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Date : 20200325


Dossier : IMM-4621-19

Référence : 2020 CF 418

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

AGNES OMOLARA ADENIJI‑ADELE

AMINAT ADEOLA ADENIJI‑ADELE (MINEURE)

MUSEDIKU OLADEGA ADENIJI‑ADELE (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Agnes Omolara Adeniji‑Adele et ses enfants, Aminat Adeola Adeniji‑Adele (19 ans) et Musediku Oladega Adeniji‑Adele (17 ans) [les demandeurs], sont citoyens du Nigéria. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], parce qu’ils disposent de possibilités de refuge intérieur [les PRI] à Port Harcourt et à Abuja.

[2]  Aminat est entrée au Canada le 30 août 2015 grâce à un visa d’étudiant. Elle était accompagnée de sa mère, Agnes, et de son père, le prince Ademola Jimoh Adeniji‑Adele. Le prince Ademola était le fils du 20e Oba de Lagos, le souverain traditionnel et rituel de Lagos. Il était aussi politicien; il a notamment agi en tant que commissaire à la jeunesse, aux sports et au développement social. Le successeur du parti politique du prince Ademola est toujours au pouvoir.

[3]  Le prince Ademola est mort en 2016 sans testament. Les demandeurs soutiennent que l’exécuteur de la succession [l’exécuteur] a exigé qu’Aminat retourne au Nigéria, qu’elle épouse le fils de son ami, qu’elle dénonce le christianisme et qu’elle se tourne de nouveau vers l’islam. L’exécuteur a payé les frais nécessaires afin qu’Agnes puisse venir au Canada pour ramener Aminat au Nigéria. Toutefois, le 7 juin 2017, Agnes a plutôt amené Musediku avec elle au Canada.

[4]  Depuis lors, les demandeurs refusent de retourner au Nigéria. L’exécuteur a cessé de financer les études d’Aminat et de verser les allocations mensuelles qu’Agnes recevait de la succession de son mari.

[5]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs le 12 juin 2018. La crédibilité a été la question déterminante. Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAR.

[6]  La SAR a confirmé la décision de la SPR, mais pour des motifs différents. Elle n’a pas souscrit aux conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR, mais elle a conclu que les demandeurs ne couraient aucun risque au Nigéria compte tenu de l’existence de PRI à Port Harcourt et à Abuja.

[7]  Il incombait aux demandeurs de démontrer que les villes proposées comme PRI n’étaient pas convenables. La SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas été en mesure de satisfaire à ce critère élevé. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La SAR a fait savoir aux demandeurs qu’elle pourrait conclure que Port Harcourt et Abuja constituaient des PRI raisonnables. En réponse, les demandeurs ont transmis des observations écrites le 3 juin 2019. Ils ont affirmé que les villes proposées comme PRI ne seraient pas sûres pour eux et qu’ils seraient immédiatement reconnus partout au Nigéria en raison de la notoriété du prince Ademola. Ils ont également présenté des articles faisant état de conditions difficiles à Port Harcourt et à Abuja.

[9]  La SAR a conclu que les demandeurs pourraient raisonnablement déménager dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI, et que l’exécuteur ne serait pas en mesure de les retrouver à Port Harcourt ou à Abuja. Aucun des éléments de preuve dont disposait la SAR ne laissait croire que le prince Ademola était connu à l’extérieur de Lagos. La SAR a préféré se fier aux rapports sur les conditions dans le pays figurant dans le cartable national de documentation [le CND] pour le Nigéria, lesquels rapports présentaient la situation dans les villes proposées comme PRI, et au Nigéria en général, sous un jour plus favorable que les articles présentés par les demandeurs.

III.  Question en litige

[10]  La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

IV.  Analyse

[11]  La décision de la SAR est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). Ces exigences sont satisfaites si les motifs permettent à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux par. 85 et 86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[12]  La SAR a préféré se fier aux rapports sur les conditions dans le pays figurant dans le CND parce qu’ils étaient le « résultat d’une analyse plus complète du sujet [...] préparée par des chercheurs impartiaux ». Les demandeurs soutiennent que la SAR, s’appuyant sur des conclusions de partialité injustifiées, a déraisonnablement écarté les articles qu’ils ont présentés, citant les jugements Grama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1030 et Chavarria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1166. Toutefois, ces jugements mettent en garde contre le fait de rejeter déraisonnablement des récits personnels et des témoignages de personnes qui ne sont pas désintéressées. Ils ne permettent aucunement d’affirmer qu’un décideur ne peut pas préférer une source documentaire à une autre.

[13]  En outre, certains des articles présentés par les demandeurs n’étaient pas pertinents au regard de leur situation personnelle. Ils ont notamment présenté un article de CNN World qui rapportait que des femmes avaient été arrêtées à Abuja et agressées par la police parce qu’elles étaient soupçonnées d’être des prostituées. D’autres articles portaient sur des difficultés rencontrées par la population en général, comme l’itinérance, le chômage, la pollution et la mauvaise qualité de l’eau potable. Il y était expliqué que ces problèmes touchaient plus particulièrement les personnes pauvres ou n’ayant pas de liens familiaux. Cependant, de leur propre aveu, les demandeurs font partie d’une famille riche et distinguée dont la plupart des membres sont toujours bien disposés à leur égard.

[14]  Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve pour étayer l’affirmation selon laquelle l’exécuteur pourrait avoir accès à des bases de données du gouvernement ou d’entreprises, qu’il serait en mesure de localiser les cartes SIM de leurs téléphones mobiles et qu’il pourrait donc les retrouver dans les villes proposées comme PRI. Aucun élément de preuve ne démontrait la mesure dans laquelle le patronyme des demandeurs était connu à l’extérieur de Lagos.

[15]  Il incombait aux demandeurs de démontrer que les villes proposées comme PRI n’étaient pas convenables. Ils n’ont pas été en mesure de satisfaire à ce critère élevé. La SAR a conclu que les demandeurs ont un niveau de scolarité relativement élevé et qu’ils pourraient compter sur le soutien des membres de leur famille au Nigéria, notamment des nombreux demi‑frères et demi‑sœurs d’âge adulte des enfants de la demanderesse. Les demandeurs parlent anglais, la langue officielle du Nigéria qui est largement utilisée tant à Port Harcourt qu’à Abuja. Les demandeurs n’ont pas pu démontrer le caractère déraisonnable de l’une ou l’autre des conclusions tirées par la SAR.

[16]  Le raisonnement de la SAR est transparent et intelligible. La preuve ne permettait pas d’établir que les demandeurs n’auraient pas accès à un logement et à de l’eau potable de bonne qualité dans les villes proposées comme PRI, qu’ils seraient incapables de trouver du travail ou qu’ils seraient privés du soutien de leur famille.

V.  Conclusion

[17]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14ee jour d’avril 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4621-19

 

INTITULÉ :

AGNES OMOLARA ADENIJI‑ADELE, AMINAT ADEOLA ADENIJI‑ADELE (MINEURE) ET MUSEDIKU OLADEGA ADENIJI‑ADELE (MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MARS 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Jerome Olorunpomi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Hilary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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