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Date : 20000113


Dossier : IMM-342-99



Entre :

     CHRISHNA ANDY ALBERT

     SONIA MARGARITA GUTIERREZ DE ALBERT

     YNDIRA SUE ALBERT GUTIERREZ

     MELISSA SUS GUTIERREZ ALBERT

     STEPHANIE GUTIERREZ ALBERT

     Partie demanderesse


Et:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse




     MOTIFS D'ORDONNANCE



LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 15 décembre 1998 déclarant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les demandeurs sont citoyens du Vénézuéla. Le demandeur principal et son épouse sont membres actifs de l'Église Évangélique Pentecotiste Vénézuélienne dans la région de Barquisimeto. Ils ont participé à des campagnes évangéliques ainsi qu'à des conférences de dénonciation afin de lutter contre la délinquance, la toxicomanie, le rapt d'enfants, le commerce d'organes humains et la prolifération de sectes sataniques dans la région.

[3]      Le demandeur soutient qu'il a fait l'objet d'insultes à l'occasion de ces campagnes et ce à compter du mois d'août 1992. Il prétend avoir été insulté par des individus dans l'auditoire alors qu'il faisait des sermonts publics. Toutefois, il n'a pas été victime d'agression physique, sauf à une occasion en août 1993 où on lui a lancé des pierres. Les seuls autres actes d'agression commis envers lui et sa famille furent des actes de vandalisme et de tentatives de vol de son véhicule.

[4]      À compter du mois de juillet 1994, le demandeur et son épouse se sont impliqués plus activement dans une campagne de dénonciation des sectes sataniques, dénonçant particulièrement les enlèvements d'enfants pratiqués par ces sectes. En raison de ces campagnes, le demandeur allègue avoir fait l'objet de deux tentatives de vol.

[5]      En avril 1995, alors qu'il préparait une campagne de dénonciation, le demandeur aurait fait l'objet d'une autre tentative de vol. Deux mois plus tard, il déclare avoir été suivi par deux individus en motocyclette à deux reprises. Il n'a toutefois pas été agressé.

[6]      Le demandeur soutient qu'il a reçu deux menaces téléphoniques en septembre 1994, puis deux autres en juillet 1995. On lui aurait dit que sa voiture serait incendiée et qu'il allait le regretter s'il continuait d'être actif dans ses campagnes de dénonciation. Il soumet que vers juillet 1995 d'autres membres de l'Église ont été surveillés et suivis.

[7]      Bien qu'il ne connaisse pas l'identité des individus qui le harcèlent, le demandeur craint que ses enfants soient séquestrés et sacrifiés par les sectes sataniques. De plus, il craint que les membres des sectes sataniques qu'il a dénoncées soient liés aux autorités policières ou autres groupes qui sont corrompus au Vénézuéla.

[8]      Se sentant de plus en plus menacé, le demandeur a pris des mesures de précaution en modifiant ses itinéraires et en renforçant la sécurité à son domicile. Il soumet que la police a refusé d'intervenir et il a cru nécessaire de fuir le pays afin d'assurer la sécurité de sa famille.

[9]      Les demandeurs ont donc quitté le Vénézuéla le 19 août 1995 et ont revendiqué le statut de réfugié au Canada dès leur arrivée le 21 août 1995.

[10]      Le tribunal a déterminé que les demandeurs ne s'étaient pas déchargés de leur fardeau de démontrer une crainte bien fondée de persécution et a donc conclu qu'ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[11]      Le tribunal croit que le demandeur principal a exagéré sa crainte des membres de sectes sataniques et souligne l'absence d'agression physique envers lui et sa famille. Il déclare que tout lien entre les activités de dénonciations du demandeur et les actes de vol ou de vandalisme n'est que spéculatif.

[12]      Le tribunal estime invraisemblable que le demandeur soit ciblé au point où sa sécurité serait menacée. Lorsque questionné sur la nature des sectes qui le menacent, le demandeur n'a pu fournir aucun renseignement. Ses connaissances concernant les sectes sont limitées à ce qui serait rapporté dans la presse locale et à la télévision.

[13]      Dans sa décision, le tribunal se réfère à la preuve documentaire qui n'indique aucun lien entre les activités de l'Église Évangélique et toute forme de violation des droits de la personne au Vénézuéla. En fait, le tribunal n'a trouvé aucun document concernant les mauvais traitements subis par des évangélistes. À cet égard, le demandeur a allégué que les événements ne sont pas connus publiquement en raison de leur crainte de représailles de la part de la police. Or, le tribunal a rejeté cette explication puisque rien ni personne n'a pu la corroborer.

[14]      Les demandeurs ont produit une lettre écrite par leur pasteur en date du 1 septembre 1998 qui ne réfère que très vaguement à la continuité des problèmes causés par les sectes sataniques et la délinquance contre l'église sans que les autorités correspondantes prennent des actions directes. Le tribunal a indiqué qu'il n'y a aucune mention dans cette lettre d'une menace concrète, directe ou sérieuse contre les revendicateurs. Le tribunal a conclu que si les demandeurs avaient réellement été victimes d'actes d'agression sérieux, les membres de leur église auraient certainement pu le mentionner.

[15]      Selon le tribunal, les demandeurs n'ont pas démontré que leur crainte s'étend à l'extérieur de Barquisimeto, ni qu'il y a absence de protection étatique. De plus, le tribunal a déclaré qu'à la lumière de l'ensemble de la preuve il est totalement invraisemblable de croire que les demandeurs pourraient raisonnablement craindre que les autorités étatiques soient impliqués dans les activités des sectes sataniques au point où ils seraient incapables d'obtenir la protection de l'État.

[16]      L'audience devant le tribunal a procédé le 25 août 1998. Le procureur des demandeurs a demandé de faire des soumissions par écrit, ce qui fut accordé. Les soumissions écrites ont été reçues à la Section du statut le 8 septembre. Le 30 septembre, le procureur des demandeurs a reçu une lettre de Mme Weston, gestionnaire du soutien des opérations, à l'effet que:

Vous trouverez ci-joint copie de la réponse à la demande d'information #VEN30067.F, datée du 25 septembre 1998, du Centre de documentation à Ottawa que la Section des ACR dépose dans ce dossier.

Le demandeur principal a répondu par écrit à la réponse VEN30067.F et la réponse du demandeur fut reçue à la CISR le 13 octobre 1998.

[17]      Le demandeur principal déclare que la lettre du 30 septembre contenant une réponse à une demande d'information est une preuve documentaire (preuve VEN30067.F). Il souligne que Mme Weston n'est pas agent d'audience et que, par conséquent, elle n'a pas autorité à intervenir dans la présente affaire. Le demandeur a répondu à ladite preuve documentaire et affirme que sa réponse, soit sa lettre reçue le 13 octobre 1998, constitue une preuve reçue et considérée hors de l'audience sans qu'il n'ait donné d'autorisation à cet effet.

[18]      Dans son affidavit, le demandeur principal déclare qu'il n'a pas eu l'occasion lors de l'audience de s'adresser complètement au tribunal sur la preuve qui lui est parvenue suite à l'audience. Il soutient qu'il n'a pas eu l'opportunité de s'expliquer et de répondre aux commentaires du tribunal concernant cette preuve documentaire.

[19]      Il prétend que la Section du statut n'a pas compétence pour demander des éléments de preuve hors Canada et que, si elle a ce pouvoir, l'obtention de la preuve documentaire fut contraire aux directives, plus particulièrement l'article 3.8 des Instructions concernant l'obtention et la divulgation de renseignements lors de procédures devant la section du statut de réfugié. Le demandeur déclare que le non-respect des directives résulte du fait que le formulaire d'obtention de renseignements n'a pas été fourni aux parties et que ceci constitue une erreur de droit.

[20]      De plus, le demandeur affirme que puisqu'il savait que la preuve documentaire obtenue après l'audience était contestée, le tribunal se devait de réouvrir et de permettre la tenue d'une audition complète. Il soutient qu'il est le seul à avoir pu répondre, par sa lettre du 13 octobre, à ladite preuve documentaire.

[21]      Finalement, le demandeur prétend que la preuve reçue après l'audience ne peut être opposée à son témoignage.

[22]      Le défendeur allègue que les demandeurs ont eu l'opportunité de répondre au document déposé après l'audience. Il soumet que les demandeurs ne se sont pas objectés à la production de la preuve VEN30067.F dans leur réponse et que leurs commentaires portent plutôt sur la façon par laquelle la preuve a été obtenue et sur le fait qu'ils n'ont pas pu contre-interroger. Bien que le demandeur principal déclare qu'il a été le seul à avoir répondu à la preuve VEN30067.F, le défendeur soutient que l'ensemble des demandeurs ont eu l'occasion d'y répondre du fait que leur procureur a agi à titre d'alter ego.

[23]      Le défendeur soutient que le fait de ne pas contre-interroger les personnes nommées dans la preuve documentaire en question ne saurait lui enlever toute valeur probante. Il affirme qu'il revenait à la Section du statut de lui accorder sa juste valeur.

[24]      En ce qui concerne les directives d'obtention de renseignements, le défendeur déclare que les demandeurs n'ont pas soulevé le non-respect des directives dans leur réponse du 13 octobre et que, par conséquent, ils ne peuvent le soulever à ce stade. Le défendeur s'appuie sur les articles 67(2)d), 68(2) et 68(3) de la Loi sur l'immigration pour démontrer que la Section du statut avait le pouvoir d'admettre la documentation VEN30067.F en preuve. À cet effet, il s'appuie également sur la règle 39 des Règles de la section du statut de réfugié.

[25]      Le défendeur soumet que la jurisprudence prévoit qu'un élément de preuve peut être considéré après une audience; Yushchuk v. Canada (M.E.I.), [1994] F.C.J. No. 1324, Sorogin v. Canada (M.E.I.), [1999] F.C.J. No. 630.

[26]      Le défendeur soumet de plus qu'une preuve documentaire déposée après l'audience est admissible lorsque le demandeur a eu l'occasion de soumettre ses commentaires en réponse. De plus, les articles 67(2)d) et 68(2) et (3) de la Loi sur l'immigration semblent donner un large pouvoir à la Section du statut pour recevoir et considérer des éléments de preuve. Ces articles stipulent que la Section du statut n'est pas liée par le formalisme des règles de présentation de la preuve; voir Fajardo v. Canada (M.E.I.), [1993] F.C.J. No. 915 (F.C.A.)

[27]      Il est à noter que la preuve documentaire additionnelle VEN30067.F a été déposée au dossier après l'audience sous la cote A-10.

[28]      Avant la clôture de l'audience, le procureur des demandeurs a suggéré une question sérieuse centrale au présent litige. Il soumet que cette question devrait être certifiée. Ladite question est la suivante:

     La Section des ACR, le gestionnaire du soutien des opérations ou un agent d'audience est-il en droit de faire recueillir et de déposer, hors du cadre de l'audience, des renseignements spécifiques relatifs à une revendication particulière dont la Section du statut est saisie et dont le délibéré a commencé, compte tenu des dispositions de la Loi sur l'immigration en son article 68.1 dans sa version française, à savoir:
         68.1 Les agents d'audience nommés en vertu du paragraphe 64(3) peuvent, conformément aux règles mentionnées au paragraphe 65(1) régissant la section du statut, et dans le cadre de l'audience, convoquer des témoins, y compris l'intéressé, et les interroger, produire des documents et présenter des observations.


     Advenant une réponse négative, le libellé de l'article 68.1 dans sa version anglaise a-t-il pour effet de permettre le dépôt, hors audience, de tels renseignements sans demande formelle de réouverture? L'article 68.1 étant édictée ainsi dans sa version anglaise:
         68.1 A refugee hearing officer who is appointed under subsection 64(3) may, in accordance with rules made under subsection 65(1) governing the activities of the Refugee Division, call and question any person who claims to be a Convention refugee and any otehr witnesses, present documents and make representations.


     Compte tenu de la présence des mots "dans le cadre de l'audience" dans la version française et de l'absence de cette précision dans la version anglaise de la Loi, nous soumettons qu'il est d'intérêt public que cette divergence soit résolue.

[29]      Dans sa réplique, le procureur de la partie défenderesse soumet les trois arguments suivants afin de convaincre la Cour qu'aucune question ne devrait être certifiée:

     1.      La question proposée constitue un nouvel argument de droit qui n'a jamais été soulevé dans le mémoire des demandeurs;
     2.      La preuve n'a pas à être recueillie lors d'une audience;
     3.      Les demandeurs ont renoncé à une audition.

[30]      En ce qui concerne la soumission à l'effet que la question proposée constitue un nouvel argument de droit qui n'aurait pas été soulevé dans le mémoire des demandeurs, une lecture du Mémoire pour demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire des demandeurs que l'on retrouve à la page 167 du Dossier de la partie demanderesse révèle que la question a en fait été soulevée.


[31]      Le procureur de la partie défenderesse soumet que la preuve n'a pas à être recueillie lors d'une audience et me réfère à ce propos à la décision du juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Sorogin c. M.C.I., Imm-1681-98, 8 mars 1999. Dans cette affaire, madame la juge Tremblay-Lamer écrivait:

[9] Hors, comme le soumet le procureur du défendeur l'alinéa 69.1(4) fut abrogé depuis l'arrêt Lawal de sorte que selon lui il serait maintenant permis d'avoir une procédure plus informelle laquelle permettrait le dépôt d'une preuve en dehors du cadre d'une audience lorsque les parties consentent à une telle procédure et lorsque les règles de justice naturelle sont respectées en permettant à l'intéressé de commenter cette preuve.
[10] Il est certain que l'abrogation de l'alinéa 69.1(4) assouplit la règle établie par l'arrêt Lawal puisque le tribunal n,est plus obligé de tenir une audience en présence du revendicateur. Le législateur favorise donc une procédure plus souple.
                     (Je souligne)

[32]      Je suis satisfait qu'il y a une certaine distinction entre l'arrêt Sorogin et le cas qui nous préoccupe en ce sens que les demandeurs en l'espèce n'ont pas explicitement consenti au dépôt de la preuve additionnelle. Cependant, ils ont eu l'occasion de la commenter, ce qui a été fait dans la lettre du procureur en date du 13 octobre 1998.

    

[33]      Finalement, le procureur de la partie défenderesse soumet que les demandeurs auraient renoncé à une audition du fait qu'ils ont répondu par correspondance suite à la réception de la nouvelle preuve documentaire. Il soutient que les demandeurs auraient implicitement renoncé à s'objecter à ladite preuve additionnelle ou à une nouvelle audience. Il soumet de plus que cette preuve déposée hors audience ne cause aucun préjudice aux demandeurs et que s'il y a erreur procédurale la Cour n'est pas justifiée d'intervenir si la violation n'a pas eu d'impact sur la décision.

[34]      Une lecture attentive de la décision de la Section du statut démontre que celle-ci a fait référence à la preuve additionnelle après avoir déterminé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[35]      Je suis satisfait que la Section du statut, après une analyse détaillée de la preuve, a correctement conclu que les demandeurs n'avaient pas un crainte bien-fondée de persécution en soulignant l'absence d'agression physique et le peu de connaissance du demandeur principal relativement aux sectes sataniques qui le menaçaient.

[36]      À mon avis, bien que la Section du statut ait, à quelques reprises, fait référence à la preuve additionnelle obtenue après l'audience, elle avait néanmoins conclu que les revendicateurs ne rencontraient pas les exigences de la Convention et cette preuve supplémentaire n'a pas eu d'impact sérieux sur la décision. De plus, je suis satisfait que même si la preuve additionnelle avait été déposée lors de l'audience, le procureur des demandeurs n'aurait pu contre-interroger les auteurs de ces documents.

[37]      Si j'avais le moindre soupçon qu'il y a eu en l'espèce manquement d'équité ou atteinte à la justice naturelle ou que la réouverture de l'audience ou une nouvelle audience aurait pu avoir une influence sur la décision ultime, j'aurais favorisé les soumissions des demandeurs. Or, me référant à l'arrêt Sorogin, supra, qui prévoit maintenant une procédure plus souple, je suis satisfait qu'il n'y a pas lieu d'accorder le remède recherché par les demandeurs.


[38]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je n'ai pas été convaincu que la question proposée par le procureur des demandeurs doive être certifiée.





                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 13 janvier 2000

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