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Date : 20200326


Dossier : IMM-2884-19

Référence : 2020 CF 429

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SUTHARSAN JAYAKANTHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, Sutharsan Jayakanthan, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] datée du 15 avril 2019, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans cette décision, la SAR a confirmé une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] jugeait que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur est un Tamoul âgé de 24 ans du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 14 juillet 2017 et a demandé l’asile sous le régime des articles 96 et 97 de la LIPR, du fait de sa nationalité, de son origine ethnique et de ses opinions politiques perçues ou imputées.

[3]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision rendue de vive voix le 24 octobre 2017. Le tribunal a conclu que le demandeur manquait en général de crédibilité et a tiré des inférences défavorables en raison des problèmes liés aux éléments de preuve relatifs à ses détentions de 2008, 2009, 2013, 2015 et 2016. La SPR a accordé peu de poids à la preuve documentaire du demandeur pour plusieurs raisons et a conclu qu’elle ne suffisait pas à dissiper les doutes qu’elle avait sur sa crédibilité.

[4]  La SPR a rejeté la demande sur place et le profil des risques résiduels (c. à d. son origine ethnique tamoule et son statut de demandeur d’asile débouté revenant au Sri Lanka) du demandeur. Bien que certains profils de risque puissent justifier l’octroi d’une protection, notamment pour les journalistes, les sympathisants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), les minorités religieuses et les militants, la SPR a conclu que le demandeur ne relevait d’aucune de ces catégories. Il existe bien un profil de risque pour les demandeurs d’asile déboutés connus des autorités sri lankaises, mais aucun élément de preuve ne démontrait que le demandeur était connu de celles-ci et reconnu pour avoir des liens présumés ou réels avec les TLET.

[5]  La SAR a confirmé la décision de la SPR le 15 avril 2019, en concluant que cette dernière n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité ni dans son examen de la demande d’asile sur place ou du profil de risques résiduels. La SAR a accepté quatre articles de journaux comme nouveaux éléments de preuve suivant le paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a confirmé les conclusions de la SPR, à une exception près : une conclusion d’invraisemblance concernant la mise en liberté du demandeur en 2015. La SAR a confirmé les conclusions de la SPR concernant la preuve documentaire.

[6]  La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités sri lankaises :

  1. le considéraient comme un sympathisant des TLET;

  2. l’avaient arrêté ou l’avaient blessé au Sri Lanka au motif qu’elles le soupçonnaient d’être un membre des TLET, de participer à leurs activités ou de leur être affilié;

  3. s’intéressaient à lui.

[7]  Eu égard à son profil, la SAR a conclu que la preuve documentaire liée aux risques associés aux rapatriés sri lankais était mitigée, mais que les Tamouls étaient assujettis au même processus de vérification que tout le monde. Elle a confirmé le point de vue de la SPR selon lequel le demandeur ne relevait d’aucune catégorie de risque énoncée dans la preuve documentaire. Les nouveaux éléments de preuve n’ont pas aidé le demandeur, parce qu’ils portaient sur deux hommes qui avaient été accusés d’entretenir des liens avec les TLET. Le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il était soupçonné d’entretenir de tels liens.

III.  Les questions en litige

[8]  Le demandeur soutient que la SAR a fait montre d’une trop grande déférence envers les conclusions de la SPR concernant la crédibilité et qu’elle n’a pas effectué d’examen indépendant du risque objectif auquel le demandeur était exposé.

[9]  La question est de savoir si la décision de la SAR, dans son ensemble, est raisonnable.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[10]  Les arguments écrits dans cette affaire ont été soumis avant la publication de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada. Comme les parties s’entendaient à l’audience pour dire que la norme de la décision raisonnable continue de s’appliquer, aucune observation écrite après l’audience n’a été demandée, et les avocats n’ont pas demandé à en présenter non plus. Certaines observations sur l’incidence de l’arrêt Vavilov ont été formulées à l’audience.

[11]  Ayant examiné l’arrêt de la Cour suprême et en particulier les paragraphes 16, 17 et 65 à 68, je ne vois pas de raison de réfuter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. Lorsque j’ai examiné l’affaire, j’ai appliqué la nouvelle formulation de la norme de la décision raisonnable. Comme les juges de la majorité l’ont indiqué au paragraphe 85 de l’arrêt Vavilov, pour être raisonnable, une décision doit être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». J’ai également tenu compte des commentaires de la Cour suprême sur l’importance des motifs, particulièrement ceux formulés au paragraphe 96.

B.  La décision de la SAR était-elle raisonnable?

(1)  Les conclusions quant à la crédibilité

[12]  La SAR a appliqué la norme de la décision correcte dans son examen de la décision de la SPR, conformément au principe établi dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au par. 103. Le demandeur soutient que la SAR a accordé une trop grande déférence aux conclusions de la SPR quant à la crédibilité, citant l’affaire Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, aux par. 105-106. Il ajoute que la SAR a effectué une analyse microscopique de sa crédibilité, une pratique que la Cour a jugée déraisonnable : Francois c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 687; N’kuly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1121.

[13]  La SAR a effectivement affirmé qu’elle avait approuvé les conclusions de la SPR concernant la crédibilité du demandeur; cependant, cela n’équivalait pas à une déférence exagérée. La SAR a démontré qu’elle avait effectué un examen indépendant à plusieurs égards, notamment aux paragraphes 23 à 26 de ses motifs où elle exprime son désaccord relativement à une partie de l’analyse de la SPR concernant la vraisemblance de la libération du demandeur en 2015. L’analyse était approfondie, mais pas microscopique. Dans l’ensemble, je conclus que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité étaient raisonnables.

(2)  L’examen du fondement objectif de la demande d’asile

[14]  Cette question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Elle se rapporte au raisonnement appliqué par la SAR pour en arriver à ses conclusions. Le raisonnement doit démontrer une chaîne d’analyse cohérente et ne pas être entaché d’erreurs logiques. De plus, les erreurs ne doivent pas être simplement mineures : Vavilov, aux par. 99-100.

[15]  Il s’agit de l’argument le plus solide avancé par le demandeur. Il affirme que la SAR n’a pas examiné convenablement les facteurs qui établissent le profil de risques sur lequel repose sa demande d’asile sur place. Ces facteurs sont les suivants :

  1. Il est un homme d’origine ethnique tamoule.

  2. Il vient de Vavuniya, ville située dans la province du nord du Sri Lanka (une zone où les TLET mènent leurs activités).

  3. Il a quitté le Sri Lanka illégalement.

  4. Il vit au Canada parmi beaucoup d’autres Tamouls qui ont été déplacés.

  5. Il est demandeur d’asile débouté.

  6. Il s’apprête à retourner au Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté.

[16]  Dans plusieurs décisions, la Cour a conclu qu’un tel profil est hautement pertinent dans le cadre d’une demande d’asile résiduelle ou sur place : Jeyakumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 87 [Jeyakumar]; Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142; Pillay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 160, et Ghimire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 89.

[17]  Selon le demandeur, la SAR a commis une erreur en effectuant un examen très sélectif du risque objectif, allant à l’encontre de décisions comme Bozik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 920, et Kailajanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 970, aux par. 18-21.

[18]  Le demandeur a fait valoir devant la SAR qu’il [traduction« attirerait certainement l’attention des autorités de l’État, qui pourraient très bien le soupçonner d’entretenir des liens avec les TLET ». Ce faisant, il a invité la SAR à formuler des hypothèses sur la façon dont ses caractéristiques pourraient entraîner un risque accru. Ce n’est pas là le rôle de la SAR.

[19]  La SAR a fait remarquer que les Tamouls qui n’ont pas de lien avec les TLET, comme c’est le cas du demandeur qui l’avait confirmé dans son témoignage devant la SPR, sont exposés à un risque de persécution. Cependant, il n’y a plus de présomption d’admissibilité au statut de réfugié pour les Tamouls provenant du nord du Sri Lanka. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution s’il retournait au Sri Lanka.

[20]  Dans la décision Velummayilum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 742, aux par. 8-9, le juge Harrington a cité un grand nombre de décisions où la Cour avait conclu qu’il ne suffit plus dorénavant de correspondre au profil d’un jeune homme tamoul du nord ou de l’est du Sri Lanka pour se voir accorder l’asile. Il a par ailleurs déclaré au par. 9 qu’un « demandeur d’asile débouté sera certainement interrogé à son arrivée au Sri Lanka. Cependant, [il] n’a pas été conclu que [le demandeur] avait quelque lien que ce soit avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul : par conséquent, le risque de persécution, quoique toujours existant, n’est rien de plus qu’une simple possibilité. »

[21]  Dans l’affaire Jeyakumar, précitée, le juge Russel a conclu aux par. 54-55 que l’agent semble avoir présumé que le demandeur ne ferait pas l’objet de persécution au sens de l’article 96 ou ne sera pas exposé à des risques au sens de l’article 97 du simple fait qu’il n’a aucun lien avec les TLET et qu’il ne présentait pas certains des autres profils expressément mentionnés dans la décision. Pour cette raison, l’omission par l’agent de traiter des éléments de preuve qui entrent en conflit avec ses propres conclusions constituait une erreur susceptible de contrôle.

[22]  Contrairement à la décision rendue dans l’affaire Jeyakumar, la SAR a reconnu que la preuve était mixte et n’a pas présumé que le demandeur ne serait exposé à aucun risque de persécution s’il retournait au Sri Lanka du fait qu’il n’avait pas de lien avec les TLET.

[23]  La SAR a effectué une analyse approfondie et a évalué les facteurs de risque applicables au demandeur à la lumière de la preuve documentaire. Ces facteurs étaient que le demandeur est a) un Sri Lankais qui s’est absenté du pays pendant une longue période, b) un demandeur d’asile débouté, c) une personne vivant à l’étranger dans un milieu où se trouve une importante diaspora de partisans des TLET. La SAR a soupesé la preuve et en est arrivée à une conclusion défavorable pour le demandeur, jugeant que, même s’il était susceptible de faire face à un certain harcèlement à son retour au Sri Lanka, la situation ne serait pas suffisamment grave pour constituer de risque sérieux de persécution.

V.  Conclusion

[24]  Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve en faveur du demandeur. Je ne vois aucune raison de revenir sur la décision de la SAR. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[25]  Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2884-19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour d’avril 2020

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2884-19

INTITULÉ :

SUTHARSAN JAYAKANTHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

POUR LE DEMANDEUR

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blanshay Law

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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