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                                                                                                            Date : 20010504

                                                                                                      Dossier : T-2027-99

                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 437

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2001

En présence de M. le juge Muldoon

Entre :

                               LEANNE NELSON et ELAINE RUSSELL

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

J. LEENHOUTS, L.A. BELL, W.H.I. GREENWOOD, C.D. KOELLMEL,

A.M. CACCHIONI, D. SHARKEY, R.H. SETTLE, D.D. BANNISTER,

G.B. SUMNER, K. McKENZIE, A. McCREADIE,

L. MANN, S. DURAND, K. MEGYESI et C. DYCK

défendeurs

O R D O N N A N C E

Le juge Muldoon

VU que cette ordonnance a été entendue à Ottawa le 30 octobre 2000, en présence des avocats de toutes les parties, la Cour ayant réservé sa décision,


LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que la décision du comité d'appel de la Commission de la fonction publique, rendue par le président Bumbers le 21 octobre 1999 (nos 99-REH-00474 et 99-REH-00574), soit annulée; et

LA COUR ORDONNE DE PLUS que la question examinée par ce comité d'appel lui soit renvoyée pour nouvel examen et décision en conformité des principes et des conclusions énoncés dans les motifs de la Cour ce jour; et

LA COUR ORDONNE DE PLUS que les défendeurs paient les dépens des demanderesses taxés conjointement et, si les parties ne peuvent s'entendre sur le quantum, les dépens seront taxés à la marge supérieure de la colonne III du tarif B, avec une allocation pour leur préparation et calcul.

« F.C. Muldoon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                            Date : 20010504

                                                                                                      Dossier : T-2027-99

                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 437

Entre :

                               LEANNE NELSON et ELAINE RUSSELL

demanderesses

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, et

J. LEENHOUTS, L.A. BELL, W.H.I. GREENWOOD, C.D. KOELLMEL,

A.M. CACCHIONI, D. SHARKEY, R.H. SETTLE, D.D. BANNISTER,

G.B. SUMNER, K. McKENZIE, A. McCREADIE,

L. MANN, S. DURAND, K. MEGYESI et C. DYCK

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon


[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision rendue le 21 octobre 1999 par un comité d'appel de la Commission de la fonction publique nommé en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, tel que modifié. Dans sa décision, le comité d'appel a conclu que le jury de sélection chargé des concours pour doter deux postes à Développement des ressources humaines Canada dans la région d'Okanagan n'avait pas contrevenu au principe du mérite.

1. Les faits

[2]                 À l'automne de 1998, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a créé un nouveau poste au niveau CR-05, savoir le poste d'agent d'aide à la clientèle. Le 13 janvier 1999, DRHC a affiché un avis de concours en vue d'établir des listes d'admissibilité pour des postes dans la région d'Okanagan. L'avis de concours reproduisait l'énoncé de qualités, et il contenait d'autres renseignements utiles à l'intention des candidats éventuels. L'avis de concours portait aussi que l'examen normalisé connu sous le nom de Batterie de tests pour les agents I serait utilisé dans le processus de sélection. Au 27 janvier 1999, date de clôture des candidatures, le jury de sélection avait reçu quinze demandes pour le poste de Kelowna et douze pour le poste de Vernon. Deux candidats ont retiré leur candidature, l'un pour le poste de Kelowna et l'autre pour le poste de Vernon. Une autre candidate a été éliminée à la présélection pour le poste de Kelowna, étant donné qu'elle ne résidait pas dans la zone de concours.

[3]                 DRHC a rédigé l'énoncé de qualités suivant pour les postes en cause :

[traduction]

Études :                   Deux années d'études secondaires terminées avec succès ou une alternative approuvée par la CFP.

Expérience :                           Bons résultats dans la prestation de services à la clientèle et dans la transmission de renseignements au grand public.


Exigences linguistiques :     Connaissance de la langue anglaise

Sécurité et fiabilité :             Vérification approfondie de la fiabilité.

Connaissances :    1.            Connaissance et compréhension de la mission du DRHC et de ses plans d'affaires, ainsi que de la place de leur travail dans ce contexte;

2.             Connaissance des dispositions législatives, des procédures, des politiques et des outils liés à l'octroi des prestations d'assurance-emploi;

3.             Connaissance du marché du travail local et des services communautaires.

Capacités et          1.             Capacité à poser un diagnostic sur les renseignements obtenus, y compris

compétences                           l'identification des questions liées à l'adjudication des réclamations d'assurance-emploi;

2.            Capacité à mettre en oeuvre les dispositions législatives, les principes et les procédures;

3.            Capacité à reconnaître les questions pertinentes dans le cas de l'adjudication des dossiers d'assurance-emploi;

4.             Capacité à communiquer de vive voix;

5.            Capacité à communiquer par écrit;

6.            Capacité à faire des opérations de calcul;

7.            Capacité à vérifier les données avec précision.

Qualités 1.            Concentrer sur le client;

personnelles         

2.            Apprendre et changer;

3.            Faire preuve d'initiative;

4.            Travailler en équipe;

5.            Manifester une attitude constructive.


[4]                 Les candidats devaient présenter leurs notes pour la Batterie de tests pour les agents I en février 1999. Les candidats voulant améliorer une note obtenue antérieurement se voyaient offrir l'occasion de reprendre ces tests. On a ensuite présélectionné les candidats au vu des qualités précisées sous les études et l'expérience. Tous les candidats présélectionnés ont été invités à une entrevue en mars 1999, l'objectif étant d'évaluer leurs connaissances, leurs capacités et leurs qualités personnelles.

[5]                 Au cours de l'entrevue, le jury a évalué chacun des candidats de façon qualitative pour chacune des qualités, évaluation qui a ensuite été convertie en note chiffrée. Le jury de sélection a décidé d'utiliser le barème suivant pour décider qui devait être placé sur la liste d'admissibilité :

a.         les candidats devaient satisfaire à deux des trois connaissances requises;

b.        les candidats devaient satisfaire aux capacités 1, 2, 3, 6 et 7;

c.        les candidats devaient satisfaire à toutes les qualités personnelles.

[6]                 En d'autres mots, un candidat pouvait échouer à l'une des exigences prévues aux connaissances, ou aux capacités 4 ou 5, et être quand même jugé qualifié aux fins de ce concours.


[7]                 Le jury de sélection a aussi décidé que certaines qualités étaient des indicateurs importants quant au rendement dans le poste. Par conséquent, le jury de sélection a placé les candidats sur la liste d'admissibilité en comparant leurs résultats pour connaissances 1, capacités 1 et 3, ainsi que toutes les qualités personnelles. Le jury de sélection a utilisé les notes globales pour éviter les résultats ex aequo.

[8]                 La Batterie de tests pour les agents I est un examen que DRHC utilise à travers le Canada. Normalement, la note de passage est fixée à 70 p. 100, mais le jury de sélection l'a ramenée à 60 p. 100 pour ce concours. Ce changement a été effectué avant l'évaluation des candidats, mais il n'était pas annoncé dans l'avis de concours.

[9]                 Treize candidats ont été placés sur la liste d'admissibilité pour le poste à Kelowna, et onze candidats pour le poste à Vernon. La demanderesse Leanne Nelson était onzième sur la liste d'admissibilité de Kelowna, alors que la demanderesse Elaine Russell était dixième sur la liste d'admissibilité de Vernon.

[10]            Les demanderesses ont fait appel de la décision du jury de sélection à un comité d'appel, en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la LEFP). Le 21 octobre 1999, le comité d'appel a conclu que le jury de sélection avait compétence pour modifier la note de passage de la Batterie de tests pour les agents I, pour la ramener à 60 p. 100. Le comité d'appel a aussi conclu que la méthode utilisée pour déterminer le rang des candidats ne contrevenait pas au principe du mérite. Ce sont ces conclusions que les demanderesses contestent devant notre Cour.


2. Les questions en litige

[11]            Les demanderesses soutiennent que le processus de sélection est vicié du fait que :

a.        la méthode utilisée pour établir la liste d'admissibilité contrevient au principe du mérite;

b.        la méthode utilisée pour déterminer le rang des candidats sur la liste d'admissibilité contrevient au principe du mérite; et

c.        le jury de sélection a commis une erreur en ramenant la note de passage pour la Batterie de tests pour les agents I de 70 p. 100 à 60 p. 100.

Question no 1 : la liste d'admissibilité

[12]            En déterminant qui devait être placé sur la liste d'admissibilité, le jury de sélection a décidé que les candidats devaient satisfaire à deux des trois connaissances requises, aux capacités 1, 2, 3, 6 et 7, ainsi qu'à la totalité des qualités personnelles. Un candidat pouvait donc échouer à l'une des exigences prévues aux connaissances, ou aux capacités 4 ou 5, et être quand même jugé qualifié aux fins de ce concours. En fait, trois des candidats placés sur la liste d'admissibilité ne rencontraient pas l'une des qualités requises pour les connaissances.

[13]            Les demanderesses soutiennent que le jury de sélection a commis une erreur de droit étant donné que les candidats doivent posséder toutes les qualités prévues à l'énoncé de qualités. Un jury de sélection qui élimine certaines qualités définies par le Ministère en faisant son choix parmi les candidats ne respecte pas le principe du mérite.


[14]            Les défendeurs soutiennent que cette question ne peut être abordée en notre Cour, étant donné qu'elle n'a pas été plaidée spécifiquement devant le comité d'appel. Les défendeurs citent Singh c. M.C.I. (1995), 98 F.T.R. 58 (1re inst.), à la page 62, où l'on énonce qu'il « est clairement établi que cette Cour, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, ne peut trancher une question qui n'a pas été soulevée devant le tribunal administratif » .

[15]            Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que le comité d'appel n'a pas commis d'erreur parce que le jury avait évalué chaque candidat au vu de toutes les qualités prévues à l'énoncé de qualités et accordé des notes en se fondant sur cette évaluation. Un jury de sélection peut juger qu'un candidat est méritoire, nonobstant le fait qu'il n'ait pas répondu à une question donnée, ou à un autre sous-facteur. Dans la mesure où le jury de sélection évalue les candidats au vu de tous les sous-facteurs pertinents, et détermine qu'ils satisfont aux facteurs des connaissances, capacités et qualités personnelles, le principe du mérite est respecté. Un candidat qui ne réussit pas un des sous-facteurs peut se qualifier par suite de son rendement par rapport à d'autres sous-facteurs.

[16]            L'article 8 de la LEFP donne à la Commission de la fonction publique le droit exclusif de faire des nominations au sein de la fonction publique. Ces nominations doivent respecter le principe du mérite, qui est formulé au paragraphe 10(1) de la LEFP :


Nominations au mérite

10(1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

[17]            Un jury de sélection peut déterminer le mode d'évaluation des candidats, en vertu du paragraphe 16(1) de la LEFP :

Examen des candidatures

16(1) La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu'elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l'objet du concours.

[18]            Finalement, les candidats peuvent faire appel des résultats d'un concours, en vertu de l'article 21 de la LEFP :

Appels

21(1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par le règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

  

[19]            La Cour d'appel fédérale a discuté du principe du mérite comparatif dans l'arrêt Greaves c. Canada (Procureur général), [1982] 1 C.F. 806 (C.A.), à la page 810 :


... Une sélection faite conformément à la méthode établie dans la Loi et dans le Règlement, que ce soit par concours ou autrement, peut néanmoins être révoquée en vertu de l'article 21 si la méthode employée violait le principe du mérite. Par exemple, une sélection faite à la suite d'un concours conforme à toutes les exigences statutaires peut être viciée du fait que les qualités des candidats ont été incorrectement appréciées. C'est vrai lorsque la sélection est faite à la suite d'un concours; c'est également vrai si la sélection est faite sans concours. J'estime que les exigences du principe du mérite sont toujours les mêmes. Elles ne varient pas selon la méthode de sélection choisie. Ce principe exige que la sélection soit faite « au mérite » , ce qui veut dire, « qu'il faut trouver les personnes les plus aptes à remplir les différents postes de la Fonction publique... » . En l'espèce, le Comité d'appel, si je comprends bien sa décision, n'était pas convaincu que la nomination avait été faite « au mérite » parce que les qualités du candidat choisi n'avaient jamais été comparées avec celles d'autres personnes qui, comme les intimés, auraient pu vouloir poser leur candidature pour le poste. J'estime que c'était un motif valide pour faire droit à l'appel.

(je souligne)

[20]            À la page 811, Monsieur le juge Le Dain ajoute que le « mérite déterminé par un concours est manifestement le mérite relatif » .

[21]            À la page 11 de sa décision, le comité d'appel a discuté de la méthode utilisée par le jury de sélection pour classer les candidats au concours :

[traduction]

Quant à la méthode utilisée par le jury de sélection pour classer les candidats en ordre numérique, je conclus qu'il n'a pas contrevenu au principe du mérite en ne déterminant des notes chiffrées que pour la connaissance no 1, les capacités nos 1 et 3, ainsi que pour toutes les qualités personnelles. Dans la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Boucher, le juge McKeown déclare ceci :


[12] Je remarque que l'article 16 de la Loi confère un large pouvoir discrétionnaire au jury de sélection, qui peut utiliser les outils de sélection qu'il « estime souhaitables » . À mon avis, cela comprend une décision raisonnable au sujet de l'importance à accorder à chaque facteur particulier qui est apprécié. Compte tenu de la preuve dont disposait le comité d'appel, il était loisible au jury de sélection de faire une distinction entre les éléments cruciaux et les éléments non cruciaux nécessaires pour occuper le poste en question. La preuve démontrait que les exigences minimales, établies avant la sélection, ont été appliquées également à tous les candidats, et que l'élément non crucial « connaissances » a été pris en ligne de compte dans l'évaluation globale de tous les candidats. À mon avis, le fait que le jury de sélection a tenu compte des points que les candidats avaient obtenus à l'égard des connaissances dans le classement général était suffisant eu égard aux circonstances et cela était conforme au principe de la sélection au mérite.

Ce qui est exigé du jury de sélection est qu'il tienne compte d'une façon ou d'une autre de l'évaluation des candidats par rapport à toutes les qualités. Le jury de sélection a tenu compte des qualités qui n'ont pas fait l'objet d'une évaluation chiffrée qui a permis de classer les candidats, étant donné que certaines de ces qualités étaient cruciales. Le jury de sélection a tenu compte d'autres éléments, comme les qualités de connaissances et de capacités, comme on le voit du fait que les candidats devaient satisfaire à deux des trois qualités de connaissances et à cinq des sept qualités de capacités.

(je souligne)

[22]            Au sujet de l'allégation des défendeurs que la question ne peut être soumise à la Cour, il y a lieu de noter que le comité d'appel a discuté de la méthode utilisée par le jury de sélection pour établir la liste d'admissibilité, en indiquant spécifiquement que les candidats devaient satisfaire à deux des trois connaissances requises, ainsi qu'à cinq capacités parmi les sept énoncées. Par conséquent, le comité d'appel a examiné la question et elle peut être portée devant notre Cour.

[23]            Les motifs du comité d'appel soulèvent une deuxième question, parce qu'il s'est appuyé sur la décision de Monsieur le juge McKeown dans Boucher c. Canada (Procureur général) (1998), 157 F.T.R. 79 (1re inst.). Toutefois, la décision du juge McKeown a été annulée par la Cour d'appel fédérale le 20 janvier 2000 : voir l'arrêt Boucher c. Canada (Procureur général) (2000), 252 N.R. 186 (C.A.F.).


[24]            Dans l'arrêt Boucher, précité, la Cour d'appel fédérale a examiné la décision d'un jury de sélection par suite de concours visant à doter des postes d'agents d'établissement d'immigrants. Le ministère de l'Emploi et de l'Immigration avait publié un énoncé de qualités en avril 1996. Dans son évaluation des qualités au cours du concours, le jury de sélection a pondéré différemment les divers facteurs. Le jury de sélection n'a accordé que 10 p. 100 au facteur des connaissances et décidé que, nonobstant le fait que certaines des qualifications relatives aux capacités et aux qualités personnelles seraient décisives, ce qui voulait dire que le défaut d'y satisfaire aurait pour effet d'exclure un candidat, le facteur des connaissances ne serait pas décisif et le défaut d'y satisfaire ne serait pas fatal à une candidature. En conséquence, sur les cinq candidats qualifiés trois n'avaient pas satisfait au facteur des connaissances.

[25]            En appel, les candidates non reçues ont soutenu que le jury de sélection n'avait pas respecté le principe du mérite en ne faisant pas de la réussite au facteur des connaissances une condition de nomination, et en ne lui accordant qu'une faible pondération, soit 10 p. 100 de la note globale. Le juge McKeown avait conclu que le jury de sélection n'avait pas commis d'erreur et qu'il était suffisant que le jury de sélection ait tenu compte des points obtenus par les candidats à l'égard des connaissances dans le classement général; il n'était pas nécessaire d'obtenir une note de passage aux connaissances pour être choisis. La Cour d'appel fédérale déclare, aux paragraphes 7 à 10 :


[7] Quant à la première question en litige, celle du traitement du facteur des connaissances par le comité de sélection, nous sommes d'avis qu'elle constitue une question de droit en ce qui a trait aux exigences du principe du mérite et nous considérons par conséquent que la décision du CACFP de confirmer ce procédé constituait également une question de droit. Nous ne sommes pas convaincus que nous devrions considérer que le CACFP est un tribunal qui possède une telle expertise en matière d'interprétation de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique que nous devrions faire preuve d'un haut degré de retenue à son égard quant à cette question. Le comité de sélection est un comité ad hoc. Nous concluons à cet égard que la norme de révision que la Section de première instance aurait dû appliquer est celle de la décision correcte.

[8] Selon cette norme, nous concluons que le comité de sélection a commis une erreur de droit en ce qu'il n'a pas exigé que les candidats possèdent chacune des qualifications annoncées pour ce poste. Cela correspondait effectivement à un défaut d'évaluer le facteur des connaissances. Nous suivons l'arrêt de la Cour dans Tiefenbrunner et autres c. P.G. du Canada et nous concluons qu'un tel défaut constituait une erreur de droit de la part du comité de sélection. De fait, cela a eu pour effet d'éliminer le facteur des connaissances des qualifications malgré les exigences annoncées pour le poste. Comme la Cour l'a décidé en d'autres occasions, un comité de sélection ne peut changer les qualifications annoncées en éliminant une ou plusieurs d'entre elles : agir de la sorte est inéquitable pour ceux qui autrement, auraient peut-être posé leur candidature mais ne l'ont pas fait parce qu'ils reconnaissaient ne pas posséder toutes les qualifications annoncées.

[9] Contrairement au juge de première instance, nous ne sommes pas convaincus non plus que le facteur des connaissances ait été évalué correctement du fait de l'inclusion de la note d'un candidat obtenue pour le facteur des connaissances dans la note globale : le fait est que ce facteur a été éliminé en tant que condition préalable pour le poste.

[10] Étant donné la conclusion à laquelle nous venons d'arriver, il s'ensuit que l'appel est accueilli, la décision du CACFP est annulée, et l'affaire lui est renvoyée.

(je souligne)

[26]            Selon l'arrêt Boucher, précité, le traitement accordé à une qualité par le jury de sélection dans un concours constitue une question de droit et la décision du comité d'appel constitue également une question de droit. Par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. De plus, un jury de sélection commet une erreur de droit en n'exigeant pas que les candidats démontrent qu'ils possèdent chacune des qualités annoncées pour le poste. Ceci équivaut à ne pas évaluer une des qualités requises. Le jury de sélection ne peut éliminer une qualité au cours du processus de sélection. Finalement, le fait de changer les qualités énoncées en éliminant une ou plusieurs d'entre elles est inéquitable, étant donné que des personnes n'ont peut-être pas posé leur candidature parce qu'elles reconnaissaient ne pas posséder toutes les qualités annoncées.


[27]            Le jury de sélection a effectivement éliminé des qualités et il a commis une erreur en établissant la liste d'admissibilité. Les qualités requises pour les postes à doter sont déterminées par le gestionnaire en cause, en conformité des normes générales et spécifiques énoncées dans le document Normes de sélection et d'évaluation de la Commission de la fonction publique. Pour identifier les compétences requises, il faut d'abord bien comprendre le contenu du poste. Ceci porte non seulement sur les fonctions du poste comme tel, mais aussi sur le lien entre le poste et son environnement. Le gestionnaire doit décider quelles sont les qualités requises du titulaire, ainsi que son niveau de compétence dans chacune. Le jury de sélection ne peut décider de faire abstraction de ces qualités lorsqu'il choisit des candidats.

[28]            Les défendeurs soutiennent que le critère à utiliser consiste à déterminer si le jury de sélection est raisonnablement arrivé à la conclusion que les candidats satisfaisaient aux connaissances de façon globale, et non s'ils répondaient à chacun des sous-facteurs. Ce n'est pas le cas. Le fait que les qualités soient mentionnées sous les rubriques « Connaissances » ou « Qualités personnelles » ne diminue en rien l'importance de chacune. Chaque qualité doit être évaluée, chacune étant essentielle et indépendante des autres.

[29]            Ce principe a été réaffirmé récemment dans Carroll c. Canada (Procureur général), [2000] J.C.F. no 1439 (1re inst.) (QL), où Madame le juge Tremblay-Lamer déclare ceci :

[17] Comme dans l'affaire Tiefenbrunner, compte tenu des fonctions et de l'énoncé de qualités correspondant au poste, le comité de sélection était tenu de procéder à une évaluation comparative du mérite des candidats concernant un élément essentiel du poste.


Question no 2 : la note à la Batterie de tests pour les agents I

[30]            Le jury de sélection a ramené de 70 p. 100 à 60 p. 100 la note requise à la Batterie de tests pour les agents I avant d'évaluer les candidats. Toutefois, cette modification n'était pas mentionnée dans l'avis de concours.

[31]            Les demanderesses soutiennent qu'étant donné que l'avis de concours n'indiquait pas que la note de passage avait diminué, le jury de sélection a en fait changé les qualités annoncées étant donné que certains candidats éventuels peuvent ne pas avoir posé leur candidature.

[32]            Les défendeurs soutiennent que le comité d'appel n'a pas commis d'erreur en arrivant à la conclusion que le jury de sélection avait la compétence de ramener la note de passage de la Batterie de tests pour les agents I à 60 p. 100. La note de passage a été diminuée avant qu'on examine les notes des candidats. Le principe du mérite n'exige pas que les outils de sélection soient administrés de la même façon et selon la même norme dans tous les concours de la fonction publique. Une telle exigence viendrait entraver le pouvoir discrétionnaire d'un jury de sélection de choisir les outils de sélection qui sont appropriés pour chaque poste et chaque concours. Dans la mesure où les examens sont administrés de la même façon à tous les candidats, il ne peut y avoir contravention au principe du mérite.


[33]            Les défendeurs soutiennent qu'on ne peut contester le concours en spéculant sur les réactions des candidats éventuels à l'avis de concours. En fait, l'avis de concours ne dit rien de la norme qui serait utilisée pour les examens. Rien dans la preuve n'indique que des candidats éventuels ne se soient pas présentés à cause de la note de passage. De plus, les candidats pouvaient utiliser une note qu'ils avaient déjà reçue ou reprendre l'examen s'ils le désiraient.

[34]            Dans l'arrêt Bambrough c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a conclu que si un choix fait par le jury de sélection devait augmenter le nombre de candidats éventuels, le processus de sélection doit être recommencé :

Je ne pense pas non plus que le principe de sélection établie au mérite est soumis à une exigence aussi large et catégorique que celle de l'extrait précité du Manuel de dotation en personnel. De toute évidence, si la modification des qualités requises devait augmenter le nombre de candidats éventuels à un poste, le processus de sélection serait recommencé afin de permettre l'identification d'autres candidats. Si, toutefois la modification des qualités requises a pour effet de réduire le nombre de candidats éventuels, comme en l'espèce, elle n'est pas contraire au principe du mérite et ne cause aucun préjudice à celui dont la candidature n'est pas retenue pour plus ample considération parce qu'il ne possède pas une des nouvelles qualités requises. ...

(je souligne)


[35]            La Cour d'appel fédérale a décidé, dans l'arrêt Boucher, précité, qu'un jury de sélection ne peut pas modifier les qualités annoncées en éliminant l'une d'entre elles. En l'instance, le jury de sélection a changé ce qui était énoncé à l'avis de concours, en utilisant une note de passage qui ne correspondait pas à la norme. Le jury de sélection a commis une erreur, même involontaire, en n'informant pas correctement les candidats.

[36]            Les demanderesses soutiennent aussi que le jury de sélection a réduit la note de passage requise au motif que les candidats heureux recevraient une formation après les nominations. Les demanderesses soutiennent que les qualités acquises après la nomination par suite d'une formation ou d'une aide technique ne peuvent être substituées à l'évaluation du mérite relatif avant les nominations.

[37]            Les défendeurs soutiennent que la note de passage a été fixée à 60 p. 100 au vu des responsabilités et des fonctions du poste. La validité d'un critère donné dans un concours donné est une question de fait. La note de passage a été abaissée du fait que les candidats choisis devaient recevoir de la formation et, par conséquent, leur rendement à l'examen était moins important puisqu'ils auraient l'occasion d'acquérir ces connaissances dans l'avenir.

[38]            À la page 16 de sa décision, le comité d'appel déclare ceci :

[traduction]

En réponse à l'allégation des appelantes que le jury de sélection a eu tort d'abaisser la note de passage de la Batterie de tests pour les agents I, Mme Varchol a déclaré que la note de passage de 60 p. 100 avait été assignée à cet examen avant que le jury de sélection ne reçoive les notes des candidats. Mme Varchol a aussi déclaré que les membres du jury de sélection savaient que les candidats pouvaient s'inquiéter de l'obligation de satisfaire à la norme nationale de la Batterie de tests pour les agents I. Au vu de cette crainte appréhendée, et du fait que les personnes détenant ces postes recevraient de la formation et de l'aide technique, les membres du jury de sélection étaient d'avis que la note de passage de la Batterie de tests pour les agents I devait être fixée à 60 p. 100.

(je souligne)


[39]            Les demanderesses ont raison. Le jury de sélection a commis une erreur en abaissant la note de passage au motif d'une formation à venir. Une telle technique contrevient clairement au principe du mérite. Les qualités acquises après la nomination ne peuvent être substituées à l'évaluation du mérite relatif avant la nomination. L'approche du jury de sélection ne respecte pas les Normes de sélection et d'évaluation de la Commission de la fonction publique, qui énoncent, à la page 13 :

On ne doit pas inclure dans l'énoncé de qualités les connaissances, les capacités/compétences et les autres attributs qui ne peuvent être acquis qu'après la nomination soit par l'entremise d'un programme de formation ministériel structuré, soit par l'exercice d'un ensemble donné de fonctions. Dans de telles situations, on devra plutôt inclure des aptitudes ou d'autres qualités appropriées se rapportant à la capacité d'acquérir ces connaissances, capacités/compétences, ou autres attributs.

(je souligne)

3. Dispositif

[40]            La décision du comité d'appel est annulée et la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 21 octobre 1999 du président du comité d'appel Bumbers est annulée et la question est renvoyée au comité d'appel pour nouvel examen et décision en conformité des principes énoncés dans mes motifs.


[41]            Ayant eux-mêmes demandé qu'on leur octroie les dépens, les avocats des défendeurs peuvent difficilement suggérer qu'on ne leur en n'impose pas. En toute justice, les demanderesses ne doivent pas être tenues de payer les dépens des défendeurs. Les demanderesses peuvent obtenir conjointement la taxation de leurs dépens et, si les parties ne peuvent s'entendre, les dépens seront taxés à la marge supérieure de la colonne III du tarif B. L'officier taxateur doit accorder aux demanderesses une allocation semblable pour la préparation et le calcul des dépens accordés.

« F.C. Muldoon »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                             T-2027-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Leanne Nelson et Elaine Russell

c.

Procureur général du Canada et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 30 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE MULDOON

DATE DES MOTIFS :                                     le 4 mai 2001

ONT COMPARU

M. Andrew Raven                                                POUR LES DEMANDERESSES

M. J. Sanderson Graham                                     POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                  POUR LES DEMANDERESSES

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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