Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041028

Dossier : IMM-9303-03

Référence : 2004 CF 1522

Toronto (Ontario), le 28 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                         GREGORY THOMAS WICKRAMASINGHE

demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Gregory Thomas Wickramasinghe est un Cinghalais citoyen du Sri Lanka. Il prétend avoir été persécuté par la police sri-lankaise parce qu'il est marié à une femme tamoule.


[2]                L'ancienne Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié présentée par M. Wickramasinghe. À la suite d'une demande de contrôle judiciaire, cette décision a été annulée et l'affaire a été renvoyée à ce qui est maintenant la Section de la protection des réfugiés afin qu'elle procède à une nouvelle audition.

[3]                À la suite d'une audition de novo, la Commission a encore une fois rejeté la demande de M. Wickramasinghe. Tout comme à la première audience, la Commission n'a exprimé aucune réserve quant à la crédibilité de M. Wickramasinghe, acceptant implicitement qu'il avait été victime de violence par la police de Wattale. Toutefois, la Commission a conclu que M. Wickramasinghe avait une possibilité de refuge intérieur (une PRI) à Galle, située dans l'extrême sud du Sri Lanka. La Commission a également conclu que M. Wickramasinghe, à son retour, ne serait pas pris pour cible à l'aéroport du fait de l'application de la Immigrants and Emigrants Act du Sri Lanka.

[4]                M. Wickramasinghe sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, affirmant que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il avait une PRI à Galle. Il soutient également que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la Immigrants and Emigrants Act ne lui faisait courir aucun risque.

Faits à l'origine de la demande de M. Wickramasinghe


[5]                Entre 1994 et 2000, M. Wickramasinghe et son épouse ont vécu plusieurs incidents de harcèlement de la part la police. Selon M. Wickramasinghe, son épouse et lui étaient pris pour cibles en raison de l'origine tamoule de son épouse et du fait qu'on les soupçonnait d'appuyer les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET).

[6]                Le 9 juin 2000, M. Wickramasinghe a été arrêté chez lui par la police. On a perquisitionné sa maison, et des lettres et des photographies provenant de la famille de son épouse à Jaffna ont été saisies. Son épouse de même que sa nièce, qui était venue du Nord pour leur rendre visite, ont également été arrêtées. Trois jours plus tôt, M. Wickramasinghe et son épouse étaient à Moratuwa visitant des amis lorsqu'une bombe a explosé tuant un ministre du gouvernement.

[7]                L'épouse et la nièce de M. Wickramasinghe ont été libérées après trois jours de détention. M. Wickramasinghe a été emmené dans un endroit inconnu près de Ja-Ela, où il a été détenu et torturé. On l'accusait d'avoir abrité des partisans des TLET dans sa maison, allégations qu'il a niées. M. Wickramasinghe a été détenu pendant six jours. Il a été libéré après le versement d'un pot-de-vin, et il a décidé de fuir le pays.

Décision de la Commission

[8]                La Commission n'a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité relativement au témoignage de M. Wickramasinghe et semble avoir accepté qu'il avait été victime de brutalité policière grave à Wattale.


[9]                La Commission a noté toutefois que M. Wickramasinghe avait travaillé comme guide touristique à Galle, dans le Sud du Sri Lanka, de 1998 à 2000, et qu'il n'avait eu aucun problème à cet endroit. En outre, la Commission a fait remarquer que les tensions entre les TLET et les autorités sri-lankaises qui perturbaient le Nord et l'Est du Sri Lanka n'avaient pas cours dans le Sud du pays.

[10]            La Commission a également conclu que M. Wickramasinghe et son épouse avaient été détenus, interrogés, maltraités et persécutés par la police du poste de Wattale, mais par aucune autre autorité sri-lankaise. En conséquence, la Commission a jugé que M. Wickramasinghe pourrait vivre à Galle, située dans l'extrême sud du Sri Lanka, où il ne courait pas plus qu'un simple risque de persécution.

[11]            La Commission a rejeté l'argument de M. Wickramasinghe relativement à la Immigrants and Emigrants Act, notant qu'il s'agissait d'une loi d'application générale. La Commission a également fait remarquer que l'épouse de M. Wickramasinghe était retournée au Sri Lanka sans difficulté. Enfin, la Commission a fait référence à des documents relatifs à la situation dans le pays, qui, selon ce qu'elle a affirmé, appuyaient sa conclusion suivant laquelle M. Wickramasinghe pourrait retourner au Sri Lanka sans difficulté.


Analyse

[12]            Pour les motifs exposés ci-dessous, j'estime que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la question de savoir si M. Wickramasinghe avait une PRI valable à Galle. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner l'incidence de la Immigrants and Emigrants Act.

[13]            Comme la Cour d'appel l'a souligné dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une PRI, il faut se demander si, compte tenu de la persécution dont le demandeur a été victime dans une partie du pays en cause, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie du pays (Voir aussi l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.)).

[14]            M. Wickramasinghe prétend qu'une conclusion de la Commission suivant laquelle un demandeur d'asile a une PRI dans son pays d'origine est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable simpliciter, alors que le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Je n'ai pas besoin de trancher cette question dans la présente affaire, puisque ma décision serait la même, peu importe la norme de contrôle appliquée.

[15]            En l'espèce, l'analyse de la Commission quant à savoir si M. Wickramasinghe avait une PRI est assez limitée et reposait, en grande partie, sur le fait que M. Wickramasinghe avait pu vivre à Galle pendant deux ans sans difficulté apparente.

[16]            Le problème relativement à l'analyse de la Commission est qu'elle n'a pas tenu compte du fait que M. Wickramasinghe avait vécu à Galle avant d'être soupçonné d'avoir participé à l'explosion de Moratuwa et à la mort d'un ministre du gouvernement qui s'est ensuivie. La Commission n'a pas tenu compte de l'incidence qu'auraient ces soupçons de participation à une attaque terroriste si M. Wickramasinghe devait retourner à Galle maintenant.

[17]            La Commission a également fondé son analyse relative à la PRI sur sa conclusion suivant laquelle M. Wickramasinghe n'avait des problèmes qu'avec la police de Wattale, et non pas avec d'autres autorités sri-lankaises. À cet égard, la Commission n'a pas tenu compte du fait que M. Wickramasinghe avait été mis en garde à vue par la police de Wattale sur la base de renseignements reçus de la police de Moratuwa.

[18]            En conséquence, même en appliquant la norme de contrôle commandant la plus grande retenue, je suis convaincue que la Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle relativement à sa conclusion suivant laquelle le demandeur avait une PRI, et que sa décision doit donc être annulée.


Réparation

[19]            M. Wickramasinghe a maintenant exposé sa version des faits à deux tribunaux différents de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et ni l'un ni l'autre n'a exprimé quelque doute que ce soit relativement à sa crédibilité. M. Waldman me demande donc de renvoyer la présente affaire à la Commission et d'ordonner à celle-ci d'accepter les faits sur lesquels repose sa demande et de limiter les débats à des questions relatives à la situation actuelle au Sri Lanka, notamment le fondement objectif de la crainte de persécution de M. Wickramasinghe, l'application actuelle de la Immigrants and Emigrants Act par les autorités sri-lankaises et la question de savoir si M. Wickramasinghe a maintenant une PRI valable au Sri Lanka.

[20]            Le défendeur s'oppose à cette demande, alléguant que la Commission doit toujours se prononcer sur la crédibilité. Le défendeur affirme qu'il devrait être loisible à la Commission de faire sa propre appréciation de la crédibilité de M. Wickramasinghe, sur le fondement de la preuve dont elle est saisie, laquelle peut être la même que celle soumise aux deux tribunaux précédents ou différente de celle-ci.

[21]            Je ne suis pas convaincue que je devrais assortir de conditions ma décision de renvoyer la présente affaire à la Commission, et je refuse de le faire.


Certification

[22]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier, et la présente affaire n'en soulève aucune.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« A. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9303-03

INTITULÉ :                                                    GREGORY THOMAS WICKRAMASINGHE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 28 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                 POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman & Associates               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada       


                         COUR FÉDÉRALE

                                         

Date : 20041028

Dossier : IMM-9303-03

ENTRE :

GREGORY THOMAS WICKRAMASINGHE

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                            

                                         


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.