZI, MONICA SARKOZI

                          ANIKO SARKOZI et ERZSEBET ARANKA SARKOZI

demandeurs

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]                 Par la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR), en date du 6 janvier 2000, selon laquelle ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la convention.


[2]                 Rudolf Sarkozi, le demandeur principal, a revendiqué pour lui et ses enfants le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de leur race et de leur nationalité, à savoir qu'ils sont des Rom hongrois. Son épouse, Rudolfne Sarkozi, a prétendu être une réfugiée au sens de la Convention en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit une famille rom.

[3]                 Les demandeurs relatent ce qui est devenu, malheureusement, une histoire familière : discrimination au lieu de travail, perte d'emploi, harcèlement et violence physique à l'égard des enfants à l'école et par les voisins, harcèlement du propriétaire, mauvais traitements des voisins et harcèlement des skinheads. Deux skinheads ont d'ailleurs déjà attaqué et blessé Mme Sarkosi à coups de couteau. Celle-ci a signalé l'incident à la police, qui l'a agressée tant verbalement que physiquement avant de l'éjecter du poste de police.

[4]                 La SSR a reconnu que les demandeurs étaient des Rom de Hongrie, mais a estimé qu'ils n'avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de leurs revendications. Le tribunal a déclaré que les témoignages présentés par le demandeur principal et son épouse manquaient de crédibilité. Il a relevé quelques incohérences dans les témoignages mêmes ainsi qu'entre les témoignages des deux demandeurs. Il a déclaré, finalement, à ce sujet :

Aucun des points évoqués précédemment ne suffirait à lui seul pour conclure que le revendicateur ou son épouse ne sont pas crédibles. Toutefois, lorsqu'il les considère ensemble, le tribunal conclut que le revendicateur et son épouse ont plus ou moins cherché à induire en erreur durant leurs témoignages, en exagérant et en grossissant quelque peu l'étendue de leurs mauvais traitements et la rigueur de leurs conditions, surtout en ce qui a trait à leur capacité de subvenir à leurs besoins et à ceux de la famille.(Dossier du tribunal, page 12)


[5]                 Le tribunal a ensuite conclu que, « les questions de crédibilité mises à part » , même si les incidents s'étaient produits de la manière et pour les raisons indiquées, ils équivaudraient à de la discrimination, et non pas à une persécution passée. Le tribunal a aussi conclu qu'il n'existait, tout au plus, qu'une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés s'ils devaient retourner en Hongrie. De plus, la Hongrie pouvait leur offrir une protection adéquate s'ils en avaient besoin.

[6]                 Les demandeurs ont présenté de nombreux arguments dans leurs observations écrites, mais ont limité leur argumentation orale à trois questions.

[7]                 Premièrement, les demandeurs contestent les conclusions du tribunal concernant leur crédibilité.


[8]                 Le tribunal a soulevé quatre éléments incohérents ou portant à confusion dans les témoignages du demandeur principal et de son épouse. Le premier élément concerne leur déménagement dans leur dernier appartement en Hongrie avant leur départ pour le Canada. Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur principal a déclaré que sa famille avait déménagé après qu'un de ses enfants eut attrapé une pneumonie parce qu'un voisin l'avait arrosé avec un seau d'eau. Il a témoigné que cet incident s'était produit au printemps 1998. Il a par ailleurs aussi affirmé que sa famille avait déménagé en février 1998. Interrogé à propos de cette contradiction, il a affirmé que sa famille avait déménagé à l'été 1998 et que la contradiction était attribuable à la nervosité.

[9]                 La deuxième incohérence a trait à la nature du permis que le demandeur principal détenait pour la vente de fleurs. Le tribunal a conclu que le témoignage du demandeur principal manquait de cohérence parce que, dans son FRP, il affirmait qu'il détenait un permis saisonnier de vente de fleurs, ce qui lui permettait de vendre des fleurs quatre ou cinq jours particuliers par an. Il disait aussi, dans son FRP, qu'il avait vendu des fleurs comme travailleur indépendant de 1991 à 1998, mais qu'il était souvent harcelé par la police.

[10]            Le troisième élément concerne le congédiement de Mme Sarkosi. Selon le tribunal, il était peu plausible que la clinique où elle travaillait ne l'ait pas congédiée en 1982 ou en 1983, époque où on a pris connaissance, à son travail, de son mariage avec un Rom. Au contraire, la clinique l'a gardée dans son personnel, lui a donné son congé de maternité et ne l'a congédiée que huit ans plus tard à cause de ses [TRADUCTION] « liens avec les Rom » .


[11]            Le quatrième élément des témoignages du demandeur principal et de son épouse ayant paru au tribunal contradictoire et portant à confusion a trait au moment où la famille a décidé de quitter la Hongrie. Le demandeur principal a déclaré que cette décision avait été fondée sur une accumulation d'événements, alors que sa femme a déclaré que la décision avait été prise lorsque leur enfant a attrapé une pneumonie après avoir été arrosé par un voisin.

[12]            Le défendeur prétend que la SSR n'a pas explicitement rendu de conclusion défavorable sur la crédibilité des demandeurs. Selon lui, elle a plutôt conclu qu'ils n'avaient pas établi une crainte subjective de persécution, car leurs témoignages grossissaient et exagéraient les événements et étaient trompeurs. Le tribunal a toutefois ajouté ceci : « Même si le tribunal était convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents décrits par le revendicateur se sont produits de la manière et pour les raisons indiquées (ce qui n'est pas le cas, comme on l'a vu précédemment), les brimades qu'ils ont subies n'équivalent pas, de l'avis du tribunal, à une persécution passée; il s'agirait plutôt de discrimination. » En d'autres mots, le tribunal n'a pas cru le témoignage des demandeurs en ce qui a trait à l'étendue et aux raisons des mauvais traitements qu'ils allèguent avoir subi et, par conséquent, a conclu qu'ils n'avait pas établi le fondement de leur crainte subjective.

[13]            Il est de droit constant qu'un aspect essentiel du rôle décisionnel de la SSR est l'évaluation de la crédibilité et que la SSR peut arriver à des conclusions défavorables à ce sujet en se fondant sur des incohérences, des contradictions et des invraisemblances dans les témoignages des demandeurs. La Cour peut cependant intervenir si les conclusions ne sont pas étayées par les témoignages ou si le tribunal n'a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents.


[14]            En ce qui concerne la nature du permis de vente de fleurs du demandeur, il paraît, malgré le manque de clarté des motifs, que l'incohérence relevée par le tribunal ressortait de l'affirmation du demandeur principal selon laquelle il n'avait pas les moyens d'avoir un permis, alors qu'il avait aussi déclaré avoir vendu des fleurs comme travailleur indépendant de 1991 à 1998. Le témoignage du demandeur principal sur cette question était clair. Quiconque peut obtenir un permis de vente de fleurs mais, si le vendeur ne détient pas un permis pour un emplacement particulier, il doit se déplacer constamment et risque d'être harcelé par la police. Selon le témoignage du demandeur, un permis avec un emplacement était extrêmement cher et bien au-delà de ses moyens.

[15]            Il aurait pu être justifié de la part d'un tribunal de trouver invraisemblable que la clinique, sachant que son employée était mariée à un Rom, l'ait gardée dans son personnel pendant huit ans, mais le tribunal n'a pas tenu compte du témoignage de l'épouse du demandeur selon lequel des changements importants à son endroit sont survenus à son lieu de travail. Cette dernière a été mutée d'un poste privilégié où elle recevait des pourboires, qui pouvaient s'élever au double ou au triple de son salaire mensuel, ses collègues de travail sont devenues hostiles et ont refusé de travailler avec elle, la clinique l'a obligée à travailler deux quarts d'affilée et durant les congés, sans recevoir de rémunération additionnelle et sans les primes auxquelles les autres avaient droit.


[16]            En ce qui a trait aux incohérences concernant la date à laquelle les demandeurs ont emménagé dans leur dernier appartement et la vraie raison pour laquelle la famille est venue au Canada, l'avocat du défendeur a reconnu que le fondement des conclusions de la SSR à ce sujet était quelque peu mince pour parvenir à miner le témoignage des demandeurs relativement à leur crainte subjective.

[17]            Je comprends qu'une Cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire ne doive pas entrer dans une analyse microscopique des conclusions de la SSR portant sur la crédibilité. En l'espèce, cependant, le tribunal n'a choisi que ces aspects des témoignages, et la preuve examinée présentait donc, à mon sens, des lacunes.

[18]            Les demandeurs ont aussi allégué que la conclusion du tribunal au sujet de la protection de l'État est erronée compte tenu de l'imposante preuve documentaire mettant en lumière l'absence de protection véritable de l'État.


[19]            Dans Imre Polgari et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (Dossier : IMM-502-00), en date du 8 juin 2001, j'avais à examiner une décision de la SSR dans laquelle les motifs portant sur la question de la protection de l'État étaient pour l'essentiel identiques à ceux de la présente affaire. Dans les deux cas, la preuve documentaire produite à l'audience comprenait la trousse de renseignements de la SSR sur la Hongrie (Hongrie, septembre 1998 [Index seulement]) et la trousse de documentation sur les cas types hongrois (Index seulement). Dans l'affaire précédente, la mise à jour de la documentation sur la Hongrie (Hongrie - Rom, mai 1999 [Index seulement]) a également été soumise. La preuve documentaire produite par les demandeurs consistait, dans les deux cas, en une trousse de documents sur la situation des Rom en Hongrie et comprenait des rapports, des articles et des observations de diverses sources.

[20]            Dans Polgari, supra, j'ai énoncé à ce sujet ce qui suit :

... les documents soumis par les demandeurs et ceux contenus dans les documents communiqués par l'ARC sèment des doutes et en fait contredisent la disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État pour les Hongrois rom. Si, d'une part, il était raisonnable pour le tribunal de tirer les conclusions qu'il a tirées, d'autre part l'absence d'analyse de la volumineuse documentation contenue dans la trousse d'information sur les causes types hongroises, des documents de la trousse de documents communiqués par l'ACR et des documents soumis par les demandeurs, jointe à un traitement inadéquat des documents contradictoires et à l'absence d'explications sur ses préférences pour la preuve sur laquelle il s'est fondé, justifient l'intervention de la Cour.

[21]            En l'espèce, les demandeurs ont soumis comme preuve par affidavit la [TRADUCTION] « preuve documentaire pertinente » et les transcriptions des témoignages de spécialistes des [TRADUCTION] « cas types » . J'ai eu la possibilité de réexaminer ces documents et j'estime que les opinions que j'ai exprimées dans Polgari, supra, sont toujours valables.

[22]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à un nouvel examen.


[23]            Les avocats doivent signifier et déposer toute demande de certification d'une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie aura trois jours pour signifier et déposer toute réponse aux observations de la partie adverse. Par la suite, une ordonnance, accueillant la demande de contrôle judiciaire et renvoyant l'affaire devant un tribunal différemment constitué pour qu'il procède à un nouvel examen, sera rendue.

« Dolores M. HANSEN »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 13 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL. B.


                                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                          IMM-530-00

INTITULÉ :                                                         RUDOLF SARKOZI, RUSOLFNE SARKOZI, MONICA SARKOZI, ANIKO SARKOZI et ERZSEBET ARANKA SARKOZI

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE MARDI 21 NOVEMBRE 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE HANSEN

COMPARUTIONS :                          M. Rocco Galati

pour les demandeurs

M. Greg George

                                                               pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      M. Rocco Galati

Galati, Rodrigues & Associates

Avocats

203 - 637, rue College

Toronto (Ontario)

M6G 1B5

pour les demandeurs

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010613

Dossier : IMM-530-00

ENTRE :

RUDOLF SARKOZI, RUSOLFNE SARKOZI, MONICA SARKOZI, ANIKO SARKOZI et ERZSEBET ARANKA SARKOZI

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                          

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